Chronique de la quinzaine - 31 janvier 1833

Chronique no 20
31 janvier 1833


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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§. I.


Au dehors, durant cette quinzaine, le sol a continué de trembler de tous côtés sous les pieds impatiens de la guerre civile et de l’insurrection.

Aux États-Unis, l’opposition armée des provinces du sud n’a nullement jusqu’ici capitulé avec le congrès.

À Madrid, les absolutistes se sont agités de nouveau. Il ne s’agissait de rien moins, pour ces excellens royalistes, que de massacrer sans miséricorde la reine et le roi. Mais cette fois encore, ce sont les Negros et les révolutionnaires qui ont maintenu la dynastie de Ferdinand vii.

En Irlande, la ligue catholique s’est organisée plus régulière et plus menaçante. De son côté, le ministère de lord Grey ne lui voulant rien céder, et pour toute concession lui commandant de se dissoudre, c’est encore, à ce qu’il semble, l’épée qui devra décider de cette querelle entre l’Angleterre et sa vassale.

Mais c’est vers l’Orient que les regards se sont tournés surtout. L’empire ottoman, ce vieux colosse déjà criblé de blessures, va-t-il enfin achever de périr sous un dernier coup de sabre d’Ibrahim ? ou bien l’Europe se décidera-t-elle à étendre le bras pour défendre ce qui reste de vie au vaincu dût-elle l’achever ensuite elle-même avec le même glaive qui l’aura protégé, et se partager ses dépouilles ? Là-dessus nos diplomates n’ont pas encore définitivement avisé.

Quant à nous, pacifiques conquérans de la citadelle d’Anvers, qui avons remis notre épée d’honneur dans le fourreau après avoir chanté nos Te Deum, nous allons danser maintenant. Le roi, revenu de son voyage, est rentré dans son château des Tuileries, corrigé et augmenté par M. Fontaine. Les revues des corps d’armée et des corps municipaux sont finies, et les bals ont déjà commencé, les bals ministériels du moins, les bals de la doctrine et du juste-milieu ; car, bien entendu, le faubourg Saint-Germain n’en donnera pas plus cette année que l’année dernière. Le noble faubourg boude décidément contre son plaisir ; il y a mieux : aux termes des nouvelles lois légitimistes, la danse, qui n’était qu’un délit avant l’arrestation de madame la duchesse de Berry, est maintenant un crime de lèse-captivité ; c’est un crime auquel on inflige pour châtiment l’envoi de l’une des cartes de visite de M. Deutz le juif. Un tribunal secret, composé de nobles dames, et de nobles seigneurs, a été institué à cet effet.

Tout cela n’a pas empêché les dévoûmens bourgeois et roturiers d’aller leur train concurremment avec les dévoûmens aristocratiques et de haut lieu. Ainsi, récemment encore, M. Marie-Louis-Antoine Hennequin, l’avocat, vient de prendre à témoin l’univers et la postérité qu’il dévouait courageusement sa tête et son bonnet à la proscription et à l’échafaud au profit de la mère de Henri v. C’est bien ! Lorsque M. Marie-Louis-Antoine Hennequin passera dans la salle des Pas-Perdus, devant la statue du défenseur de Louis xvi, il pourra se dire avec fierté : « Et moi aussi je suis un proscrit, je suis un Malesherbes ; et ce qui est plus beau, cela ne m’empêche pas de signer des consultations et de plaider mes causes. » — En vérité, la révolution de juillet a rendu le dévoûment bien agréable et bien commode ; le dévoûment ne gêne plus guère maintenant, on fait du dévoûment tout en faisant ses affaires ; le dévoûment est à la portée de toutes les fortunes et de tous les courages.

Il ne faut pas s’imaginer que nos législateurs se soient amusés seulement à danser durant cette quinzaine ; ils ont aussi fabriqué nombre de lois et de fort belles. Ils ont pensionné les vainqueurs de juillet et les vainqueurs de la Bastille ; ils ont réorganisé définitivement l’administration municipale et départementale ; puis enfin, après bien des façons, des discours et des amendemens, ils ont aboli, sans retour, l’anniversaire du 21 janvier. Désormais donc cet anniversaire, funeste et à jamais déplorable, cessera d’être déploré. Ce sont là les propres termes de la loi d’abolition. Pour produire ce chef-d’œuvre de logique politique, il n’a fallu rien moins que les lumières et l’éloquence réunies du plus rhéteur de nos philosophes et du plus philosophe de nos rhéteurs.

Après un sommeil de plusieurs siècles, l’ordre des Templiers s’est avisé de renaître ces jours derniers, comme le phénix, des cendres de son bûcher. Les nouveaux Templiers ont des tuniques blanches avec des croix rouges et de grandes épées qu’ils tiennent constamment à la main, ce qui leur donne fort bon air, et ne leur serait point inutile assurément, s’il leur prenait quelque beau matin fantaisie de construire une barricade dans leur temple de la cour Damiette, et de soutenir une petite guerre contre les sergens de ville, ainsi qu’ont fait récemment les nouveaux chrétiens de Clichy dans l’église de M. l’abbé Auzou.

Pour inaugurer leur résurrection, les Templiers nouveaux nous ont, quant à présent, tout simplement donné une messe et un sermon. À l’instar de celles de M. Châtel, le primat des Gaules, la messe des nouveaux Templiers est dite en français, mais non pas le sermon, attendu que le prédicateur était M. Barginet de Grenoble, l’auteur de la Cotte rouge et d’une foule d’autres livres tout aussi correctement écrits. Or le sermon de M. Barginet de Grenoble avait déjà duré trois heures ; les chanoinesses (car les Templiers ont cru devoir s’adjoindre des chanoinesses), les chanoinesses se montraient cependant fort satisfaites, l’une d’elles même, figurante de première ligne chez madame Saqui, paraissait visiblement émue ; mais plusieurs Templiers moins sensibles, et qui apparemment avaient affaire, agitèrent tout à coup leurs épées en signe d’impatience. M. Barginet de Grenoble, comprenant ce que cela voulait dire, se disposait à conclure, lorsque le grand-maître de l’ordre, l’un des pédicures les plus éclairés de la capitale, étendant la main avec dignité et s’adressant à M. Barginet de Grenoble, lui cria de terminer. Dans le langage des Templiers, terminez signifie continuez, achevez, ne nous faites grâce de rien. Le prédicateur rassuré continua donc et termina ; mais ce fut l’affaire de deux autres heures.

Il y eut ensuite des chants de Templiers et de chanoinesses ; puis les chants ayant cessé, la séance fut levée, et ce fut ainsi que se passa cette première représentation des nouveaux Templiers, un peu plus longue, et tout à la fois un peu moins divertissante que celle de la tragédie de M. Raynouard.

Un long réquisitoire littéraire vient d’être récemment lancé contre M. Victor Hugo par M. Alexandre Duval. Dans cette éloquente philippique, M. Alexandre Duval se proclame d’abord lui-même le plus fécond des auteurs de la scène française ; puis, ayant déclaré qu’il est de son devoir, en cette qualité, de défendre le bel art dramatique ainsi que nos grands maîtres et ces illustres vieillards improprement appelés les ganaches de l’empire, il accuse M. Victor Hugo d’avoir, par des doctrines perverses et par d’indignes moyens, perdu ledit bel art dramatique, et ruiné le théâtre français en même temps que les illustres vieillards ci-dessus et plus amplement qualifiés.

Voici quelques-uns des principaux griefs soulevés par M. Alexandre Duval contre M. Victor Hugo.

Vous avez voulu détruire, s’écrie d’abord l’illustre académicien, s’adressant directement à M. Victor Hugo ; vous avez voulu détruire ces grands monumens littéraires auxquels nous autres auteurs de l’empire avions enchaîné notre gloire et notre fortune. — M. Alexandre Duval ne désigne pas d’ailleurs plus particulièrement ces grands monumens littéraires bâtis sous Napoléon. Mais on comprend de reste de quoi veut parler l’auteur du Tyran domestique et de la Fille d’honneur.

M. Alexandre Duval reproche encore à M. Victor Hugo d’avoir organisé une espèce de garde prétorienne romantique, une légion de démons barbus qui poursuivent les auteurs des anciens jours avec des grincemens de dents, des coups de griffe, des hurlemens et des cris de mort. M. Alexandre Duval avoue que, jusqu’ici, ces méchans diables ne l’ont encore, il est vrai, ni égratigné ni mordu ; mais il se plaint amèrement d’avoir été traité par eux de fossile, de perruque, d’épicier et d’académicien.

M. Alexandre Duval estime que la nouvelle école n’a pas fait un grand progrès en substituant les boulettes de poison aux coups de poignard. La boulette de poison, dit-il, est beaucoup plus immorale, et d’ailleurs c’est un moyen qu’on ne peut varier.

Je pense aussi que le coup de poignard mérite la préférence, en ce sens qu’il est facile de le donner en cent endroits et de cent façons, tandis qu’il n’y a qu’une manière d’avaler la boulette de poison. Mais que l’un soit plus moral que l’autre, c’est ce qu’il ne m’est point permis de comprendre. La distinction est sans doute pour moi par trop subtile.

M. Alexandre Duval essaie ensuite de donner une idée de la poétique suivie par tous les auteurs de son temps jusqu’au moment où il a plu à M. Victor Hugo de commencer sa révolution. Or, du temps de M. Duval, après le choix du sujet, le premier but que se proposait l’écrivain dramatique était d’en tirer une conséquence morale, le second d’intéresser au sort de tels ou tels héros, connus ou inconnus, vertueux ou coupables, — peu importait — du temps de M. Alexandre Duval ; la conséquence morale était toujours tirée, pourvu que le héros obtînt l’intérêt par des qualités qui l’élevaient au-dessus du vulgaire. — Le troisième but qu’on se proposait en ce temps-là, était d’environner les héros de figures secondaires propres à faire ressortir leur caractère ou à émouvoir leurs passions ; le quatrième de faire jouer tous ces personnages dans la chaîne d’une intrigue claire et pourtant variée ; le cinquième, de les faire parler, selon le temps, la circonstance, leur rang dans le monde, leur caractère bien exposé, dans un style simple, naturel, énergique et toujours élégant ; enfin le sixième but qu’on se proposait, encore en ce temps de M. Alexandre Duval, était de faire arriver les héros à une catastrophe qui n’inspirât pas une trop grande horreur. En ce temps de modération, on n’allouait pour un dénouement qu’une horreur raisonnable, une horreur tempérée, une horreur à cinq ou six degrés au-dessus de zéro, selon le baromètre académique.

Ayant au surplus énuméré les six conditions de perfection, voilà s’écrie ingénûment M. Alexandre Duval, voilà les règles que mes contemporains et moi avons toujours suivies.

Les conclusions du réquisitoire de M. Alexandre Duval sont néanmoins pleines d’indulgence et toutes paternelles. Loin de requérir la moindre peine contre nos septembriseurs littéraires, il leur déclare avec humilité qu’il n’a point l’orgueil d’être un grand maître, mais que si quelqu’un d’entre eux voulait bien prendre la peine de passer chez lui, il lui apprendrait volontiers à charpenter une pièce, à préparer une situation et à enchaîner des scènes ; en un mot qu’il lui donnerait une bonne leçon d’art dramatique.

S’il n’a point été coupé précisément en morceaux comme ce malheureux Ramus, dont les ébats de la cour d’assises viennent de nous révéler dans tous ces détails l’horrible mort, M. Tardif, le substitut du procureur général, a récemment aussi été victime d’un bien odieux assassinat. M. Tardif se porte à l’heure qu’il est mieux que vous et moi, mais cela n’empêche point qu’il ait reçu, pendant qu’il dormait, la nuit du 27 décembre dernier, une violente tape sur la tête, et sur la poitrine, vingt-quatre blessures, toutes constatées par M. le docteur Breschet.

Fort heureusement pas une de ces blessures ne s’était trouvée mortelle. La plupart, selon le rapport même du docteur, n’avaient divisé qu’incomplètement le tissu cutané et la plus profonde n’allait pas au-delà de l’épaisseur de la peau. On eût dit vraiment des égratignures opérées par les griffes d’un chat. Ou bien, c’était comme si quelque maladroit somnambule se fût avisé de venir repasser gauchement son rasoir sur l’estomac de M. le substitut du procureur général.

Il y eut pourtant de malicieuses personnes qui prétendirent qu’en cette occurrence M. Tardif avait joué tout uniment la tragédie, et que pour se rendre intéressant il s’était impitoyablement assassiné lui-même. Mais M. Tardif n’entend pas raillerie sur son assassinat. Il vient de publier un mémoire dans lequel il se défend hautement d’avoir été son propre meurtrier. M. Tardif prouve clair comme le jour, qu’il n’a nullement trempé les mains dans son sang de substitut. Et puis à ceux que n’auraient point encore satisfaits cette justification, M. Tardif offre des preuves irrécusables et positives. Comme Jésus-Christ disait à Thomas, M. Tardif dit aux incrédules : Approchez, je me montre. Venez voir ma tape sur la tête et mes vingt-quatre blessures sur la poitrine.


§. II. — BULLETIN LITTÉRAIRE.

I. Le livre des Cent et un : 9e vol.
II. Le Salmigondis, Contes de toutes les couleurs : 2, 3 et 4e vol.
III. Le livre des Conteurs : 1 vol.[1]

IV. Contes vrais, par madame Jenny Bastide : 1 vol.[2]


Ce ne sera pas seulement de son propre Salmigondis que M. Ladvocat devra rendre compte devant les hommes et devant Dieu, mais bien aussi de tous les Salmigondis et de tous les Livres de Conteurs que le Livre des Cent et un a déjà fait et doit inévitablement faire surgir encore.

C’est que tels sont, pour la plupart, messieurs nos éditeurs à la mode, qu’ils n’ont même pas assez d’originalité pour inventer eux-mêmes de mauvaises publications. Mais aussi qu’un confrère ingénieux donne l’exemple et leur ouvre la voie, vous allez voir comme ils vont tous en foule et à l’envi s’y précipiter. Ainsi, je ne sais plus quel infernal libraire nous ayant un beau matin décoché 4 volumes in 8o de mémoires historiques, fabriqués par des commis et des brocheurs, cela mit toutes les boutiques littéraires en verve de mémoires, et nous eûmes, pendant plus d’un an, des mémoires par ballots et par charretées. Aujourd’hui, grâce au Livre des Cent et un, ce sont les livres aux mille et un auteurs qui abondent. Ce sont les Salmigondis qui pleuvent. Ce sont les contes qui foisonnent. Ce sont les conteurs qui fourmillent. Contes ou mémoires, au surplus, les uns valent les autres assurément. Résignons-nous donc, et dussions-nous en dormir assis et même debout, lisons les contes et les livres des Cent et un comme nous avons lu les mémoires.

M. Ladvocat, qui a voulu mettre de tout dans son livre, y a glissé tout récemment un poète au milieu du personnel des prosateurs de son neuvième volume. Ce poète, ce n’est rien moins que M. le comte Jules de Rességuier. M. le comte Jules de Rességuier, si poète et si grand seigneur qu’il soit, n’a pas dédaigné de se mêler à la foule prosaïque et roturière des Cent et un. M. le comte Jules de Rességuier a bien voulu nous parler en vers des chevaux de poste.

Entre autres belles choses, voici donc ce qu’a dit M. le comte Jules de Rességuier.

Il est doux de pouvoir, aux moindres aventures,
Dire à ses gens : allons, préparez les voitures.
Remplissez les caissons, les vaches et les veaux ;
Chargez mes pistolets, commandez les chevaux ;
De partir au galop sans que rien vous retarde ;
De traverser les flots du peuple qui regarde ;
De tracer dans la rue un lumineux sillon.

Il est bien entendu, de l’aveu même du poète, que ce pauvre peuple qui regarde le lumineux sillon, ne trouve nullement doux, quant à lui, de voir passer alors les vaches et les veaux, car monsieur le comte ajoute plus bas :

Il est doux d’ébranler les vitres des maisons,
D’attirer tout le monde au bruit que nous faisons,
Les paisibles marchands qui, tristes sur leur porte,
Disent : voilà de l’or qu’un riche nous emporte.

M. le comte, au moins, rendons-lui cette justice, n’est pas du nombre de ces riches espiègles qui trouvent plaisir à narguer le peuple en l’éclaboussant. M. le comte dit bien, s’adressant à nos Crésus en équipages :

Je les possède aussi ces biens que je vous vois,
Et mes chevaux anglais s’élancent à ma voix ;
Et je puis, à mon gré, sur la foule grossière,
Répandre, comme vous, l’éclat et la poussière ;
Emporté hors des murs sur mon rapide essieu,
Envelopper Paris dans un cercle de feu.

Mais M. le comte est généreux. Il nous fait grâce de cet éclat et de cette poussière dont il ne tiendrait qu’à lui de nous couvrir. Il ne veut pas nous envelopper dans un cercle de feu ; non. Heureusement pour nous, il a des goûts plus simples ; il laisse les chevaux anglais à l’écurie ; il lui faut seulement :

........ Un modeste réduit,
Une femme timide, un astre solitaire.

C’est bien. Puisque cela vous contente, monsieur le comte, cela nous arrange aussi, nous autres, foule grossière que nous sommes ; grand merci M. le comte !

Le Salmigondis, qui n’en est pas encore à son neuvième volume comme le Livre des Cent et un, nous a tenu jusqu’ici la poésie haute. Ouvrez, si vous avez bon courage, ses trois derniers volumes ; vous n’y trouverez point de ces vers parfumés de mauvais goût et de mauvaise aristocratie, comme les sait si bien faire M. le comte Jules de Rességuier. En revanche, vous y rencontrerez nombre d’histoires écrites en assez méchante prose, les unes se déclarant avec humilité traduites de l’allemand ou de l’anglais, les autres se prétendant originales ; toutes d’ailleurs s’intitulant contes ou nouvelles, à leur choix, selon leur bon plaisir, selon qu’il leur plaît d’être contes plutôt que nouvelles, ou nouvelles plutôt que contes.

Ce n’est pas qu’au milieu de ce fouillis quelques morceaux remarquables ne se soient fourvoyés. Mais qu’allaient donc faire là, bon Dieu ! Maria Rosa de madame de Bawr, la Rose rouge de M. Dumas, Est-ce vous ? de M. ***, le Portrait de Napoléon de Wilhem Hauff, le petit Zacharie d’Hoffman ? Lorsqu’on a tant de mérite et de précieuses qualités, pourquoi se compromettre en une telle cohue ?

Quant à la pièce qui a pour titre : Une Aventure de Shakespeare, ne félicitez pas, je vous prie, Jean-Paul d’en être l’auteur, bien qu’elle soit signée de ses noms. C’est à M. Alphonse Brot qu’appartient tout l’honneur de cette composition. M. Alphonse Brot en avait gratifié Jean-Paul comme il en aurait pu gratifier Goëthe ou Walter Scott. M. Alphonse Brot se repent aujourd’hui de sa libéralité. Il nous somme de déclarer qu’il est bien et dûment le propriétaire et l’auteur d’une Aventure de Shakespeare. Rien de plus juste. Rendons à M. Alphonse Brot ce qui appartient à M. Alphonse Brot.

Le Livre des Conteurs, dont le premier volume a seul encore paru, s’est chargé de s’inaugurer et de s’apprécier d’avance lui-même dans une manière de préface, sinon bien modeste et réservée, au moins fort naïve et des plus curieuses. Cette préface nous apprend que les conteurs du livre, conteurs de tous les formats, l’élite de nos conteurs, s’étant un soir réunis en assemblée extraordinaire, se sont d’abord constitués pléiade de Conteurs. Nous sommes les vrais conteurs et les seuls, ont-ils déclaré ; nul ne fera des contes hors nous et nos amis.

Cela dit, nos conteurs se montrèrent dans leur nature d’hommes du monde, et non dans leur nature de réserve. Quiconque, s’écrie alors la préface, ne les eût point connus personnellement, et les sachant près de soi, eût voulu, d’après leur physionomie et leurs discours, trouver d’inspiration le nom de chacun d’eux, se fût, certes, préparé un grand désappointement.

Sur mon honneur, je suis en ce point tout-à-fait de l’avis de la préface, et si me trouvant là, j’eusse été saisi d’une pareille fantaisie de divination, il m’eût semblé bien dur d’avoir pris, par exemple, M. de Balzac ou M. Michel Raymond pour M. Mérimée.

Mais écoutons encore la préface.

Comme la soirée avançait, nos conteurs sortirent de leur nature d’hommes du monde et rentrèrent dans leur nature de réserve ; puis ils osèrent, chacun à l’envi, des bons mots, de vives saillies et des récits piquans dont l’imagination brodait les ornemens ; après quoi la pléiade des conteurs, prenant en considération et en pitié les besoins du siècle, et voulant pourvoir à l’énorme consommation qu’il fait aujourd’hui de contes de toute sorte, résolut et décida, séance tenante, à l’unanimité, que chacun des conteurs de la pléiade étant dans l’impossibilité de se présenter tous les mois au siècle avec un volume à la main, ladite pléiade formerait une ligue, une sainte alliance de conteurs, lesquels conteurs seraient les seuls fournisseurs brevetés de l’époque, et lui fabriqueraient en commun des contes autant qu’elle en pourrait consommer et au-delà.

Ainsi, voilà qui est bien entendu. La pléiade des conteurs a monopolisé le conte. La pléiade a mis le conte en régie comme le tabac. Grâce à la pléiade, nous aurons, selon que nous en userons, des contes à prix fixe, des contes de la première qualité, sans mélange et sans falsification. À la bonne heure.

La première émission de contes que vient de faire la pléiade ne dément pas trop au surplus les magnifiques promesses de son prospectus. Que ses futurs volumes donnent surtout aux consommateurs beaucoup de récits aussi spirituels et aussi amusans que la Demoiselle de compagnie, par M. Ancelot, et Daja, par M. Eugène Sue ; le siècle ne se plaindra pas, j’imagine, et sera fort satisfait.

Quant aux Contes vrais, c’est madame Jenny Bastide qui en assume seule sur sa tête la responsabilité. N’y a-t-il pas là de sa part un peu de témérité ? Disons-le. Ce n’est pas précisément la vérité qui manque à ces contes vrais. Ce n’est pas l’intérêt non plus ; mais c’est le style souvent, et la couleur toujours.

Ainsi le Siège de Burgos ne nous montre guère assurément la vieille ville espagnole, cette ville de couvens et d’églises avec son grave et rude caractère, avec son aspect tout monastique et sacerdotal. Et puis, ce qui est un plus grand tort, comment après le Stello de M. Alfred de Vigny, madame Jenny a-t-elle pu se décider à nous conter la prison et l’échafaud d’André Chénier ?

  1. Chez Allardin, place Saint-André-des-Arts.
  2. Chez Vimont.