Chronique de la quinzaine - 14 février 1834

Chronique no 45
14 février 1834


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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14 février 1834.


Ce serait une lourde tâche que celle d’enregistrer méthodiquement tous les événemens tragiques et comiques de ces deux folles semaines, où les orgies du carnaval, commencées au bruit du coup de pistolet qui a tué un bon citoyen et un honnête homme, ont failli plusieurs fois se terminer comme un festin de Lapithes, dans le sang et dans les horreurs d’un combat. Nous ne reviendrons pas sur le duel qui a coûté la vie à M. Dulong, et qui laissera une triste célébrité au général Bugeaud. Nous ne rechercherons pas non plus par quelle fatalité le pouvoir se trouve mêlé à toutes les affaires grandes et petites, et ne s’y montre que pour recevoir chaque jour de nouvelles flétrissures. On ne peut échapper à sa destinée. Il est dans celle de ce gouvernement de porter partout une main honteuse. On a dit de ce règne que c’est une halte dans la boue ; mais on s’est trompé : c’est une marche hardie et rapide dans la fange, une marche à pas de course à travers un bourbier. Il serait difficile de dire où elle s’arrêtera et quel sera son terme ; mais à coup sûr une telle route ne mène ni à la grandeur, ni à la prospérité, ni surtout à la puissance. En France du moins elle a mené la vieille monarchie aux pieds de l’assemblée constituante, le directoire au 18 brumaire, et le malheureux Charles x au ministère Polignac, c’est-à-dire à sa chute. Encore le système de M. de Villèle brillerait-il de rayons de gloire, comparé à celui que nous subissons aujourd’hui. La restauration n’offre pas une seule affaire aussi notoirement scandaleuse, que l’ont été les intrigues qui ont accompagné la mort de M. Dulong. On dansait, il est vrai, à la cour le jour où furent exécutés Bories et ses malheureux compagnons ; mais ils avaient été jugés et condamnés officiellement, on n’avait nul droit de les plaindre. Le bal qui a eu lieu aux Tuileries, le jour de la mort de M. Dulong, a une signification plus grave : c’est du cynisme et de la haine à nu ; et le nom du roi, qui se trouve si déplorablement mêlé à cette affaire, donne encore plus d’importance à ce fait. Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que cette querelle déjà éteinte a été ranimée et soufflée à dessein par quelques hauts personnages. Aux caractères décidés qui se sont arrêtés à l’artillerie et à la mitraille comme unique et dernier moyen d’en finir avec l’opposition, nous n’attribuerons pas la mince pensée de lui faire la guerre à coups de pistolet ; mais il est évident que le jour du duel de M. Dulong, la haine a éclaté sans contrainte. Le lendemain, cette haine veillait, la mèche allumée et le sabre au poing, dans toutes les rues de Paris. Là elle était sur son terrain, elle attendait son ennemi avec des forces capables de l’écraser. Mais celui-ci a été plus prudent, il s’est contenté de montrer une partie des siennes, et il s’est retiré. Que dire d’un gouvernement qui provoque ainsi un parti qu’il a grossi par ses rigueurs, au lieu de le calmer ? Un ministre, le plus léger, le plus audacieux de tous, ne parle-t-il pas sans cesse de la nécessité d’en finir avec le gouvernement représentatif ? et ne disait-il pas un jour à quelqu’un qui lui objectait que les 18 brumaire ne se font qu’après avoir acquis de la gloire l’épée à la main : « Eh bien ! nous pouvons faire nos campagnes d’Égypte et d’Italie sur le pavé de Paris ! » En ce sens-là le ministère a déjà remporté sa victoire du pont d’Arcole, et il n’a pas tenu à lui qu’il n’eût tout récemment sa bataille des Pyramides. Mais tôt ou tard, il en viendra là, car, nous le répétons, nos grands hommes d’état n’ont plus qu’un rêve, qu’une pensée, le despotisme militaire.

En attendant, on s’occupe de river tout doucement quelques-unes des libertés publiques, et malheureusement, il faut le dire, les circonstances servent fort bien ce fatal ministère. Le parti républicain tenait à se montrer d’une manière imposante aux obsèques de M. Dulong. Trente mille hommes sous les armes, quelques milliers de sergens de ville, plusieurs escadrons de garde municipale, des canons attelés, tout cela n’était pas de trop pour s’opposer au fantôme de la république, et l’occasion était trop belle pour ne pas accoutumer les Parisiens à un déploiement de forces militaires qui en 1830 les avait fait courir aux armes. Les crieurs publics inondaient les rues en colportant des écrits très vifs, très hardis, souvent pernicieux, nous le disons avec franchise ; il a donc fallu réprimer cette licence, et pour cela livrer à M. Gisquet la voie publique, comme le ministère Villèle l’avait livrée à M. Delavau, confier une censure préventive à la police, ce pouvoir si moral, si jaloux de réformer les tuteurs du peuple, si intéressé à la suppression des vices et de tous les désordres ! Ce n’est pas tout, la Vendée tarde à se pacifier : bonne occasion pour demander une immense augmentation de gendarmerie, car on ne se fie plus assez aux gardes nationales, non plus même aux troupes de ligne ; c’est de la gendarmerie qu’on veut avoir, ce soutien puissant des gouvernemens paternels comme des gouvernemens populaires. Encore le code de la gendarmerie est-il insuffisant ; on demande aux chambres d’accorder les attributions des officiers de paix aux maréchaux-des-logis de gendarmerie ; et la chambre des députés, si ardente au bien, accorde aussitôt d’elle-même et sans efforts ces pouvoirs à de simples brigadiers. Aux premiers troubles qu’il plaira à la police de susciter dans Paris, on y versera quelques escadrons de ces gendarmes-magistrats qui en auront bientôt fini de ces choses superflues à une grande nation, qu’on nomme liberté individuelle et liberté de la presse.

Parlerons-nous de la démission de M. Dupont de l’Eure et de la lettre par laquelle il a annoncé cette résolution à la chambre des députés. Nous devons nous attendre à voir tous les vieux soutiens de la révolution de juillet se couvrir la tête de leur manteau en signe de désespoir, et peut-être aussi pour se dérober aux reproches de toute cette jeunesse ardente qui avait placé en eux son avenir. La situation de M. Laffitte et de M. Lafayette ne doit pas être moins insupportable que celle de M. Dupont de l’Eure. Il doit leur être bien pénible de se trouver chaque jour face à face de ce pouvoir qu’ils ont fait, et qui les a si cruellement déçus. Convenons-en, cette grande erreur qu’ils ont commise, les rend peu aptes à accomplir la mission politique qu’ils semblaient avoir reçue. C’est à d’autres qu’il est réservé de faire rentrer vigoureusement ce pouvoir dans ses voies, de le combattre avec succès dans les empiétemens qu’il a déjà commis et dans les usurpations plus grandes encore qu’il médite. La force ne suffira pas, il faudra encore de la sagesse et de l’habileté, et l’opposition aura à vaincre toutes les terreurs que sa queue, comme dit M. Viennet, a inspirées aux masses.

Il serait inutile de chercher les motifs qui ont porté M. Dupin à s’opposer à la lecture de la lettre de M. Dupont de l’Eure. M. Dupin se sent mal à l’aise devant la gauche, où il compte quelques rivaux qui offusquent sa vanité par leur talent et par le peu de cas qu’ils font de son caractère. La haine que M. Dupin éprouve pour les doctrinaires, qui la lui rendent bien, le met aussi dans un état d’hostilité presque permanent contre le ministère. M. Dupin emploie donc toutes les petites chicanes du barreau, familières à sa robe, pour dérouter les deux camps ; et, toutes les fois qu’il s’agit d’un principe, il échappe à tout le monde par quelque détour de palais. Le ministère de M. Dupin serait un ministère de réticences. Son abondante parole coulerait de source dans toutes les discussions peu décisives, mais le ministre disparaîtrait dans les grandes affaires, comme disparaît le procureur-général quand il faut se prononcer sur l’état de siége, sur l’interdiction de ses collègues du barreau, ou sur d’autres questions vitales. M. Dupin semble avoir pris Brougham pour modèle ; mais il lui ressemble à peu près comme lord Grey ressemble à Canning. Brougham a débuté dans la présidence de la chambre haute en se montrant partial et violent, en coupant brutalement la parole à l’orateur, en faisant des digressions, des distinctions que lui interdisait sa qualité de président ; mais il y avait du courage à Brougham à agir ainsi. Avocat parvenu, jeté au milieu des lords, Brougham luttait contre la puissante aristocratie anglaise dans son propre camp ; — il venait hardiment planter le drapeau de la réforme dans un lieu où ce seul mot excitait un frémissement de rage sur tous les bancs ; en un mot, il était là le courageux protecteur d’une minorité presque sans force. M. Dupin s’est fait au contraire le vaillant adversaire de la minorité, le courageux champion du pouvoir, dans une assemblée où le pouvoir dispose d’un parti immense, il brutalise la gauche au profit des centres ; et quand par hasard son humeur contre les doctrinaires l’emporte, ce n’est jamais que souterrainement qu’il l’exhale, et par les votes de ses affidés. On voit que M. Dupin a bien mal suivi son modèle, et qu’il se trouve deux hommes bien différens sous les robes des deux avocats qui président la chambre des lords et notre chambre des députés.

En ce moment, M. Guizot, M. de Broglie et leurs amis doctrinaires de la chambre, imitent aussi de Conrard le silence prudent. M. Guizot a failli perdre son portefeuille pour avoir trop parlé en faveur de la restauration ; M. de Broglie a failli perdre l’esprit pour un semblable excès de paroles ; il paraît que la leçon a été bonne, et qu’on ne se soucie pas de s’exposer à de pareils dangers. Les esprits pénétrans veulent avoir trouvé d’autres motifs. M. Guizot et ses amis, qui n’aiment pas plus la liberté de la presse que ne l’aiment M. Thiers, M. Barthe et M. d’Argout, ne veulent pas cependant qu’on puisse les accuser un jour d’avoir porté les mains sur cette liberté, et ils se sont fait un devoir, dit-on, de se tenir à l’écart dans cette discussion sur la presse des rues, comme on la nomme au centre de la chambre. M. Guizot et les siens prévoient le cas où les élections pourraient amener une chambre moins facile et moins poltronne, qu’on ne mènera pas avec des contes de revenans, et l’on peut s’en fier à eux, ils ne ménageront pas alors ceux de leurs collègues dont les votes passés seront recherchés. M. Cabet ne sera pas plus impitoyable pour M. d’Argout, M. Mauguin pour M. Thiers. C’est un curieux spectacle que celui de cette royauté qui se plaît à user et à briser les hommes qui la servent, tandis que ceux-ci se dévorent entre eux. Ce spectacle n’est pas seulement curieux, il est encore consolant, et nous promet un meilleur avenir.

Violemment attaqué par M. Barthe, poursuivi jusque sur les bancs de la chambre par M. Persil qui veut à toute force le traîner devant la cour d’assises, M. Cabet s’est défendu avec beaucoup de vigueur. La franchise de sa riposte a décontenancé tous ses ennemis parlementaires ; on a vu le moment où M. d’Argout allait s’élancer de son banc pour se colleter avec le député républicain. M. d’Argout, retenu par quatre autres ministres, sans compter M. Thiers cramponné à sa poche, était beau à voir dans sa colère. M. d’Argout avait tort cependant. Chaque jour, une feuille dont M. d’Argout fait les frais (et il ne l’a pas nié), injurie M. Cabet ; M. Barthe, le collègue de M. d’Argout, M. Persil, son ami, voudraient déjà voir M. Cabet niché à la cime du mont Saint-Michel ; de la tribune où parlait M. Cabet, il pouvait entendre distinctement les ministres, sur leur banc, le comparer à Marat et à Danton. M. Cabet prit donc la liberté de reprocher à M. d’Argout d’avoir jadis brûlé le drapeau tricolore. Nous nous étonnons de la susceptibilité de M. d’Argout à ce sujet. Près de lui se trouvaient M. Guizot qui a émigré à Gand où l’on foulait aux pieds ce drapeau, M. Soult qui l’a renié un cierge à la main. Un duel avec M. Cabet n’eût pas été une bonne raison, et n’eût rien changé à cette affaire. Nous connaissons la bravoure de M. d’Argout. Nous savons que, dans le midi, il a tué en duel un grand-prévôt, qu’il a reçu lui-même, une belle nuit, sous un réverbère, un grand coup d’épée dans la poitrine ; mais, comme le lui a dit un de ses collègues de la chambre, quand on tire l’épée du portefeuille, il faut jeter le fourreau. Or M. d’Argout ayant à voter entre la satisfaction de tuer M. Cabet et celle de rester ministre, a choisi en homme d’esprit le plaisir le plus fructueux et le plus vif. Il eût été aussi trop dur de vouloir à la fois tuer M. Cabet et l’envoyer en prison.

Ce jour-là une autre scène se passait au banc des ministres. M. Barthe, qui venait de se permettre à voix basse quelques interpellations injurieuses contre M. Cabet, était violemment apostrophé par M. Beslay fils, qui lui disait que sa conduite était celle d’un lâche. Pendant ce temps, le président de la chambre des communes d’Angleterre était obligé de remettre entre les mains des sergens-d’armes le chancelier de l’Échiquier, lord Althorp, et un membre irlandais, M. Sheil, qui s’étaient livrés à de violentes personnalités. – Le jour même du duel de M. Dulong, un étudiant, du cours de M. Orfila, mourait à quelques pas du malheureux député, d’un coup de pistolet dans la poitrine ; et le lendemain, le directeur de l’Opéra échangeait, au pied de la butte Montmartre, une balle avec le gérant d’un journal littéraire. Enfin on parle d’un duel devenu inévitable entre un riche banquier et un homme du monde très connu, par suite d’une querelle survenue au jeu. Vous voyez que le carnaval a été très brillant cette année.

Ce qui dépasse la licence du carnaval, c’est la demande que M. de Schonen, procureur-général à la cour des comptes, et liquidateur de l’ancienne liste civile, est venu adresser, il y a deux jours, à la chambre. Cette petite requête, glissée fort innocemment, à propos d’une demande de levée de séquestre faite par les agens du duc de Bordeaux, tendait à faire passer au nombre des biens de la liste civile actuelle le château de Chambord. Et c’est un membre de la cour des comptes, un magistrat, qui vient demander la confiscation ! M. de Schonen est un familier du château, un des amis du roi, il n’a pas fait cette demande sans l’avoir soumise au maître, il n’a pas pris sur lui d’enrichir la liste civile, sans être dûment autorisé. Eh ! quoi, on a Neuilly, Raincy, Eu, le Palais-Royal, on est arrivé à posséder Chantilly ; on tient dans sa main les Tuileries, le Louvre, Versailles, Saint-Cloud, vingt autres domaines, et cette main s’ouvre encore pour saisir Chambord ; elle s’allonge pour s’emparer de Rambouillet ; elle veut hériter du duc de Bordeaux comme elle a hérité du prince de Condé, elle veut tout saisir, tout avoir. En ce moment, elle fait abattre impitoyablement les beaux arbres des avenues de Versailles ; ces chênes centenaires que Louis xiv, suivi de Lenôtre, avait fait planter sous ses yeux, Louis-Philippe, suivi de M. Fontaine, est venu les faire tomber sous la hache. Chambord a un parc de douze mille arpens où l’on espère sans doute faire aussi quelques bons abattis d’arbres, des pavillons construits par le Primatice, dont les pierres seraient d’un débit avantageux, de grandes avenues, de belles allées qui prêtaient leur ombre au maréchal de Saxe, et qu’on a jugé devoir faire belle figure dans les piles d’un chantier. Nous avons sous les yeux l’état du domaine de Chambord, et nous pouvons donner à la chambre une idée du présent, disons du vol, qu’on lui demande par l’organe du complaisant M. de Schonen. L’enceinte du parc renferme vingt-quatre fermes ; la superficie des bois est de quinze mille arpens, quarante-six mille pieds d’arbres couvraient la pépinière à l’époque de l’achat du château pour le compte des souscripteurs, et le prix de cet achat s’éleva à un million sept cent quarante-un mille six cent soixante-sept francs. Allons, un peu de complaisance, MM. les députés, donnez encore cette obole au pauvre Bélisaire !

Tandis qu’on se réjouit ici du bon accueil que l’empereur Nicolas a fait au maréchal Maison, les conventions secrètes stipulées entre la Russie et la Suède s’exécutent ; le roi Charles-Jean met les rives du Sund en état de défense, et remplit de troupes la forteresse de Karlskrona. Les journaux suédois n’ont pas pris une attitude moins hostile, et ils ne sont remplis depuis quelque temps que de déclamations en faveur de la Russie contre l’Angleterre et la France. Il est bien difficile de croire à des velléités de guerre vraiment sérieuses de la part des puissances, mais ces démonstrations prouvent du moins que toute l’humilité du gouvernement français ne les a pas désarmées.

La politique extérieure de la France n’est pas moins conduite avec habileté, et si quelque chose pouvait remplacer l’empire qu’exercent toujours dans les négociations politiques la droiture et la fermeté d’un cœur noble et haut, notre diplomatie aurait obtenu de grands résultats. Cette politique qui s’élabore uniquement dans le cabinet royal, aux Tuileries, et dans l’hôtel du prince de Talleyrand, à Londres, sans intermédiaires, sans confidens, dont les ministres n’ont pas la moindre connaissance, et qu’ils mettent en œuvre avec la docilité qu’ils exigent de leurs chefs de bureau et de leurs commis, n’est autre que la politique que faisaient également tête à tête M. le Régent et son envoyé en Angleterre, l’abbé Dubois. Le cabinet anglais se montre aussi tel qu’il était lorsqu’il signifiait au roi mineur, pour prix de son alliance, de ne pas prendre le titre de roi de France, qui appartenait au souverain de l’Angleterre, et de se contenter du titre de roi très chrétien. La France cédait alors, comme elle cède aujourd’hui, sur des points non moins importans, et M. le duc d’Orléans se consolait en travaillant avec son ambassadeur-abbé à la conclusion de la triple-alliance. Un jour nous comparerons les étranges ressorts qui ont été mis en œuvre aux deux époques. Nous nous contenterons de dire aujourd’hui, qu’au moment où le ministère de M. Martinez de la Rosa semble se soustraire à l’influence que voulait exercer le gouvernement français, M. de Talleyrand a su faire nommer ambassadeur d’Espagne à Londres le général Alava, son ami, l’un de ses correspondans, nous dirions presque l’un de ses agens les plus actifs. Le général Alava a aussi entretenu autrefois une correspondance avec le duc d’Orléans, qui avait, comme on sait, des rapports très suivis avec un grand nombre de personnages politiques de divers pays. Quand il fut question d’insurger l’Espagne, après la révolution de 1830, la première pensée du roi Louis-Philippe fut pour le général Alava, qui était retiré à Valençay. Les journaux de Paris et de Londres qui parlent depuis quelques jours des échecs que notre diplomatie a essuyés à Madrid, n’ont sans doute pas compris toute la portée de cette nomination.

L’attention publique s’est portée plus vivement sur une affaire peut-être moins importante, la tentative infructueuse d’insurrection que vient de faire en Savoie le général Ramorino, à la tête d’une troupe de Polonais. Le général Ramorino est né à Thonon. C’est sur cette ville qu’il a dirigé son expédition ; il espérait sans doute y être soutenu par ses amis et par sa famille ; mais ses projets étaient connus depuis long-temps par les polices autrichienne, sarde et française, et cette dernière n’a pas été la moins active à travailler contre lui. On a parlé de trahison, mais il faut se défier de tous ces bruits et repousser avec pudeur de pareilles insinuations. Le général Ramorino porte un nom qu’il a illustré dans la guerre de Pologne, et l’on doit se souvenir qu’il a causé quelque inquiétude à la police de Paris. Elle est donc intéressée à le compromettre, et tous les moyens lui sont bons pour arriver à ses fins.

Le duc de Wellington a été nommé chancelier de l’université d’Oxford. C’est peut-être le seul membre de la chambre des lords qui ne soit pas en état de lire à livre ouvert les auteurs classiques, s’il les a même jamais lus. Mais l’université d’Oxford n’en est pas à choisir un savant pour chancelier. Dans l’ébranlement général qui se prépare en Angleterre, il lui faut un patron puissant qui la défende au parlement contre les cris de la réforme. Elle espère trouver cet appui dans le vieux ministre, mais il aura grand’peine lui-même à sauver ses traitemens et ses pensions qui ne seront pas moins attaqués que les gothiques privilèges d’Oxford. L’université d’Oxford se prépare à célébrer avec une grande magnificence l’installation du nouveau chancelier qui ne sera pas moins embarrassé de répondre à la harangue latine dont il sera salué, que ne le serait plus d’un membre de l’Académie française.

On fait beaucoup de bruit d’une mascarade qui a eu lieu à Paris, le mardi gras. Un phaéton traîné par quatre beaux chevaux blancs, ornés de rubans verts, a traversé plusieurs fois les boulevarts. Il portait le marquis de F.-J., le marquis de L., le comte de G., et plusieurs autres jeunes pélerins de Prague, déguisés, l’un en garde-française avec une large cocarde blanche à son chapeau, l’autre sous le costume écossais de Henri v, un troisième en cavalier du temps de Charles Ier. Sous les fenêtres du cercle de la rue de Grammont, le cortége s’arrêta, et salua de ses acclamations le duc de F.-J., père d’un des acteurs de cette mascarade, et cette promenade politique s’acheva sans causer de trouble et sans exciter la curiosité du peuple qui ne semblait pas la comprendre. Il n’en fut pas ainsi d’un groupe inoffensif qui se tenait à une fenêtre de l’hôtel de Castille. Sur le cri à bas les carlistes, lancé on ne sait par qui dans la foule, l’escalier de l’hôtel fut envahi, et la multitude se mit en devoir d’enfoncer les portes de M. F… officier supérieur étranger de la plus haute distinction, chez qui se trouvait cette réunion. Elle se composait d’officiers, de gens de lettres, tous hommes d’esprit et de cœur, qui s’armèrent en un moment, et se disposaient à se défendre, lorsque la police, avertie à temps, prévint une collision qui eût été sanglante. Le fait est que cette réunion n’était pas plus carliste que beaucoup d’autres, et que l’opinion royaliste y comptait un ou deux représentans, comme en beaucoup de lieux. Un rédacteur du Journal des Débats, que l’épithète de malheureux roi donnée à Charles x sous la restauration a rendu célèbre, figurait parmi les prétendus carlistes ; un autre écrivain, qui a donné des preuves irrécusables de dévouement au gouvernement de Louis-Philippe, s’y trouvait également. On voit que les masques du phaéton ont montré un véritable courage ou plutôt une incroyable légèreté, en bravant une multitude si facile à irriter. Ce qu’il y a de fâcheux, c’est que les paisibles spectateurs de l’hôtel de Castille ont été cités en police correctionnelle, pour avoir troublé la tranquillité publique. Il est vrai que le bon peuple de Paris les eût assommés fort tranquillement.