C’est il y a trente mille ans. Près d’une forêt dense et sombre, la tribu des filles de la Louve se tient dans une vaste caverne aux grottes et souterrains innombrables. Voilà des siècles et des siècles que les filles de la Louve, femmes groupées en un clan rigide, vivent à l’écart des hommes qu’elles ne rejoignent qu’une fois l’an, lorsque les nouvelles pousses viennent aux arbres. Elles s’enfuient ensuite vers leur demeure inexpugnable, portant dans leurs seins les fruits d’unions brutales et sans volupté. Des enfants qui viennent, elles tuent les mâles et éduquent les femelles selon leurs règles dures.
Elles en font des chasseresses audacieuses comme elles-mêmes, des guerrières qui se mesurent sans crainte avec les grands fauves, et qui apportent sur leur dos robuste la bête quotidiennement tuée, pour nourrir les vieilles et les enfants. Dans la tribu, il en est pourtant que la faiblesse retient constamment près des feux du gîte. Celles-là ont d’autres soucis.
On leur a transmis, en effet, un art de la volupté. C’est que les filles de la Louve n’éprouvent point d’émotion avec l’homme, mais vibrent, comme des feuilles sous le vent, aux caresses délicates de celles de leurs sœurs qui sont, en cette tribu, chargées de l’amour et de ses joies.
Or, ce matin-là, Doa la rousse, avant de partir pour la chasse, essayait distraitement l’épieu qu’elle projetait à l’accoutumée, comme une force de la nature, au thorax des bêtes hargneuses, les mettant toujours à mort d’un seul coup. Elle pensait aux joies que lui avaient offertes la veille la douce Adir, la plus habile des donneuses de délices. Et Doa regrettait de partir se battre avec l’ours ou l’auroch, quand il eût été si charmant de reposer, avec Adir à la peau blanche et douce, dans la grotte mystérieuse, tapissée de mousses sèches, où l’amour était si émouvant.
Mais la règle était de ne pas recourir aux porteuses de caresses qu’après avoir enrichi le clan de trois quartiers de venaison. Là était d’abord le devoir. Et Doa partit.
Cependant, au sein des bois, le souci du désir la tenaillait obstinément sous sa courte vêture de peau. Elle était ardente et insatisfaite et pensait sans cesse à Adir aux mains et aux baisers plus doux que le miel. Aussi, le soir venu, rentra-t-elle les mains vides.
Elle avait trop rêvé de l’amour et pas assez à la chasse. Elle n’ignorait point la règle du clan, mais éprouva cependant un regret aigu en voyant que sa rivale Vaï avait tué et rapporté un sanglier. C’est que Vaï seule aurait droit ce soir-là aux joies offertes par Adir.
Mais, au milieu de la nuit, brûlée de désirs, le corps en sueur et agité de frissons convulsifs, Doa, n’y tenant plus, gagna, malgré les défenses, la grotte où se tenait la blanche créatrice de frissons. Un tison dans une cagette oblongue, brûlant avec lenteur parmi des broussailles fines et enroulées, jetait une clarté légère sur la forme robuste et velue de Vaï, comme sur la serpentine et luisante chair d’Adir.
Doa se jeta sur le lit de mousses en clamant :
— À moi, Adir !
L’âme des femmes était déjà, il y a trente mille ans, complexe et subtile comme de nos jours, car Vaï ne se plaignait point, ne saisit point sa massue contre l’intruse et se mit à rire doucement. Ce fut même elle qui s’élança pour accueillir la survenante, malgré la prêtresse, irritée qu’on sût retrouver sans elle les secrets du désir. Vaï accueillit donc Doa, répandit le plaisir en son cœur, l’émut comme frappe la foudre et s’en fit aimer.
Peu après, Doa et Vaï, des filles de la Louve, s’épousèrent même et ne voulurent plus de ce jour revoir les hommes.