Cham - Albums du Charivari/Histoire de plaisanter
— Non maman, prorogé !
— Il n’est pas encore validé ! Moi, il me fait peur. Un monstre, quoi ! moitié homme, moitié député ! |
— C’est une horreur ! Mon mari est député et on lui fait faire les courses ; on l’a mis d’une commission ! |
— Quelle chance de n’avoir pas été nomme député, je serais à étouffer à la Chambre ! |
— (Bas). Ça fait un terrible effet tout de même ! Je ne voulais pas être député, c’est ma femme qui a voulu ! Si je pouvais donc la mettre à ma place ! |
— Mon bon monsieur, ayez pitié d’un candidat malheureux ruiné par ses affiches. |
— On vient de me mettre d’un bureau. — Quel bonheur ! Un bureau de tabac ? |
— Commencez, la Chambre vous écoute. — Pardon, monsieur le président. J’attends que ma femme soit arrivée, et je ne la vois pas encore dans la tribune. |
— Ils s’occupent du pays. Moi, je m’occupe aussi de la payse ! |
— Mon élection n’est pas validée ! — Mais c’est affreux ! J’aurai donc embrassé pour rien tous ces électeurs si laids ! |
L’HUISSIER. — Monsieur, restez ainsi. Vous ne vous assoirez complètement que lorsque votre élection sera validée ! |
UN MOUVEMENT BIEN NATUREL LE PREMIER JOUR — Quel bonheur ! m’y voilà donc ! |
— Ma fille, ne l’épouse pas ! Son élection l’a ruiné en affiches ; épouse plutôt le colleur, c’est lui qui a tout son argent. |
— Tu sais, mon cher, si ton élection n’est pas validée ; ce n’est pas la peine que tu reviennes à la maison ! |
— Mais entrez donc ! — C’est que je me méfie ! Comme je suis un nouveau à la Chambre, je crains que les anciens ne me fassent des farces. |
— Messieurs, je vous en supplie ! validez mon élection. Voyez donc comme tout cela me va ! |
Vingt-quatre heures que je suis député, et voilà déjà ma femme et mon fils qui apostillent des pétitions. |
— Aie ! Il se doutait que je serais nommé à sa place ! En partant il a garni son fauteuil d’aiguilles anglaises. |
CHOISISSANT SA PLACE À LA CHAMBRE.
— Sapristi ! Que le siège est dur ! — Monsieur s’assoit à la gauche ! Il serait bien mieux à la droite : tous rembourrés de ce côté. |
— Où donc qui sont tes 6 000 électeurs ? Pas un seulement pour aller nous chercher une voiture. |
— Vous ne me trouvez pas trop gros ? — Pas maintenant. Monsieur représente tout un département ! |
— Pardon, monsieur, est-ce que vous ne vous assiériez pas autrement ? — Non, je tiens à être tout à fait au sommet de la montagne. |
— Que tu es donc désagréable depuis ta nomination comme député ! Tu vous coupes la parole à chaque instant ! — Ma chère, je m’exerce aux interruptions. |
— Mon mari est député ! Faites-lui ses effets bien larges, afin qu’il ne soit pas gêné dans ses luttes parlementaires. |
— Vous avez un appartement à louer ? — Monsieur n’est pas député ? Nous ne voulons que des gens tranquilles dans la maison. |
PENDANT LA PROROGATION.
Installés à l’hôtel des Invalides en attendant leur validation. |
N’osant pas retourner dans son département, préférant attendre chez le concierge du Corps législatif qu’on le laisse rentrer. |
— Je vous ai nommé député, qu’est-ce que vous faites ici ? — Mon ami, c’est que… — C’est bon, vous êtes un flâneur ! |
— Il me ferme sa porte ? — Non, mademoiselle, il vous proroge seulement. |
— Monsieur le président, je vous en prie, donnez-lui quelque chose à faire pendant ce temps-là ! que je ne l’aie pas sur le dos toute la journée. |
— Ils commencent une ouverture, et les voilà qui s’arrêtent ! — C’est un morceau de circonstance ; c’est intitulé : la Prorogation. |
Prorogés en emportant chacun son prix. | — Toc ! toc ! — Entrez ! |
Bon nanan ! | Venant essayer sa belle robe neuve. |
Solide sur ses jambes. | Ça a l’air de lui aller. |
— Conduis-moi aux eaux. — Mais, ma chère, tu devrais en avoir assez. C’te enfant qui pleure toute la journée. |
— Monsieur n’a pas voulu que je l’accompagne aux eaux. Faut bien se résigner et se mettre à autre chose ! |
— Docteur, je voudrais prendre les eaux en Allemagne ; quelle maladie me recommanderiez-vous ? |
— Je t’enverrai passer un mois chez ton oncle. — Toi qui m’avais promis que j’irais aux eaux. — Ça revient au même ; il est hydropique. |
— Viens donc voir, Polyte, de l’encre de Chine qui se délaye toute seule ? |
— Qu’est-ce qu’il a c’t imbécile. Va-t-il pas jeter sa ligne sur le régiment ! — Caporal, il espère peut-être attraper vos sardines. |
— Mais, sergent, je ne sais pas nager. — Ça ne me regarde pas ! Vous irez au fond, et là vous attendrez les ordres de vos chefs ! |
— Dites donc, turco, c’était donc pour vous baigner ? J’ai cru que vous vous mettiez tout nu pour porter un deuil ! |
— Frotte-la-lui ! tu es certaine de gagner ! — Mais sous quel prétexte ? — Tu lui soutiendras qu’il a des rhumatismes. |
— À la trink hall de Bade ils ont toutes les eaux. Je bois du fleuve Léthé. — Vieux polisson, pour oublier ta femme ? |
— Vois donc, maman, comme elles ont la taille haute dans ce pays-ci ? |
— J’ai trouvé une charmante danseuse à Bade ! — Bah ! Tu l’appelles ?… — La banque. Je l’ai fait sauter. |
— Ça doit être joliment commode des chapeaux comme ceux-là, au moment des élections, pour y coller ses affiches ! |
— Vois donc le ramoneur de Bade comme il est bien mis ! — Faut croire qu’il ramone le matin et redevient notaire le soir. |
— Pourquoi que tu l’appelles Sire ? — Dam ! si c’est un bourgeois, il fait exception à la règle par ici. C’est lui qui est fautif. |
— Grand dieu ! Joseph, te voilà roi ? — Il y a tant de majestés par ici ; je me serai trompé de chapeau en sortant du restaurant. |
— Cinq ans que je cours les bals à Paris pour marier ma fille ! Huit jours que je suis à Bade, et demain elle épouse le baron d’Affenthaler ! |
— Sans chaussure ? — Je viens de la vendre très-cher à un joueur. Parait que j’avais marché dans quelque chose qui est signe d’argent. |
— Pourquoi te promener ainsi courbé en deux ? — Pour fêter le centenaire. |
— Te fêter ! toi qu’as fait les cent coups ! — Dam ! c’est un centenaire comme un autre. |
— Qué qu’ça fait qu’il soit mort jeune, puisque ça l’a pas empêché de vieillir ? Le voilà qu’a cent ans. |
— Merci, c’est un vieux ! — Qu’est-ce que ça fait ? Aujourd’hui on fête les centenaires ! |
— Tu ne m’as pas menée voir les fêtes du centenaire. — C’est vrai, mais je le promets qu’à son second centenaire tu iras sans faute. |
— Tu avais pris un flacon de poche ? — Un dans chacune, et ma redingote en a douze. |