Cham - Albums du Charivari/Histoire de plaisanter

Journal le charivari (4p. 299--).

HISTOIRE DE PLAISANTER
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ALBUM
DE 60 CARICATURES

PAR
CHAM
— Tu as été renvoyé ?
— Non maman, prorogé !

PARIS
ARNAULD DE VRESSE, ÉDITEUR
55, RUE DE RIVOLI, 55

— Il n’est pas encore validé ! Moi, il me fait peur. Un monstre, quoi ! moitié homme, moitié député !

— C’est une horreur ! Mon mari est député et on lui fait faire les courses ; on l’a mis d’une commission !

— Quelle chance de n’avoir pas été nomme député, je serais à étouffer à la Chambre !

— (Bas). Ça fait un terrible effet tout de même ! Je ne voulais pas être député, c’est ma femme qui a voulu ! Si je pouvais donc la mettre à ma place !

— Mon bon monsieur, ayez pitié d’un candidat malheureux ruiné par ses affiches.

— On vient de me mettre d’un bureau.

— Quel bonheur ! Un bureau de tabac ?

— Commencez, la Chambre vous écoute.

— Pardon, monsieur le président. J’attends que ma femme soit arrivée, et je ne la vois pas encore dans la tribune.

— Ils s’occupent du pays. Moi, je m’occupe aussi de la payse !

— Mon élection n’est pas validée !

— Mais c’est affreux ! J’aurai donc embrassé pour rien tous ces électeurs si laids !

L’HUISSIER. — Monsieur, restez ainsi. Vous ne vous assoirez complètement que lorsque votre élection sera validée !

UN MOUVEMENT BIEN NATUREL LE PREMIER JOUR
— Quel bonheur ! m’y voilà donc !

— Ma fille, ne l’épouse pas ! Son élection l’a ruiné en affiches ; épouse plutôt le colleur, c’est lui qui a tout son argent.

— Tu sais, mon cher, si ton élection n’est pas validée ; ce n’est pas la peine que tu reviennes à la maison !

— Mais entrez donc !

— C’est que je me méfie ! Comme je suis un nouveau à la Chambre, je crains que les anciens ne me fassent des farces.

— Messieurs, je vous en supplie ! validez mon élection. Voyez donc comme tout cela me va !

Vingt-quatre heures que je suis député, et voilà déjà ma femme et mon fils qui apostillent des pétitions.

— Aie ! Il se doutait que je serais nommé à sa place ! En partant il a garni son fauteuil d’aiguilles anglaises.

CHOISISSANT SA PLACE À LA CHAMBRE.

— Sapristi ! Que le siège est dur !

— Monsieur s’assoit à la gauche ! Il serait bien mieux à la droite : tous rembourrés de ce côté.

— Où donc qui sont tes 6 000 électeurs ? Pas un seulement pour aller nous chercher une voiture.

— Vous ne me trouvez pas trop gros ?

— Pas maintenant. Monsieur représente tout un département !

— Pardon, monsieur, est-ce que vous ne vous assiériez pas autrement ?

— Non, je tiens à être tout à fait au sommet de la montagne.

— Que tu es donc désagréable depuis ta nomination comme député ! Tu vous coupes la parole à chaque instant !

— Ma chère, je m’exerce aux interruptions.

— Mon mari est député ! Faites-lui ses effets bien larges, afin qu’il ne soit pas gêné dans ses luttes parlementaires.

— Vous avez un appartement à louer ?

— Monsieur n’est pas député ? Nous ne voulons que des gens tranquilles dans la maison.

PENDANT LA PROROGATION.

Installés à l’hôtel des Invalides en attendant leur validation.

N’osant pas retourner dans son département, préférant attendre chez le concierge du Corps législatif qu’on le laisse rentrer.

— Je vous ai nommé député, qu’est-ce que vous faites ici ?

— Mon ami, c’est que…

— C’est bon, vous êtes un flâneur !

— Il me ferme sa porte ?

— Non, mademoiselle, il vous proroge seulement.

— Monsieur le président, je vous en prie, donnez-lui quelque chose à faire pendant ce temps-là ! que je ne l’aie pas sur le dos toute la journée.

— Ils commencent une ouverture, et les voilà qui s’arrêtent !

— C’est un morceau de circonstance ; c’est intitulé : la Prorogation.

Prorogés en emportant chacun son prix.

— Toc ! toc !

— Entrez !

Bon nanan ! Venant essayer sa belle robe neuve.
Solide sur ses jambes. Ça a l’air de lui aller.

— Conduis-moi aux eaux.

— Mais, ma chère, tu devrais en avoir assez. C’te enfant qui pleure toute la journée.

— Monsieur n’a pas voulu que je l’accompagne aux eaux. Faut bien se résigner et se mettre à autre chose !

— Docteur, je voudrais prendre les eaux en Allemagne ; quelle maladie me recommanderiez-vous ?

— Je t’enverrai passer un mois chez ton oncle.

— Toi qui m’avais promis que j’irais aux eaux.

— Ça revient au même ; il est hydropique.

— Viens donc voir, Polyte, de l’encre de Chine qui se délaye toute seule ?

— Qu’est-ce qu’il a c’t imbécile. Va-t-il pas jeter sa ligne sur le régiment !

— Caporal, il espère peut-être attraper vos sardines.

— Mais, sergent, je ne sais pas nager.

— Ça ne me regarde pas ! Vous irez au fond, et là vous attendrez les ordres de vos chefs !

— Dites donc, turco, c’était donc pour vous baigner ? J’ai cru que vous vous mettiez tout nu pour porter un deuil !

— Frotte-la-lui ! tu es certaine de gagner !

— Mais sous quel prétexte ?

— Tu lui soutiendras qu’il a des rhumatismes.

— À la trink hall de Bade ils ont toutes les eaux. Je bois du fleuve Léthé.

— Vieux polisson, pour oublier ta femme ?

— Vois donc, maman, comme elles ont la taille haute dans ce pays-ci ?

— J’ai trouvé une charmante danseuse à Bade !

— Bah ! Tu l’appelles ?…

— La banque. Je l’ai fait sauter.

— Ça doit être joliment commode des chapeaux comme ceux-là, au moment des élections, pour y coller ses affiches !

— Vois donc le ramoneur de Bade comme il est bien mis !

— Faut croire qu’il ramone le matin et redevient notaire le soir.

— Pourquoi que tu l’appelles Sire ?

— Dam ! si c’est un bourgeois, il fait exception à la règle par ici. C’est lui qui est fautif.

— Grand dieu ! Joseph, te voilà roi ?

— Il y a tant de majestés par ici ; je me serai trompé de chapeau en sortant du restaurant.

— Cinq ans que je cours les bals à Paris pour marier ma fille ! Huit jours que je suis à Bade, et demain elle épouse le baron d’Affenthaler !

— Sans chaussure ?

— Je viens de la vendre très-cher à un joueur. Parait que j’avais marché dans quelque chose qui est signe d’argent.

— Pourquoi te promener ainsi courbé en deux ?

— Pour fêter le centenaire.

— Te fêter ! toi qu’as fait les cent coups !

— Dam ! c’est un centenaire comme un autre.

— Qué qu’ça fait qu’il soit mort jeune, puisque ça l’a pas empêché de vieillir ? Le voilà qu’a cent ans.

— Merci, c’est un vieux !

— Qu’est-ce que ça fait ? Aujourd’hui on fête les centenaires !

— Tu ne m’as pas menée voir les fêtes du centenaire.

— C’est vrai, mais je le promets qu’à son second centenaire tu iras sans faute.

— Tu avais pris un flacon de poche ?

— Un dans chacune, et ma redingote en a douze.