Chronique de la quinzaine - 14 juillet 1836
14 juillet 1836
Les affaires d’Angleterre continuent d’offrir un spectacle chaque jour plus intéressant et plus varié. Il importe de suivre avec attention jusqu’au dénouement l’action un peu lente, mais curieuse et compliquée, du drame politique de Westminster.
Si la guerre a décidément éclaté entre les deux assemblées législatives, c’est bien la chambre des lords qui a voulu cette collision. La chambre des lords se souvient que la prudence et la timidité lui ont mal réussi en 1832. Aujourd’hui qu’elle n’aperçoit nul danger menaçant à l’horizon, elle s’avise de courage et de hardiesse. Ce nouveau système, dont l’inertie actuelle de l’esprit public semble justifier l’emploi, est-il également bien calculé pour garantir longuement l’existence de la pairie ? Voilà ce qu’il s’agit d’examiner.
— Plus de concessions ! se sont écriés les lords. Nous avons été jusqu’à présent trop prompts à reculer. Nous ne céderons plus un pouce de terrain. L’habileté consiste à défendre les moindres positions qui gardent l’accès de la place. —
Les conférences s’entament avec les communes au sujet de l’accommodement proposé sur le bill des corporations irlandaises. Durant les dernières années, dans ces sortes de conférences, la courtoisie avait presque triomphé du vieil usage. On avait daigné recevoir les communes sans se couvrir et debout. C’était une impardonnable faiblesse. Désormais on s’assiéra comme par le passé, et l’on enfoncera même davantage son chapeau. Si vous aviez vu pourtant les nobles lords en habit de ville, coiffés de cet étrange chapeau à cornes, qui ne ressemble pas mal à celui de nos ordonnateurs des pompes funèbres, vous douteriez que ce retour à la rigoureuse étiquette aristocratique soit un moyen fort efficace pour restaurer la dignité de la pairie.
Mais voici venir une occasion plus sérieuse de montrer son autorité. Ce même bill des corporations irlandaises, déjà si cruellement maltraité par leurs seigneuries, se représente enfin devant elles timidement réamendé par les communes. La séance est grave et solennelle. Lord Melbourne et lord Holland avaient renouvelé leurs avertissemens énergiques. Voyant quelle aveugle passion entraînait la chambre, lord Grey lui-même avait rompu un silence de deux ans. Il s’était avancé seul entre les deux partis prêts à en venir aux mains, et avait proposé un dernier moyen de conciliation. Mais ses conseils, pleins de sagesse, ne sont plus ceux que l’on écoute, ce sont les ressentimens acharnés de lord Lyndhurst qui font la loi. C’est l’ex-chancelier tory qui gouverne maintenant les pairs sous la responsabilité du duc de Wellington, leur chef nominal. Lord Lyndhurst ayant déclaré que les lords ne peuvent se désister de leurs principes, une formidable majorité repousse à la fois et les amendemens de la seconde chambre, et le sous-amendement plus pacifique encore de lord Grey.
Ce rejet prononcé, tout espoir d’arrangement avait dû s’évanouir. La conduite ultérieure des communes était dictée d’avance. La politique les avait poussées à trop accorder peut-être ; il ne leur était plus permis de rien céder honorablement. Aussi la séance dans laquelle lord John Russel vient demander l’ajournement à trois mois du bill mutilé, n’a-t-elle point l’intérêt dramatique de celle des lords ; mais le langage que tient le ministre est singulièrement vigoureux et significatif. « Il compte que la pairie ouvrira les yeux et se rangera prochainement à l’avis des communes, autrement il désespérerait du salut de la constitution britannique ; car il ne concevrait pas, ajoute-t-il, de constitution plus impraticable que celle qui autoriserait l’opposition déterminée, persévérante, inflexible, d’une chambre haute paralysant toutes les mesures de la chambre élective et méconnaissant l’opinion générale du pays.» Ce sont là les propres paroles de lord John Russel, le fils du duc de Bedford, l’un des plus illustres rejetons de l’aristocratie anglaise, et conséquemment l’un des plus intéressés à la conservation des priviléges de cette aristocratie ; ce sont les propres paroles du même ministre qui déclarait, il y a moins de six mois, que la réforme ne devait seulement pas songer aux changemens organiques.
Ainsi la pairie est mise en demeure, et non plus uniquement par les radicaux, mais par les whigs eux-mêmes. Il faut qu’elle cède, et avant peu, ou le maintien de la constitution devient impossible, c’est-à-dire qu’il devient indispensable de réformer la pairie. Cédera-t-elle cependant ? pourra-t-elle céder ? Engagée comme elle est dans le chemin difficile où l’a jetée lord Lyndhurst, pourra-t-elle revenir sur ses pas ? Vraiment, pour une petite satisfaction qu’il a donnée à leur orgueil, ce n’est pas encore ce dernier vote des lords qui a beaucoup assuré leur avenir, non plus que cette dignité dont ils sont si jaloux.
La chambre des communes, qui continue d’être patiente et de ne se point décourager, vient de consacrer encore une fois le principe d’appropriation du bill des dîmes irlandaises. De ce que la majorité réformiste, qui l’a voté, s’est trouvée moins nombreuse qu’elle ne l’est d’ordinaire, il ne faut point conclure qu’elle se soit affaiblie ou divisée. Il s’agit ici d’une question à part, d’une question religieuse, non point d’une question de liberté politique. Il y a en Angleterre, et surtout au parlement, nombre de consciences libérales qui n’ont pas secoué le joug du préjugé protestant. Pour elles, retrancher le moindre denier du revenu de l’absurde église anglicane importée en Irlande, ce serait une sorte de sacrilége. C’est déjà beaucoup, et on ne devait pas l’espérer, que dans une chambre élue sous la double influence du clergé et des tories, il se soit rencontré plus de trois cents membres résolus à établir la tolérance et l’égalité religieuses, et qui, à force de persévérance, aient su rendre ces principes presque universellement populaires. Si les lords eussent été raisonnables et habiles, ils se fussent néanmoins bornés à concentrer leur résistance sur le terrain de ce bill des dîmes irlandaises. Au moins cette position était tenable. Ils avaient de leur côté une imposante minorité dans les communes. Mais leur opposition, aveugle, violente, systématique, ne profitera qu’à leurs adversaires. Avec le simple refus d’abolition de la dîme, O’Connell eût sans doute agité l’Irlande plus vivement cette année que les précédentes : il ne l’eût pas unie et soulevée comme un seul homme, ainsi qu’il va faire armé d’un rejet du bill des corporations. La lettre qu’il vient d’adresser à ses compatriotes, et qui leur recommande le rétablissement de l’association catholique sur une base élargie et plus solide, aura certainement des résultats aussi prompts qu’efficaces. Que l’on calcule l’action de ce puissant levier que ne retiendra plus, mais que soutiendra et fortifiera la main du gouvernement lui-même.
Les whigs ont été bien inspirés, le jour où ils se sont rallié le grand agitateur, et les tories, au contraire, sont bien imprudens et maladroits de l’outrager et de le pousser à bout chaque jour. O’Connell était le radical dont l’aristocratie avait le moins à redouter. Ce n’est pas uniquement un avocat opiniâtre du ballot et du suffrage universel. Tout terrible niveleur qu’on l’ait fait, il n’a guère du tribun que la parole vive et parfois grossière. Au fond c’est un homme d’état véritable et plus propre peut-être à fonder qu’à détruire. Qui sait toucher et mettre en mouvement comme lui les ressorts nécessaires au gouvernement d’une nation ou d’un parti ? Il a compris que l’instant n’est pas venu de gouverner par le menu peuple, en dehors du pouvoir électoral ; il s’adresse donc aux électeurs, à la classe moyenne, aux riches, de même qu’au peuple, et voici que sans rien perdre de sa souveraine autorité sur le paysan, il range sous sa bannière le marchand, le bourgeois et le lord. Ce n’est pas d’aujourd’hui d’ailleurs qu’il nourrit le projet de cette invincible agrégation : sûr qu’il était des masses, après la dernière session, il avait fait un appel pressant à la noblesse irlandaise et l’avait en partie déjà attachée à sa cause. Il n’est pas de moyen qu’il néglige ; tandis que dans les meetings publics, il entretient l’ardeur des multitudes et soutient leur enthousiasme, la presse répand partout ses proclamations et ses manifestes. Et il n’a pas eu assez de ces milliers de voix des feuilles locales publiques sous son inspiration. Il lui a fallu une tribune plus haute d’où il parlât ou fît parler selon ses vues à la Grande-Bretagne tout entière. C’est ainsi qu’il a fondé et qu’il conduit la Revue de Dublin, qui plaide aujourd’hui dignement et largement pour toutes les libertés de l’Irlande. Si étroite que soit son alliance avec les whigs, O’Connell ne s’est pourtant pas séparé des radicaux ; il n’est pas moins libéral qu’eux ; il est seulement meilleur politique, il comprend mieux les temporisations et les ménagemens que l’intérêt de la liberté lui-même exige. À vrai dire, le parti radical pur n’est pas sans pouvoir dans le pays, mais il n’est nullement appelé, quant à présent, à mener seul la marche des réformes. Un fait remarquable et qui valait bien la peine d’être constaté, quoique notre presse n’en ait pas dit un mot, c’est la retraite récente de M. Harvey, l’un des organes distingués de ce parti à la chambre des communes. M. Harvey y représentait Southwark, le faubourg le plus populeux de Londres. La lettre publique qui contient sa démission est fort curieuse et mérite la lecture. Il se plaint amèrement de ce que ses commettans lui aient rogné son mandat. Ils lui ont, dit-il, interdit le droit de presser l’administration et de l’attaquer au besoin, selon qu’il le jugeait nécessaire. C’est pourquoi il abdique ce pouvoir législatif qu’on ne lui laisse plus libre, et il rentre dans la vie privée. Certes ce n’est pas là un symptôme qui annonce que l’opinion se défie des whigs Et en effet, leur attitude vis-à-vis de la pairie justifie pleinement la confiance que montre en eux l’Angleterre.
Le parlement a entamé la discussion du bill qui prétend réformer le temporel de l’église anglicane. On conçoit que l’église elle-même sanctionne les principes de cette mesure débonnaire, et qu’elle ait la magnanimité de l’appuyer. La douloureuse réforme, en effet, pour le clergé, que celle qui laisse à l’archevêque de Cantorbéry un traitement de 15,000 livres sterling, et, proportionnellement, des revenus analogues aux évêques inférieurs dans la hiérarchie !
Mistress Norton n’a pas quitté Londres pour Paris, ainsi qu’on l’avait assuré. Il était au contraire question, la semaine passée, d’une fête brillante que le duc de Devonshire devait lui donner en manière de réparation d’honneur. C’est dommage que cette générosité ait tout l’air de demeurer un bruit de salon. Il eût suffi d’une mazurque dansée à Devonshire-House par sa grace avec mistress Norton, pour réhabiliter partout ailleurs la petite-fille de Sheridan. Mais tout ami qu’il soit du ministère Melbourne, le noble duc aura réfléchi que le monde exclusif du West-End se compose de dix tories contre un whig. Il n’aura pas eu le courage de compromettre si gravement sa haute autorité fashionable.
En Espagne, la guerre civile s’est un peu ranimée, devançant le réveil prochain de la guerre parlementaire. Il ne paraît pas toutefois que le retour de Cordova à l’armée ait amené jusqu’à présent la réussite des savantes combinaisons stratégiques qu’il annonçait. Loin de là, ont dit quelques correspondances, l’une des colonnes de Villaréal se serait portée sur les Asturies à travers les Anglais et les christinos. Cette évolution fût-elle réelle, le gouvernement de Madrid n’aurait pas à s’en effrayer beaucoup. Ce ne serait encore là probablement qu’une de ces trouées téméraires, mais sans résultat, qui exercent depuis trois ans l’agilité des troupes carlistes.
La nouvelle du désastre de Santa-Anna n’est plus douteuse. Voilà le Mexique sans président et son armée sans général. Ce double échec pourra faciliter promptement le triomphe de l’insurrection de Houston. Le Texas se précipiterait vite alors dans les bras des États-Unis, dont l’hypocrite convoitise ne cherche depuis long-temps qu’un prétexte honnête pour s’emparer de cette riche province. L’esclavage est chez elle en suprême honneur ; n’est-ce pas là un titre suffisant et qui la rend digne d’être agrégée d’emblée à la grande république fédérative ? Ainsi l’admission du Texas, une fois votée par le congrès, l’Union cesserait même d’être également partagée entre les états à esclaves et les états qui interdisent le trafic de la race noire. Les premiers gagneraient la majorité ; ils seraient quatorze contre treize. L’honorable conquête qu’aurait faite la terre-modèle des pays et des hommes libres !
Notre session législative a été définitivement close cette semaine. La chambre des pairs avait été le seul rouage de la machine constitutionnelle qui eût fonctionné durant la quinzaine. On a remarqué, sinon les rapides débats de ses dernières séances, au moins quelques-uns des discours prononcés par différens pairs. M. Gautier a déploré vivement l’obligation qui contraint la chambre de voter sans discussion et à la hâte, chaque année, le monceau des budgets accumulés. Peut-être, en effet, serait-il convenable que la pairie pût les vérifier à loisir. En tout cas, elle doit comprendre qu’il ne s’agit pour elle que de les enregistrer purement et simplement. Nous imaginons que l’exemple de l’Angleterre doit faire autorité en matière de gouvernement représentatif. Eh bien ! en Angleterre, les lords ont aussi le droit d’amender les lois de finance ; mais, de fait, jamais ils n’en usent. S’ils s’avisaient d’en renvoyer une à la seconde chambre avec un seul chiffre altéré, leur amendement serait soudain foulé aux pieds par les communes. C’est pourquoi, tandis qu’elles votaient dernièrement les résolutions du chancelier de l’échiquier, tendant à diminuer le droit du timbre des journaux, chacun se disait : « Enfin, voilà un bill contre lequel ne pourra rien la méchante volonté de la pairie. » Le discours semi-diplomatique et semi-carliste de M. de Noailles n’a guère paru qu’un pâle et lointain reflet de celui de M. le duc de Fitz-James à la chambre des députés. On se serait peut-être égayé davantage aux dépens de M. Bigot de Morogues, à propos de sa boutade obscurantiste, si elle n’eût été suggérée par des circonstances qui ne donnaient nulle envie de rire. Le vote du budget de la guerre n’a pas, bien entendu, soulevé sérieusement de nouveau la question d’Alger. Il n’a été qu’une occasion de prouver encore que le gouvernement comprend bien la volonté du pays, en voulant lui-même résolument le maintien et la protection armée de notre colonie. Il n’est plus désormais permis d’en douter ; Alger sera une France africaine, qui n’aura qu’à grandir et à prospérer sous le regard de la mère-patrie.
La liste des nouveaux fonctionnaires, publiée mercredi, a semblé, au premier aspect, quelque peu bigarrée. Les uns y ont trouvé de la gauche ; les autres, du centre gauche ; ceux-ci, de la doctrine ; ceux-là, une légère nuance de légitimisme. Nous ne serions point, pour notre part, disposés à blâmer beaucoup ces sortes de mélanges. À moins qu’il ne s’agisse de noms tout-à-fait dévoués au gouvernement déchu, il n’est pas d’un mauvais exemple que, dans le choix de ses délégués, l’administration consulte les lumières des candidats plutôt que leur opinion. L’admission aux emplois des capacités diverses, indépendamment de leur manière de penser, pourrait aider aussi à l’accomplissement si souhaitable de la réconciliation générale des partis. Parmi les nominations nouvelles, quelques-unes ne sont que des actes de justice et de réparation. Le choix le plus remarquable, celui de M. Dufaure, montre qu’il n’y a plus d’exclusion inflexible, pas même contre l’extrême gauche. C’est en effet de ce côté de la chambre qu’est parti M. Dufaure pour arriver au conseil-d’état. M. Dufaure, ancien signataire du compte-rendu, est l’un des hommes parlementaires dont l’influence a été le plus laborieusement acquise ; son débit est terne, son argumentation serrée ; il résume une discussion avec une vigueur et une clarté remarquables, et enlève un vote de la chambre, non pas par un de ces coups de tonnerre, une de ces éloquentes sorties familières à M. Berryer ou à M. Dupin, mais en échauffant graduellement son auditoire ; on croit toujours en entendant M. Dufaure n’avoir jamais le courage de l’écouter jusqu’au bout, et il est difficile de ne pas partager à la fin un avis si bien déduit. La nomination de M. Dufaure et celle de M. Félix Real, sont deux loyales satisfactions données aux opinions de la gauche modérée. Il faut espérer que l’on ne se bornera pas à des témoignages d’estime envers les hommes, et que la presse aura bientôt à constater d’autres améliorations qu’on est en droit d’attendre et d’exiger.
Nul mouvement ne se fera dans la diplomatie. M. Guizot n’a pas plus sollicité l’ambassade de Londres qu’on n’a songé à la lui offrir : le poste d’ailleurs n’est point vacant. Le général Sébastiani n’a pas la moindre envie de l’abandonner, et il ne s’agit pas davantage de l’en retirer. Sa santé, aujourd’hui rétablie, le rend, dit-on, très suffisant près du cabinet de Saint-James. Il est du moins certain que notre ambassadeur, qui vivait dans une profonde retraite l’an passé, a fait grande figure durant toute la présente saison : il a ouvert ses salons au monde fashionable, et donné des fêtes à Manchester-Square, qui ont rivalisé avec les plus splendides routs du West-End.
— Un journal annonce qu’un de nos collaborateurs, M. Sainte-Beuve, est sur les rangs pour la place vacante à la bibliothèque de Sainte-Geneviève. Ce bruit n’a aucun fondement.
— Les poésies de M. Jean Reboul se recommandent elles-mêmes indépendamment de l’intérêt qu’excite leur auteur. Un talent incontestable s’y produit. Le vers est partout élégant, correct, harmonieux, bien coupé. L’auteur sait tous les secrets de la nouvelle école ; il les sait trop bien peut-être. Nous lui voudrions moins de savoir-faire et plus d’originalité. J’imagine qu’il eût gagné à moins étudier les diverses manières de MM. Hugo et Lamartine. Il fût demeuré davantage lui-même, et c’eût été pour lui tout profit ; car, il faut bien le dire, dans cette trentaine de morceaux lyriques qu’il nous donne, il n’y a rien absolument du boulanger de Nîmes. Nous ne reconnaissons pas à un seul passage le poêle ouvrier, le poète du peuple, et c’était le poète du peuple, le poète ouvrier surtout que nous étions curieux de voir. Nous regrettons sincèrement que M. Reboul n’ait pas tiré de sa position tout le parti qu’il pouvait. Plus il eût été simple, plus il nous eût dit son humble condition et la lutte de sa muse contre le labeur de sa vie, plus il se fût élevé, plus il eût grandi, plus il eût eu de chance de se faire un grand nom à part, rival peut-être de ceux de Burns et de Hogg. Mais avec l’instrument poétique qu’il possède, M. Reboul ne se doit point décourager. Qu’il s’inspire de sa situation ! qu’il nous dise uniquement ses propres émotions, et non point celles des autres. Qui sait ? Ne pourrait-il pas alors devenir quelque chose comme le Burns de la France ? Nous ne lui souhaiterions pas, quant à nous, d’autre gloire.
— M. Jules de Saint-Félix vient de publier un roman sous le titre de Cléopâtre. Qu’on se rassure, ce roman n’est pas une réimpression de celui de la Calprenède. Les Romains de M. de Saint-Félix ne portent point le justaucorps de buffle, les manchettes brodées et la longue épée des raffinés de la cour de Louis XIII ; son Caton n’est point galant, son Brutus n’est point dameret. Sa Cléopâtre n’a jamais mis le pied à l’hôtel Rambouillet ; il lui faut les portiques de marbre et les écoles d’Alexandrie ; il lui faut pour amant ce gros soldat qui péchait des poissons tout cuits et mangeait un sanglier à son repas. Ce roman de M. Saint-Félix est vraiment une étude curieuse et qui mérite d’être lue avec quelque attention. Les erreurs de détail ne manquent point, mais l’ensemble est original et vrai, le style a de l’ampleur et de la solennité.
— Les livres qui ont la bonne fortune d’une nouvelle édition, sont rares aujourd’hui. Le Chemin de Traverse, de M. Jules Janin, est du petit nombre de ces livres que le public adopte. La troisième édition vient de paraître entièrement refondue. Nous consacrerons prochainement un article à l’auteur du Chemin de Traverse.
— La quatrième livraison de Richelieu, Mazarin, la Fronde et le Règne de Louis XIV, par M. Capefigue, paraît chez le libraire Dufey. Ces deux volumes vont jusqu’à la mort de Mazarin. Une grande curiosité s’attache à cette publication, qui contient : 1o l’histoire municipale de Paris durant la fronde, d’après les documens de l’hôtel-de-ville ; 2o l’histoire provinciale et parlementaire de cette époque si dramatique, et par conséquent la fronde à Lyon, Marseille, Toulouse, Rouen, etc. ; 3o l’histoire des métiers, confréries, associations industrielles, des pamphlets et de la littérature frondeuse ; 4o l’histoire diplomatique des traités de Munster, Westphalie et des Pyrénées, d’après les pièces et documens inédits.
— Le Simon de George Sand, que nous avions donné dans la Revue, a reparu en un volume, il y a quelques jours, et il est déjà à sa seconde édition. Ainsi un premier succès se trouve confirmé par une nouvelle sanction de l’opinion publique, qui, toujours impartiale et juste, répond à sa manière aux absurdes pamphlets de la presse anglaise, si paternellement et si amoureusement introduits par la Revue Britannique dans le monde parisien. Ce fait est important à constater, car il accuse un progrès réel et incontestable dans cette grande masse du public, qui lit sans prévention et juge avec équité. La donnée de Simon, que tous nos lecteurs connaissent, est simple ; l’auteur s’est placé entre les réalités les plus communes de la vie provinciale et les hautes régions de la poésie intérieure et de l’honneur idéal. Nous avons tous connu maître Parquet, le vieil avocat de province ; nous avons dîné avec lui, nous avons ri de sa bonne et franche gaieté, et si nous avions un procès dans son département, nous ne voudrions pas confier à d’autres mains qu’aux siennes la direction de nos affaires. Fiamma n’est pas précisément de sa famille ; mais elle s’y est sans peine acclimatée ; et, trop fière pour être vaine, elle n’a jamais fait sentir à ces bonnes gens qu’elle n’était pas des leurs. Superbe, indépendante, dédaigneuse des préjugés et des lois sociales, et quelque peu parente, j’imagine, de la Sylvia de Jacques, elle est, comme elle, fille de la montagne ; le soleil du Midi a échauffé son ame et bronzé sa peau. Maître Parquet, c’est la vie positive, même un peu trop matérielle ; Fiamma, c’est l’idéal, c’est la poésie, la contemplation, le détachement mondain. Mais comment ces deux ames étrangères, filles de patries si éloignées, se sont-elles rencontrées ? et comment à la première rencontre ne se sont-elles pas à jamais séparées ? Parquet a un neveu, ce neveu aime Fiamma, il en est aimé ; Simon est donc le lien des deux natures ; c’est par lui qu’elles communiquent et qu’elles s’entendent. Avocat, comme son oncle, il songe à l’avenir, il a besoin d’une carrière et feuillette le Bulletin des Lois. Voilà l’homme extérieur ; mais l’homme intérieur habite ailleurs que dans l’étude ; ses instincts sont poétiques : il aime la solitude, il s’y délasse, il la cherche ; c’est là qu’il a trouvé Fiamma. Ces deux âmes sœurs se sont bientôt reconnues, elles ne veulent plus se séparer ; mais si l’idéal les unit, le positif les divise. De là des combats, des larmes, des doutes, une longue attente ; mais les nobles instincts l’emportent, la victoire leur reste.