Chanson du franc archer

La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 52-54).


CHANSON DU FRANC ARCHER

1562


Le franc archer à la guerre s’en va,
Testamenta comme un chrétien doit faire,
Il a laissé sa femme à son vicaire,
Et au curé les clefs de sa maison ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer belles armes avait,
L’épée était d’une broche tortue,
Sa dague était d’une cuiller rompue,
D’un pot cassé faisait son morion ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer un fort bel arc avait,
De bois pourri, la corde renouée,
Sa flèche était de papier empennée,
Le bout brûlé servait de vireton ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer un beau chapeau avait,
De bourre était bien filée et déliée,
Sa chemise sur l’épaule nouée :
Toujours le vent lui souffle au croupion ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer un corselet avait
De beau fer-blanc, les brassards faits de corne,
Ainsi armé se regarde et retorne :
Sangri, dit-il, me voilà beau garçon ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer belles bottes avait,
De paille étaient, de vert osier liées,
Chausses avait de drapeau dessirées,

Une lardoire lui servait d’éperon ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer une jument avait
De poil fauveau, tant maigre et harassée,
Sa selle était de paille rembourrée ;
Après suivait son petit poulichon ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer chez son hôte arriva :
Vertu, morgoi, jarnigoi, je te tue. —
Tout beau, monsieur, nos oisons sont en mue.
Il l’apaisa d’une soupe à l’oignon ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer à son repas avait
Du lard grillé, du lait clair pour potage,
Le plus souvent de l’eau pour son breuvage,
A son dessert mangeait un champignon ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer de belle taille était,
Bossu, manchot, les jambes contrefaites,
Borgne et morveux, et jamais sans lunettes,
Ayant toujours les mules au talon ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer preux et vaillant était ;
Il assaillait fort volontiers les mouches :
Sus, disait-il, il faut que je vous touche,
Mais une guêpe lui donna l’aiguillon ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer revint en sa maison,
Bien empêché de retrouver sa rue,
Droit sur un pied faisant la grue,
Raide de froid était comme un glaçon ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer tant sa femme chercha
Qu’il la trouva logée au presbytère,
Couchée était avecque le vicaire

Qui en prenait sa récréation ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer à son vicaire dit :
Quand aurez fait de ma femme à votre aise,
La renvoyer en ma maison vous plaise,
Et vous l’aurez à la collation ;
     Viragon, vignette sur vignon.

Le franc archer de Paris se disait
Fils d’un marchand des bateaux capitaine.
Lui caporal, son oncle porte-enseigne,
Et son cousin était porte-bedon[1] ;
     Viragon, vignette sur vignon.


(Le Roux de Lincy, Chants historiques.)
  1. Porte-tambour.