Albin Michel (p. 107-110).


L’ARMOIRE AUX CERVEAUX


Un après-midi, le docteur Dide me dit :

— Venez voir mon laboratoire.

Les travaux de ce savant sont célèbres par le monde.

Au moyen d’une machine perfectionnée, il coupe les cerveaux en tranches minces comme l’on fait du jambon de Parme dans les boutiques italiennes d’alimentation. Il examine ensuite la chose au microscope. De là sortira peut-être la clé de la maladie mystérieuse. Du moins espérons-le.

Je me promenais donc, respectueusement, dans ce temple de l’avenir, quand, soudain, je tombai en arrêt devant un réduit imprévu.

Cent vingt pots de chambre, chacun dans un joli petit casier, ornaient seuls les murs de ce lieu. Aux anses pendaient des étiquettes portant noms d’hommes et de femmes et, en dessous : D. P. (démence précoce). Délire progressif. Confusion mentale, psychoses symptomatiques, lésions circonscrites ; P. G. marche rapide. Épilepsie. Idiotie.

Ces pots de chambre aussi correctement présentés avaient dans leur air quelque chose de fascinateur.

— C’est mon armoire à cerveaux, fit Dide.

Il tira un pot par l’anse : un cerveau nageait dans un liquide serein. Regardant l’étiquette, le savant me dit :

— C’est Mme Boivin.

— Enchanté !

Je demeurais en extase devant l’armoire.

— Parfait ! fis-je, vous avez là de beaux cerveaux, mais pourquoi dans des pots de chambre ?

Le maître me regarda bien en face et me répondit :

— Parce que le pot de chambre, Monsieur, est la forme idéale du cerveau !