Chansons choisies d’Eugène Imbert/Les Hannetons

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Chansons choisies d’Eugène Imbert
Chansons choisies ; [[Élégies parisiennes|Élégies parisiennes]]Imprimerie Demoulle (p. 71-75).


LES HANNETONS


Air nouveau de J. Darcier.


Hannetons,
Faibles avortons,
Vous êtes de singuliers êtres.
D’être grands quand nous nous vantons,
Nous mentons ;
Car vous serez toujours nos maîtres.
Nous vous garrottons,
Nous vous maltraitons…
Nous vous regrettons !
Hannetons,
Faibles avortons,
Nous vous regrettons,
Hannetons !

Ils ont des fleurs en abondance.
Sur un orme leur pain mûrit.
Jamais, même aux jours de bombance,
Le vin ne leur troubla l’esprit.
L’amour est leur unique ivresse ;
Et, pour semer leurs rejetons,
— À quoi pensent les hannetons ! —
Ils n’ont qu’une seule maîtresse.


Hannetons,
Faibles avortons,
Vous êtes de singuliers êtres.
D’être grands quand nous nous vantons,
Nous mentons ;
Car vous serez toujours nos maîtres.
Nous vous garrottons,
Nous vous maltraitons…
Nous vous regrettons !
Hannetons,
Faibles avortons,
Nous vous regrettons,
Hannetons !

Dans leurs tendresses éphémères,
Que le bon Dieu bénit gratis,
Ils n’ont jamais connu leurs mères,
Ils ne connaîtront pas leurs fils.
Sevrés de nos grandeurs humaines,
Ils poursuivent comme à tâtons
— À quoi pensent les hannetons ! —
Leur avenir… de trois semaines…

Hannetons,
Faibles avortons,
Vous êtes de singuliers êtres.
D’être grands quand nous nous vantons,
Nous mentons ;
Car vous serez toujours nos maîtres.
Nous vous garrottons,
Nous vous maltraitons…
Nous vous regrettons !

Hannetons,
Faibles avortons,
Nous vous regrettons,
Hannetons !

Ils volent, libres et sans gêne ;
Et s’abattent quand ils sont las.
Moins vêtus que feu Diogène,
Sur nos rosiers, sur nos lilas.
Mais l’effronterie a des bornes :
Montrons-nous ce que nous portons ?
— À quoi pensent les hannetons ! —
En public ils sortent leurs cornes !

Hannetons,
Faibles avortons,
Vous êtes de singuliers êtres.
D’être grands quand nous nous vantons,
Nous mentons ;
Car vous serez toujours nos maîtres.
Nous vous garrottons,
Nous vous maltraitons…
Nous vous regrettons !
Hannetons,
Faibles avortons,
Nous vous regrettons,
Hannetons !

Chez ces humbles coléoptères
Rome et Clichy sont inconnus ;
Pas d’avocats, pas de notaires ;
Pas de pauvres marchant pieds nus ;

Pas de bourses ni de conclaves,
De prêtres ni de marmitons ;
— À quoi pensent les hannetons ! —
Pas de souverains ni d’esclaves.

Hannetons,
Faibles avortons,
Vous êtes de singuliers êtres.
D’être grands quand nous nous vantons,
Nous mentons ;
Car vous serez toujours nos maîtres.
Nous vous garrottons,
Nous vous maltraitons…
Nous vous regrettons !
Hannetons,
Faibles avortons,
Nous vous regrettons,
Hannetons !

Comme l’abeille et la cigale,
D’un peu de miel ils sont contents.
Leur humeur est toujours égale :
Haïr ? Ils n’en ont pas le temps.
Ils se brûlent à nos chandelles ;
Ou, happés par des becs gloutons,
— À quoi pensent les hannetons ! —
Ils pardonnent aux hirondelles.

Hannetons,
Faibles avortons,
Vous êtes de singuliers êtres.
D’être grands quand nous nous vantons,

Nous mentons ;
Car vous serez toujours nos maîtres.
Nous vous garrottons,
Nous vous maltraitons…
Nous vous regrettons !
Hannetons,
Faibles avortons,
Nous vous regrettons,
Hannetons !