Chronique de la quinzaine - 14 mai 1837

Chronique no 122
14 mai 1837


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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14 mai 1837.



Les questions avancent rapidement, non pas avec les hommes qui parlent, mais avec ceux qui agissent. Tandis que M. Guizot faisait, à la tribune, d’admirables distinctions entre l’aristocratie et la démocratie, le ministère accordait l’amnistie et ouvrait l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. M. Guizot et ses amis diront sans doute encore que c’est là de la faiblesse ; nous pensons, au contraire, qu’il y a de la force à s’élever ainsi au-dessus des partis.

Le parti doctrinaire repoussait l’amnistie en principe. Dans ses jours de clémence, il consentait à accorder quelques graces individuelles à l’occasion du mariage de M. le duc d’Orléans, mais à condition que les condamnés demanderaient leur grace, en faisant amende honorable. C’était mettre la rigueur dans le pardon même. Le ministère actuel a répondu à ces vaines frayeurs par une amnistie complète, car l’amnistie n’excepte que les contumaces, qui ont, en effet, le droit d’être jugés, droit qu’on ne saurait leur enlever s’ils le réclament, et qui seront naturellement appelés à participer au bénéfice de l’amnistie, quand ils auront déféré à la citation du tribunal où ils étaient appelés. Voilà pour l’acte en lui-même ; quant aux circonstances qui l’ont accompagné, elles ne parlent pas moins haut. Le secret de l’amnistie a été gardé pendant toute la journée du dimanche où eut lieu la revue de la garde nationale. Par l’effet d’une pensée haute et noble, d’un sentiment vraiment royal, le roi s’était opposé à ce que l’amnistie fût proclamée en présence de la garde nationale rassemblée ; le roi craignait qu’on ne supposât qu’il quêtait l’enthousiasme dont il a recueilli ce jour-là les témoignages sans condition. Pendant la discussion au sujet de l’allocation des fonds secrets, pas un seul mot relatif à l’amnistie n’a été prononcé par les ministres, et cependant l’amnistie était déjà résolue. Mais on voulait éloigner toute immoralité, quelque légère qu’elle fût, de ce grand acte de clémence, et l’entourer, au contraire, de tout l’éclat que donnent les pensées droites et nobles, exécutées avec franchise. La France peut juger maintenant et dire quels ont été les faibles, les timorés et les impuissans, de ceux qui, ayant le projet d’établir un système d’oppression et de rigueur, n’ont eu ni le crédit ni l’énergie de l’exécuter, ou de ceux qui ont assez cru à leur force pour accomplir des actes de clémence dont ils avaient la pensée.

Le ministère devait cette preuve d’estime et de confiance au pays, tant calomnié par les organes du parti doctrinaire. Faire des lois de répression telles que les lois de septembre, c’est, si l’on veut, obéir à une nécessité sociale, à un besoin en de certaines circonstances ; mais ces lois faites et en vigueur, et les maux dont on se plaignait déjà presque entièrement réprimés par ces lois, il est injuste et d’un mauvais calcul de crier sans cesse que la société est plus en danger que jamais et qu’elle va périr. C’était là cependant toute la tactique du parti que le bon génie de la France vient d’éloigner des affaires. Elle consistait à semer l’épouvante, à répandre des prédictions sinistres, et à crier à ceux qu’on ne pouvait effrayer, et que toutes ces sombres déclarations laissaient impassibles et calmes : Vous êtes des lâches, vous qui n’avez pas peur, et qui ne vous armez pas pour combattre avec nous les fantômes que nous évoquons ! — Les lâches ont prouvé qu’ils n’avaient pas peur, même des doctrinaires, et en peu de jours ils ont éclairci tout l’horizon politique, qui commençait à se rembrunir sérieusement.

Une circonstance doit être remarquée dans le premier acte politique de ce cabinet. C’est le choix du moment où l’ordonnance d’amnistie a été rendue. La crise commerciale se fait encore sentir. Une gêne cruelle et une souffrance de tous les intérêts pèsent sur nos plus grandes villes, et s’étendent sur toute une partie de la France ; mais la tranquillité et l’esprit d’ordre ont régné partout, comme pour répondre aux accusations dont le pays est l’objet, et comme pour manifester bien hautement que ceux qui l’accusent, se trompent d’époque. La France a vraiment donné le spectacle touchant d’une grande famille, dont aucun membre ne souffre sans que tous les autres ne s’empressent de le secourir. On a oublié toutes les différences d’opinion pour payer son tribut à l’infortune. Le gouvernement a vu quelles ressources on peut trouver dans la nation, quand on s’adresse à ses passions généreuses, et c’est ce moment qui a été choisi pour accomplir un acte de clémence. Les prisons ont été évacuées, les coupables pardonnés ; ceux que ne touchera pas l’indulgence qu’on leur montre, et qui n’accepteront pas l’oubli dont on leur donne l’exemple, on les défie en quelque sorte de troubler l’ordre établi sur de si belles bases, et on s’en remet à la société elle-même, qui a droit que l’on compte sur elle, du soin de repousser les tentatives qu’on ferait pour la troubler. Les détenus délivrés par l’amnistie seront bientôt frappés eux-mêmes du changement qui s’est opéré en France pendant leur captivité. S’ils ne sont pas sous les mêmes préoccupations que les doctrinaires, ils s’apercevront que les idées d’ordre ont repris leur place dans tous les rangs, que les ambitions se sont régularisées, et ils ne s’étonneront pas que le ministère du 11 octobre ait fait place au ministère du 15 avril. Ce qui doit sans doute le plus les surprendre dans l’ordre social actuel, c’est, comme disait le doge de Venise à Versailles, c’est de s’y voir ; mais leur présence même prouve que la société qui les admet, est assez puissante pour les contenir dans leurs devoirs de citoyens, et qu’elle ne les reçoit que parce qu’elle les a vaincus.

Le parti s’empresse de crier à l’abandon des lois de septembre que ces indices sembleraient annoncer. Il peut se rassurer. Les lois de septembre ne seront pas abandonnées, parce qu’elles sont des lois, et parce que le ministère, qui ne fait pas de nouvelles lois politiques à chaque circonstance, a promis de conserver en vigueur celles qui existent. M. Thiers, qui a fait les lois de septembre, tout comme M. Guizot, ne se rangerait pas du côté d’un ministère créé pour l’abandon de ces lois ; M. Molé, M. de Montalivet, qui les ont votées, ne viennent pas pour les détruire ; et si les lois de septembre sont la barrière qui s’oppose aux troubles et aux désordres dans le pays, le parti doctrinaire ne doit plus se mettre en souci : ces lois seront aussi puissantes que s’il était au pouvoir pour les faire exécuter.

Ce n’est donc pas, comme il le dit, par la faiblesse et le manque d’énergie que pèche le ministère actuel. Il n’y a pas de faiblesse assurément à donner la liberté à ses ennemis et à leur dire qu’ils ne sont plus à craindre. Il n’y a pas manque d’énergie à se séparer franchement d’un parti politique qui se dit puissant, avec quelque raison peut-être, mais qu’on aime mieux combattre que de se soumettre à ses vues. Il faut renoncer à attaquer le ministère de ce côté ; et quant à l’accusation d’inhabileté, sa conduite répond suffisamment, à ce reproche. Il resterait à lui dire qu’il est sans vie et sans couleur ; mais, tandis que M. Guizot et ses amis lui niaient le mouvement, pour toute réponse il se mettait à marcher et à s’éloigner à grands pas de la doctrine. Ce ne sera pas, si vous voulez, un ministère d’éloquence et de parole ; mais on ne lui refusera pas le titre de ministère d’action, et si on ne le juge par ses discours, du moins on le jugera par ses actes. Or, ces actes, on peut déjà les compter : le renvoi des doctrinaires, l’amnistie, l’ouverture de Saint-Germain-l’Auxerrois, et le mariage de M. le duc d’Orléans. Pour un cabinet de quinze jours, on conviendra que ce n’est pas perdre son temps.

Il est curieux d’écouter les récriminations de l’opposition doctrinaire contre le ministère de l’amnistie. D’abord, dit-elle, il était juste et moral (car le reproche d’immoralité est l’arme des doctrinaires, comme l’accusation d’impiété était celle des jésuites) de laisser à M. Guizot le mérite d’une amnistie, puisqu’on l’avait mis dans la nécessité d’assumer sur sa tête toute l’impopularité des rigueurs. Ainsi, d’après ce nouvel aveu, le système de rigueur ne serait pas le système propre de M. Guizot, et le refus constant d’amnistie ne venait pas de lui, qui s’était cependant prononcé si hautement contre cette mesure dans le conseil ! Voilà donc M. Guizot, dont toute l’ambition, dont toute l’importance consiste à être l’homme de ses idées, voilà M. Guizot qui reproche avec tant de dédain à ses adversaires et à ses successeurs de manquer de conceptions politiques, ou de n’avoir pas le courage d’exécuter le petit nombre de celles qu’ils ont ; voilà M. Guizot présenté, par ses amis eux-mêmes, comme un homme sans système, qui prête généreusement son nom et la puissance de sa parole à d’impitoyables menaces de rigueur, qu’il verrait cesser avec plaisir, si on lui permettait de faire de la clémence et de la commisération En vérité, nous n’en avons jamais tant dit contre M. Guizot ; et il aurait raison de nous en vouloir, si nous prenions la liberté de le traiter de cette sorte. Ce sont encore là des marques d’estime et de considération, telles que lui en donnaient ces mêmes amis, quand ils s’écriaient, au sujet de la dot de la reine des Belges, que M. Guizot se serait élevé de toute sa vénération pour le trône, et de tout son patriotisme, contre l’opposition de l’extrême gauche, s’il eût été ministre !

Nous pourrions citer vingt traits semblables, qui prouveraient jusqu’où peut aller l’esprit de congrégation et de coterie, car l’esprit de parti raisonne avec un peu plus de suite. Tantôt il y a au fond de cette amnistie qui cause tant de désespoir à ceux qui craignent qu’elle ne les éloigne sans retour des affaires, une grande immoralité politique. L’amnistie, aux yeux de ceux qui parlent ainsi, n’est, qu’on nous passe le mot, qu’une niche faite par les ministres actuels à l’ancien collègue de M. Molé. La clémence du roi, l’effusion de sa joie, le noble mouvement spontané d’appeler ses ministres au milieu d’une nuit et de leur proposer une mesure qui, par une rare coïncidence, lui semblait à la fois humaine et politique ; les sentimens du conseil tout entier, qui se montra heureux à son tour de ne voir dans la situation calme et paisible du pays rien qui s’opposa à ce grand acte de conciliation, tout cela est ravalé sans façon, par les amis de M. Guizot, à un tour d’écolier, à une escapade faite au savant professeur qui venait de quitter le ministère ! C’est encore là un des mille exemples du respect des doctrinaires pour le trône, dont ils prétendent ainsi relever la dignité, et de la haute et morale idée qu’ils se font du métier d’homme d’état ! Vauvenargues, en disant qu’il n’y a de véritable dignité morale qu’en ceux qui savent respecter celle des autres, a mieux apprécié que nous ne pourrions le faire le procédé que nous citons.

Les mêmes hommes disent encore : « La nécessité où l’on s’est cru d’attacher à un bienfait un reste de rigueur infamante, et de mettre sous la surveillance des hommes avec lesquels on prétend se réconcilier, cette nécessité prouve hautement contre l’opportunité de l’amnistie. » Quelle touchante sollicitude conçoivent tout d’un coup les doctrinaires pour les condamnés politiques de juin et d’avril ! Eh, quoi ! M. Guizot n’en serait pas seulement à regretter qu’on ne lui ait pas laissé faire l’amnistie ; il serait encore affligé de voir qu’elle n’est pas aussi complète qu’il l’eût donnée ! Voilà une révélation à laquelle nous ne nous attendions guère. « En rendant d’anciens ennemis à la vie commune, nous voudrions, nous, pouvoir les rendre aussi à la dignité de citoyen, » ajoute l’organe du parti doctrinaire que nous citons. En vérité, les détenus ont grandement perdu à la chute de M. Guizot, nous devons le leur dire, car sans doute ils ne s’en douteraient pas ; graciés par M. Guizot, ils seraient rendus à la dignité de citoyens, pourvus d’emplois publics, sans doute ; et il est aujourd’hui évident que M. Guizot et ses amis ne retardaient l’amnistie que pour la rendre plus complète ! Franchement, les doléances des écrivains de ce parti nous semblent moins sérieuses que bouffonnes, et nous rappellent le ton de racoleur dont ils promettaient, dans la dernière crise, aux partisans qu’ils voulaient enrôler, de hautes positions secondaires, où l’on apprendrait, avec de gros traitemens, le difficile métier d’homme d’état. Aujourd’hui, en lisant sur la porte de l’école doctrinaire cette promesse d’amnistie intégrale et complète, ayant pour complément l’élévation au titre de citoyen, et d’autres faveurs encore, ne se croirait-on pas devant ces enseignes de taverne où on lit toute l’année Ici on fera crédit demain ! — Mais dites plus vrai, ne pensez-vous pas que le défaut de surveillance faciliterait quelques désordres de la part des prisonniers délivrés, et justifierait vos objections contre l’amnistie ? N’est-ce pas le secret de votre prédilection pour les hommes que vous traitiez sans pitié tout à l’heure, et ne seriez-vous pas un peu tentés de faire d’eux des citoyens turbulens, au lieu de surveillés paisibles qu’ils seront, grace aux mesures que prend le gouvernement ? Le régime d’intimidation doctrinaire est mort, mais il pourrait renaître par le désordre et par l’émeute, et il est bien permis, ce nous semble, d’attribuer un petit calcul personnel à ceux qui distribuent sans scrupule aux autres le reproche d’immoralité !

On a dit aussi, mais avec un peu plus de sérieux et d’habileté, il est vrai : « Le pardon ne sied qu’à la force ; la clémence a besoin de courage, et la générosité n’est permise qu’à ceux qui ont combattu. Nous n’avons jamais admis la possibilité de l’amnistie qu’à la condition qu’elle fût tout à la fois le dernier triomphe et la confirmation de la politique forte qui a fait le salut et la gloire de cette monarchie. » — En d’autres termes, nous voulions l’amnistie, quand nous aurions épuisé toutes les rigueurs ; nous voulions l’amnistie, quand nous aurions destitué tous les fonctionnaires qui n’ont pas pour principe de voter en toutes choses pour tous les ministères qui se succèdent ; nous voulions l’amnistie, quand nous aurions fait passer la loi sur la liberté individuelle que méditait M. Guizot ; nous la voulions, mais après avoir étouffé de nos mains les libertés publiques, c’est-à-dire quand il eût été assez indifférent d’être dans les prisons ou hors des prisons ; quand la prison eût été partout, nous eussions consenti à vider celles que nous n’aurions pu remplir davantage. Mais pour arriver là, il fallait nous laisser encore quelques années au pouvoir, afin de nous donner le loisir de mener jusqu’au bout notre système et de voir jusqu’où pouvait aller la patience du pays. — Voilà comment on peut expliquer cette pensée de clémence unie à la force. On pourrait aussi demander si la force s’est retirée du pouvoir en même temps que M. Guizot sortait du ministère de l’instruction publique, et M. de Rémusat de son bureau de sous-secrétaire d’état, et si la faiblesse y est entrée avec M. de Montalivet et M. Barthe, deux collègues de Casimir Périer ; mais ce serait trop souvent répondre à des fanfaronnades dont nous avons encore tout récemment fait justice, et suivre avec trop d’assiduité le dépit dans toutes les formes qu’il prend pour s’exhaler sous l’apparence de l’amour de l’ordre et de la sollicitude pour le bien du pays.

Nous n’ajouterons qu’un mot. Ce qui doit frapper principalement les esprits calmes et droits, c’est le regret, vraiment comique, qui s’échappe involontairement à chacun des actes du ministère. Est-ce l’amnistie ? On voudrait l’avoir faite. On l’eût faite certainement. L’ouverture de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois ? Mais c’est la conséquence directe du système qu’on suivait ! On y eût songé sans nul doute. Le temps, l’occasion seuls ont manqué. Aujourd’hui, on dit déjà que ceux qui ont ouvert cette église, n’ont agi que par esprit de parti, et demain on s’écriera, sans doute, que la messe de Saint-Germain-l’Auxerrois est une immoralité de plus à ajouter à toutes les autres. Il en sera ainsi de tout ce que fera le ministère, nous entendons de tout ce qu’il fera de bien ; ce seront autant de vols faits au parti doctrinaire, qui n’accorde pas au pouvoir le droit de se faire petit, mais qui s’efforce de le rapetisser par tous ses actes et par tous ses écrits, tant qu’il ne se trouve pas dans ses mains.


Cippes funéraires peints trouvés au Pirée.

Depuis la publication du Jupiter Olympien de M. Quatremère de Quincy, toutes les questions relatives à la sculpture et à l’architecture polychromes, chez les anciens, ont vivement préoccupé les antiquaires et les artistes. Récemment, une branche importante de l’histoire de l’art, l’emploi de la peinture monumentale, a été l’objet d’une discussion animée entre deux antiquaires français. Nous avons pensé que nos lecteurs nous sauraient gré de leur présenter la traduction d’une lettre écrite d’Athènes au rédacteur du Kunstblatt par M. L. Ross, savant archéologue allemand, conservateur des monumens antiques à Athènes, et qui a présidé à un grand nombre de fouilles exécutées dans cette ville, au Pirée, et en plusieurs autres lieux de l’Attique. Cette lettre contient l’annonce d’une découverte qui promet de jeter beaucoup de jour sur l’ancienne lithochromie, c’est-à-dire, l’usage de colorier la pierre même des monumens, et d’y exécuter des peintures.

« La forme la plus ordinaire des pierres sépulcrales est, comme on sait, celle d’un cippe allongé, légèrement pyramidal, couronné par une espèce de fronton ou aëtoma. Ce fronton est orné tantôt d’une simple palmette, tantôt (dans les cippes plus grands) d’un feuillage très richement travaillé et presque de haut relief. Au-dessous de la petite corniche qui sépare le fronton de la surface inférieure du cippe, se plaçaient un ou plusieurs noms, séparés l’un de l’autre par deux rosaces ; sous les noms, se trouve très fréquemment un bas-relief représentant le défunt ou les défunts en diverses actions ; c’est communément une scène d’adieux et de séparation d’avec les survivans. Il s’est conservé une multitude de ces monumens, plus ou moins ornés, parce que, même dans le temps du plus grand mépris pour l’antiquité, les prêtres, les citadins et les paysans, séduits par la délicatesse du travail de ces tombeaux, les ont recueillis et encastrés dans les murs des églises et des maisons.

« Pendant un long séjour dans l’Attique, mes amis et moi nous avons été fréquemment surpris de voir des cippes, principalement de petite dimension, dans lesquels, non-seulement l’aëtoma, mais toute la surface, jusqu’à l’inscription, étaient entièrement polies. Plus notre attention avait été éveillée sur l’application des couleurs dans l’architecture grecque, plus nous mîmes de zèle à rechercher de tels cippes. Nous y trouvâmes fréquemment des ornemens polychromes, tels que palmettes et fleurs sur le fronton, oves et feuilles sur le bourrelet placé au-dessous… Mais la surface inférieure, laissée vide, restait pour nous un problème. Enfin nous découvrîmes, dès 1833, au Pirée, une pierre sépulcrale du même genre, sur la surface de laquelle se voyaient distinctement les contours et les restes des couleurs d’un groupe de trois figures peintes sur le marbre poli. Cette pierre se conserve maintenant dans le temple de Thésée. Plus tard, nous trouvâmes à Syros deux pierres semblables, apportées de Rhénéa, où l’on apercevait des figures, mais moins distinctement. Je donnai alors dans cette feuille quelques renseignemens sur cette classe, nouvellement découverte, de monumens sépulcraux. Mais notre attention fut bientôt détournée de cet objet.

« Au printemps de l’année dernière, dans une fouille exécutée parmi les tombeaux du Pirée, sous ma direction, on découvrit de nouveau plusieurs pierres tumulaires avec des ornemens architectoniques peints, propres à confirmer mes premières conjectures. Mais je persistais à ne considérer ces monumens que comme des exceptions.

« La découverte toute récente (faite à l’occasion du comblement du marais au Pirée) de neuf ou dix cippes pareils, avec des traces de peintures, plus ou moins bien conservées, m’a donné lieu, pour la première fois, de présumer toute l’importance de ce fait pour la connaissance du système de l’ancienne lithochromie.

« Les temples de la Grèce, qui nous ont été conservés, sont en petit nombre ; et, quoique le dessin des ornemens peints dans les diverses parties de l’entablement, du fronton, du plafond, des chapiteaux d’antes, etc., soit le plus souvent facile à reconnaître, néanmoins, dans plusieurs de ces parties, le choix des couleurs reste obscur ou douteux. La découverte d’ornemens colorés, sur les cippes sépulcraux, ouvre un champ vaste et nouveau pour la recherche de la lithochromie en architecture. En effet, pour me borner à l’Attique, les ports et la plupart des autres lieux de ce pays sont tombés en décadence de si bonne heure, que beaucoup de leurs cimetières ont été abandonnés à une époque peu éloignée des beaux temps de l’art : les monumens, n’ayant été enlevés par aucun nouvel habitant de ces champs du repos, sont restés en place ; à mesure que le temps les renversait, la terre les recouvrait peu à peu, et le sol desséché de l’Attique assurait leur conservation. C’est ainsi qu’ils gisent maintenant par milliers depuis le Pirée jusqu’au golfe de Salamine, depuis l’Ilissus jusqu’au promontoire Zoster. Par la comparaison d’un grand nombre d’entre eux, on pourra obtenir les notions les plus distinctes sur le choix et la réunion des couleurs, et l’on obtiendra des types certains pour la restauration de cette branche de l’art des anciens.

« Encore plus importans, peut-être, seront les figures et les groupes peints, qui, sur les monumens en question, prennent la place des bas-reliefs. On doit abandonner sans doute l’espoir de retrouver en Grèce, sur des monumens encore enfouis (car où pourraient-ils être ?), des échantillons de l’art d’un Polygnote, d’un Micon ou de leurs élèves : mais, notre découverte de ces pierres sépulcrales promet aussi, de ce côté, les plus beaux résultats. Sans parler des deux cippes de Syros, où le style ne peut-être assez clairement distingué, les figures peintes sur les deux cippes du Pirée sont d’un dessin assez élégant et correct pour donner la conviction que des maîtres de l’art, non des élèves peu exercés, étaient employés pour exécuter ces peintures. Pourquoi n’espérerions-nous pas qu’un hasard heureux amènera tôt ou tard la découverte de quelque monument de plus grande dimension, conservé avec toute la richesse de ses couleurs primitives ? »

L. Ross.
Athènes, 5 octobre 1836.


Nous n’ajouterons que peu de mots à cette lettre intéressante. La surprise que cette heureuse découverte cause au savant archéologue allemand, la satisfaction qu’elle lui donne, et les espérances qu’il en conçoit, sont un garant de l’intérêt avec lequel il aurait lu les recherches de M.   Letronne sur les tombeaux des Grecs peints à l’extérieur. Dans les Lettres d’un antiquaire à un artiste (pag. 232 et suiv.), il avait démontré que les trois tombeaux, décorés de peintures, dont parle Pausanias, savoir celui de Bura, de Sicyone, et celui de Tritæa, en marbre blanc, peint, par Nicias, ne pouvaient être que des cippes ou des tombeaux à quatre faces en marbre, dont une paroi, peut-être deux, avaient été peintes (pag. 250). De ces trois exemples, comparés à d’autres, tirés de Pline et de l’Anthologie, il avait conclu que, chez les Grecs, non-seulement dans les beaux temps de l’art, mais à l’époque romaine, les tombeaux, formant édifice isolé, étaient revêtus de peintures exposées à l’air, uniquement protégées par leur fronton saillant, et que ces peintures extérieures furent exécutées souvent par de grands artistes, tels que Nicias et Nicomaque, sur la pierre même, au moyen d’un procédé bien durable, puisque l’œuvre de Nicias à Tritæa se conservait encore, sans notable altération, au temps de Pausanias, 450 ans après la mort du peintre.

Cette théorie sur les peintures extérieures des tombeaux avait beaucoup surpris quelques antiquaires ; on s’était même avancé jusqu’à la déclarer contraire au génie de l’antiquité toute entière (Raoul Rochette, dans le Journal des Savans, 1836, juin, p. 345.), quoiqu’elle ne fût qu’une conséquence naturelle des textes anciens, entendus comme ils devaient l’être. Voici maintenant qu’elle se trouve pleinement confirmée par les découvertes récentes que vient d’exposer M. Ross. Déjà les idées du même antiquaire sur les frontons peints de certains temples, avaient reçu une confirmation remarquable par la découverte des mésopes des Propylées, alternativement creuses et planes, les unes remplies par des bas-reliefs, les autres couvertes de figures peintes. Le savant, du fond de son cabinet, avait donc deviné justement ce que le voyageur devait découvrir plus tard sur le sol classique.

Les exemples d’une confirmation aussi frappante sont trop rares, et honorent trop la science, en montrant toute la confiance qu’elle mérite d’inspirer, pour que nous n’ayons pas saisi avec empressement l’occasion d’en signaler un de plus à l’attention de nos lecteurs.


— La précieuse collection d’autographes de M. Franc Graffer, libraire à Vienne, en Autriche, contenant plus de mille pièces des écrivains et des artistes les plus célèbres, est à vendre ; la mise à prix est de mille ducats d’or. Les personnes qui seraient tentées d’en faire l’acquisition, peuvent s’adresser à MM. Treuttel et Würtz, libraires, rue de Lille, 17, à Paris, qui en délivrent un catalogue détaillé.


— C’est demain que paraît la première livraison des Mémoires du général Lafayette, publiés par sa famille[1]. Nous rendrons compte très prochainement des précieux documens historiques que contiennent ces volumes ; tout ce que nous en pouvons dire aujourd’hui, c’est qu’ils exciteront le plus vif intérêt.


  1. Chez. H. Fournier aîné, rue de Seine, 16. L’ouvrage formera six volumes ; trois sont en vente.