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Cendres et PoussièresAlphonse Lemerre. (p. 83-85).

LOCUSTA


Nul n’a mêlé ses pleurs au souffle de ma bouche,
Nul sanglot n’a troublé l’ivresse de ma couche,
J’épargne à mes amants les rancœurs de l’amour.

J’écarte de leur front la brûlure du jour,
J’éloigne le matin de leurs paupières closes,
Ils ne contemplent pas la ruine des roses.

Seule, je sais donner des nuits sans lendemains.


J’allume dans leurs yeux d’inexprimables fièvres,
Et, fastueusement, je leur offre mes lèvres,
Mes flancs, et la lenteur savante de mes mains.

Je verse les soupirs, l’accablante caresse
Et les mots de langueur murmurés dans la nuit.
J’estompe les rayons, les senteurs et le bruit.

Je suis la pitoyable et la tendre Maîtresse.

Car je sais les secrets des merveilleux poisons,
Insinuants et doux comme les trahisons
Et plus voluptueux que l’éloquent mensonge.

Lorsque au fond de la nuit un râle se prolonge
Et se mêle à la fuite heureuse d’un accord,
J’effeuille une couronne et souris à la Mort.


Je l’ai domptée ainsi qu’une amoureuse esclave.
Elle me suit, passive, impénétrable et grave,
Et je sais la mêler aux effluves des fleurs,

Et la verser dans l’or des coupes des Bacchantes.

J’éteins le souvenir importun du soleil
Dans les yeux alourdis qui craignent le réveil
Sous le regard perfide et cruel des amantes.

J’apporte le sommeil dans le creux de mes mains
Seule, je sais donner des nuits sans lendemains.