Choses vues/Notes de la 2e série/Notes de l’Éditeur

Ollendorf (Œuvres complètes. Tome 26p. 260-280).


NOTES DE L’ÉDITEUR.


I

HISTORIQUE DE CHOSES VUES.


Le premier volume de Choses vues abonde en détails sur tout le règne de Louis-Philippe ; le second volume ne nous donne qu’un Louis Bonaparte incomplet, un Louis Bonaparte à son aurore, le Louis Bonaparte qui, en dépit de ses équipées passées, obscurcissant, par son effacement volontaire et le prestige de son nom, le Jugement d’hommes qu’on aurait crus plus perspicaces, avait réussi à conquérir la présidence de la République, à préparer victorieusement son coup d’État et à réaliser les folles et coupables espérances amorcées par les aventures de Strasbourg et de Boulogne.

Les débuts du président Louis Bonaparte, ses tentatives pour grouper autour de lui les hommes des divers partis, pour dissiper toutes les défiances en protestant de son attachement aux institutions républicaines sont retracés par Victor Hugo avec une rigoureuse précision. Les faits les plus menus sont fidèlement recueillis, et ils ne sont pas indifférents, car, en les lisant attentivement, ils nous éclairent, en partie, sur les illusions singulières auxquelles s’abandonnaient tant d’hommes politiques sur le compte du chef de l’État. Victor Hugo note très scrupuleusement ce qu’il a vu et ce qu’il a entendu ; sa mémoire ne saurait le trahir puisqu’il écrit aussitôt toutes les conversations qu’il a eues soit avec le président, soit avec des membres de la famille impériale, soit avec des ministres. Il veut être un simple témoin, mais il est déjà un témoin un peu soupçonneux par le soin même avec lequel il relate des confidences parfois troublantes sur les tendances du nouveau régime ; ce n’est pas de l’histoire arrangée, maquillée, c’est de l’histoire vue dans les coulisses et racontée par des hommes qui approchent le président et viennent confier à Victor Hugo soit les faits dont ils ont été les témoins, soit les impressions que ces faits leur inspirent. En réalité, c’est un véritable journal tenu avec soin.

Lorsque le coup d’État éclate, ce journal n’est pas interrompu, Victor Hugo persiste à consigner, au jour le jour, toutes les phases de la résistance, soit dans les réunions des représentants restés libres dont il est un des orateurs les plus ardents et les plus écoutés, soit sur les barricades. Ce sont bien toujours des choses vues et vécues ; elles ne seront utilisées que dans son Histoire d’un crime, mais cette fois rédigées, coordonnées, développées, commentées.

Puis vient l’exil. Tous les liens sont forcément brisés. Que pourrait conter Victor Hugo puisqu’il sait seulement par les journaux ce qui se passe dans son pays ? Il ne sort plus, il ne voit personne, il se consacre tout entier à son travail ; et même les rares Choses vues écrites pendant l’exil ont une affinité avec son œuvre, comme l’affaire Hubert, sorte de morceau détaché de l’Histoire d’un crime, ou Tapner, sorte d’épilogue du Dernier jour d’un condamné. Nous ne trouvons que quelques pages sur la proscription. Tout ce qui remplissait jadis sa vie est détruit. Son théâtre est interdit en France. Si l’exilé se mêle encore à la politique, c’est pour défendre la vie d’un condamné, l’indépendance d’un peuple opprimé, ou le droit et la justice. Ses relations avec l’Académie sont rompues, pas complètement cependant, car des candidats, par un sentiment de déférence qui les honore, ne pouvant rendre la visite traditionnelle à l’exilé, lui adressent des lettres de regret et de sympathie. Voici la lettre du duc Albert de Broglie :


Monsieur,

Candidat à l’Académie française pour la place laissée vacante par la mort du Père Lacordaire, j’ai le regret de ne pouvoir me conformer à l’usage, en venant personnellement vous demander de m’être favorable. Vous me permettrez cependant de saisir cette occasion pour vous exprimer toute la sympathie que m’ont inspirée les injustices qui vous ont frappé, et dont vous prolongez, en ce moment encore, la rigueur par un dévouement volontaire.

Veuillez agréer, Monsieur, les assurances de ma haute considération.

Albert de Broglie.

Paris, 16 janvier 1862.


Puis une lettre de Littré qui, attaqué violemment par l’évêque Dupanloup, ne fut pas élu, et n’entra à l’Académie française que huit ans plus tard, en 1871, malgré la protestation de l’évêque d’Orléans qui donna bruyamment sa démission.


Paris, le 17 février 1863.
Monsieur et illustre confrère.

Je remplace par une lettre la visite de candidature que je ne puis faire à l’exilé volontaire de Guernesey ; je me serais fait un grand honneur de lui porter les deux volumes sur l’histoire de la langue française que je lui ai envoyés il y a quelque temps, et un premier fascicule d’un dictionnaire de la langue française que je prépare depuis vingt ans et que je lui envoie présentement. Ce sont des œuvres d’érudition sans doute ; mais c’est de l’érudition en fait de langue française. Ce qui, dans ma pensée, m’a autorisé à solliciter le suffrage de l’Académie. Si vous avez jamais quelque curiosité de tourner les feuillets de ce dictionnaire, vous y rencontrerez plus d’une fois votre nom. Il est entré dans mon plan de citer ; et de beaux vers de Victor Hugo tiennent leur place parmi mes autorités.

Agréez, Monsieur et illustre confrère, l’assurance de ma haute considération.

E. Littré.


Citons enfin cette lettre du Auguste Barbier :


Paris, 20 avril 1869.
Monsieur et illustre maître.

Il est probablement à votre connaissance que je me présente à l’Académie française pour occuper l’un des fauteuils laissés vacants par la mort de MM. Viennet et Empis. Ne pouvant aller à Guernesey vous faire ma visite d’usage, permettez-moi d’accomplir ce devoir par quelques mots écrits et par l’envoi à votre adresse du plus marquant de mes ouvrages, mes Iambes et poëmes.

Quoique loin de la terre natale, Monsieur, vous y êtes présent en esprit. La fécondité de votre imagination s’y épanche en œuvres grandioses et saisissantes et toujours vous nous charmez, toujours vous nous remuez. Il m’eût été très agréable de profiter de l’occasion de ma candidature pour m’entretenir un moment avec vous et pour conquérir personnellement votre intérêt. Cet avantage je ne l’aurai point. Je me console, toutefois, de ma mauvaise fortune en pensant que si le grand poëte est hors de son milieu naturel, Paris et la phalange académique, on peut dire militairement de lui : absent pour le service de la liberté. Et ce n’est pas sa moindre gloire que d’être le champion toujours actif et toujours puissant d’une si belle cause.

Veuillez, Monsieur et illustre maître, agréer l’expression profonde de mes regrets et l’assurance de mes sentiments de haute considération.

Auguste Barbier.


Nous avons expliqué pourquoi la période de l’exil était pauvre en Choses vues. Mais, dira-t-on, il y a les Carnets ; c’est bien là un journal quotidien ? Oui, sans doute, mais, jusqu’en 1870, les Carnets relatent surtout les tâches journalières, les renseignements sur la marche du travail et les correspondances avec les éditeurs, documents qui ont été ou seront reproduits dans nos historiques.

Une partie importante de ce volume est pourtant constituée par les extraits des Carnets.

Paul Meurice en avait fait paraître des fragments, se conformant au désir exprimé par Victor Hugo, dans son Carnet de 1859. Il avait donné quelques pages sur le siège de Paris en 1870-1871 et les débuts de l’Assemblée nationale à Bordeaux. Son intention avait été de poursuivre cette publication dans un troisième volume de Choses vues. Mais, lorsqu’il traça le plan de cette édition, il considéra qu’il était préférable de l’enrichir, en y introduisant des pages inédites.

Nous avons donc complété les extraits des Carnets dans la période de 1870-1871, et nous avons conduit cette publication jusqu’aux dernières années de la vie du poète, nous attachant à ce qui pouvait avoir un caractère historique, anecdotique et biologique. Un choix en effet s’imposait. Il y a de menus détails qui intéressent seulement celui qui les rapporte et ceux qu’ils concernent. Cependant nous avons reproduit quelques récits de la vie intime du poète, de ses joies et, hélas ! le plus souvent de ses douleurs, puis la nomenclature des faits : des jugements en quelques lignes sur les hommes et les événements, les conversations échangées avec des personnages politiques et de grands écrivains, les anecdotes sur le théâtre, les petites intrigues parlementaires et académiques.

Sans doute, dans ses Carnets, Victor Hugo ne donne pas aux événements les développements qu’il leur consacre dans toute la période avant l’exil lorsqu’il écrit sur des feuilles volantes ; c’est qu’à son retour en France il est sollicité par tant d’occupations diverses qu’il n’a pas toujours le temps de tenir au courant son journal, même d’écrire les quelques lignes habituelles. La politique lui prend toutes ses heures, le condamne parfois à négliger son travail, l’empêche même d’assister aux répétitions des reprises de ses drames ; et cette politique qui, à une autre époque, nous avait valu tant de choses vues exigea, après la rentrée en France, non seulement le sacrifice de nouvelles choses vues, mais celui de nombreuses œuvres conçues, et que ses devoirs de représentant, devenus plus impérieux, l’empêcheront d’accomplir. En effet, à dater de janvier 1876, lorsqu’il fut élu sénateur de la Seine, s’il ne cessa de publier chaque année une œuvre, plusieurs d’entre elles étaient de date ancienne et quelques autres de date récente, mais antérieures à 1876. Aussi les Choses vues sont forcément empruntées aux Carnets et, d’année en année, elles revêtent le caractère d’instantanés. Ce n’est souvent que le cri de douleur d’un homme qui se livre tout entier à sa sensibilité, éprouvant une sorte de soulagement à épancher dans ses Carnets les souffrances qu’il ne confiait ni à sa famille, ni à ses amis. En réalité, les Carnets des dix dernières années ne sont qu’une sorte de mémorandum. C’est probablement ce journal qui lui aurait fourni des points de repère pour écrire un volume projeté qu’il intitulait : Pages de ma vie.


II

REVUE DE LA CRITIQUE.


Ayant été amené à refondre les deux volumes primitifs de Choses vues afin de respecter l’ordre chronologique, nous avons dû grouper dans cette revue les articles publiés sur la première et sur la seconde série ; la lecture en sera plus saisissante et plus claire, les deux critiques se complétant l’une par l’autre et donnant ainsi une impression sur l’œuvre tout entière.

Victor Hugo a eu la bonne fortune de recueillir des louanges unanimes ; ce n’est pas un mince honneur, car il se présentait sous un aspect inconnu, il devenait journaliste et devait être jugé par des journalistes qui jouissaient de l’autorité nécessaire pour se prononcer sur la valeur et les mérites de leur nouveau confrère. On dit volontiers que les journalistes ne sont pas toujours équitables envers ceux qui n’appartiennent pas à la profession. Ils se sont bien vengés de cette petite calomnie, non seulement en prodiguant leurs éloges à Choses vues ; mais en regrettant que Victor Hugo n’ait pas donné au journalisme une part plus grande dans son œuvre et dans sa vie. C’est qu’en effet il a — et nous parlons ici du journaliste qui voit et qui raconte les événements — des dons précieux. Il prête aux hommes et aux choses un singulier relief et une vive intensité ; ce n’est pas une simple photographie par l’exactitude et la minutie des détails, c’est une photographie vivante, car il donne à tous les personnages qu’il met en scène, non seulement la vie physique, mais il découvre leur âme et leurs pensées. Il les prend sur le vif, dans un style sobre, net, concis. Ce n’est pas notre appréciation personnelle que nous apportons ici, c’est le résumé des articles qu’on va lire. Tous les écrivains sont d’accord pour admirer ce peintre prodigieux qui sut non seulement donner des couleurs exactes à ses tableaux, mais encore les animer et qui, selon la juste remarque de Gaston Deschamps, emmagasina « une incroyable quantité de couleurs et de formes, de spectacles charmants ou de visions terribles, les saynètes de la vie quotidienne ou les tragi-comédies de l’histoire ».


Le Figaro.
Philippe Gille
.

Les exécuteurs du testament littéraire de Victor Hugo feront paraître demain, à la librairie Hetzel-Quantin, un livre intitulé Choses vues, et qui révélera un Victor Hugo inattendu et nouveau. L’auteur de la Légende des Siècles et des Châtiments n’a plus d’étonnements à nous donner, et Toute la lyre, son chef-d’œuvre posthume, dit-on, ne fera que consacrer une fois de plus la gloire du plus grand des poètes.

Mais je le répète, ce n’est pas de ce Victor Hugo là qu’il s’agit aujourd’hui ; ce n’est pas l’homme statue, c’est l’homme vivant, intime, sans auréole, avec un crayon et un calepin. C’est un bon bourgeois qui, dépouillant le poète, court la ville le nez au vent, prenant indistinctement une note sur des faits insignifiants, mondains de son époque, consignant aussi sur ces feuilles volantes les grandes aventures de son temps. Son langage a toujours les proportions des faits qu’il enregistre, et s’il s’élève d’un ton en nous parlant des funérailles de Napoléon, des procès Teste et Cubières, Choiseul-Praslin, du cachot de Marie-Antoinette à la Conciergerie, il redevient pittoresque, léger, spirituel devant tel ou tel épisode de la vie parisienne.

Victor Hugo, homme de génie, est connu, admiré du monde entier ; presque personne ne le sait parisien, homme d’esprit. C’est là qu’est la révélation. Une vue d’ensemble sur le livre en dira plus que je ne saurais faire.


Après avoir cité plusieurs fragments de Choses vues, le critique conclut :


Il est permis à tout le monde de prendre des notes et de les rédiger, il n’était donné qu’à Victor Hugo de voir et de faire voir tant de choses en quelques minutes, par quelques mots. C’est pour moi ce qui ressort de ce volume fourmillant de faits et que je viens de lire d’un trait comme le roman le plus émouvant, le plus attachant. Il est vrai que ce volume n’est autre chose que de l’Histoire, histoire d’autant plus intéressante que c’est celle de nos mœurs, de notre pays.


Le Gil Blas.
Louis Ulbach.

Ce livre comptera parmi les plus intéressants, les plus étranges de toute l’œuvre de Victor Hugo. Ce n’est pas l’éloquence qui étonne plus que d’habitude. Ce n’est pas l’émotion héroïque ou sentimentale qui surprend davantage. C’est, puisqu’il faut employer une fois en bonne part le mot banal, c’est le naturalisme de ces impressions vives, de ces croquis faits devant l’acte, le paysage, le monument, l’homme, et jamais Victor Hugo n’eut plus de puissance, plus de verve artistique que dans ces notes d’albums, pour ainsi dire, qu’il entassait chaque jour, chaque soir, et dont la vérité splendide serait une démonstration du génie, s’il restait une preuve à faire.

Mais l’intérêt profond et psychologique c’est, je le répète, dans cette spontanéité, dans cette sincérité d’intention et d’effet.

Il n’y a plus de mise en scène calculée pour le lecteur. Victor Hugo gardait ces fragments pour les coudre à d’autres œuvres, peut-être les gardait-il tout à fait pour lui. C’est donc l’intimité de son esprit et de son cœur que nous avons là. Si l’on sent l’artiste merveilleux, c’est qu’il est impossible de dédoubler l’homme et que le naturel le plus imprévu est, sous sa plume, aussi rayonnant que l’effet le plus calculé.


L’Événement.
Georges Duval.

Choses vues, on le sait déjà, est un recueil d’impressions intimes. Il n’était peut-être pas destiné au public. Dans plusieurs phases importantes de sa vie, Victor Hugo a pris la plume, comme un peintre aurait pris son crayon ; n’ayant pas le temps de remplir une toile, il s’est contenté d’esquisser sur un album. Quelques traits par-ci par-là, le bonhomme est campé. Dix lignes donneront une idée de la perspective. Seulement il est arrivé pour Victor Hugo ce qui est arrivé pour tous les grands peintres. Si simplifiée qu’elle fût, son esquisse devait avoir l’importance d’une œuvre.

J’ai éprouvé à la lecture de Choses vues la même impression qu’en étudiant certains croquis de Delacroix. Cela paraît tout d’abord vague, quelquefois impénétrable. Et puis — c’est là une des magies du dessin — la forme se dessine de plus en plus nette. Bientôt, dans ce fouillis de lignes enchevêtrées les unes dans les autres, comme au hasard, semblables aux ronces des lisières, vous retrouverez non seulement les contours, mais tout le génie de la composition. Enfin, comme s’il s’était souvenu que c’est frapper l’art au cœur que de séparer le dessin de la couleur, par un phénomène échappant à l’analyse ce tracé noir s’estompe, se nuance, se colore, devient éclatant. Sur la turbulence des mouvements rugit la férocité de la brosse, les costumes ruissellent de lumière, la touche flamboie, le galbe se profile avec une élégance antique, certains portraits semblent avoir été taillés dans le marbre éthéré de l’apothéose.

Victor Hugo, c’est une banalité de le répéter, — mais les dévots ne prient-ils pas tous les jours ? — n’était pas seulement un grand peintre, mais encore un grand penseur. Miroir sensible où tous les événements de ce siècle sont venus se réfléchir, il les a analysés en les reproduisant. Quoi de plus intéressant que de connaître l’opinion d’un tel homme sur un fait si menu qu’il soit. Du reste, il n’y a pas plus de menus faits dans la vie, qu’il n’y a de petites manifestations dans la nature. Tout se tient, tout s’enchaîne. Le brin d’herbe a l’importance du cèdre. C’est vous dire l’intérêt qui existe à lire l’auteur écrivant indistinctement sur Balzac ou Napoléon, racontant un épisode littéraire ou politique, faisant défiler des hommes en vue, appréciant une question littéraire, commentant le passé, jugeant le présent, empiétant quelquefois sur l’avenir et, chose curieuse, ne cessant jamais d’être lui-même.


Le Moniteur universel.
Édouard Thierry.

… Quels souvenirs m’a rappelés le nouveau volume de l’illustre écrivain, recueilli et publié ces derniers jours par ses fidèles exécuteurs testamentaires !

Nulla dies sine linea, pas un jour qui n’eût sa ligne, c’était la devise du maître des maîtres.

… Ah ! que cela fait du bien à ceux qui avaient perdu leur poète de le retrouver après un si douloureux éloignement et de se retrouver eux-mêmes avec lui, de l’aimer sans y faire effort, sans s’y contraindre, ni se reprocher en même temps de l’aimer trop et de moins l’aimer ! Le voici touchant et touché, presque sans haine et la mansuétude au cœur.

Des deux voix que Victor Hugo avait tour à tour en parlant, la voix sombre du tribun menaçant, et la voix qui parle du cœur au cœur dans l’intimité, c’est surtout l’organe lumineux et ami qu’il conserve.

Sa prose rythmique est souple et aisée. Elle récite comme le vers de Cromwell et des Feuilles d’automne. Elle cherche moins la couleur que la limpidité. Elle est sincère. Elle agrandit le sujet quand il est grand ; mais elle ne surfait rien et n’exagère pas. Le poète est fidèle à ses traditions de famille et à l’enthousiasme de sa jeunesse.


Le critique cite les Funérailles de Napoléon et ajoute :


Quelle image ! Et quelle vérité dans quelle poésie ! Le moment est venu plus tard où Victor Hugo a été à son tour cette torche ardente qui traîne l’acclamation déroulée en fumée derrière elle.


Paris illustré,
Saint-Juirs.

Une heureuse fortune fait revivre chaque année Victor Hugo par la publication de ses œuvres posthumes. Dans son grand atelier littéraire, au fond des coffres, les privilégiés à qui il a légué sa volonté suprême ont trouvé intact un immense trésor de manuscrits inédits.

Choses vues ! Ce titre n’est pas une promesse vaine. Le volume ne contient en effet que des pages écrites sur les hommes et les choses que Victor Hugo a réellement connus, sur les drames ou les comédies de la vie auxquels il a été mêlé intimement, depuis 1838 jusqu’en 1875. Le grand poète a beaucoup retenu, non seulement parce qu’il a beaucoup vu, mais parce qu’il a bien vu. Presque toujours, c’est l’œil qui fait l’artiste. Chez Victor Hugo, la vision est extraordinairement fidèle et pénétrante. Son regard embrasse les surfaces sans en omettre aucun détail typique ; mais, s’il ne se contente pas de la possession complète des apparences, il s’enfonce profondément et atteint l’au-delà. Il n’y a pas à mettre en doute la parfaite exactitude des tableaux qu’il peint dans leur vérité matérielle et morale, avec un style toujours proportionné au sujet, avec un esprit toujours en éveil, avec une âme souvent attendrie. Ces copeaux ajoutent à l’œuvre considérable et diverse de Victor Hugo une note de plus, et, après avoir admiré le poète dans la Légende des Siècles, le philosophe dans les Misérables, l’artiste dans Notre-Dame de Paris, le satirique dans les Châtiments, le conteur dans le Voyage aux bords du Rhin, le dramaturge dans Hernani, nous voyons le puissant créateur de tant d’œuvres diverses nous apparaître sous un aspect absolument nouveau dans Choses vues. C’est un Saint-Simon qui a écrit ce livre, un Saint-Simon qui possède au suprême degré ce qui manquait au duc quand il écrivait ses mémoires : le cœur. Victor Hugo est un Saint-Simon ému.

Le livre est beau de la plus haute beauté parce qu’il est humain. Un souffle généreux le traverse. Il offre le double attrait des mémoires et du journal intime. Mais quel journal que celui-là, à la fois simple et génial, et quel maître journaliste que Victor Hugo !

… Je voudrais reproduire entièrement la conclusion de ce beau livre, c’est une page admirable où Victor Hugo énumère tous les personnages qui lui ont fait l’honneur d’entrer dans sa maison. Ce sont des rois et des empereurs mêlés à de simples artisans, des maréchaux et des sergents, des princes et un cordonnier, toute la bigarrure humaine. Et le poète conclut, après avoir vu tous ces hommes, qu’il n’y a qu’ « un homme ». Il n’y a aussi qu’une chose devant laquelle on doive s’agenouiller : la bonté. Le génie et la bonté, c’est Victor Hugo tout entier.


Le Gaulois.
Popinot.

… Victor Hugo faisant du reportage pour son compte personnel, interviewant les hommes de son temps et, souvent, se confessant lui-même à la fin de la journée : voilà ce qu’on trouve dans ce volume inattendu, unique dans l’œuvre qu’il continue et par lequel ce qu’on a appelé naturalisme fait invasion dans le castel du romantisme.

Avoir vu, c’est le privilège de ceux qui ont vécu ; et ceux qui ont vécu, vu et retenu sont de plus en plus goûtés, à mesure qu’ils se font plus rares dans ce xixe siècle parvenu au dernier quart de sa course.

… Il y a là une disposition d’esprit curieuse à signaler, plus commune aujourd’hui peut-être qu’à d’autres époques où l’on aimait mieux regarder devant que derrière soi. Comme on n’a pas de l’avenir des perspectives bien tentantes, comme l’espérance ne paraît pas destinée à avoir le dessus dans son duel toujours pendant avec l’anxiété de l’inconnu, on se tourne volontiers vers le passé et l’on demande jusque dans ses plus petits détails et ses moindres miettes le récit à ceux qui l’ont pu voir. Il arrive même que plus les miettes sont petites, intimes, familières, ramassées sur quelque coin de la table, dont l’histoire proprement dite n’a daigné apercevoir que les gros morceaux, plus elles sont recherchées des gourmets.

Le volume de Choses vues arrive donc absolument à l’heure où il pouvait être le plus fêté.

… Ceci est, proprement, le journal de Victor Hugo.

Les pages s’y suivent diverses et inégales, allant du premier-Paris aux faits divers, en passant par les échos. La chronique judiciaire de la Chambre des pairs, où l’on sait que le poète avait été appelé par ordonnance royale datée de 1845, y tient une large place. Les craquements et les scandales des procès Teste, Cubières, Praslin, annonçaient la tempête où périt le bâtiment.


Le Charivari.
Pierre Véron.

Avec Victor Hugo, il faut s’attendre toujours à de nouvelles surprises.

On croyait, certes, que le maître des maîtres avait, dans tous les genres, donné la mesure de son génie immense, de son infinie fécondité et de ses aptitudes quasi immortelles.

Et voilà qu’après sa mort un volume paraît, qui étonne et qui charme, en dehors de tout ce qui avait chez lui charmé et étonné.

Ce volume, c’est celui qui vient de paraître sous ce titre d’une simplicité voulue, qui précise bien ce que le grand écrivain a voulu faire.

Ce ne sont pas des Mémoires au sens banal du mot.

Victor Hugo n’avait pas à faire concurrence à ceux qui, n’étant rien ou presque rien par eux-mêmes, ont besoin de vivre aux dépens des autres et les débitent en tranches d’anecdotes.

Ce ne sont non plus les commentaires d’un siècle semblables à ceux que Chateaubriand délaissé remplit de sa personnalité chagrine et envahissante.

Rien que des notes, et quelles notes !

Au jour le jour, Victor Hugo les a écrites sous l’impression des événements ou des rencontres qui l’avaient frappé.

Il y a là des récits merveilleux, écrits par un reporter de génie. Il y a des tableaux tracés par le pinceau d’un admirable peintre.

Il y a du cœur, il y a de l’esprit.

MM. Vacquerie et Paul Meurice, qui poursuivent avec un dévouement filial la publication des œuvres posthumes d’Hugo, ont choisi avec un goût sûr tous ces fragments d’un intérêt égal et d’un ton varié.


Le Radical.
Georges Lefèvre.

Il y a longtemps déjà que tout le monde a constaté la prodigieuse variété du génie de Victor Hugo, si diverse et si complexe : Choses vues en est un nouvel exemple. Après la formidable envolée lyrique de la Fin de Satan, voici que nous rencontrons un volume charmant, lyrique et familier.

C’est Victor Hugo qui nous raconte des histoires, et quelles histoires ! C’est dans sa vie elle-même que nous pénétrons, dans sa vie de tous les jours, simple et profonde. Nous nous asseyons près de lui à sa table de travail, nous l’accompagnons chez les personnages en vue du moment ; il nous les dépeint, il les fait parler, il nous les explique. En deux traits de plume, il nous en fait de curieux et inaltérables portraits.

Pauvres grands hommes du moment, dont nous savons à peine les noms, et que la postérité n’aurait sans doute jamais connus si Victor Hugo ne les avait tirés de l’oubli et éclairés comme d’un reflet de son impérissable gloire.

… Il y a, dans Choses vues, un certain nombre d’épisodes qui m’ont plus violemment attiré et ému en ce qu’ils se rapportent à ma spécialité professionnelle. J’entends parler de ceux où Victor Hugo s’est fait chroniqueur judiciaire.

Tous les grands procès criminels et politiques de l’époque sont là : l’affaire Fieschi, l’attentat de Lecomte, l’attentat de Joseph Henri, le procès Teste et Cubières, celui du duc de Praslin et enfin un procès d’une autre nature devant un tribunal exceptionnel, le jugement et l’exécution morale de l’espion Hubert par les proscrits de Jersey.

Ce qu’il y a d’art, de vérité, de puissance dramatique et d’intensité d’émotion dans ces comptes rendus est simplement incroyable. Ce n’est plus une narration, c’est une résurrection même des audiences.

Tous les accusés, les fous comme Joseph Henri, les criminels odieux comme le président Teste ou l’espion Hubert, réapparaissent aussi vivants qu’au jour des débats, chacun avec sa physionomie propre, avec sa manie particulière ou son tic spécial ; et, autour d’eux, la foule des assistants qui les contemplent, les témoins qui les chargent ou les excusent, les juges qui tiennent leur sort entre leurs mains, les impressions fugaces et changeantes de l’audience, les hésitations du verdict, tout cela est mis en lumière avec une incomparable grandeur.

Et comme tout le milieu ambiant est bien nettement contemporain des personnages de premier plan ! Comme à travers les caractères communs et invariables engendrés par les mêmes fonctions on aperçoit le tempérament propre de chacun !

C’est un modèle inimitable, hélas ! que Victor Hugo nous a mis sous les yeux ; mais s’il nous est interdit d’en approcher jamais, au moins pouvons-nous nous en inspirer. Nous ferons ainsi plus grand, plus sincère et plus humain.


L’Écho de Paris.
E. Lepelletier.

Ce livre est une surprise. Il ne figurait pas, que je sache, dans l’alléchante nomenclature des œuvres premières que tant de fois nous lûmes dans Profils et grimaces, il y a bientôt vingt ans, impatients de l’avenir, nous demandant, non sans une intime angoisse, s’il nous serait donné de vivre assez pour connaître un jour tous ces beaux poèmes mystérieusement gardés avec les « seis llaves » du poète espagnol : la Fin de Satan, Toute la Lyre et ce Dieu énigmatique. Nous ne nous attendions pas à trouver un jour dans Victor Hugo un journaliste. Il nous avait bien appelés ses « confrères » à l’un des derniers banquets auquel, sous sa présidence, nous bûmes à sa vieillesse si glorieuse, à sa gloire toujours jeune, mais nous n’avions pas prévu qu’il viendrait à nous autrement que dans une allocution bienveillante, en manière de compliment !

C’est cependant du journalisme — supérieur, il est vrai, intense de pensée et magistral de forme, — mais du journalisme quand même que cette suite de tableaux comme la mort du duc d’Orléans, le procès de Fieschi, les funérailles de Napoléon. C’est presque du reportage et de l’interview dans un dîner chez M. de Salvandy, une visite à la Conciergerie ; mais quel reporter ! Il prend ses notes avec le burin de Tacite et va voir ses modèles dans un fiacre auquel Pégase est attelé.

Les Choses vues ont été visibles pour le poète de 1838 à 1875, faisant ainsi suite à ce curieux recueil de Littérature et philosophie mêlées, seul volume de son œuvre auquel puisse être rapporté le présent livre. Ces tableaux, ces scènes, ces croquis, ces indiscrétions, ces impressions, ce sont les petites épopées d’un quart de siècle, la légende du xixe siècle.

Les choses que Victor Hugo a voulu voir et qu’il nous évoque sont toutes caractéristiques et variées. Le contraste y est permanent. C’est une galerie où chaque toile accrochée a sa valeur et fait saillir en relief la toile voisine. Les morts célèbres, les grands bouleversements politiques, les attentats, les procès mémorables y accompagnent les portraits, les anecdotes, les croquis de la rue, les impressions de la vie mondaine. Victor Hugo, annaliste, même lorsqu’il apparaît familier, presque bonhomme, quand il nous dit simplement ce qu’il a surpris en passant, ce qu’il a entendu dans la foule, ce qu’il a obtenu en questionnant l’égout après avoir interrogé le palais, demeure Victor Hugo épique. Il va, vient, s’arrête, flâne, muse, tournaille, les mains dans les poches, à travers Paris et son siècle, comme dans son appartement ; tout à coup il se dirige vers une fenêtre et l’ouvre : vous croyez qu’elle donne sur quelque jardin ? — elle donne sur l’infini.


L’Indépendance belge.
Gustave Frédérix.

… Ces mémentos, annotations, croquis ayant été mis sur papier par la main de Victor Hugo, sont du reportage où les faits prennent relief et se colorent par la vision et le style de Victor Hugo. C’est du naturalisme, a-t-on déjà dit, et voilà certes des documents comme on en réclame aujourd’hui, des documents pris aux meilleurs moments, où ont été consignées des paroles d’acteurs et de témoins des événements. Seulement celui qui tenait la plume n’est pas un greffier impersonnel ; sa plume comme son encre se reconnaissent entre toutes.

Tant mieux. Si impersonnel, du reste, que soit un greffier, il pèse toujours un peu sur son procès-verbal, dans l’emploi de ce mot-ci au lieu de celui-là, et il y a plusieurs façons d’être exact et précis. Les choses vues par un certain œil sont autres que les mêmes choses vues par un autre œil. C’est tout bénéfice, par conséquent, que toutes les choses vues par Victor Hugo aient l’éclat, l’arête vive que tous les objets prennent sous son regard.

… Les scènes souriantes, les portraits en deux ou trois touches, les anecdotes, les dialogues charmants abondent dans ce livre de notes au crayon où le génie fait des siennes à tout coup. Quelle jolie boutade que celle de Béranger, agacé de sa popularité.

On se laisserait aller à citer bien d’autres pages, des plaisantes, des dramatiques, des scènes de passion, des dialogues, des portraits. Il y a tout un roman de coquetterie cruelle et de câlinerie tendre chez la femme, de souffrance enivrée chez l’amant et qui est intitulé : D’après nature. C’est d’une poésie délicieuse avec la plus hardie réalité. Voilà du naturalisme, avec tous les dehors et toutes les profondeurs de la nature. Les Choses vues par Victor Hugo étonneront, charmeront toutes les sortes de lecteurs, les frivoles et les graves, les femmes et les poètes.


Le Siècle.
Adolphe Michel.

Choses vues. Un nouveau livre de Victor Hugo, un des plus étourdissants de son œuvre immense et, à coup sûr, un des plus inattendus, Victor Hugo chroniqueur, Victor Hugo faisant du « reportage » sur les événements du jour !

Il est vrai que ce reportage est le plus souvent une page magistrale d’histoire. De l’histoire représentée par un puissant coloriste auquel aucun détail n’échappe, et interprétée par un penseur plein de pitié pour les douleurs qu’il rencontre, pour les catastrophes dont il est le témoin.

… On trouve dans ce volume une variété de ton bien faite pour déconcerter ceux qui reprochent parfois à Victor Hugo une certaine monotonie. Il n’y a pas d’esprit qui s’assouplisse aussi aisément que cet incomparable esprit aux sujets qui le sollicitent. À côté du saisissant récit de la mort de Balzac, des funérailles de Napoléon, de la mort du duc d’Orléans, voici des anecdotes on ne peut plus joliment contées sur des gens de théâtre. Voyez, par exemple, le petit souper de Mlle … Zubiri en compagnie d’un peintre « bêta » et de l’auteur ; voyez encore : Un dîner chez M. de Salvandy, et les pages sur Béranger. Voulez-vous un récit de l’exil, un drame émouvant en quelques pages ? lisez l’Espion Hubert ; mais il faudrait tout citer, car tout dans Choses vues est à lire et à relire.

Ce volume a ceci d’original qu’il est, dans l’œuvre du maître, une manifestation inattendue ; il a cette autre originalité de joindre le piquant de la chronique et l’intérêt du roman à la valeur d’un document historique.


Paris.
6 juin 1887.
Georges Montorgueil.

Il y a de la gloire à doter vingt noms dans ce que Victor Hugo a laissé. MM. Vacquerie et Meurice, gardiens de ce trésor posthume, l’exploitent en lettrés consciencieux et en amis fidèles. Ils retrouvent, dans ces miettes d’un magnifique festin, des festins encore. Ce sont des œuvres achevées que, par un dédain de prodigue, le poète gardait dans ses tiroirs, attendant peut-être cette disette du génie que, seul entre les écrivains illustres de tous les pays et de tous les temps, il ne connut point. À côté des ouvrages parachevés sont les esquisses ; nulle part, mieux que là, n’est visible l’envers du génie, qui a quelque chose de mystérieux et de divin.

Ce sont de fugitifs croquis que l’on met aujourd’hui sous nos yeux : mais d’une intensité de vie, d’une vérité de dessin, d’une franchise d’allures, qu’ils valent les pages aînées, celles que nous avons lues, relues et que nous relirons.

Ces notes sur les hommes et sur les choses ne sont pas de vagues silhouettes, des remarques personnelles et sans intérêt, comme, sous couleur de nous initier aux secrets sentiments des écrivains amis, des amis trop complaisants ont coutume de le faire. Le livre qui a pour titre Choses vues est substantiel, profond, lumineux ; c’est un document pour servir à l’histoire humaine et politique de ce temps.

Nous sommes nombreux qui nous disons tout haut les admirateurs des écrivains d’une école qui s’appelle réaliste, parce qu’il faut bien s’appeler quelque chose ; mais nous avouons, sans qu’il nous en coûte, que le plus observe des romans de cette école ne saurait dépasser, en observation minutieuse et en souci du détail vrai, en puissance du rendu, sans tricherie ni procédé, les chapitres divers de Choses vues. C’est du réalisme cela, mais un réalisme qui n’exclut point l’idéal. Il y a toutes sortes de choses sous le ciel, mais il y a le ciel. Dans la même page, où l’artiste campe l’homme à la façon d’un Ribera ou d’un Goya, le poète rappelle qu’il y a aussi l’humanité. La justice domine la silhouette des juges ; la monarchie la silhouette du roi. Et dans l’action combinée du peintre et du philosophe, le corps grotesque du passant est aussi visible que l’âme des foules.

… Jamais je n’ai mieux senti l’embarras de choisir. Il n’est pas une ligne qui ne retienne, dans ce livre attachant comme un roman et sévère comme l’histoire.


La République française.
Gustave Isambert.

De la bonne chronique, en voilà ! Je dirais volontiers qu’elle est trop bonne, car il faut se retenir pour ne pas se mettre à copier. Le nouveau confrère qui nous arrive, saluons ! c’est tout uniment Victor Hugo. Il fallait se méfier de l’auteur du Rhin. Tout le monde avait senti que ces lettres à un ami décelaient un chroniqueur d’avenir. Eh bien ! Victor Hugo n’avait pas plus manqué à cette vocation qu’aux autres : il a écrit des chroniques ; seulement, il les gardait pour lui et pour la postérité. Ce que nous donnent ses exécuteurs testamentaires n’est ni un journal intime, ni un registre méthodique de menus faits. C’est bien un recueil de chroniques. Il y a des indiscrétions piquantes, les descriptions pittoresques, les histoires de salons et de boudoirs, les catastrophes, les causes célèbres, les émotions de la rue, les enterrements et même les agonies à sensation. On ne parlait sous Louis-Philippe ni de reportage ni d’interview ; mais on n’a importé réellement que des mots. Victor Hugo ne manque point de nous rapporter ses entrevues avec les hommes du jour ; mais comme il était l’un d’eux et qu’il pouvait les traiter tous de pair de France à compagnon, y compris le roi des Français, sa récolte n’était point banale.


De toutes les variétés de cultures qui composent ce fameux domaine de la chronique, dont personne n’a fixé les limites et que tout le monde reconnaît sans effort, il n’en est pas une peut-être dont on ne trouve dans Choses vues un échantillon et un modèle. Ceux qui aiment à explorer les coins mal connus de Paris ont dû lire déjà avec passion la visite à la Conciergerie. Les descripteurs de soirées mondaines, de redoutes et de galas mettront au premier rang de leurs classiques le récit de la fête chez le duc de Montpensier ; il n’y manque même pas (à vous Parisis !) la liste des notabilités reconnues au passage. On retrouve une autre énumération à propos d’un dîner chez le ministre Salvandy ; mais là, il y a mieux qu’un assemblage de noms connus à divers titres : chacun des convives est croqué en quelques traits ; cela va de deux mots à quatre lignes au plus ; on les voit entrer, se mouvoir et s’attabler.

Voulez-vous assister à une cérémonie solennelle ? Voici le récit détaillé du retour des cendres. Recueillir les impressions de Paris sous le coup d’un événement tragique ? Le duc d’Orléans vient de se briser le crâne sur la route de la Révolte : vous aurez non seulement les on-dit, mais la description précise du lieu où l’accident s’est produit, les explications des médecins et, comme diraient aujourd’hui les crieurs de journaux du boulevard, « tous les curieux détails ». Tout le monde a déjà lu la description des derniers moments de Balzac, voici l’enterrement de Mlle  Mars en 1847.

… Un chroniqueur n’est pas complet s’il ne nous introduit pas de temps en temps dans le monde du théâtre, et même dans l’intimité des actrices. Rassurez-vous : cette note même ne fait pas défaut ; vous ne verrez pas seulement les comédiennes se ranger derrière le cercueil d’une camarade, vous entendrez les doléances de la pauvre George vieillie, se plaignant des grands airs de Rachel et trouvant que Louis-Philippe a bien mérité sa chute, attendu « qu’il n’a rien fait pour Harel ». Vous verrez Mlle … Zubiri en déshabillé, ce qui est le mot propre, car cette personne fut vraiment possédée de la manie du déshabillage. Elle était, pour le moment, éprise d’un peintre de grand talent qu’elle accablait de mauvais compliments et qu’elle torturait sans y mettre de méchanceté : mais aucune considération n’aurait pu l’empêcher de faire voir aux amis comme elle avait la gorge faite et la jambe tournée.

… Il faut se borner : à quoi bon analyser et citer par extraits un livre dont tous les curieux sont en train de dévorer les trois ou quatre cents pages ?


Le Siècle.
Edmond Texier.

… Ce livre : Choses vues restera comme un volume à part dans l’œuvre de Victor Hugo. À côté de portraits, de récits, de scènes où il a joué un rôle, il y a telle note dont l’importance historique n’échappera à personne. Lisez le chapitre : Royer-Collard.

Il y a de tout dans ce dernier volume, même du naturalisme avant la lettre, je veux dire sans argot ni grossièreté. Il paraît que le document humain existait déjà avant le tambourinage qui a été fait autour de sa proclamation. Victor Hugo était, à ses heures, naturaliste sans le savoir ; c’est, il paraît, la meilleure manière de l’être.


Le Voltaire.
Lucien Valette.

Choses vues ; c’est le recueil, non pas des mémoires du poète, mais plutôt d’un journal que Victor Hugo tenait des événements auxquels il avait été mêlé, ou simplement de ses pensées sur les hommes et des aventures intéressantes de sa vie intime. On retrouve dans ces volumes l’homme bon, d’un esprit si fin, d’une humeur si douce et pleine de charme, d’une bonhomie si cordiale que les familiers du maître connaissaient bien.

… Le premier morceau est daté de 1838, le dernier de 1875. C’est donc toute la maturité du maître qui défile devant nous avec ses idées sur les hommes et sur les choses. Citer de courts fragments pris çà et là présente l’embarras d’un choix dans un ouvrage où l’on devrait tout prendre.

Félicitons MM. Meurice et Vacquerie du soin qu’ils apportent à accomplir la tâche que leur a confiée leur ami. Leur publication se fait avec une variété et une méthode dont on ne saurait trop les louer. Après la Fin de Satan, ce formidable poème que beaucoup placent au-dessus de la Légende des Siècles, Choses vues nous charme et nous réjouit par son gracieux abandon, par sa note intime et toute la finesse d’esprit du Maître universel.

Longtemps encore Hugo nous apparaîtra toujours jeune et nouveau, comme me le disait son ami Banville, d’un génie universel résumant toute la littérature passée, galvanisant les lettres françaises pendant cinquante années et montrant le chemin à plusieurs générations d’écrivains auxquels il apprit à écrire.


Tous les fragments d’articles qui suivent concernent le volume de Choses vues (nouvelle série) qui parut en 1899.


Le Rappel.
Lucien Victor-Meunier.

Dans cette nouvelle série des Choses vues — le onzième volume des œuvres posthumes de Victor Hugo — fourmillent les appréciations originales, les observations curieuses, les saillies spirituelles, et ces pages, d’une puissance aisée et familière, constituent, pour ceux qui entreprendront d’écrire l’histoire de la France contemporaine, les plus précieux, les plus indispensables des documents.

Je vois surtout, moi, l’ardent, l’immense amour des faibles, des pauvres, du peuple, des autres, dont déborde ce livre tout frémissant de pitié.

Impressions, sensations écrites au jour le jour, jetées à main rapide sur un carré de papier, crayonnées, en marche, sur un feuillet de calepin ; c’est peut-être dans ces notes hâtives, plus que dans les ouvrages longuement réfléchis, que se manifeste l’âme de l’écrivain.

Ici, le poète a suivi son inspiration naturelle ; ici, c’était bien son cœur qui écrivait, plus que sa pensée même, si je puis ainsi dire, car les menus faits de chaque jour ne pouvaient détourner cette pensée souveraine des grands labeurs qu’elle poursuivait.

Ici se montre, nue, la bonté de celui que l’on avait presque cessé d’appeler le Maître, pour lui donner le nom de Père que, certes, il préférait.

À chaque instant, à chaque pas, dans ce nouveau volume ajouté à la constellation qui brillera éternellement dans le ciel de l’humanité, cette bonté sublime apparaît.

… Ce que je disais, l’autre jour, à propos de Fécondité, je le répète à propos de Choses vues ; gloire et reconnaissance à ceux qui se penchent vers les souffrants et serrent dans leurs bras l’opprimé, la victime, le malheureux, en lui disant : « Mon frère ! »

Quand on est Victor Hugo, on souffre non seulement de ce qui vous touche personnellement, mais de toute iniquité, de tout crime commis, de toute misère étalée, saignante sous le soleil.

… Dans Choses vues, nous le retrouvons tout entier ; athlète combattant pour toutes les grandes idées, pour toutes les nobles causes, et tendre ami de tous les petits.

Il est là tout entier, le poète des Châtiments et de la Légende des Siècles, le romancier des Misérables et des Travailleurs de la mer, l’orateur qui, le premier, prononça le nom des États-Unis d’Europe, et, le premier aussi, attesta cette vérité : « On peut abolir la misère. »

Et, le livre fermé, on songe avec une admiration faite de reconnaissance pieuse à tout ce qui est sorti de grand et de bon, d’éternel, de ce cerveau, de ce cœur, de cette âme : Victor Hugo.


Le Figaro.
Philippe Gille.

On se rappelle le succès qu’obtint, lorsqu’il parut, le premier volume de Choses vues ; ce succès fut aussi grand, sinon plus, que celui qui accueillit les autres œuvres posthumes du grand poète ; on n’avait plus rien à apprendre de son génie, on l’admirait depuis longtemps, mais on était curieux de connaître la pensée intime de l’écrivain avant que son talent lui eût donné la forme définitive qu’elle devait revêtir devant le lecteur ; on voulait la surprendre sans parure, telle qu’elle venait d’éclore, incorrecte même, n’importe comment, mais inédite et vivante, chaude encore de la chaleur du cerveau qui l’enfantait. Rien de plus intéressant d’ailleurs, de plus curieux à parcourir que ces carnets-albums que son ami M. Paul Meurice a bien voulu nous laisser voir et toucher. Ici c’est un croquis, là une note résumant une scène de la rue, trois lignes d’indication pour une idée à développer, un relevé des menues dépenses au cours de la journée, un numéro de fiacre conservé entre des feuillets, une haute pensée philosophique ou politique, des impressions reçues à la Chambre ou au Sénat, au théâtre ou à l’Académie.

Cette variété de documents constitue le grand intérêt de ce dernier volume, qui renferme aussi de bien curieuses notes sur la vie des Tuileries sous Louis-Philippe, sur les personnages du temps, Guizot, Thiers, le prince de Joinville, Lamartine, sur la révolution de février 1848 et les journées de juin ; on y trouve de tout, jusqu’à des plaisanteries, des bons mots fort amusants, quoi qu’en disent ceux qui croiraient faire tort au génie de Victor Hugo en lui reconnaissant la légèreté de l’esprit.


Le Réveil du Dauphiné.
Jean Bernard.

… N’était la crainte de paraître paradoxal, je vous dirais que les Choses vues, dépositions d’un témoin sur les menus incidents de l’histoire, seront l’œuvre de Victor Hugo la plus lue par les historiens de demain.

C’est là du vrai et du grand reportage, que tant de gens dédaignent encore aujourd’hui et qui est la forme la plus vivante, la plus intéressante, la plus difficile du journalisme. Écrire une chronique sur un sujet donné, bien à l’aise, à tête reposée, en prenant son temps, parbleu ! la belle affaire, mais c’est à la portée du premier journaliste venu, à la condition qu’il ait des lettres, connaisse son histoire et ne soit dépourvu ni de philosophie, ni de style. Mais, pour raconter dans une forme personnelle l’événement dont vous venez d’être témoin, pour redonner de la vie au tumulte de tout à l’heure, classer les émotions de la rue, rendre les vibrations de la foule, pour être en un mot un « actualiste » dans le vrai sens du mot, il faut avoir une nature toute spéciale et cumuler à la fois la poésie de l’improvisation et la sûreté du jugement. Il n’y en a pas beaucoup parmi ceux qui se haussent sur leurs talons de grands seigneurs qui soient capables de ce tour de force quotidien.

Les Choses vues nous prouvent que Victor Hugo aurait été, s’il l’avait voulu, un de ces journalistes-là et que, tenant à la fois de Saint-Simon et de Chateaubriand, il aurait pu être ce qu’il nous apparaît : un « reporter de génie », comme l’a si bien qualifié hier M. Jules Claretie.


L’Écho de la Semaine.
Félix Duquesnel.

Choses vues, c’est le titre sous lequel vient de paraître le nouveau volume des œuvres inédites de Victor Hugo, série de notes intimes et familières, prises à coups de crayon, au courant de la vie. Et, certes, c’est bien l’histoire vraie que celle écrite ainsi, comme en robe de chambre et en pantoufles, sous l’impression du moment, sans l’apprêt de la réflexion, alors que, le « masque tombe », le « héros évanoui », l’homme est resté seul, bien seul, vis-à-vis de lui-même.

Le charme de ces petits tableaux, charme de bonhomie souvent narquoise, de sincérité même naïve, se double encore, alors qu’on se souvient que celui qui les peignit avait un pinceau de maître. Et comme ils sont colorés, ces croquis, comme elles sont à fleur de finesse, ces esquisses pointillées de malice. Comme elles sont dessinées, ces silhouettes qui s’animent, dans le pittoresque de la vérité. Le sang circule dans leurs veinules ; elles ont bien la grimace de la vie, sans avoir la solennité du portrait qui ment à la postérité.

Il y a là comme un panorama de quarante-cinq années qui se déroulent rapides, kaléidoscope vivant où les hommes et les choses se suivent et s’enlacent en une ronde amusante, gens de politique, gens de cour et gens de théâtre, pochés en pleine veine de sagesse railleuse. Cela court de 1825 à 1871, une période où les événements ne chômèrent pas. Et le grand poète, qui dit ce qu’il a vu, fait mieux encore, il nous le fait voir grâce à quelques feuillets de carnet mis en ordre par Paul Meurice qui livre à notre curiosité la figure intime et familiale que bien peu connaissent encore.


Le Temps.
Gaston Deschamps.

… M. Paul Meurice vient de détacher des carnets du maître une nouvelle série de croquis.

… Les notes de Victor Hugo sur la monarchie de Juillet, les entretiens avec Louis-Philippe, la visite au tombeau du duc d’Orléans, les dîners chez Villemain avec Guizot, les cérémonies des Tuileries, les séances de la Chambre des pairs et les émeutes des journées de février 1848 pourraient servir de commentaires, en marge des Misérables et des Contemplations.

Les caricatures crayonnées sur le papier de l’Assemblée constituante, pendant les discours d’Odilon Barrot et de Dupin, les soirées de l’ « Élysée national », sous la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte, annoncent les Châtiments et l’Histoire d’un crime.

Et enfin, le journal du siège de Paris est la maquette de l’Année terrible.

Victor Hugo a profité, littérairement, de tout ce qu’il a vu. Et ce drainage de tout ce qui tombait sous son œil commença dès sa petite enfance.

Je relisais récemment ces vers de sa première jeunesse :


L’Espagne me montrait ses couvents, ses bastilles,
Burgos sa cathédrale aux gothiques aiguilles,
Irun ses toits de bois, Vittoria ses tours.
Et toi, Valladolid, tes palais de familles,
Fiers de laisser rouiller des chaînes dans leurs cours.


Je n’aurais jamais compris ce dernier vers si je n’avais noté, dans les Mémoires de Sigisbert Hugo, père du poète et général au service de Joseph-Napoléon, roi d’Espagne, cette chose vue :


Quand les rois catholiques voyageaient en Espagne et qu’ils ne logeaient pas dans les édifices publics, la maison particulière qui avait l’honneur de les recevoir obtenait de nombreux privilèges : le propriétaire faisait tapisser de grosses chaînes de fer le mur de son principal escalier.


Voilà donc une impression qui date vraisemblablement de 1811, année où Victor Hugo alla rejoindre son père à Madrid.

… Je pourrais montrer, par d’autres exemples, cette puissance d’absorption optique qui emmagasina dans la mémoire de Victor Hugo une incroyable quantité de couleurs et de formes, de spectacles charmants ou de visions terribles, les saynètes de la vie quotidienne ou les tragi-comédies de l’histoire, les émotions d’un poète et les révolutions d’un peuple, la maison et la cité, les empires et les républiques, les victoires et les défaites, le drapeau blanc et le drapeau tricolore, les lys de la Restauration, le coq de Louis-Philippe, l’aigle d’Austerlitz et l’aigle de Boulogne, le patriotisme de Gambetta, les drapeaux neufs distribués à l’armée nouvelle, — tout le panorama du siècle…


La Libre Parole,
Édouard Drumont.

… Dans Choses Vues, nous retrouvons la plupart des dons merveilleux du maître qui fut, lorsqu’il le voulut, un aussi grand écrivain en prose qu’en vers.

Choses vues, c’est du reportage fait par un homme de génie, qui décrit simplement ce qui a frappé ses yeux. On devine quel caractère et quelle couleur prennent les spectacles regardés par ce styliste prodigieux qui, s’il fut assez médiocre toujours comme analyste et comme psychologue, eut certainement le plus merveilleux appareil visuel qu’on puisse imaginer pour saisir et fixer tout ce qui, dans le monde extérieur, avait forme, relief et mouvement.

Ce talent de peindre, et de peindre vrai, existait chez Victor Hugo à un degré si intense qu’il suppléait à l’esprit philosophique qui lui manqua la plupart du temps. Sous sa plume, qui est un pinceau, quand elle n’est pas un burin, les événements et les hommes ne se bornent pas à se raconter et à s’expliquer comme dans les récits des écrivains ordinaires ; il semble qu’ils renaissent, ils donnent vraiment l’illusion de la vie, on croirait les voir se mouvoir et se dérouler comme en un gigantesque panorama dont les figures seraient en chair et en os.

Prenez, par exemple, dans le premier volume de Choses vues, le compte rendu du procès Teste et Cubières, qui fut jugé par la Chambre des pairs, dont Victor Hugo faisait partie.

Toute une époque se reflète dans ces pages qui ne sont que des notes sans prétention, de simples notes prises à l’audience.

… Le récit de Victor Hugo traduit avec une concision tragique l’espèce d’angoisse qui étreignait les pairs chargés de juger un des leurs.

… Il nous donne la sensation qu’il y a quelque chose d’ébranlé, quelque chose de pourri dans la monarchie de Juillet, et que la chute n’est pas loin.

Cette chute, le grand écrivain la raconte dans le second volume de Choses vues, ou plutôt, il la peint, il la grave avec cette même énergique sobriété qui donne aux hommes et aux choses un relief, une intensité de vie extraordinaires.

Lisez les pages consacrées aux journées de Février. Vous entendrez gronder l’émeute, vous verrez le peuple se ruer aux barricades, vous respirerez l’odeur de la poudre. Au milieu de ce grouillement de foules, de ces clameurs, de la fumée, du crépitement des balles, l’écrivain n’en trouve pas moins moyen de croquer quelques personnages. Et son œil les a si bien vus, il a si bien emmagasiné dans sa rétine leurs moindres gestes, le cliché ainsi obtenu est d’un réalisme si saisissant que ces hommes vous apparaissent comme si on avait photographié à votre intention, non seulement leurs visages et leurs corps, mais aussi leurs âmes et leurs pensées.

… Victor Hugo, je le répète, ne fut ni un grand analyste, ni un grand psychologue. Il ne fut même pas un « voyant » dans le sens prophétique que prend ce mot lorsqu’il s’agit de Balzac. Je n’ose dire non plus qu’il fut un « voyeur », car ce mot s’est fait une vilaine réputation. Il fut un « regardeur » prodigieux. Nul ne fut mieux organisé pour la perception de l’univers visible, plus énergiquement impressionné par tout ce qui est un spectacle, un geste ou une image.

Là où d’autres pensent, il décrit ; mais sa description est tellement prise sur le vif, tellement saignante de vérité si l’on peut dire, qu’elle éveille irrésistiblement la pensée.


Revue franco-allemande.
Albert Lantoine.

Il y a dans ce livre quelques Choses vues qui sont gaies et beaucoup qui sont tragiques, des événements et des incidents, des paroles de roi et des gestes de filles.

… Ceci est du reportage fait par un homme qui savait penser et qui pouvait tout voir, étant d’une noblesse littéraire devant laquelle les portes les plus aristocratiques s’ouvraient à deux battants.

Hugo n’est point remarquable par l’abondance des détails, mais par la façon dont il les fait valoir, usant du procédé antithétique dont il a fait un tel usage dans toute son œuvre. Chargé d’aller à la chasse aux renseignements, il ne fût jamais rentré dans un bureau de rédaction le portefeuille vide, dénué de copies. Un chien écrasé lui eût inspiré des tirades sur les crimes possibles de la civilisation ou sur le symbole touchant des bêtes que les pierres tumulaires représentent couchées aux pieds des châtelaines. Rue de Chartres, il regarde à travers les interstices d’une barrière l’ancien emplacement du Théâtre du Vaudeville où ne sont plus que des vestiges noirâtres de l’incendie qui les dévasta, et que voit-il ? Une pâquerette qui dans ce lieu horrible sourit à un moucheron. Cette fleur et cet insecte lui sont un motif pour trois pages d’exquises divagations.

… Il n’a pas suffi à Victor Hugo d’entasser durant sa vie les chefs-d’œuvre sur les chefs-d’œuvre, il a voulu qu’au delà de la tombe sa parole s’entendît encore : et comme d’un grenier abondant voilà que des mains pieuses retirent intarissablement depuis deux lustres les écrits à nous destinés. Constamment préoccupé de l’avenir, plus soucieux de l’éducation de ceux qui devaient voir mûrir l’aube que de grandir encore sa renommée (le nombre de ses ouvrages posthumes est une preuve de ce désintéressement), il affirme toujours son autorité au milieu des nombreuses préoccupations qui nous divisent. On le croyait oublié. Les tempêtes politiques, les procès religieux, les célébrités plus bruyantes que brillantes accaparaient notre attention, faisaient que nos oreilles étaient plus rarement frappées par son nom à la sonorité glorieuse. Mais son nom est ainsi que ces lampes qui semblent bleuir et s’éteindre sous les rafales et qui, l’accalmie venue, apparaissent de nouveau dans leur blanche clarté. Il fut et demeure le génie surhumain qu’à travers les âges personne n’égala, et dont les nations antiques eussent divinisé la mémoire.


Le Soleil.
Charles Canivet.

… Ce sera l’honneur de la vieillesse de M. Paul Meurice d’avoir, d’abord en compagnie d’Auguste Vacquerie, et bientôt seul, après la mort du rédacteur en chef du Rappel, recueilli, compulsé et coordonné ces Choses vues ; qui forment le recueil le plus intéressant qu’il soit possible de lire.

Les souvenirs se répandent sur un long espace de temps. Ils sont présentés tantôt sous une forme plus développée, tantôt en manière d’anecdotes piquantes, concentrées en quelques lignes, ce que l’on appellerait aujourd’hui des nouvelles à la main ; mais quelles nouvelles ! et comme on se les disputerait, à cette heure, si un reporter pouvait les présenter de la même façon ; car jamais temps ne furent plus propices, pas même ceux où Victor Hugo dépensait les trésors de sa verve et de son observation. Et c’était pour sa satisfaction personnelle, histoire de jeter sur le papier quelques lignes qui, de temps en temps, lui faisaient sans doute plaisir à relire, et auxquelles il ne changeait rien. Ainsi devrait-on, dans toutes les occasions, surtout quand on tient quelque place dans le monde, ici ou là, dans toutes les professions, noter ses impressions, ne fût-ce que pour retrouver, en les parcourant, au cours d’une longue vie, l’impression vivante de choses et de jours forcément oubliés, ou tout au moins très diminués.

Toute la période historique, qui comprend quatre années de crise politique aiguë, depuis la Révolution de 1848 jusqu’à la proclamation du second empire, se résume, dans Choses vues, en quelques pages anecdotiques d’une réalité étonnante.

Lamartine, beau comme un Dieu, et qui apparaît aux contemporains avec l’auréole du génie, y est montré fréquemment par certains petits côtés de son caractère, en divinité descendue de l’Olympe, et qui perd de son prestige, en se retrouvant parmi les mortels.

… Il y a là une série d’impressions des plus curieuses et qui serviront nécessairement, plus tard, à l’histoire réelle de cette époque, lorsque le gouvernement provisoire, à peine installé, était obligé de lutter contre toutes sortes de difficultés dans les journées de Février qui provoquaient à Paris un enthousiasme si extraordinaire, et où les Parisiens républicains s’emballèrent, comme on dit aujourd’hui, avec une si singulière inconscience.

… Il y a dans tout ceci cependant moins d’appréciations que d’anecdotes prises sur le vif ; les hommes y sont moins observés que saisis sur le moment, avec la précision d’un photographe pratiquant le système des instantanés. Il y en a toute une série, représentés plutôt par leurs petits côtés, mais qui sont les plus sûres indications de la nature et du caractère.

… Le volume se termine par une sorte de journal du siège de Paris, en une série d’impressions brèves, en phrases hachées et coupées, dont la plupart ont, malgré cela, l’ampleur de réels et grands tableaux. Le poète de l’Année terrible y est, en germe, comme vingt années auparavant le poète des Châtiments se préparait dans les observations recueillies et consignées à l’Élysée et autour de l’Élysée. Aussi faut-il savoir gré à M. Paul Meurice d’avoir colligé, avec tant de soin scrupuleux, tous ces feuillets détachés, et de les avoir mis en ordre. Ils rappellent, avec une précision inouïe, des époques et des personnages que Victor Hugo grandit ou rapetisse — ceux-ci surtout — au gré de son caprice ou de sa fantaisie, tantôt avec bonne humeur, parfois non sans quelque mélancolie. En un mot, le volume justifie son titre, car il s’agit bien là de choses vues, saisies au passage et rédigées, avec la rapidité de la vision, pour ainsi dire sur le moment même.


Le Journal.
Jules Claretie.


UN REPORTER DE GÉNIE.

Ce reporter, c’est le plus grand poète du siècle. On ne s’imagine pas quelle acuité de vision eut l’homme extraordinaire que fut Victor Hugo. Ce puissant cerveau était en même temps un œil en quelque sorte photographique, mais dont les instantanés, tout naturellement s’agrandissaient. Sainte-Beuve nous assurait que la prunelle de Victor Hugo pouvait, du haut des tours de Notre-Dame, reconnaître facilement un passant traversant la place du Parvis. « Il voit tout ; mais il voit énorme ».


M. Paul Meurice publie aujourd’hui même un nouveau volume de Hugo, Choses vues, dont il m’a remis, ces jours derniers, les bonnes feuilles. C’est là qu’on peut s’assurer, une fois encore, combien Victor Hugo qui, selon Sainte-Beuve, voyait « énorme », savait voir « juste » aussi.

J’ai lu avec un entraînement passionné ces pages si attirantes, d’une intensité de vie vraiment extraordinaire, et je m’aperçois que l’auteur des Contemplations qui eût été un si étonnant architecte et qui fut à Guernesey, en son logis de Hauteville-House, un si admirable décorateur (on y voit même des carapaces de tortues dont il dora et cisela l’écaille, comme des Esseintes), Victor Hugo eût été, s’il l’eût voulu, un reporter génial, un annotateur superbe des grands et menus faits de son temps.

Choses vues ! Jamais titre ne fut mieux choisi. Victor Hugo savait voir et pouvait voir ; à l’Académie, à la Chambre, au Sénat il fut orateur et partout il était maître ; mais il fut spectateur aussi et, comme il dessinait en voyage les hautes cathédrales gothiques et les vieux burgs écroulés à demi, dans les assemblées — ou encore au théâtre entre deux répétitions — il crayonnait quelques profils de contemporains, notait un mot, une répartie, un jugement, une scène intime qui, — comme son entrevue avec le roi Jérôme — allait être, un jour, une scène d’histoire. Ce sont ces mots, ces feuillets de carnets, ces pages volantes que M. Paul Meurice a recueillis avec le soin qu’il apporte à toutes choses et qui se double ici de piété.

… Je le lis et il me semble l’entendre causer. Tel il est là dans ces pages au crayon, tel je le trouvais chez lui, en son appartement de la rue de Clichy, ou dans le petit hôtel de l’avenue d’Eylau où il est mort. Ce grand homme était le causeur le plus simple et le plus charmant. Il ne pontifiait pas, quoi qu’on ait dit, il voulait plaire et il plaisait. Il avait une bonhomie supérieure avec un grain d’humeur narquoise. Il avait vu des milieux divers, et, de ses voyages à travers le monde, les livres et les âmes, il avait tout retenu. Il me disait souvent ce mot souriant :

— Feuilletez-moi, mon cher ami !

Et je le « feuilletais », en effet. C’était une encyclopédie vivante. Je ne sais pas de plaisir plus grand que d’écouter ceux qui valent la peine d’être entendus.

Il y a dans ce beau volume une page qui m’est particulièrement chère, c’est celle où, à la date du 5 septembre 1870, il raconte sa rentrée en France, son retour d’exil après dix-huit ans de proscription. Quel souvenir ! L’avant-veille, j’étais revenu de Sedan à Bruxelles, à travers les lignes allemandes. La veille j’avais dîné chez Victor Hugo avec M. Antonin Proust, qui revenait avec nous sur Paris. Il avait été convenu que nous partirions le lendemain. J’étais aux côtés de Victor Hugo devant le guichet lorsqu’il prit son billet à la gare. Il regarda sa montre « 2 h. 30 ». Puis, la voix ferme :

— Un billet pour Paris.

Tout ce voyage avec le vieillard ému de passer la frontière, de revoir la Patrie, mériterait d’être conté heure par heure.

À Landrecies, apercevant des soldats, de ces pauvres soldats lassés du corps de Vinoy qui — suprême espoir — battaient en retraite sur Paris, échappés à ce terrible coup de filet de Sedan que je venais de voir et dont j’avais encore l’horreur dans les yeux, Victor Hugo se pencha à la portière et, la voix vibrante devant ces pantalons rouges tout boueux des journées de marche :

— Vive la France ! cria-t-il.

Il pleurait.

— Vive l’armée ! Vous avez fait votre devoir ! Vous n’êtes pas des vaincus ! Courage ! répétait le poète aux soldats.

Les pauvres gens regardaient étonnés, harassés, silencieux, cet homme à barbe blanche qui les haranguait ainsi.

Le train repartait. Victor Hugo retomba sur la banquette, tout pâle :

— J’aimerais mieux, me disait-il, n’être jamais revenu si je devais voir la France réduite à ce qu’elle était sous Louis XIII.

Pendant que le wagon roulait, il rêvait, ou, encore, au crayon, prenait des notes. Il regardait les arbres, les toits des maisons, l’œil étonné, ravi. Nous dînâmes à Tergnier. Du pain frais, du fromage et du vin, un repas sommaire, le buffet étant vide.

— C’est vous, dit Victor Hugo, qui m’aurez offert à dîner le premier à ma rentrée en France !

Et, avec un attendrissement saintement puéril, mettant de côté un morceau de pain que nous venions de partager :

— Je vous le rendrai en rimes !

Il voulait écrire une pièce de vers sur cette première bouchée de pain. L’a-t-il fait ?


L’Intransigeant.
Henri Rochefort.

… On retrouve ainsi tout le long du livre ce mélange de profondeur et de bonne humeur. Et, tout en savourant ces charmantes boutades, je me rappelle les quinze mois que j’ai passés à Bruxelles, du milieu de 1868 à la fin de 1869, non pas seulement dans sa société, mais dans sa maison : car si quelqu’un a vu réellement ce grand homme en « robe de chambre », je puis affirmer que c’est moi, et je l’ai toujours connu ce que, contrairement à l’espèce de légende pontificale bâtie autour de lui, il se montre dans Choses vues, c’est-à-dire la gaieté, la simplicité, la cordialité en personne.

À force de salamalecs et de qualificatifs dithyrambiques, on l’avait presque obligé de pontifier, en effet ; mais comme il se rattrapait, dans la familiarité de l’intérieur, de la gêne qu’on lui imposait ! Nos dîners, où j’avais ma place entre lui et un de ses fils, Charles ou François-Victor, n’étaient presque toujours qu’un éclat de rire. À la date du 23 décembre 1870, alors que, depuis le 29 octobre, c’est-à-dire depuis environ deux mois, j’avais donné ma démission de membre du Gouvernement de la « défense nationale » comme celui de Galliffet-Waldeck est de la « défense républicaine », il a inscrit dans ses cahiers cette courte note :

Henri Rochefort est venu dîner avec moi. J’ai été très cordial. Je l’aime beaucoup.

Il m’aimait beaucoup, je le crois. J’ose dire que j’avais su le prendre. Je ne lui flanquais pas à la tête des compliments qui sont des pavés. J’entamais même parfois avec lui des discussions dans lesquelles il perdait un peu patience ; mais il n’ignorait pas que ses plus beaux vers m’étaient restés dans la tête, et il me savait le plus grand gré de les lui citer, car à peine étaient-ils tombés de sa plume puissante qu’il les oubliait.

Je me rappelle encore lui avoir joué le plus agréable tour qu’il soit possible de jouer à un homme, fût-ce à un grand homme. Comme nous étions à table, Charles Hugo fit allusion à une des pièces les moins connues, mais peut-être la plus admirable des Châtiments : La Caravane.

Vous devriez la lire, me dit Charles. Et il m’expliqua que cette caravane, c’était la marche du progrès, qui va toujours devant lui, à travers les obstacles de toute nature et contre les ennemis de tout poil.

… Je n’ai pas la prétention de rimer comme le fait Victor Hugo, répondis-je négligemment ; mais si j’avais eu un pareil sujet à traiter, voici, il me semble, ce que j’aurais écrit.

Et je récitai, sans en manquer un vers, tout le morceau, qui en a près de quatre cents.

Victor Hugo, stupéfait et tout ému, se leva de table et, les larmes aux yeux, vint m’embrasser sur les deux joues.

Tous ces souvenirs me reviennent en lisant Choses vues, et je le revois aussi dans sa droiture, son incroyable pénétration d’esprit et ses raisonnements d’une justesse toujours inattaquable, car le génie n’est peut-être que le point culminant du bon sens.

Aussi ai-je dévoré ce livre, que d’autres dévoreront aussi et où ils sentiront palpiter une grande âme, en même temps que le plus superbe cerveau du xixe siècle.


Le Petit Bleu.
Gustave Simon.

Il est bien difficile, avec un génie universel comme Victor Hugo qui s’est surpassé dans tant de genres avec un éclat incomparable, qui a été littérateur et poète, dramaturge et romancier, historien et artiste, de découvrir un genre auquel il n’ait pas touché ; et, cependant, c’est dans les œuvres posthumes et, notamment dans ce nouveau volume de Choses vues publié après-demain par les soins de Paul Meurice, dont l’infatigable ardeur et la piété touchante se sont consacrées, avec un noble désintéressement, au culte de cette grande mémoire, que Victor Hugo nous a été révélé comme un admirable journaliste.

Certes, journaliste il l’était lorsqu’il publiait dans les journaux des pages superbes, flétrissant les crimes de la force, protestant contre les lâchetés et les apostasies, plaidant la cause des faibles, des humbles, des déshérités, condamnant la guerre, faisant appel à la justice et à la pitié. On sentait dans ces éloquentes apostrophes le poète, l’orateur, l’apôtre. Mais le journaliste qui raconte ce qu’il a vu, ce qu’il a entendu, qui rapporte une conversation, note une impression, commente en quelques lignes un événement, qui se trouve un jour dans le cabinet d’un membre du gouvernement, le soir dans quelque dîner d’hommes importants, ou dans une salle de spectacle, ou dans un salon, et qui nous donne la physionomie d’un intérieur, nous trace en quelques lignes une figure et la fixe en traits définitif, anime une conversation avec la vivacité de son style, sa belle humeur et son esprit, qui sait faire parler les gens d’une façon intéressante parce qu’il sait les interroger, le journaliste, enfin, qui peut parler de politique, de littérature, d’art, de poésie, s’élever jusqu’aux sujets les plus grands et descendre aux sujets les plus modestes, traduire, dans une conversation ou dans un récit, toute une période de l’histoire ou les mœurs d’un temps, celui-là est le rare journaliste.

Le volume Choses vues donne l’impression d’un recueil d’articles. C’était, en effet, un véritable journal que le poète écrivait pour lui, que nous sommes heureux de retrouver et qui aurait fait la fortune de bien des journaux s’il avait été publié aux époques où il a été écrit.

Ceux qui ont fréquenté Victor Hugo dans l’intimité, dans une intimité étroite et limitée, savent qu’il était un merveilleux conteur.

Je me souviens encore des quelques soirées passées à Bruxelles, place des Barricades. Nous étions seuls chez lui, mon père et moi, comme invités, avec ses fils Charles et François-Victor. On se mettait à table, et le potage était à peine servi qu’il se mettait à parler ; il aimait à raconter ses voyages ou ses souvenirs d’exil : et c’était une véritable fête. Il avait une mémoire prodigieuse, et les anecdotes attachantes ou pittoresques se succédaient ininterrompues, animées de sa verve intarissable, présentées sous une forme vivante et colorée. Il ressuscitait un personnage et le marquait de quelques traits si précis qu’on le voyait sans le connaître et qu’on l’aurait reconnu si on l’avait rencontré ; il décrivait ce paysage avec son âme de poète et d’artiste ; et je n’oublierai jamais cette vision magique d’un soleil couchant sur les montagnes d’Espagne ; il était impossible de rendre avec une vérité plus saisissante la dégradation progressive des ors et des rouges de ces feux mourants ; et nulle afféterie, nulle recherche, nulle pompe dans le langage, mais une sensation fortement éprouvée, interprétée et traduite avec la plus grande simplicité.

Il se plaisait à ces retours vers le passé, à ces promenades dans les chemins déjà parcourus, et on le suivait comme si on avait fait avec lui le voyage. Mais il ne s’abandonnait ainsi qu’avec les intimes ; les jours de réception plus solennelle, il causait et racontait peu ; il recherchait plus volontiers la discussion.

Il notait sur des feuilles volantes ou sur des carnets, au courant de la plume, ses impressions, ses pensées, ses souvenirs, ses conversations et les conversations des autres, ses courses, ses visites, ses dîners et même ses dépenses. Ces petits carnets avaient toutes les formes, toutes les grandeurs, toutes les grosseurs. Et sur les pages se pressaient, en une écriture fine, serrée, parfois confuse, des récits ou des notes sur tous les événements ou les incidents qui l’avaient frappé.

C’est dans cet océan de pages, dans cette minuscule et abondante bibliothèque de carnets que Paul Meurice a puisé le volume de Choses vues, où l’on retrouve l’ancien conteur, le maître journaliste qui savait bien voir et qui pouvait dire qu’il avait bien vu les choses vues, ce qui n’est pas un art vulgaire.

Je me suis attaché à ce livre comme à un vieux souvenir de ma jeunesse ; j’ai reconnu en partie, dans ces pages, l’hôte familier de la place des Barricades. Ce sont d’autres récits, mais dans cette même forme piquante et acérée, philosophique et dramatique. Hélas ! que d’admirables récits nous avons entendus et qu’ont gardés seulement nos mémoires !

Dans ce volume nouveau on passe en revue l’exécution de Louis XVI dont un témoin oculaire lui a donné la relation qu’il reproduit d’une façon saisissante et tragique, les événements de 1844 à 1848 aux Tuileries, les journées de Juin vraiment poignantes, qu’il vécut comme témoin et même comme acteur, l’histoire anecdotique de Bonaparte avec ce joli portrait : « Louis Bonaparte est distingué, froid, doux, intelligent, avec une certaine mesure de déférence et de dignité, l’air allemand, les moustaches noires. Nulle ressemblance avec l’Empereur. » Puis c’est sa visite à Chateaubriand mort ; puis ce sont des notes prises pendant le siège de Paris ou à l’Assemblée de Bordeaux.

Que de brillants ou sombres tableaux dans une page, quelle profondeur philosophique dans une phrase, quelle ironie amère ou charmante dans un mot !

… Et ce livre contient toute une partie de notre histoire : feuillets détachés, feuilles volantes sur lesquelles sont inscrites des choses vues. Œuvre d’historien, de philosophe, de satiriste ; œuvre aussi de journaliste pénétrant, d’observateur profond, œuvre de penseur.


III

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.


Choses vues. — Œuvres inédites de Victor Hugo. — Paris, J. Hetzel et Cie, rue Jacob, no 18. A. Quantin, rue Saint-Benoît, no 7 (Imprimerie Quantin), 1887, in-8o, couverture imprimée. Édition originale, publiée à 7 fr. 50.

Choses vues. — Œuvres inédites de Victor Hugo. — Paris, G. Charpentier et Cie, rue de Grenelle, no 11 (Imprimeries réunies. A), 1888. Première édition, in-18, couverture imprimée. Prix : 3 fr. 50.

Choses vues. — Librairie du Victor Hugo illustré. Eugène Hugues, éditeur, Paris, rue Thérèse, no 8 (Imprimerie A. Quantin), s. d. (1889), grand in-8o, couverture illustrée. Illustrations de Gérardin, Mouchot. A. Gumery, Rochegrosse, E. Ronjat, Férat, Lix, Vogel, etc. Deux croquis de Victor Hugo. — A paru d’abord en 36 livraisons à 10 centimes. L’ouvrage complet : 4 francs. Les vingt premières livraisons sont enregistrées dans la Bibliographie de la France du 16 février 1889.

Choses vues. — Petite édition définitive, Hetzel-Quantin, in-18 (s. d.)[1897]. Prix : 2 francs.

Choses vues. — Édition à 25 centimes le volume, 4 volumes in-32. Jules Rouff et Cie, Paris, rue du Cloître-Saint-Honoré (s. d.).

Choses vues. Nouvelle série. — Œuvres inédites de Victor Hugo. — Paris, Calmann-Lévy, éditeur, rue Auber, no 3. (Imprimeries réunies, B), 1900, in-8o, couverture imprimée. Édition originale, enregistrée dans la Bibliographie de la France du 16 octobre 1899 et publiée à 7 fr. 50.

Choses vues. Nouvelle série. — Librairie du Victor Hugo illustré. Eugène Hugues, éditeur, Paris, rue Thérèse, no 13 (Imprimeries réunies), s. d. [1899]. Grand in-8o, couverture illustrée. — A paru d’abord en livraisons à 10 centimes. L’ouvrage complet : 4 francs.

Les deux séries ont été brochées et vendues ensemble. Prix : 7 francs.

Choses vues. Nouvelle série. — Œuvres inédites de Victor Hugo. Paris, Calmann-Lévy, rue Auber, no 3. (Imprimerie Motteroz.) Première édition in-18. Prix : 3 fr. 50.

Choses vues. Nouvelle série. — Édition à 25 centimes le volume. 5 volumes in-32. Jules Rouff et Cie, Paris, rue du Cloître-Saint-Honoré (s. d.).

Choses vues. — Édition de l’Imprimerie nationale, Paris, Paul Ollendorff, Chaussée d’Antia, no 50. 1913. Deux volumes grand in-8o.


IV

NOTICE ICONOGRAPHIQUE.


1889. Édition Hugues. Deux croquis : Joseph Henri. — Parmentier (Victor Hugo). — Frontispice. — L’émeute du 12 mai. — Le cortège. — Le comte Mortier. — Fête chez le duc de Montpensier (L. Mouchot). — Origine de Fantine. — D’après nature (G. Rochegrosse). — Le quinze mai, — L’espion Hubert (A. Férat). — Mort de Balzac ( F. Lix).

Dessins dans le texte par Gérardin, Gumery, Ronjat, Mouchot, Férat, Méaulle, Karl Fichot, Lix, Thiriat, Vogel, Toussaint, Sinibali, Hewitt.