Choses écrites à Créteil

Pour d’autres. VII : Choses écrites à Créteil
Œuvres complètes : Les Chansons des rues et des boisOllendorf30 (p. 108-110).


VII


CHOSES ÉCRITES À CRÉTEIL.


Sachez qu’hier, de ma lucarne,
J’ai vu, j’ai couvert de clins d’yeux
Une fille qui dans la Marne
Lavait des torchons radieux.

Près d’un vieux pont, dans les saulées.
Elle lavait, allait, venait ;
L’aube et la brise étaient mêlées
À la grâce de son bonnet.

Je la voyais de loin. Sa mante
L’entourait de plis palpitants.
Aux folles broussailles qu’augmente
L’intempérance du printemps.

Aux buissons que le vent soulève,
Que juin et mai, frais barbouilleurs,
Foulant la cuve de la sève,
Couvrent d’une écume de fleurs,

Aux sureaux pleins de mouches sombres,
Aux genêts du bord, tous divers,
Aux joncs échevelant leurs ombres
Dans la lumière des flots verts,

Elle accrochait des loques blanches,
Je ne sais quels haillons charmants

Qui me jetaient, parmi les branches,
De profonds éblouissements.

Ces nippes, dans l’aube dorée,
Semblaient, sous l’aulne et le bouleau,
Les blancs cygnes de Cythérée
Battant de l’aile au bord de l’eau.

Des cupidons, fraîche couvée,
Me montraient son pied fait au tour ;
Sa jupe semblait relevée
Par le petit doigt de l’amour.

On voyait, je vous le déclare,
Un peu plus haut que le genou,
Sous un pampre un vieux faune hilare
Murmurait tout bas : Casse-cou !

Je quittai ma chambre d’auberge,
En souriant comme un bandit ;
Et je descendis sur la berge
Qu’une herbe, glissante, verdit.

Je pris un air incendiaire,
Je m’adossai contre un pilier,
Et je lui dis : — « Ô lavandière !
(Blanchisseuse étant familier)

« L’oiseau gazouille, l’agneau bêle,
Gloire à ce rivage écarté !
Lavandière, vous êtes belle.
Votre rire est de la clarté.

« Je suis capable de faiblesses.
Ô lavandière, quel beau jour !
Les fauvettes sont des drôlesses
Qui chantent des chansons d’amour.

110
LES CHANSONS DES RUES ET DES BOIS.

 
« Voilà six mille ans que les roses
Conseillent, en se prodiguant,
L’amour aux cœurs les plus moroses.
Avril est un vieil intrigant.

« Les rois sont ceux qu’adorent celles
Qui sont charmantes comme vous ;
La Marne est pleine d’étincelles ;
Femme, le ciel immense est doux.

« Ô laveuse à la taille mince,
Qui vous aime est dans un palais.
Si vous vouliez, je serais prince ;
Je serais dieu, si tu voulais. » —

La blanchisseuse, gaie et tendre,
Sourit, et, dans le hameau noir,
Sa mère au loin cessa d’entendre
Le bruit vertueux du battoir.

Les vieillards grondent et reprochent,
Mais, ô jeunesse ! il faut oser.
Deux sourires qui se rapprochent
Finissent par faire un baiser.

Je m’arrête. L’idylle est douce,
Mais ne veut pas, je vous le dis,
Qu’au delà du baiser on pousse
La peinture du paradis.


27 septembre.