Bibliothèque de l’Action française (p. 61-67).


La Vie Paroissiale
La description de la paroisse















IV

La vie paroissiale



Nous allons voir la vie familiale se reproduire dans la paroisse et l’organiser. La paroisse n’est chez nos ancêtres, que la famille agrandie. C’est le transport d’une collectivité à l’autre des mêmes cadres, des mêmes éléments, du même esprit. Qu’est-ce au surplus que la paroisse canadienne, sinon très souvent la juxtaposition et le dédoublement de cinq ou six familles primitives et quelquefois moins ? Vous connaissez l’émerveillement de Montcalm qui, un jour, aux Éboulements, rencontre un vétéran de Carignan entouré de deux cent vingt de ses descendants peuplant à eux seuls quatre paroisses. Quels rapports de charité et de solidarité ne devait pas développer cet intime parentage !

Mais décrivons tout d’abord l’aspect champêtre, religieux et féodal de la paroisse de l’ancien régime, telle qu’elle apparut, elle aussi, au voyageur Kalm en 1749.

Elle se développe tout d’une ligne, le long de la côte. Les villages n’ont le droit de s’organiser que sur la fin ; ils sont petits et ils sont rares. Les maisons se distancent de trois à quatre arpents. La géographie, les ascendances ethniques, les exigences de la vie nouvelle ont déterminé cette disposition. Le colon canadien a voulu mettre sa maison à portée du fleuve, l’unique route. Ancien petit propriétaire de Normandie ou du Perche, à domaine très clos, il a voulu mettre, entre lui et ses voisins, assez de distance pour rester indépendant, assez de proximité pour recevoir du secours contre un premier ennemi qui s’appelle l’Iroquois, et contre un autre qui s’appelle l’isolement. C’est donc partout, sur les deux rives du fleuve et des rivières, la longue théorie des maisons et de leurs bâtiments, avec en arrière les champs et les prairies jusqu’à la lisière de la forêt. Aux carrefours des routes apparaissent les croix ; elles sont rustiques, mais hautes ; elles attestent dans les âmes la hauteur de la croyance ; elles la disent avec éclat par tous ces instruments du Calvaire qui les ornent ; elles confessent naïvement la fraternité de la foi par leur petite niche vitrée où se cache une statue et par leur tronc pour les âmes du purgatoire. Cette fraternité, les habitants l’affirment parmi eux, dans les beaux soirs d’été, quand tous ceux de la côte viennent se grouper au pied du Calvaire rustique pour y réciter la grand’prière.

Une seule chose dans la campagne canadienne s’élève plus haut que les croix des chemins : l’église et son clocher. Il est là, au centre, le plus souvent sur une éminence, pour que de tous les points on l’aperçoive. Les clochers d’autrefois montent comme ceux d’aujourd’hui, clairs et luisants dans le ciel et ils s’entourent d’un bouquet d’arbres. « J’ai aperçu enveloppé d’ormeaux un clocher fin, tout blanc, d’où partait l’angélus du soir, écrivait un jour Réné Bazin, et j’ai dit : puisque mon Dieu est là présent, les Canadiens sont tout autour ». Ce spectacle était le même jadis. Près de l’église, le presbytère, maison de pierre et blanchie, ne diffère des autres que par la longueur que lui ajoute la salle des habitants. Entre l’église et le presbytère et tout près pour qu’à toute heure s’y projette l’ombre du clocher, le cimetière où dorment les premiers aïeux, les fondateurs de la paroisse. Peu d’emplacitaires auprès de l’église ; deux ou trois maisons tout au plus, y compris la maison d’école.

Mais voici bien dans le paysage paroissial, l’élément féodal, aujourd’hui presque entièrement disparu. Cette haute tour de pierre avec un toit pointu et de grandes ailes qui tournent au vent, c’est le moulin de la Seigneurie, le moulin banal avec son meunier tout blanc, le moulin où Marianne vient se faire manger son âne, le moulin qui va trop vite, le moulin qui va trop fort, quand le meunier dort. Quelquefois le moulin n’a point d’ailes ; placé près d’un torrent il est à eau et une longue dalle lui apporte la force motrice. Au moulin tous les censitaires viennent faire moudre leur grain et y laissent comme droit de mouture, le quatorzième minot. Car le moulin banal bâti aux frais du seigneur, est resté sa propriété.

Le seigneur ! Je vous présente le premier personnage de la paroisse après le curé. Vous apercevez son manoir, à quelque distance de l’église, dans un enfoncement d’ombrage. Rien que de très modeste assez souvent que ce manoir du seigneur de la Nouvelle-France. Point de créneaux, point de tourelles en poivrières, point de mâchicoulis ni de pont-levis. Le manoir garde l’apparence d’une maison de ferme autant que d’un château ; à peine s’accorde-t-il parfois le luxe d’une ou deux tours de mine féodale, mais seul il a droit au pigeonnier et à la girouette qui tourne et crie sur son toit. La plupart du temps, pauvre officier en retraite, n’ayant pour toute fortune que son épée et la gloire de ses campagnes, le seigneur canadien, de grandes manières et de bonne race, il est vrai, garde figure, parmi ses censitaires, d’un débonnaire bourgeois, ou mieux d’un fermier plus riche, mais resté bon et proche de ses paysans dont il partage la vie et les travaux, avec qui, lui ou ses ancêtres ont ouvert la paroisse.