Chansons de la roulotte/Le Tsar à Paris
à Paris
Il serait malséant de se montrer gogu’nard
Pour la bell’ réception que Paris fit au Tsar ;
Car, sauf les invités, l’Parlement… et l’public,
Tout l’monde en trouva l’organisation très chic.
Sur l’air du tra la la la,
Sur l’air du tra la la la,
Il s’est roulé dans les galas,
Nicolas !
On disait : « Cet idiot d’Protocole accouch’ra
D’un programme enfantin dont tout l’mond’se fich’ra ! »
Et lorsque, final’ment, ce programm’ fut trouvé,
Chacun fit : « Ça va bien. Le Tsar peut en crever !
Sur l’air du tra la la la,
Sur l’air du tra la la la,
Probabl’ qu’il n’en réchapp’ra pas,
Nicolas ! »
On a dit qu’on avait t’nu la foule à l’écart…
Reste-t-il des Français qui n’aient pas vu le Tsar ?
Oui, quand il est parti, (l’) on en trouvait encor ;
Mais ils en ont eu tant d’chagrin qu’ils en sont morts.
Sur l’air du tra la la la,
Sur l’air du tra la la la,
’Y a plus personn’ qui n’connaiss’ pas
Nicolas !
On blaguait les fleurs en papier semées partout.
On disait : « C’est gentil, mais ça n’sent rien du tout. »
La veille encore on riait, quand le vent s’évertua
À souffler de Pantin, immédiat’ment ça pua.
Sur l’air du tra la la la,
Sur l’air du tra la la la,
Il s’bouchait l’nez tous les dix pas,
Nicolas !
À l’Élysée, le Tsar fut-il pas délicieux ?
Aux membr’s du Parlement il dit : « Bonjour, messieurs ! »
« Ah ! fir’nt ces pauvres gens, tout fiers de ces deux mots,
Enfin ! voilà quelqu’un qui n’nous trait’pas d’chameaux !
Sur l’air du tra la la la,
Sur l’air du tra la la la…
C’est drôle, il n’nous injurie pas,
Nicolas ! »
Ne fut-ce pas vraiment, au gala d’l’Opéra,
La fin’ fleur de Paris que le Tsar admira ?
’Y avait là Mesureur, Vaillant, Chautemps, Chauvin
Dans l’entr’acte on sabla… quatorz’ cents litr’s de vin !
Sur l’air du tra la la la,
Sur l’air du tra la la la,
Et l’on bourra de cervelas
Nicolas !
À la cérémonie du pont d’l’Exposition,
Le beau sexe, a-t-on dit, n’eut point d’invitation ;
C’est faux ; car, un moment, la Tsarin’ dit au Tsar :
« As-tu bientôt fini d’lorgner monsieur Ricard ?
Sur l’air du tra la la la,
Sur l’air du tra la la la,
Allons, voyons, ne t’excit’ pas,
Nicolas ! »
On rit de ce Tsar allant à l’Académie
Pour voir de près les Quarante avoir du génie.
Or, n’en déplaise aux rieurs, il les vit en avoir !
Il vit ainsi quéqu’ chos’ que personn’ ne peut voir !
Sur l’air du tra la la la,
Sur l’air du tra la la la,
Souviens-t’-en, tu n’le r’verras pas,
Nicolas !
Au Théâtre-Français, il sortit tout à coup,
Pressé par un besoin d’homme qui rit beaucoup.
Claretie exultait, quand le Tsar, de retour,
Lui dit : « J’vous d’mand’ pardon ; ça m’coupait d’puis Cherbourg. »
Sur l’air du tra la la la,
Sur l’air du tra la la la,
’Y avait trois jours qu’il n’avait pas…
Nicolas !
À son tour, voilà Félix Faur’ qui d’vient blafard,
Et r’gard’ le chef du Protocol’ d’un œil hagard ;
Crozier, furieux, lui dit : « Espèc’de dégoûtant !…
Enfin, c’est bon, allez, mais n’soyez pas longtemps ! »
Sur l’air du tra la la la,
Sur l’air du tra la la la,
Félix Faure était dans l’mêm’ cas
Qu’Nicolas !
Enfin, lorsque le Tsar, enchanté, nous quitta,
Une folle explosion de douleur éclata,
Et partout retentit ce cri vraiment français :
« Le prochain emprunt russe aura beaucoup d’succès !
Sur l’air du tra la la la,
Sur l’air du tra la la la,
Et, somm’toute, il n’y perdra pas,
Nicolas ! »