Chansons de la roulotte/La mission japonaise
Lors du couronn’ment du Tsar
Que nous avons en Russie,
L’emp’reur du Japon, gaillard
Très fort en diplomatie,
Dit à Fushimi, princ’ jeune et bouillant
« Prends Yamagata, vainqueur de Ping-Yang,
Guerrier qu’à Moscou même on apprécie,
Et va r’présenter notre grand pays.
Maint’nant, comm’ tu dois passer par Paris,
Va voir Félix Faur’, puisque c’est l’mêm’ prix. »
On sait qu’à tout étranger
Félix Faure est sympathique.
« ’D’mand’ pardon d’vous déranger,
M’sieur, lui dit l’Asiatique,
Mais en plus de c’qu’il commence à pleuvoir,
Ya Yamagata[1] qui voulait vous voir.
Nous avons bien un’ mission politique,
Mais n’en parlons pas ; nous nous entendrons
Avec vos ministr’s ; et puis, quand nous s’rons
D’accord avec eux, nous vous l’écrirons…
…Indiquez-nous voir un peu
D’abord celui du Commerce. »
Félix Faur’ dit : « C’est un jeu
Auquel souvent je m’exerce…
Le ministre du Commerce… Attendez…
Ça doit être un… — non ! ça doit être un D…
À moins que… voyons… C’est bien du Commerce
Que vous… ? Oui. C’est qu’j’en ai connu des tas !
Enfin, vous d’mand’rez… Mais, dans tous les cas,
J’s’rais bien étonné si ’y en avait pas. »
Quelqu’un leur nomma celui
Qu’on avait d’puis un’ semaine.
Vit’ vite ils courur’nt chez lui.
C’était l’même encore ! Ô veine !…
Ils dir’nt : « Monsieur, nous v’nons vous emprunter
Quelques bonn’s idées pour les emporter. »
Monsieur Boucher les comprenait à peine :
« Des idées !… Ah ! ça, vous êt’s donc d’Passy ?
Des idées !… à moi ! Boucher, que voici !
Ah ! si j’en avais… je n’s’rais pas ici !…
…Peut-êtr’ que Méline en a.
Chez lui nous allons nous rendre. »…
Mais Méline s’étonna :
« Boucher, vous d’vez vous méprendre.
Un prince étranger, c’est pas pour ici.
C’est pour chez Cléo, Liane, Ève ou Lucy.
Voyons, vous auriez dû lui fair’ comprendre
Que je n’suis pas organisé d’façon
À fair’ le bonheur d’un princ’ polisson.
Je m’appell’ Mélin’, mais j’suis un garçon ! »
Monsieur Boucher, de nouveau,
Se d’mandait où les conduire,
Quand, soudain, dans son cerveau,
Une bonne idée vint à luire.
Il leur présenta son prédécesseur,
Le très distingué monsieur Mesureur,
Qui mit une ardeur telle à les instruire
Qu’à Moscou, lorsque le nouvel emp’reur
Complimenta le maréchal vainqueur,
Yamagata répondit : « Poil au cœur ! »
- ↑ Bégayer : Ya… ya… ya Yamagata.