Cham - Albums du Charivari/Les jours gras

Journal le Charivari (6p. 117--).

LES
JOURS GRAS
ALBUM

par Cham
par Cham

— J’ai rencontré mes amoureux dans la salle.
— Diable ! il y a tant de monde que ça !



Paris
Paris
MAISON MARTINET
172, rue de rivoli, et rue vivienne, 41

— Excusez ! tu lèves les deux jambes à la fois, toi ?

— Faut bien se rattraper, le carnaval est si court cette année !

— Ne va donc pas avec lui, c’est une ganache !

— C’est bien pour cela que je l’ai choisi ! elles sont à la mode cette année les ganaches !

LA BOURSE DES AMOURS.

— Qu’est-ce qu’il a fait ton cœur ce soir ?

— Il a fermé avec quatre Arthurs, dont un Alfred ; les princes russes sont restés froids ; les amants de cœur sont peu demandés.

— Je suis l’homme le plus heureux ! elle m’appelle son petit bijou !

— Méfie-toi ! elle va t’envoyer à l’hôtel des ventes.

— Tu as lâché ton cavalier ?

— Ma chère, il avait assez bien supporté l’épreuve du sucre de pomme, mais quand je lui ai touché la question des huit termes de mon propriétaire, il a faibli et manqué son examen.

— Nous allons souper, mais je n’entends pas que ce soit vous, monsieur, qui payiez la carte ; donnez-moi votre bourse, c’est moi qui régale !

— Pardon, monsieur, mais il me semble avoir déjà eu le plaisir de vous voir…

— Où donc cela, madame ?

— Mais dans la vitrine d’un marchand de curiosités.

— Madame, j’ai un rival ?

— Oui, monsieur, le perdreau truffé : je l’adore !

— Je me suis habillé en diable !

— Tu as bien fait : ta femme t’avait fourni déjà une partie du costume.

— Ah sapristi ! j’ai eu tort de prendre ce costume ! il y a trop de gens gênés dans ce moment-ci.

— Vois donc, ma chère, ce n’est pas un homme sérieux : il m’avait promis que j’aurais voiture !

— Eh bien, il fait la roue… c’est toujours un commencement !

— Mais c’est une horreur ! Comment, monsieur, c’est moi qui vais payer le souper !

— Que voulez-vous, madame, il ne fallait pas venir avec moi ; je n’ai que de la monnaie de singe, mon costume vous l’indiquait !

Madame, je voudrais déposer une partie de mes vêtements au vestiaire !

— C’est une horreur de rentrer à ces heure-ci ! avec un ours encore ! Tachez qu’il ne fasse pas des ordures dans les escaliers, sans quoi je vous fais donner congé par le propriétaire !

— Permettez-moi, monsieur le comte, de vous présenter ma fille qui a reçu une excellente éducation… au camp de Châlons.

— Je suis la Guerre ?

— La guerre ? la guerre d’Amérique alors ! car tu n’en finis pas, grand escogriffe !

— Tu cherches à me souffler mon milord anglais ?

— Je l’ai pris à deux heures, il en est trois ; une heure de milord, c’est trente-cinq sous ! les voici, tu n’as plus rien à dire !

— C’est par mesure d’économie que tu me fais payer tout ce sucre de pomme ?

— Oui, mon chéri, on parle d’augmenter encore l’impôt sur le sucre !

— Ce sont les fruits de ta soirée ?

— Oui, ma chère ; et tout me fait espérer qu’ils ont des noyaux !

— Madame, mouchez-moi ; ma bonne n’est pas là !

— Elle ne m’aimait pas !

— Ne m’en parlez pas ! il y a des femmes qui ne savent même pas leur état !

— Monsieur, vous m’inspirez de la confiance ; sauvez-moi des dangers que court ma vertu au bal masqué ; emmenez-moi bien vite.

— Chez vos parents ?

— Non, au restaurant.

— Tu as deux Américains !… t’as pas honte !

— Dame ! un du Nord, l’autre du Sud… Je n’en garderai qu’un, quand je saurai lequel des deux aura ruiné l’autre.

LE GROS DOMINO. — Eh bien ! monsieur, que signifie cette plaisanterie ? pourquoi me présenter toujours ce bébé ?

— Mais, dame ! c’est un enfant que je présente à la tour.

— Grossier personnage !

Quatre-vingt-quinze francs !… Saprelote, quel sevrage !

— Oui, madame, j’ai cru que vous n’aimiez que moi !

— Pour votre honneur, monsieur, taisez-vous ! Vous feriez croire que vous êtes un égoïste.

— Mon chéri, je crains que tu ne sois peut-être pas assez couvert ?

— Je le suis suffisamment, je ne m’enrhume jamais que de la tête.

— Excusez ! un ours et un singe ! Ton cœur est donc un jardin d’acclimatation ?

— Mon brave homme, combien m’achetez-vous vos sucres de pomme ?

— Madame veut dire combien je les vends ?

— Du tout. Les autres me les achèteront, moi je vous les revendrai.

— Dis donc, bébé, il faut qu’elle se dépêche ta nourrice, si elle veuf faire payer ta dernière dent !

— Tu te laisses embrasser par ce monsieur que tu ne connais seulement pas ?

— Bah ! je ferai sa connaissance après, le carnaval est si court cette année !

LA SORTIE DU BAL MASQUÉ
Cherchant à reconnaître son domestique.

— Pas vrai, dis, que tu vas me payer un bâton de sucre de pomme pour que Bébé ne suce pas toujours son pouce ?

— Tiens ! le décrotteur qui t’appelle son prince !

— Pourquoi pas ?… en lui présentant ma botte je lui ai bien dit : Cire ! comme au roi.

— Tiens ! il est gentil ce petit soldat ; j’aimerais bien le commander !

— Je veux bien ! commande-moi… un bon souper aux truffes !

— Quelle imprudence ! venir au bal masqué avec une fluxion de poitrine !

— Est-il dégoûtant, mon sauvage ! Au moment de me mener souper il se fait conduire au poste !

— Dame ! c’est peut-être son restaurant ! il y a des sauvages qui avalent des lames de sabre !

— Tu prétends que ce Grec t’adore ?… Mais il ne t’a jamais vue !

— Justement !… Pour régner sur son cœur il faut lui être parfaitement étranger… t’entends rien à sa politique.

— Mon cher, t’as bien fait de mettre un bourrelet.

— Tu crois ?

— Mais oui ; ta femme te faisait trop de bosses au front.

— Tu n’es donc plus fatigué ? J’ai cru que tu cherchais à t’asseoir ?

— Ne parle pas si haut ! Ce monsieur profiterait de ça pour m’offrir son trône.

— Il m’a juré qu’il m’adorait !

— Lui ? Eh bien, ma chère, tu ne risques rien que de donner un bon pourboire à ce postillon-là, car il te fait joliment aller.

— Ah ! mon Dieu ! un duel ! Vous lui avez remis votre carte ?

— Oui, madame, la carte du jour… je suis restaurateur.

— Tiens ! tu m’avais dit que tu te mettais en Espagnol et te voilà Polonais !

— Sapristi ! il est dur comme le diable ce bœuf !

— Monsieur, il a cependant remporté un prix !

— Un prix de vétéran, alors !

— Imbécile ! vas-tu pas être jaloux de c’te enfant !

— Dites donc, mon cher, je ne suis pas Écossaise, moi ! l’hospitalité chez moi ça se paye très-bien.

— Où est-elle ta bonne, mon petit chéri ?

— Elle est tambour-major au 64e de ligne.

— Hi ! hi ! m’sieu ! ma bonne n’est pas là ! voulez-vous me descendre un instant dans la rue ?

L’OUVREUSE. — Monsieur ! elle est louée !

LE MONSIEUR. — C’est une infamie ! l’administration n’a pas le droit de disposer de mon épouse !

— Mon cher, c’est une voiture que je t’économise ; ça fait que tu me donneras les quarante-cinq sous pour ta course !

— Voulez-vous quitter le bras de Monsieur tout de suite ! il est défendu aux enfants de jouer avec les allumettes !

— Pardon, madame ! Je vous jure que c’est sans intention !

— Vous n’êtes qu’un imbécile alors !

— Viens ici que je te serve de bonne ! t’as besoin qu’on te mouche !

— Tu m’avais dit qu’il avait l’œil américain !

— Eh bien oui ! ils sont tous comme ça depuis la guerre !

LE CONCOURS POUR LE BŒUF GRAS.

— Monsieur, permettez-moi de vous présenter mon élève.

— Bravo ! il est devenu aussi fort que le maître.

Roulant son élève jusqu’au concours.

— Ventrebleu ! il est par trop mal élevé votre bœuf !

— Mais, monsieur, il fait voir ses titres ! il se présente pour le prix de culotte.

— Premier grand prix, approchez donc.

— Voilà, monsieur le président, voilà ! C’est que, voyez-vous, il est si modeste !

Le bœuf commence à avoir des craintes sérieuses à la vue de ses prétendants. Mexico croyant de son devoir de prendre l’offensive vis-à-vis des Espagnols de son escorte.