Chronique de l'Abbaye du mont Saint-Éloi

Chronique de l'Abbaye du mont Saint-Éloi
(extrait et présentation de la chronique)6 (p. 167-179).

« On battit une chapelle sur la petite place d’Arras, dans laquelle on déposa ce cierge enfermé dans un étui d’argent, et les ciriers de la ville en furent nommés les gardiens. A cette occasion il se forma une célèbre confrérie, composée de tout ce qu’il y avoit de mieux dans la ville, et les évêques mêmes s’y enrôloient. On trouva l’année dans laquelle ce cierge fut donné dans le mot CereVM. Tous les ans, le jour du dimanche dans l’octave du Saint Sacrement, il se chantoit le matin une messe solennelle dans la chapelle, pendant laquelle ce cierge étoit allumé, et l’après-midi, un cirier revêtu d’une aube et d’une tunique, ayant une couronne de fleurs sur la tête, portoit ce cierge sous un dais : il étoit précédé immédiatement d’une bande de violons qui jouoient toujours le même air, appelé l’air de la Sainte-Chandelle ; ceux-ci étoient précédés par des chars, des anges, des vierges montées sur des ânes, etc, etc.... Quoique le prédicateur qui prêchoit ce jour-là inculqua toujours à ses auditeurs que l’espèce de culte qu’on portoit à la Sainte-Chandelle étoit relatif à la Sainte Vierge, qu’on devoit remercier des grâces qu’on avoit reçues par son intercession et la prier pour en obtenir d’autres, les gens simples et surtout ceux de la campagne alloient servir, disoient-ils, la Sainte Candoule, et lui adressoient tout uniment leurs prières. Ce cierge étoit le jouet des impies et le sujet de plusieurs superstitions, qui consistoient à voir comment le cierge brûloit. Si la lumière en étoit vive, c’étoit le signe d’une moisson abondante ; on trembloit quand la lumière en étoit plus pâle, etc. Tout ceci bien considéré fait sembler étrange comment une cérémonie si bizarre s’est conservée pendant un siècle aussi éclairé que le nôtre et celui qui l’a précédé. En 1770, Monsieur Louis de Conzié, évêque d’Arras après s’être informé au sujet de cette procession qui étoit plus burlesque que pieuse, fit fermer la chapelle de la Sainte-Chandelle pendant toute l’octave du Saint Sacrement, deffendit de l’allumer dorénavant et de faire aucune procession, etc. ».

Ici Dom Wartel, qui avait rédigé sa chronique en 1786, ajoute après coup — et c’est la plus récente addition qu’il ait faite à son manuscrit : « Cette chapelle a été démolie en 1791 par ordre de la municipalité ».

P. 27, il dit du rôle de l’évêque Lambert : « Lambert étoit présent à ce don miraculeux, et il semble étonnant que la Sainte Vierge ait fait affront à l’évêque, en ne lui donnant pas ce cierge à lui-même, et en préférant les mains profanes de deux histrions aux mains sacrées de l’évêque  ».

Il nous donne (p. 32) le texte suivant de l’épitaphe de Lambert, dans la cathédrale, « à la droite du chœur…, sur un marbre enchâssé dans la muraille : »

Anno Domini MC.XV.XVI cal junii, obiit beatæ memoriæ Lambertus, hujus Attrebatensis sedis cardinalis épiscopus. Per hunc restituta est dignitas hujus episcopatus, quæ per multa tempora Cameracensi episcopo fuerat commendata. Huic episcopo et duobus jaculatoribus Itherio et Normanno beata Virgo in hac ecclesia apparuit, dans eis candelam per quam sanantur ardentes igne malo[1].

Dom Wartel n’est pas plus favorable au culte de saint Nazaire, (p. 127) : « Sous l’abbé Georges Bellot (1576-1587), Renault Pingrelem, prieur d’Aubigny, parla un jour en mauvaise part de l’abbé Bellot. Ayant ensuite appris qu’on avoit rapporté à son abbé le mal qu’il en avoit dit, il entra dans une telle crainte d’en être réprimandé qu’il en devint furieux et fou. On le fit conduire aux loges du village de St Nazaire[2] pour le guérir, mais il revint fou à l’abbaye et y mourut 1er de l’an 1586, deux ans après avoir perdu l’esprit ».

« Etant allé dire la messe à Saint Nazaire en 1760, comme il est de coutume pendant l’octave de ce Saint, je vis dans l’église une folle liée avec de larges corrois (courroies) qu’on présenta au chapelain du village, qui en surplis et en étole lui jetta de l’eau bénite, après avoir dit une oraison. M’étant rendu chez le curé, qui se nommoit Wavrent, en sortant de l’église, je lui demandai s’il avoit vu des guérisons de fou ou de folle depuis qu’il déservoit sa cure ; mais il ne me répondit pas. L’intercession des Saints est toujours louable dans toute circonstance, mais il se pourroit faire sans miracle qu’un fou rentra en lui-même par la seule impression que peut faire sur lui la cérémonie d’être présenté en public bien garotté, dans une église, devant un prêtre qui prie pour lui et lui jette de l’eau bénite. La demeure sédentaire dans une loge obscure peut produire le même effet ; mais ces raisons n’empêchèrent point qu’on ait démoli les loges et qu’on ait laissé aux frères Bons Fils[3] le soin de guérir les foux, et aux religieuses qui s’en mêlent celui de guérir les folles ».

Voici maintenant pour la visite traditionnelle des chanoines d’Arras à l’abbaye du Mont-St-Eloy, (p. 9) :

« On prétend que c’est en mémoire du premier miracle qui se fit à la découverte du corps de Saint Vindicien, que deux chanoines et deux chapelains, députés du Chapitre d’Arras, accompagnés des chanoines en stage, venoient tous les ans, le jour de l’octave de l’Ascension, avec une partie de la musique de la cathédrale, chanter la messe dans le chœur de l’abbaye de Saint Eloy, à l’honneur de Saint Vindicien. Les musiciens avoient à leur tête un enfant de chœur qu’ils nommoient le Roi ; ce prétendu Roy faisoit son entrée à cheval dans l’abbaye, se plaçoit à la droite de Monsieur l’abbé pendant la messe et y recevoit l’encens après lui ; il se mettoit aussi à droite de Monsieur l’abbé au réfectoire, etc. L’après-midi, après grâces, la musique exécutoit un motet dans le Chapitre, et l’assemblée se rendoit ensuite, au moins en partie, dans un endroit du bois situé vis-à-vis de l’abbaye, où l’on croit que furent trouvées les reliques de Saint Vindicien. La musique y chantoit à trois reprises : Ora pro nobis, Sancte Vindiciane, etc ; et un chapelain prêtre, nommé pour cela, chantoit l’oraison Da Quæsumus, etc. Tout le cortège partoit sur les quatre heures et demie, comme il étoit venu, les chanoines et les chapelains dans le carosse du Chapitre ou des fiacres et le reste dans un chariot, sur le devant duquel un homme portoit une bannière bleue, séparée par une bande jaune en pale (pal) ».

« En 1770, l’enfant de chœur, qui ci-devant entroit à cheval, l’épée au côté, chapeau à plumet, etc., vint dans son habit ordinaire avec un surplis propre, et jouit de toutes les prérogatives qu’il avoit avant. Monsieur l’évêque Louis de Conzié avoit jugé à propos de faire ce changement ; il avoit aussi fait savoir aux chanoines, chapelains députés, etc, que son intention étoit qu’ils allassent tous en soutane à cette cérémonie, au lieu qu’ils venoient en [habit] court et avec des habits bruns ou noirs, etc., les années précédentes ».

« Cet usage fut abrogé par délibération du Chapitre en 1777 »[4].

L’abbaye avait sous sa dépendance deux prieurés : Rebreuve et Aubigny, au sujet desquels Dom Wartel nous donne d’intéressants détails :

Le prieuré de Rebreuve fut fondé en 1097 (p. 23).


(2)

« Ce prieuré est composé à présent d’un prieur, seigneur du lieu, d’un curé et de deux autres religieux de Saint-Eloy, qui, assistés de quelques clercs séculiers, chantent l’office et la sainte messe tous les jours ainsi qu’on fait à l’abbaye. Le chœur des religieux, quoique tenant à l’église de la paroisse, en est censé séparé, parce que le curé fait ses offices et ses devoirs paroissiaux à une chapelle qui est dans la nef de l’église, et non dans le chœur des religieux[5] ».

Quant au prieuré d’Aubigny (p. 37), il se composait d’un prieur, un curé et trois autres religieux.

« Ce prieuré étoit absolument sur le même pié que celui de Rebreuves avant que sire Paul Tabary ait fait réédifier la maison sur une hauteur au-dessus de la rivière en 1749 et 50. Par cette position les batimens sont séparés de l’église, et le prieur a perdu les droits de curé primitif, tels que ceux de bénir les fonds baptismaux, etc. - La maison du prieuré[6], mérite d’être vu, pour l’élégance de son architecture, sa position riante et la beauté de son jardin, Cette maison doit tout à sire Killien Gruyelle, qui en a dirigé le plan autant que l’architecte et qui a pris soin de l’embellir pendant seize ans qu’il fut dans ce poste, car il succéda à sire Paul Tabary en janvier de 1752 et il y mourut le 17 du même mois en 1768  ».

On savait quelque chose des querelles occasionnées par le transfert du prieuré sur la colline[7], mais le chroniqueur nous en apprend bien plus long (pp. 181 à 185) :

« 1751. Monsieur Tabary, prieur d’Aubigny, ayant achevé de rebâtir son prieuré, sous la direction de l’architecte Merville et avec l’assistance de Monsieur Gruyelle, il arriva un accident qui faillit avoir des suites très fâcheuses. Comme le nouveau bâtiment du prieuré étoit placé sur la hauteur du bourg, et que l’ancien étoit bâti près de l’église, qui pour lors étoit commune aux religieux et aux paroissiens, c’est-à-dire que, comme à Rebreuves, les religieux faisoient leurs devoirs dans le chœur et le curé dans une chapelle collatérale ; le nouveau Prieuré étant achevé, le prieur fit transporter la châsse de Saint Killien dans la chapelle des religieux, mais les paroissiens lui enlevèrent cette châsse et la reportèrent dans leur église. A cette nouvelle, Monsieur l’Abbé fit assembler la communauté au chapitre, où il dit qu’ayant fait serment de conserver les biens spirituels et temporels de l’abbaye à sa bénédiction, il se trouvoit obligé de revendiquer la châsse de Saint Killien. Monsieur l’Abbé fut mal conseillé dans cette occasion. On envoya deux charpentiers de l’abbaye qui se rendirent la nuit à Aubigny, et ayant détaché une fenêtre de l’église de la paroisse, ils prirent la châsse et la rapportèrent à l’abbaye[8]. Le lendemain, les paroissiens s’étant apperçu de cet enlèvement, coururent comme des furieux au Prieuré et mirent le pistolet sur la gorge du Prieur pour lui faire dire où la châsse étoit. Ils s’emparèrent ensuite du Prieuré, firent mille avanies aux religieux, de sorte qu’on fut obligé d’envoyer des grenadiers pour mettre le Prieuré hors d’insulte. On garda aussi six grenadiers dans l’abbaye, pour les menaces des habitans d’Aubigny, qui osoient former le dessein de venir forcer Monsieur l’Abbé à leur rendre la châsse. Quatre de ces mutins eurent l’audace de venir à l’abbaye dans la voiture du prieur pour redemander la châsse à Monsieur l’Abbé ; mais n’ayant pu parler à Monsieur l’Abbé, la vue des soldats les intimida, et ils s’en retournèrent comme ils étoient venus. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que le cocher même du prieur, qui étoit un des mutins, les conduisoit contre les intentions de son maître. Quoique le prieuré fût gardé par des soldats, les religieux n’y étoient point trop tranquilles, on tiroit des coups de fusils dans les fenêtres de leurs chambres, et ils n’osoient coucher dans leur lit ; de plus ils étoient comme enfermés chez eux, n’osant sortir de la maison, crainte d’être insultés. Ce fut en septembre 1751 que se passèrent ces scènes scandaleuses. Pour donner cette histoire de suite, je vais rapporter comme elle se termina. Les soldats ayant un peu modéré la fureur des habitans, on entra en procès civil au Conseil d’Artois, et sire Paul Tabary étant mort, en partie de frayeur de ce qui s’étoit passé, le 10 de janvier de 1752, sire Killien Gruyelle lui succéda et continua le procès. Le flegme avec lequel ce nouveau prieur se comporta d’abord, déconcerta les habitans. Il n’a point peur, celui-ci, se disoient-ils les uns aux autres ; et ils restèrent assez tranquiles, jusqu’à ce que le Conseil adjugea la châsse aux religieux, sur un mémoire imprimé que Monsieur Gruyelle avoit composé lui-même. Le 14 de mai 1753, à huit heures du matin, la communauté s’étant rendue au chœur, elle conduisit cette châsse en procession, en chantant le répond Ecce sacerdos, jusqu’à la porte de la cour. On la mit dans un carosse, et deux religieux avec le procureur fiscal la conduisirent au prieuré, où elle fut déposée dans la chapelle sans aucun obstacle de la part des habitans ».

« Monsieur Gruyelle croyant que la frénésie des habitans étoit passée, crut devoir exposer la châsse de Saint Killien à leur vénération, le jour de la fête de ce Saint, qui est le 13 de novembre. Il fit placer la châsse sur une estrade au milieu de la nef de la petite église du prieuré. Mais deux femmes l’enlevèrent et eurent la hardiesse de la reporter à la paroisse, où tous les manans la placèrent en tumulte. Alors il fallut instruire un procès criminel contre les deux femmes. Enfin le 19 de mars 1754, le Conseil rendit un arrêt qui condamnoit les deux femmes qui avoient enlevé la châsse, à recevoir le blâme un jour d’audience par le premier président, à payer tous les frais du procès, et de plus chacune cent livres d’amende, la moitié aplicable au Roi et l’autre au Prieur d’Aubigny. Il semble que ce même arrêt eût dû ordonner la restitution de la châsse ; point du tout ; le prieur d’Aubigny fut encore obligé d’entrer en cause civile pour obtenir la châsse, qui restoit dans l’église paroissiale depuis l’enlèvement. Enfin, dans le mois de juin, le prieur obtint un arrêt qui lui permettoit de reprendre la châsse pour la remettre dans la chapelle du Prieuré, de faire exécuter la visite et la translation de la châsse par des délégués du secrétariat de l’Evêché, et de prendre autant de cavaliers de maréchaussée que bon lui sembleroit, pour contenir les habitans, à qui il étoit deffendu, sous peine de punition, de s’opposer aucunement à cette translation ; et la châsse fut transférée solemnellement dans la chapelle du prieuré, où elle se voit au-dessus de l’autel, couverte d’une grille de fer, où elle restera longtemps sans être exposée autrement à la vénération des fidèles, crainte d’un autre enlèvement. Comme les femmes qui avoient enlevé la châsse n’avoient rien, le prieur paya tous les frais du procès, ce qui est un bel exemple de l’administration de la justice d’Artois, qui ne se rend qu’à force d’argent  »[9].

Voici maintenant un spécimen des disputes entre l’abbaye et les seigneurs voisins (p. 160) : Kilien de Le Cœuillerie fut abbé de 1716 à 1727.

« On conte que cet abbé s’étant hasardé un jour d’aller lui-même trouver dans les champs le Prince de Montmorency, qui chassoit sur les terres de l’abbaye avec d’autres seigneurs, il leur représenta qu’ils n’avoient pas droit de chasser sur ses terres, et encore moins d’endommager les grains, sur quoi ces messieurs se disposoient à le maltraiter ; mais Monsieur l’Abbé se réfugia à la ferme de Bertonval, où les chasseurs le poursuivirent. Alors le fermier sortit avec un fusil et mit en joue le Prince qu’il eût tué, si Monsieur l’Abbé ne l’en eût empêché. Pendant que cette contestation duroit, les paysans, avertis que Monsieur l’Abbé étoit en danger, sortirent du village en grand nombre, armés de fusils, de fourches, de fléaux, etc... A la vue de ces paysans, les chasseurs prirent le parti prudent de la retraite, Monsieur l’Abbé ayant informé la Cour de l’affront qu’on lui avoit fait, le Prince et ses compagnons furent obligés de se rendre à l’abbaye pour faire des excuses sur ce qu’il s’étoit passé, ce qui leur valut un repas splendide que Monsieur l’Abbé leur donna ».

J’imagine qu’il n’oublia pas de récompenser et de faire festoyer aussi ses braves défenseurs. Ces paysans accourant en armes à la défense de leur abbé et de leur moisson excitent ma sympathie !

Mais la querelle qui revient sans cesse dans la chronique, c’est celle qui régna si longtemps entre l’abbaye et les seigneurs d’Ecoivres, ses plus proches voisins. Dom Wartel n’épargne pas ceux-ci, surtout le dernier, M. de Brandt (pp. 264-268).

« Le comte de Brandt de Marconne [était] seigneur d’Escoivres du chef de sa femme, qui étoit l’aînée de trois filles que Monsieur Mathon, seigneur d’Escoivres, avoit laissé à sa femme, que je n’ai jamais connu que sous le nom de Madame Mathon. Le sire de Marconne, gentillâtre d’Aire, cherchant à arrondir sa fortune, fit sa cour à Mademoiselle d’Escoivres par le canal même des religieux de Saint Eloy ; il venait prendre son gîte à l’abbaye avec ses gens et ses chevaux ; de là il se rendoit fort aisément à Escoivres, où il faisoit sa cour à la mère de sa future épouse. Monsieur l’Abbé le fêtoit bien : deux religieux surtout qui étoient familiers avec Madame Mathon la déterminèrent plus que tout autre à donner sa fille aînée à ce Monsieur. Mais à peine fut-il marié que pour témoigner sa reconnoissance à Messieurs de Saint Eloy, il deffendit à sa femme de voir aucun religieux de cette abbaye, et ceux qui espéroient les plus grands avantages pour avoir contribué au mariage du sire de Marconne, furent frustrés de leurs espérances, ce qui doit apprendre aux religieux à ne point s’immiscer dans de pareilles affaires ».

« Cependant Monsieur de Marconne fut à peine marié, qu’il postula et obtint le titre de comte de Brandt et de Marconne, et il crut alors qu’un homme comme lui ne devoit plus reconnoître de seigneurs en partie dans sa terre d’Escoivres. Il attaqua l’abbaye de Saint Eloy sur les droits et mouvances qu’elle avoit dans le village d’Escoivres, sur le titre de seigneurie vicomtière de la ferme et terroir de Chinchy. Ce grand procès fut jugé par arrêt de la Grande Chambre du Parlement de Paris. Par cet arrêt, la Cour maintenoit l’abbaye de Saint Eloy dans sa seigneurie vicomtière de Chinchy, mais elle donnoit la seigneurie des mouvances de l’abbaye situées dans le territoire d’Escoivres au comte de Brandt, à l’exception de la maison et enclos du prieur-curé de la paroisse.  ». Surviennent ensuite de nouveaux procès au sujet de l’étendue de la seigneurie de Chinchy. L’abbé Le Febvre concède au comte de Brandt à peu près tout ce qu’il demande : droit de planter, chasse exclusive, etc... ».

« Ce pauvre comte, qui dépensoit, à ce qu’on disoit, 60 mille francs par an chaque année en frais de procédure, eut le malheur d’être tué par la chûte de sa chaise en 1776 ; sur quoi l’on fit l’épigramme suivante :


« Veut-on savoir le nom de la personne.
Courant la poste entre Roye et Péronne,
A qui vient d’arriver le dernier des malheurs ?
- Oh ! oh ! dira le démon des plaideurs,
C’est mon bras droit, le seigneur de Marconne  »

Qui n’entend qu’une cloche, n’entend qu’un son. Peut-être, si le comte de Brandt avait laissé des mémoires, les faits qui précèdent seraient-ils exposés de tout autre façon.

Mais il est temps de rentrer dans le domaine plus purement archéologique, qui est le nôtre, et d’extraire de la chronique tous les détails qu’elle renferme sur l’église, le monastère et les œuvres d’art diverses. Voici d’abord des données intéressantes sur la belle église gothique du Mont-St-Eloy et sa crypte (p. 55) :

« 1219. — Richard succéda aux vertus ainsi qu’à la dignité de l’abbé Désiré[10] ; il fit travailler tant de bras à l’église que son prédécesseur avoit commencée, qu’il l’acheva en deux ans[11].

« Cette église subsista 529 ans ; Monsieur l’abbé Roussel la fit démolir en 1750. Elle ne fut jamais achevée sur le plan qu’on s’étoit proposé de suivre. Il n’y avoit qu’un chœur, qui étoit accompagné de deux nefs tronquées, qui ne l’excédoient point en longueur. Dans ces nefs, il y avoit quatre chapelles. Le sanctuaire étoit ample, le grand autel s’y trouvoit posé à la romaine, et derrière cet autel s’en trouvoit un autre qui couvroit le cul de lampe[12]. Sous le sanctuaire il y avoit une petite église basse, soutenue par deux rangs de colonnes de pierres bleues. Si cette église eût été achevée sur le plan proposé, elle auroit formé un édifice aussi grand que celui de la Cathédrale d’Arras. Le clocher, qui avoit une flèche fort haute, étoit entre le chœur et le sanctuaire. Cette église étoit hardie ; elle étoit entourée de deux fenêtres l’une sur l’autre[13] qui l’éclairoient beaucoup et qui étoient d’une hauteur extraordinaire. Ce qu’il y a de surprenant, c’est qu’on a remarqué en la démolissant qu’elle n’avoit pas trois piés de fondation dans beaucoup d’endroits où le bâtiment se trouvoit établi sur le sable »[14].

Cette courte description est tout ce qu’on a de plus précis sur ce bel édifice si complètement disparu et dont il ne reste aucun dessin ou plan.

À une date que Dom Wartel ne précise pas, mais qui se place en 1261[15], « St Louis fit présent [à l’abbé Jean de Barastre] d’une épine de la couronne de Notre Seigneur et de beaucoup d’autres reliques. Il lui envoya aussi une chasuble et deux tuniques de soie bleue brochées de fleurs de lis en or. Cet ornement, qui étoit riche autrefois, sert encore tous les ans, malgré sa vétusté, au prêtre, au diacre et au sou-diacre qui chantent la messe le jour de St Louis  » (p. 65).

Vers la même époque (p. 66), « Pierre de Gouy-Servin et Witasse, dame de Hamelincourt, firent bâtir à leurs frais une petite chapelle contre l’église de Saint -Eloy, qui étoit dédiée à Sainte Marie-Magdelaine, où ils voulurent être enterrés et donnèrent une grande partie de bien, à la charge de deux messes par semaine, dites pour le repos de leurs âmes, fondation qui se décharge encore exactement aujourd’hui  ».

Etienne du Fermont (de Firmomonte), abbé de 1275 à 1291 (p. 70), « fit bâtir en grande partie les murs de l’enclos de l’abbaye, qu’avoit commencés l’abbé Hugues environ l’an 1140. Ces murailles, qui subsistent encore aujourd’hui, sont mi-parties de grés et de pierres blanches, flanquées de jambes de force très solides et presque aussi hautes que la muraille. Cette enceinte qui, à ce que l’on dit, est assez grande pour contenir la ville de Béthune, renferme quatre vingt mesures trente six verges de terre, selon le mesurage qu’en a fait Maître Jean Cochet, arpenteur juré en 1629. Le Prince Eugène et le duc de Malbouroug étant venu[s] à Saint-Eloy après la prise de Béthune en 1710, le Prince se promenant dans l’abbaye avec quelques religieux, leur demanda ce qu’ils trouvoient de plus beau dans leur maison, qui n’étoit alors qu’une masse énorme de grés environnée de tours. Le Prince Eugène, sans attendre leur réponse, leur dit : C’est votre enceinte, Messieurs, c’est votre enceinte. En effet, si l’on excepte cette enceinte, il n’y a plus pour ainsi dire aujourd’hui (1786) une pierre de l’ancienne maison de Saint-Eloy, qui ne soit changée de place ».

Michel d’Alennes, abbé de 1388 à 1424, « orna son église d’un grand chandelier de cuivre, qui pesoit 2.580 livres ; il n’existe plus » (p. 89)[16].

L’abbé Jean Pingrelem (après 1482) fit rebâtir l’église de la paroisse (p. 101).

Antoine de Coupigny (1487-1520) fut un somptueux prélat et un ami des arts (p. 103). « Il fonda en l’honneur de la Sainte Vierge une messe quotidienne, qui se disoit autrefois dans la cripte ou église basse de l’ancienne église, à l’autel de la Vierge, qu’il avoit fait privilégier. A cet autel étoit une grande statue de la Sainte Vierge, qui est à présent dans le sanctuaire de la paroisse, dans une niche pratiquée dans la muraille du côté de l’Evangile... Il fit aussi fabriquer une belle statue de la Vierge en argent, ornée de pierrerie. - On donna cette statue pour fondre, à l’orphèvre qui fit le tabernacle qui est dans notre église. On ignore si l’orphèvre l’a vendue, mais tout le monde disoit : C’est dommage de la fondre, tant elle est belle ».

« Il avoit fait peindre un grand tableau sur bois qui représentoit les Supplices des Dix mille Martyrs. On alloit encenser ce tableau le jour de la fête de ces Saints dont l’abbé Coupigny avoit fait un office double, qui n’est plus que semi-double ».

« Cet abbé avoit aussi fait sculter en pierre un Sépulchre qui n’existe plus. On y faisoit une station certains jours pendant la procession ».

« Ce fut lui qui acheta notre bel ornement violet et ce fut par ses ordres et avec son assistance que Jean de Nédonchel, prieur d’Aubigny et son parent, fit faire la châsse d’argent qui renferme les reliques de St Killien... ».

« Il fit deux fois réparer magnifiquement le clocher de son église endommagé par le tonnerre ; il y fit déposer plusieurs reliques de saints et une parcelle de la Vraie Croix, pour le préserver d’accidens semblables »[17].

Quant aux travaux de l’abbé Jean de Feuchy (1523-1542), on peut compter (p. 112) : « le moulin qui se voit encore (1786) dans l’enclos ; tous les batimens depuis la chambre du portier jusqu’à celle du dépensier ; le dortoir... Il embellit d’un pignon, qui subsiste encore aujourd’hui, le puits de la maison. Ce puits... ne tarit jamais dans les plus grandes sécheresses [et a] plus de 250 pieds de profondeur ; la corde qui sert à tirer l’eau a 66 toises de longueur ;... trente piés de maçonnerie en grés ; le reste est percé dans la pierre blanche... Ce puits a toujours environ dix piés d’eau, et à fleur d’eau il y a une chambrette dans laquelle se rend celui qui veut en retirer une selle quand la corde se casse ou quand on veut nettoyer le puits. Celui qui y descend dans le besoin a une rasière de bled pour récompense »[18].

En 1551 d’après Cardevacque, en 1554 ou 1555 d’après Dom Wartel, « Villebon, capitaine françois[19], s’étant emparé de l’abbaye, il en fit remplir les batimens de fagots et brûla toute la maison, excepté l’église et le dortoir. Le prieuré d’Aubigny subit le même sort et deux religieux y périrent misérablement dans les flammes avec grand nombre d’habitans ; tristes représailles de la destruction de Terrouane »[20].

« L’abbé de Le Ruelle fit de grandes réparations à son église qui menaçoit ruine ; il y plaça un bel orgue et une horloge dans le clocher. Il fit de plus bâtir un beau refuge à Arras dans sa seigneurie de Chaulnes »[21]. (p. 120).


En 1597, « l’abbé Duquesnoy (1592-1624) fit bâtir à la hâte une sorte de lazaret au fond du parc de sa maison, qui subsiste encore sous le nom de chapelle de Saint-Roch. C’est un petit bâtiment composé de deux places à cheminées et d’une chappelle dans le milieu, dans laquelle on alloit chanter la messe de Saint Roch le 16 d’août, jour de la fête de ce saint. - L’embarras de porter à la chapelle de Saint-Roch tout ce qu’il falloit, pierre d’autel, linge, ornemens, etc., fut une raison suffisante pour ne plus aller chanter la messe dans la chapelle Saint-Roch qui contenoit à peine toute la communauté » (p. 131) (5).[22]

« Il fit bâtir le chœur de Rebreuves, une grande maison vis-à-vis l’église de St-Aubert à Arras, etc. » (p. 132).

François Doresmieux, abbé de 1625 à 1639 (p. 139), « orna son église avec des autels de bois doré, qui représentoient par quantité de figures toutes les circonstances de la Passion du Sauveur et d’autres mystères. C’étoit autrefois des magnificences que ces décorations qui coûtoient beaucoup, mais que le laps du temps faisoit tomber en canelle. Il fit du plus solide en donnant aux chantres des bâtons d’argent qui durent encore, quoi qu’ils ne soient pas d’une structure bien élégante ; l’ornement de toile d’argent, deux chappes, une chasuble et deux tuniques aux armes de cet abbé, sert encore aujourd’hui, quoi qu’il soit fort fripé ». Il composa une chronique du monastère, que Cardevacque paraît avoir consultée, car il la cite parfois, rarement d’ailleurs.

Sous le cardinal d’Estrées, abbé commandataire de 1685 à 1714 (p. 158), « M. le



(2)

,

(3) (4) (5) grand-prieur de Ligne fit la belle plate-forme que nous appellons la première terrasse, et l’entoura de la muraille solide qui la soutient encore aujourd’hui. Sous son administration, un sculteur de Lille exécuta les formes qui existent dans notre chœur. Quoiqu’elles ne soient plus du goût du jour, elles ont leur mérite pour la beauté et le fini des figures de saints qui remplissent les cartouches de chaque forme. Celui qui les fit se nommoit Franchomme. L’ornement et les deux chappes brodées, qu’on fait servir pour les jours de Vierge, ont été fournis par le même prieur, qui fit aussi paver le chœur en marbre. Ce même pavé sert encore aujourd’hui dans le chœur de notre nouvelle église. On connoît les chapelles bâties en grés sur le chemin de Saint-Eloy à Bertonvalle et sur la chaussée Brunehaut, près du bois, qu’on nomme Chapelle de Monsieur de Ligne. Ce digne prieur, après avoir très bien gouverné la maison, mourut le 27 janvier 1704 ».

« En 1725, Monsieur Clause, peintre établi à Valenciennes, acheva en 21 mois le beau tableau représentant le Lavement des pieds, qui est placé au-dessus de la cheminée du réfectoire. On lui donna 4 mille 200 livres le 22 de décembre pour ce tableau, où Monsieur de Le Cœuillerie et toute sa communauté sont rendus supérieurement. Les connoisseurs ne se lassent pas de louer ce tableau ; ils y voient des têtes dignes de Rubens et ils y admirent la touche ferme et hardie des plus grands maîtres. Il est fâcheux que Clause soit mort peu de temps après avoir peint ce tableau ; il est certain qu’il eût acquis beaucoup de célébrité dans son art s’il avoit vécu plus longtemps » (p. 161°;

« Le même abbé fit faire l’horloge et le carillon qui se trouve dans la première tour de notre église, par le nommé Lambert, fondeur à Lille, ce qui coûta bien 40 mille francs  ».

Dominique Toursel, abbé de 1727 à 1733 (p. 164), fit faire à Douay par Monsieur Gérard, orfèvre de cette ville, les deux bustes magnifiques qui décorent notre autel ; il déposa dans l’un la vertèbre de Saint Vaast et dans l’autre l’os de Saint Eloy, qu’on lui avoit envoyés à cette occasion. Il fit entourer de grilles le sanctuaire de son église ; ces grilles étoient belles pour leur temps ; leurs débris servent encore aujourd’hui à fermer l’entrée des tours et les deux nefs de notre chœur. Il fit aussi paver le sanctuaire de son église de beaux carreaux de marbre, qui sont employés aujourd’hui à celui de notre nouvelle église. La belle croix d’argent qui est au-dessus de notre tabernacle a été faite par les ordres de M. l’abbé Toursel ».

Il bâtit le quartier abbatial, qui, dit D. Wartel, « sert aujourd’hui de quartier pour les étrangers » et qui « servit de modèle et de règles pour les édifices bâtis depuis ».

Vindicien Roussel, 1733-1753 (p. 169) est le grand reconstructeur du monastère. « Il n’y avoit dans la maison que le quartier abbatial qui présentoit un logement propre et commode ; le reste de la maison n’offroit que de vieilles masures bâties haut et bas, sans aucun ordre ni proportion ; les grés qui dominoient dans la structure de tous ces bâtimens les rendoient humides et malsains. Les religieux proposèrent à Monsieur Roussel de rebâtir toute la maison. - « Je veux bien », dit-il, « mais voulez-vous manger des briques ?  » - « Nous ferons en sorte que tout aille bien », répondirent les religieux, et Monsieur l’abbé acquiesça à leurs prières... ».

« Sire Killien Gruyelle, Me des novices (p. 170), avoit pris du goût pour les bâtimens en voyant les ouvriers travailler au quartier abbatial. Il avoit aussi distingué un maître maçon, nommé André Merville, natif de Marœuil. Il l’appela, lui fit faire les plans. Ce maçon prouva la vérité du proverbe : Fabricando, fabri fimus ».

Il devint un architecte suivi. Non seulement il a bâti la maison et l’église de St-Eloy, mais aussi les abbayes de Bergues-Saint-Vinoc, de Cercamp[23], de Wœstines, les prieurés d’Aubigny, du Perroy, de Rebreuves en partie, et quantité d’autres édifices et châteaux ».

Le dortoir, commencé en 1734, était déjà habité en 1739. Puis furent faits les quartiers du grand-prieuré et des officiers, etc. (p. 171).

L’abbé Roussel fit faire le tabernacle « et quatre chandeliers d’argent qui servent aujourd’hui. Le tabernacle eut le malheur d’être fait par un orfèvre de Lille, qui n’avoit point de fortune et qui étoit hors d’état de travailler en grand. On lui donna beaucoup d’or et d’argent pour n’avoir que du bronze doré. Parmi les pièces d’argenterie qu’on donna à cet orfèvre, on regretta surtout une statue de la Vierge, qui étoit de demie grandeur naturelle, et très bien coulée. On fit faire à Bruxelles une chasuble et deux tuniques d’or et d’argent, qui coûtèrent mille écus ».

L’abbé Roussel tomba malade en 1750 (p. 180). « On lui annonça que la vielle église menaçoit ruine et quil falloit en bâtir une autre. Il bénit les fondations et mit la première pierre de la nouvelle église au printemps de 1751 ». On construisit, en attendant, une « nouvelle église postiche » sous la direction de M. Gruyelle : on y plaça les stalles de l’église basse (crypte) ; on y fit aussi un petit clocher provisoire, et l’horloge fut montée dans une tour qui subsistait encore près de la porte de l’abbaye.

Martin Le Febvre, abbé en 1753, mort le 22 janvier 1776 (p. 191), « continua à faire bâtir la magnifique église que M. Roussel avoit laissée à hauteur des premières fenêtres ».

1758 (p. 201). — « Arrivée de Monsieur Chevalier, peintre de Paris, de l’Académie de Saint-Luc, qui excelloit dans le portrait. Ce peintre avoit fait un accord avec Monsieur l’abbé pour peindre toute la communauté, à 100 francs par tête, moïennant que Monsieur l’abbé payeroit la toile et les couleurs en sus ; de plus, ce peintre fut nourri, blanchi et éclairé comme nous depuis le mois de mai 1758 jusqu’au mois d’aoust de 1761, qu’il fit poser son tableau au-dessus de la porte du réfectoire. Ce tableau, qui représente la communauté présentant le plan de la nouvelle église à Monsieur l’Abbé, est d’une monotonie disgracieuse ; l’ordonnance et l’exécution assez mal entendus ; les portraits n’ont qu’une fausse ressemblance. Ce qui témoigne qu’on peut exceller en petit, et n’être que fort médiocre en grand. Enfin le pauvre Chevallier paroît très mince devant le riche Clause. Ce tableau contenant 44 têtes a donc coûté 4.400 livres, sans la toile, la couleur et l’appréciable nourriture du peintre ».

1765 (p. 211). « Ce fut le 14 de septembre 1765, samedy, jour de l’Exaltation de Sainte Croix et veille de la dédicace de l’ancienne église de Saint Eloy, que Monsieur Le Febvre eut la satisfaction de bénir la nouvelle église qu’il avoit heureusement achevée. Cette cérémonie s’exécuta après primes, au bruit des petits canons ».[24].

On posa autour du chœur (p. 212) de belles grilles, « On posa autour du chœur de belles grilles, faites par Hubert Le Clerc, habitant et ferronnier de Saint-Eloy, sauf celle de l’entrée du chœur, faite par le sire Maniette, ferronnier d’Arras. - Le maître-autel, la chapelle du cul de lampe et les deux autels qui se trouvent à côté. Deux autres petits autels qu’on voit dans les caroles viennent d’Aubigny ; ils se trouvoient derrière les formes dans la chapelle du Prieuré. - La chapelle du cul de lampe sert de chapelle abbatiale ; elle a coûté plus de 4.000 fr. Par un défaut de connoissance et de goût, Monsieur Le Febvre fit accord avec Courtray, menuisier de Seclin, pour ce bel ouvrage, à charge que le menuisier fourniroit le tableau qui le décore ; le menuisier, qui avoit prodigué son bois dans la construction de la chapelle pour gagner plus d’argent, ne manqua point d’employer le peintre le moins cher pour faire le tableau.

« Cette chapelle presque unique dans son espèce, qui est portée jusqu’à la voûte qu’elle couvre, mérite d’être démontée parce qu’elle rétrécit l’église plus qu’elle ne l’orne ».

Chauffoir, sacristie, noviciat, chapitre, nouveau quartier abbatial : « M. Le Febvre eut la gloire d’achever tous les batimens de l’abbaye » (p. 213).

1778 (p. 291). « Pendant l’été, M. l’Abbé (Alexandre Doresmieulx) fit faire des alcoves, des bûchers et des cheminées dans toutes les chambres du dortoir, exceptez dans deux chambres qui n’étoient point susceptibles de cet arrengement et qui restent pour y loger les religieux diacres. Je fis les vers suivans à ce sujet :

« Noscite vos omnes in nostro præsule patrem,
Qui dum sævit hyems donat gaudere camino.
Sic canescenti patefit mihi longior ætas :
Igne enim morbi fugiunt algensque senectus ».

« 1779. - Pendant cette année, Monsieur l’Abbé fit faire le grand positif qui est dans notre église, par le sire Blanchart, facteur d’orgues établi à Arras. En même temps, Monsieur l’Abbé fit arrenger les quatre chapes blanches par le sire La Vallée, brodeur d’Arras ; de même que les sièges des chantres, ceux des chapelains, celui du grand bailli et plusieurs tabourets pour le fiscal et les domestiques qui servent aux offices d’abbé  ».

Hélas ! douze ans plus tard l’abbaye était supprimée ; sa grande église neuve devait bientôt être rasée et le pauvre Dom Wartel, comme ses frères, quittait bien malgré lui la belle chambre à cheminée, alcove et bûcher qui avait inspiré à son amour du bien-être de reconnaissants vers latins !

Seules, les deux tours jumelles continuaient à dominer la plaine d’Artois, jusqu’aux jours néfastes où le canon des barbares devait en faire des ruines croulantes. Sic transit gloria mundi.

Glanons encore quelques notes diverses.

Pierres d’Acq. — (p. 7). « M. le comte de Brandt de Marconne, seigneur d’Escoivres, fit fouiller au pié de ces masses énormes, en 1763, croyant y trouver quelqu’inscription, des monnoyes, ou quelqu’autre monument propre à éclaircir ce point d’histoire, mais il fut frustré de ses espérances ».

Vignoble du Mont-St-Eloy. — (p.121). — « Nous avons vu l’abbé Hay (1542-1544) faire entourrer de murs le vignoble de St-Eloy, et cette dépense étoit plus qu’inutile, car l’abbé De le Ruelle (1544-1573) fit arracher le plan de ce vignoble, pour le bien de sa maison, parce que son entretien coutoit plus que le rapport du vin chétif qu’il donnoit.

« Ce vignoble qui avoit été planté du temps de l’abbé Désiré en 1208, est celui, selon toute apparence, qui a subsisté le plus longtemps en Artois. Le penchant du Mont-St-Eloy, où ce vignoble étoit placé, est exposé au midi, le terrein en est sablonneux et peut-être le plus convenable pour la culture des vignes qui se trouve dans la province ; cependant le vin n’y réussit pas.

« Un seigneur du village d’Olhain a tenté de faire cultiver un vignoble sur les monts de ce village, mais ce fut sans succès. Le seigneur de Pernes, qui en avoit fait planter un sur les montagnes de cette petite ville, perdit sa dépense et ses peines ; enfin le marquis de Trasignie fit planter des vignes sur les hauteurs du village de Bomy ; il les fit cultiver par des ouvriers bourgignons (sic) et champenois ; il nommoit son vignoble la Côte de César, mais il n’osoit présenter à personne le vin qu’il produisoit, de sorte qu’il ne tarda guère à se dégoûter de ses vignes. On peut inférer de ceci que ce ne sont pas les terres, ni l’exposition, ni les ouvriers qui font le vin, mais le climat. On ne sauroit néanmoins trop applaudir les seigneurs qui ont tenté de faire du bien à leur patrie, quoique le succès n’ait point répondu à leur attente ».

Répertoire. — (p. 72). -— 1275 à 1291. « Gilles de Haisnu, prévôt sous l’abbé Etienne, fit un répertoire alphabétique de tous les biens et les revenus de l’abbaye, qui étoit fort estimé  ».

Canons. — L’abbaye possédait de petits canons, de parade sans doute, qui exécutaient aux grands jours des salves joyeuses. Nous les avons vus tirer le 14 septembre 1765, pour la bénédiction de la nouvelle église. Voici deux autres exemples de leur emploi .

Le 12 octobre 1757, la naissance du comte d’Artois est célébrée à l’abbaye au bruit de six petites pièces de canon (p. 199).

Le 30 juin 1776, nouvelles salves en l’honneur de Mgr de Conzié, évêque d’Arras, qui vient bénir et installer l’abbé Alexandre Doresmieux : « Les canons se firent entendre à plusieurs reprises pendant la cérémonie et pendant la table, lorsqu’on porta les santés de Mgr [et] de MM. les abbés »[25].

  1. Cf. Epigraphie, t. VII, p. 3.
  2. Ablain-St-Nazaire.
  3. A Saint-Venant.
  4. A. de Cardevacque, L’Abbaye du Mont Saint-Eloy, Arras, 1859, ne souffle mot de tout cela.
  5. L’église actuelle de Rebreuve est toute récente. Quelques détails donnés sur l’ancienne par D. Wartel trouveront place au tome VIII de l’Epigraphie.
  6. Ce bel édifice, qui sert aujourd’hui d’hospice et qu’on nomme l’Abbaye, est encore intact, sauf la chapelle démolie à la Révolution. Il domine tout le pays.
  7. Cf. notamment : abbé Perret, Histoire de saint kilien d’Aubigny ; Calais, 1920, in-12, pp. 105 et sq.
  8. A l’abbaye du Mont-St-Eloy.
  9. La châsse fut rapportée à l’église paroissiale en 1791, après la suppression du Prieuré. Dépouillée de ses ornements par les révolutionnaires, cachée sous la Terreur, renouvelée après le Concordat, elle y est encore conservée avec ses précieuses reliques.
  10. Ou plutôt Didier, abbé de 1208 à 1219.
  11. C’est une manière de parler ; l’auteur va nous dire lui-même que cette église était incomplète , ne comprenant qu’un vaste chœur, sans nef ni transsept.
  12. C’est la disposition qui existait à l’ancienne cathédrale d’Arras, et tout récemment encore à Saint-Wulfran d’Abbeville. Cul de lampe signifie ici abside.
  13. C’est-à-dire deux rangs de fenêtres superposées.
  14. Cardevacque (L’Abbaye du Mont-St-Eloy, p. 36), donne à peu près les mêmes détails en citant Doresmieux, Chronique manuscrite du Mont-St-Eloy. Dom Wartel aurait donc démarqué ici Doresmieux. — C’est par erreur que j’ai écrit (Epigraphie, t. VIII,p. 331) que Cardevacque n’avait rien su de tout cela.
  15. A. de Cardevacque. L’Abbaye du Mont-St-Eloi, p. 46, citant Rayssius, Hierogazophylacium Belgicum, qui donne le texte de la charte du saint Roi, du lundi avantSt Mathieu. 1261.
  16. Cf. Cardevacque, p. 65.
  17. Ces détails complètent ceux que donne Cardevacque, p. 77 et sq
  18. La rasière d’Artois est de 150 litres, je crois.
  19. Jean d’Estonteville, seigneur de Villebon. C’est à tort que Cardevacque le nomme Jean de Conteville (p. 87). Le personnage est bien connu. Cf. Ph. des Forts, Le château de Villebon ; Paris, 1914, in-4o ; et G. de La Morandière, Histoire de la maison d’Estouteville ; Paris, 1903, in-4o.
  20. Cette phrase prouve que les exploits de Villebon datent de 1553 au plus tôt.
  21. Ce beau Refuge, hélas ! tombe en ruine depuis les bombardements allemands.
  22. Cf, Cardevacque, p. 96.
  23. Noter ce renseignement sur l’abbaye de Cercamp, dont le quartier abbatial existe encore.
  24. Il sera parlé plus loin de ces petits canons.
  25. Cité par E. Théodore, Les anciennes pièces d’artillerie à échelle réduite. (Sociétédes Sciences de Lille) ; Lille, 1934, p. 8