Œuvres complètes de François CoppéeLibrairie Aldre HoussiauxPoésies, tome IV (p. 414-415).

CHAUVINISME

J’en conviens. Je suis en retard
Avec le rêve humanitaire.
J’aime, ô France, ta vieille terre
En chauvin, en patriotard.

Des orateurs pleins de faconde,
Apôtres de la crosse en l’air,
Me hurlent le mot de Schiller :
« Nous sommes citoyens du monde ! »


Hélas ! je l’entendis déjà
S’élever, cette clameur vaine.
Mais alors, sous un flot de haine,
L’invasion nous submergea.

Voilà pourtant qu’on recommence
À faire aux vainqueurs les yeux doux.
« Peuples frères, embrassons-nous ! »
Quelle pitoyable démence !

Ceux de mon âge ont trop vécu.
Ce fier pays s’abaisse et rampe ;
Et, de colère, sur ta hampe,
Tu frémis, ô drapeau vaincu !

Démentis par tant de tueries,
Des rhéteurs par la plèbe élus
Nous déclarent qu’il ne faut plus
De frontières ni de patries.

Chimère ! Songe-creux ! Roman !…
« Qui donc a la meilleure place
Dans ton cœur, — dis, l’enfant qui passe, —
Les voisines ou ta maman ? »

Novembre 1903.