Chansons choisies d’Eugène Imbert/Laissez passer la justice de Dieu

Chansons choisies d’Eugène Imbert
Chansons choisiesImprimerie Demoulle (p. 21-22).


LAISSEZ PASSER LA JUSTICE DE DIEU


Air de la Fête du bon Dieu.


Chaque palais illumine son dôme ;
Le vin circule aux magiques clartés ;
C’est aujourd’hui grande orgie à Sodome ;
Enivrez-vous d’étranges voluptés…
Le soufre pleut : la fête sépulcrale,
Se débattant dans un fleuve de feu,
Crache un blasphème avec son dernier râle.
Laissez passer la justice de Dieu !

L’Europe a vu sous la pourpre romaine,
Où trop longtemps la foudre l’oublia,

Un homme, un prêtre, un tigre à face humaine
S’enorgueillir du nom de Borgia.
Parmi les rois sa tiare était haute ;
Mais l’assassin qui souillait le saint lieu
Boit le poison préparé pour son hôte ;
Laissez passer la justice de Dieu !

Il vient une heure où le passé se juge ;
Quatre-vingt-neuf, jour d’espoir et d’effroi !
Le peuple à flots, comme un vivant déluge,
Bat en hurlant le char d’un faible roi.
En vain ce roi conjure la tempête ;
Dans cet abîme où roule son essieu,
Sans le combler, il jettera sa tête.
Laissez passer la justice de Dieu !

Pour arguments prends le fer et la flamme,
Inquisiteur ; frappe au nom du Très-Haut.
Tuant le corps pour purifier l’âme,
Fais de l’autel un pieux échafaud ;
Et saisissant les torches funéraires,
L’Espagne, un jour, dans un terrible jeu,
Sur leurs bûchers brûlera les bons frères.
Laissez passer la justice de Dieu !

Le crime ainsi trouve partout sa tombe.
Peuples et rois, monstres, fléaux, tyrans,
Au droit vengé doivent une hécatombe,
Et le trépas nivelle tous les rangs.
Aux grands forfaits le vulgaire pardonne ;
Mais des pervers la grandeur dure peu.
Entendez-vous la voix du Temps qui tonne ?
Laissez passer la justice de Dieu !