Ce que les Colonies ont fait pour la France

Ce que les Colonies ont fait pour la France
Revue des Deux Mondes6e période, tome 39 (p. 181-197).
CE QUE LES COLONIES
ONT FAIT POUR LA FRANCE

L’Allemagne attendait de la guerre la conquête de la plus grande partie des colonies françaises ; ses publicistes ne discutaient que sur le peu qu’ils voulaient bien nous en laisser. Lorsque, dans les derniers jours de juillet 1914, le chancelier comptait encore sur la neutralité de l’Angleterre, il assurait sir Edward Goschen, ambassadeur à Berlin, qu’il ne visait aucune annexion territoriale aux dépens de la France ; mais, l’ambassadeur lui ayant posé une question au sujet des colonies françaises, « il répondit qu’il ne pouvait s’engager d’une manière semblable à cet égard [1]. » On n’a pas oublié la noble réponse du ministre des Affaires étrangères britannique datée du 30 juillet ; elle commence en ces termes : « Le gouvernement de Sa Majesté ne peut pas accueillir un seul instant la proposition du chancelier de s’engager à rester neutre dans de telles conditions. »

Dans l’illusion que leur irrésistible puissance terminerait la guerre par une victoire totale en quelques semaines, les Allemands avaient tout préparé, de longue main, pour nous exproprier promptement de nos colonies. Ils estimaient que ce domaine était pour la France une cause de faiblesse ; ils jugeaient que nos troupes et notre matériel de guerre étaient ainsi dispersés à travers toutes les mers du globe ; ils étaient convaincus que, dans chacune de nos possessions, la crainte d’une insurrection des indigènes « accrocherait » au moins les contingens de nos garnisons coloniales : ainsi, pour le succès de leur dessein d’agression, il y aurait là des diversions s’entretenant elles-mêmes. Aussi bien, la proie était tentante ; n’avions-nous pas laissé nos ennemis s’insinuer partout dans nos colonies, cueillir le fret dans nos ports, ouvrira Hambourg des marchés pour les palmistes de notre Afrique Occidentale, les bois du Gabon, le caoutchouc de Madagascar ?

L’avenir leur semblait si peu douteux qu’ils avouaient leurs ambitions et menaient presque publiquement leurs intrigues ; quelques mouvemens indigènes, pensaient-ils, suffiraient à ruiner la souveraineté française, très peu enracinée ; l’Allemagne organisatrice interviendrait alors et ne tarderait pas à tout pacifier, à tout exploiter scientifiquement. Une rapide comparaison de deux livres fera comprendre le cynisme et découvrira les procédés de nos adversaires ; l’un est l’ouvrage d’Otto Richard Tannenberg, La plus grande Allemagne [2], l’autre l’exposé de Pierre Alype sur La provocation allemande aux Colonies [3]. Tannenberg est un pangermaniste moins diplomate que le prince de Bülow, mais il n’a rien écrit qui ne s’inspire des mêmes idées, du même fétichisme de la race supérieure, que La Politique allemande de l’ancien chancelier ; tous deux parlent le langage de l’éternelle Allemagne. Or Tannenberg revendique explicitement un vaste empire centre-africain, aux dépens de la France et de la Belgique, un autre dans l’Asie tropicale, une zone d’influence dans la Chine intérieure, sans parler de nouveaux domaines allemands dans l’Amérique méridionale et dans la Turquie d’Asie, « car nous avons avec les Turcs des relations tout à fait amicales ! »

La « provocation » n’avait épargné aucune de nos colonies : elle travaillait les indigènes musulmans de Tunisie et d’Algérie par des Jeunes-Turcs, elle préparait au Maroc, avec l’aide de protégés disséminés dans les villes et les tribus, un second coup d’Agadir ; des fusils étaient entreposés chez des affiliés, Allemands ou indigènes, à la solde de Karl Ficke, résident de Casablanca. Les deux seuls territoires indépendans de l’Afrique, le Libéria et l’Abyssinie étaient des foyers de complots germaniques contre les Puissances coloniales africaines. En Extrême-Orient, le consul allemand de Hongkong, M. Voretsch, s’entourait de révolutionnaires annamites, avec lesquels il préparait l’expulsion des Français d’Indochine ; il se tenait en correspondance avec des fonctionnaires chinois des provinces limitrophes du Tonkin, et des soldats de la Légion étrangère, Allemands d’origine, de nos garnisons frontières ; il avait des émissaires au Siam, et visait aussi l’Inde anglaise.

L’Allemagne, par elle-même, n’a pu rien faire ou presque, contre nos colonies : lancer quelques obus sur Philippeville et Bône, du Gœben et du Breslau qui gagnaient Constantinople, couler une canonnière en rade de Taïti furent ses seuls exploits de guerre, médiocres et sans lendemain. Mais elle avait dévolu un rôle plus actif à des complices indigènes, dont la tâche était soigneusement distribuée ; ceux-là devaient, non seulement jeter les Français à la mer, mais inquiéter les Anglais et même les Italiens, afin de les décider tout au moins à garder la neutralité. Le canon de la Marne a brisé le rêve allemand, aux colonies comme en Europe ; ce n’est plus à des conquêtes, suivant les vœux du pangermanisme, que le Kaiser doit songer, mais à la défense d’un empire dont la vigueur offensive est définitivement enrayée. Cependant ces colonies françaises, dont il escomptait l’aide indirecte contre leur métropole, ajoutent une force nouvelle à celles qui déjà sont coalisées contre la violence germanique : pour la lutte nationale qui mobilise toutes ses énergies, la France trouve dans ses colonies des soldats, des ravitaillemens, de l’argent ; elle élabore avec elles, sous le feu, un avenir d’étroite et féconde solidarité.


Les métropolitains en résidence aux colonies sont en petit nombre ; dans l’Afrique du Nord seulement, pays tempéré, où nos premiers établissemens sont vieux déjà de près d’un siècle, une population notable, de langue et d’origine françaises, s’est constituée, qui vit presque exactement sous les mêmes lois que celles de la métropole. Les conscrits et les réservistes de l’Algérie sont partis comme ceux de France, touchés le même jour par l’ordre de mobilisation ; pour la Tunisie, il en fut à peu près de même, tandis qu’au Maroc, pays de toute récente occupation, le résident général imposa quelques règles spéciales à l’ardeur des concitoyens, empressés à faire tout leur devoir. On peut estimer à 120 000 hommes le contingent des Français qui sont ainsi venus de l’Afrique méditerranéenne grossir les diverses unités de notre front ; c’est l’effectif de trois forts corps d’armée, sur le pied de guerre. Dans nos « vieilles colonies, » Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, la loi militaire n’était pas intégralement appliquée au début des hostilités ; elle joue sans réserve depuis avril 1915, et a fait passer sous les drapeaux, des réservistes territoriaux aux « bleuets », environ 140 000 Français créoles, affectés suivant leur âge et leur instruction.

Dans nos colonies tropicales, Afrique et Asie, où les Français d’origine se comptent par unités, une mobilisation intégrale aurait privé, brusquement, nos possessions de presque tous leurs états-majors, économiques et administratifs ; la raison commandait donc d’apporter à la rigueur des principes certains tempéramens : les Journaux Officiels des colonies ont publié les listes nominatives des Français placés « en sursis d’appel ; » le total ne dépasse pas quelques centaines. Rendons ici l’hommage qu’ils méritent non seulement à ceux qui sont partis, mais à ceux qui sont restés : alors que la prudence élémentaire interdit les séjours trop prolongés sous les climats tropicaux, ils sont demeurés à leurs postes, chargés d’un travail plus lourd, bien au delà des limites coutumières ; tous ont, ainsi, fait campagne ; plusieurs sont morts à la peine ; eux aussi, sur le front colonial, ils ont tenu ; en eux, comme en un cadre vivant, s’est incarnée l’énergie française, résistance aux régressions d’une humanité de civilisation récente, direction de l’activité de guerre, semailles pour des moissons qui ne lèveront qu’après la paix.

Ainsi les colonies n’ont pas aggravé les soucis de la France, engagée en Europe dans le plus formidable conflit de l’histoire ; il a suffi, pour les maintenir en ligne, d’un nombre minime de Français, qui ont trouvé un point d’appui solide dans le loyalisme général des indigènes. Le premier service que les colonies aient pu rendre à la métropole, — la première déception qu’elles infligèrent à nos ennemis, c’est d’avoir dispensé la France de s’inquiéter pour elles ; concours négatif, si l’on veut, mais pourtant inestimable, car il fut celui du début et n’a pas tardé à changer de signe. Ce n’est pas qu’on n’ait observé çà et là parfois des mouvemens de mécontentement chez les indigènes, mais, grâce à des concours indigènes aussi, nulle part ces incidens n’ont dégénéré en troubles dangereux ; en les racontant brièvement, nous expliquerons à la fois comment nos adversaires avaient essayé de dresser nos colonies contre nous et comment ces manœuvres ont tourné à leur confusion.

En Indochine, des passans étrangers, Chinois pour la plupart, répandaient en août 1914 le bruit des succès allemands, prédisaient la chute de Paris, engageaient les indigènes à se défaire à tout prix de leurs billets de banque français. Des bandes de pirates profitaient de l’inquiétude ambiante pour piller des villages du Tonkin et de la Cochinchine ; d’autres parcouraient le haut pays, aux ordres de déserteurs de nos régimens annamites. A la cour de Hué, autour du très jeune roi Duy-Tan, une agitation suspecte régnait dans quelques cercles du palais ; là l’incertitude se prolongea plus que dans les autres parties de l’Indochine, jusqu’à une fugue, vraiment enfantine, du Roi, au printemps de 1916. Mais cette excitation demeura toute superficielle : Duy-Tan, ainsi que son père, furent déportés à la Réunion et le conseil des ministres annamites désigna dans la famille royale, avec l’agrément du gouvernement général, un nouveau souverain. En revanche, le roi du Cambodge, Sisovat, apporta dès le début à la France un concours personnel des plus empressés et des plus utiles : on le vit parcourir les campagnes, sans aucun apparat, expliquant familièrement aux paysans leurs devoirs de soumission et de collaboration à la lutte que soutient la France. Une même action fut exercée opportunément par le roi de Luang-Prabang dans la région du haut Laos. Ajoutons que dans les deltas à rizières, les notables des communes s’associèrent à l’administration française pour la suppression rapide du brigandage dont ils étaient les premières victimes. Un renforcement des garnisons de la frontière de Chine, quelques démonstrations par des colonnes volantes et, surtout, la bataille de la Marne firent le reste : dès la fin de 1914, des portraits du général Joffre apparaissaient dans une foule de cases, à côté de l’autel des ancêtres.

L’Afrique Occidentale a été le théâtre d’une expérience poussée trop vite, et non sans une réelle imprudence, le recrutement intensif des tirailleurs noirs, dits Sénégalais. Les tribus auxquelles nous nous adressons sont très inégalement apprivoisées, certaines naturellement belliqueuses, d’autres pacifiques jusqu’à la mollesse ; lorsque le recrutement n’est pas lentement progressif, comme avant la guerre, il arrive que des chefs de villages se débarrassent, en les « commandant volontaires, » des vagabonds et des « fortes têtes. » Quelles que soient l’expérience et la patience des fonctionnaires français préposés à ces délicates opérations, ils peuvent être trompés, ou même débordés ; il y eut ainsi en Afrique Occidentale des émeutes locales, particulièrement dans la boucle du Niger et dans le haut Dahomey. A ce moment, les autorités de la côte, démunies par l’envoi en France des meilleurs élémens, ne disposaient pas d’effectifs et d’approvisionnemens sûrs pour une répression immédiate, si bien que le mouvement prit quelque ampleur. M. Clozel, gouverneur général, l’a déclaré lui-même, en ouvrant à Dakar, en décembre 1916, la session du Conseil de gouvernement. Mais les quelques administrateurs et officiers restés dans la colonie, aidés des résidens français partout où il y en avait encore, avaient pu du moins circonscrire les foyers ; puis, avec des troupes de qualité, très peu nombreuses, ils ont repris en main tout le pays.

La provocation germanique trouvait au Maroc un terrain d’élection : un pays incomplètement occupé encore, des dissidens très actifs dans des régions montagneuses d’accès difficile, une complication touffue d’hypothèques internationales grevant la liberté du protectorat français offraient, semble-t-il, des chances exceptionnelles aux pêcheurs en eau trouble. En France on s’était demandé s’il ne conviendrait pas d’évacuer presque tout le Maroc, nous bornant à l’occupation des ports. Le général Lyautey, résident général, se prononça nettement contre ce programme ; il résolut de reporter sur la périphérie toute la défensive, afin d’étendre au maximum la région maintenue sous notre influence, et d’en associer à nous les habitans aussi étroitement que possible : le succès le plus décisif a consacré cette politique hardie et clairvoyante, qui fut d’ailleurs servie par un dévouement aussi ingénieux qu’opiniâtre de tous les Français du Maroc. Les Berbères du Grand Allas, un instant enorgueillis par l’échec que subit un de nos détachemens (El Herri, 14 novembre 1914), furent vite assagis par une riposte foudroyante du général Henrys ; d’autres leçons furent infligées aux tribus du Nord, que des agens allemands ravitaillaient à travers la zone espagnole. Bien que toutes les difficultés ne soient pas encore résolues, on peut dire que, dès le début de 1915, le point mort a été franchi ; le Maroc demeure français, et n’a pas cessé d’apporter une aide substantielle à la métropole ; relevons, comme un symbole, la première visite du résident général, le 22 septembre 1915, à Agadir, le port célèbre par la démonstration allemande de 1911.

L’Algérie et la Tunisie ont traversé aussi quelques momens pénibles, où l’on a pu mesurer la constance de nos compatriotes et le loyalisme de presque tous nos indigènes. Lorsqu’elle entra dans la guerre, en mai 1915, l’Italie n’avait, pas plus que nous au Maroc, terminé son œuvre de pacification en Tripolitaine. Elle préféra rabattre sur la côte ses troupes de l’intérieur, ce qui peut s’expliquer par le caractère désertique de cet arrière-pays, très différent du versant atlantique de l’Atlas. Cette retraite provisoire rendit courage aux nomades hostiles ; la Turquie, alliée de l’Allemagne, fit passer aux rebelles par des rades non surveillées, des officiers, des armes, de l’argent. Les troupes françaises du Sud tunisien accueillirent fraternellement les garnisons italiennes de quelques postes qui se replièrent au Nord-Ouest ; elles-mêmes durent subir le choc de djiouch très mordans ; la défense de tel bordj par une poignée de territoriaux mourant de soif, jusqu’à l’arrivée de renforts, est un épisode digne des plus belles pages de notre épopée africaine. Cependant que la Tunisie du Centre et du Nord prenait part bravement à la grande guerre, le résident général, qu’accompagnaient un des fils du Bey et le général commandant le corps d’occupation, inaugurait le chemin de fer de Gabès, ligne stratégique par laquelle la locomotive atteint, à 524 kilomètres de Tunis, la lisière du Sahara (avril 1916).

L’Algérie, déjà plus vieille terre française, n’a commencé qu’aux toutes dernières années du XIXe siècle, à définir le régime qui en a fait une annexe originale de la métropole ; il lui faut un budget à elle, des lois spéciales inspirées de celles de France, mais non exactement calquées sur elles ; ses indigènes, qui ont vu depuis plus de trois quarts de siècle des Français parmi eux, connaissent mieux les avantages de cette association et, parfois, discernent mieux en quoi la race directrice ne l’a pas développée suffisamment encore. Nous essayions, depuis trois ans, l’application de la conscription aux indigènes algériens, suivant des formules assez souples et retouchées par l’expérience. La guerre nous a déterminés à une accélération du mouvement d’où, en quelques endroits, des mécomptes. En 1914 et 1915, la médiocrité des récoltes donna crédit à quelques agitateurs et l’administration dut faire plusieurs exemples. Tout est rapidement rentré dans l’ordre, avec la collaboration active de chefs indigènes, les plus respectés de leurs coreligionnaires. Dans les districts de colonisation française, dans les communes mixtes où parfois des familles européennes sont isolées parmi des milliers d’indigènes, les femmes des colons mobilisés ont montré, avec la vaillance au labeur des paysannes de France, un courage, un esprit de discipline et de direction auxquels M. Lutaud, gouverneur général, rendit justement un public hommage.


Ainsi les colonies ont paré aux dangers d’une crise qui les surprenait en pleine évolution ; elles ont mis en pratique la fière devise de l’Italie contemporaine, fare da se. Elles se sont elles-mêmes affermies pendant la guerre ; elles ont porté leur effort, sur les terrains d’outre-mer, au delà de leurs propres limites, et directement participé à la guerre sur son théâtre principal. Cette confirmation de la puissance française aux colonies n’est nulle part plus sensible qu’au Maroc. La préface que le général Lyautey écrivait, en janvier 1916, pour le rapport général sur le protectorat à la veille de la guerre, fait ressortir cette avance, réconfortante et vraiment glorieuse. Vainement les agens de l’Allemagne encouragent les chefs qui nous sont hostiles, Abd el Malek au Nord, El Hiba au Sud et, dans la banlieue de Tanger, ce Raisuli dont les Espagnols ont fait témérairement un de leurs auxiliaires. L’abolition de la protection allemande et autrichienne, l’arrestation des résidens ennemis les plus compromis, l’arrivée de plusieurs milliers de prisonniers qui furent employés sur les chantiers de travaux publics ont démontré aux Marocains ce que valent les fanfaronnades germaniques ; ils s’attachent plus volontiers désormais à la France, qui leur apparaît forte en même temps qu’elle les enrichit.

Ce sont des troupes coloniales qui ont conquis les colonies africaines de l’Allemagne voisines de nos possessions, le Togo et le Cameroun ; elles ont opéré en liaison tout amicale d’un côté avec les Anglais, de l’autre avec les Anglais et les Belges. L’occupation du Togo fut relativement facile, bien que, de là, les Allemands eussent tout préparé pour envahir notre Dahomey ; un gouverneur allemand du Togo, en visite dans cette colonie et invité à notre revue du 14 juillet, en 1908, ne faisait-il pas suggérer aux indigènes que les Français renonçaient à leur territoire et déjà rendaient au chef de leurs successeurs les honneurs militaires ! Dès septembre 1914, tout le Togo était aux mains des Alliés ; les Allemands avaient, avant de se rendre, détruit une puissante station de télégraphie sans fil, élevée dans le plus grand mystère, qui devait notamment guider leurs corsaires dans l’Atlantique méridional. L’administration des territoires du Togo a été réglée à l’amiable, provisoirement, par les autorités anglaises et françaises des colonies limitrophes, Gold Coast et Dahomey ; les deux métropoles n’ont eu à intervenir que pour approuver cette convention, sanction de l’heureuse initiative des troupes et des fonctionnaires de leurs colonies.

La campagne du Cameroun fut, au contraire, longue et pénible ; elle ne fut terminée qu’au début de 1916, par la retraite des derniers contingens allemands sur le territoire espagnol du Muni, où ils furent désarmés. On se rappelle que le traité du 4 novembre 1911 avait cédé à l’Allemagne, en échange de ce que nous pouvions croire son désintéressement au Maroc, une portion notable de notre Congo et notamment deux « piqûres » par où ce « nouveau Cameroun » s’avançait jusqu’à la rencontre du Congo belge, au contact des biefs navigables du bassin intérieur. Quand la guerre éclata, les Allemands, avec leur mauvaise foi coutumière, chicanaient sur l’extension de ces piqûres ; nous étions sur le point de porter ce litige devant la Cour de La Haye. Le premier soin de nos troupes d’Afrique Equatoriale, au début des hostilités, fut de réoccuper le territoire cédé, où déjà les Allemands avaient accumulé d’importantes défenses ; mais nous n’en sommes pas restés là et, peu à peu, l’ancien Cameroun tout entier a subi le sort du nouveau. Ainsi ce sont les coloniaux français qui ont vengé notre Afrique Equatoriale des sacrifices imposés par le traité de 1911, et préparé pour cette région le remembrement interallié du continent noir.

La conquête du Cameroun affranchit de tout souci les Belges, qui étaient comme nous menacés par l’insatiable ambition allemande. La neutralité spéciale de leur colonie congolaise avait été violée, à la fin d’août 1914, par une attaque des Allemands contre un poste belge du lac Tanganika ; dès lors, les troupes du Congo belge prirent part aux opérations contre le Cameroun, de même qu’elles ont concouru plus tard avec les Anglais à l’investissement de l’Est-africain allemand : les drapeaux français, anglais et belge furent hissés ensemble sur la dernière place forte du Cameroun allemand, Yaoundé. Sur un autre front de la guerre coloniale, en Tunisie, la France a pu prêter un utile appui à ses alliés ; nous avons vu comment les troupes de notre Sud-tunisien s’étaient solidarisées avec celles de la Tripolitaine italienne. Bizerte, avec l’arsenal très moderne de Sidi-Abdallah, fut une base précieuse pour toutes les flottes de l’Entente, en combinaison avec Malte ; beaucoup de transports de troupes et de ravitaillemens ont été organisés à Bizerte ; c’est près de cette ville aussi que furent installés, reposés, reconstitués, la plupart des régimens de la vaillante armée serbe, recueillis à Corfou. Par Bizerte, nous touchons à la participation directe de nos colonies dans la grande guerre.


Cette participation s’est traduite de bien des manières : levées d’hommes, fabrication de matériel, prestations en nature et en argent ; la contribution coloniale, sous toutes ces formes, fut un concours puissant pour la métropole. Nous avons parlé plus haut des citoyens français résidant dans nos colonies, et dit comment ils s’étaient courageusement acquittés de leurs obligations militaires ; n’y revenons ici que pour signaler, à côté du leur, le zèle patriotique des Français habitant l’étranger ; ils ont rivalisé d’ardeur, ingénieurs, négocians, missionnaires, artisans, pour venir prendre leur place dans leurs régimens, sans souci des intérêts qu’ils laissaient derrière eux, parfois irrémédiablement compromis. Les indigènes de nos colonies ne pouvaient nous prêter un concours militaire du même ordre, puisqu’ils n’entrent dans l’armée (sauf exceptions particulières à la Tunisie et à l’Algérie) que par engagemens volontaires ; tel fut toujours le cas de nos vieux tirailleurs nord-africains, familièrement appelés Turcos, de nos Sénégalais, de nos Malgaches, de nos Indochinois et, plus récemment, de nos soldats des « troupes auxiliaires marocaines. » Nous avons rapidement dirigé sur le front, pendant l’été et l’automne de 1914, toutes les unités indigènes disponibles de l’Afrique du Nord (beaucoup tenaient campagne au Maroc) et de l’Afrique Occidentale ; la « division marocaine, » qui s’est couverte de gloire à la bataille de la Marne, comptait, à côté de militaires français, des fantassins indigènes du Maroc qui ne leur furent pas inférieurs.

Très éprouvées par les premières rencontres, ces troupes durent recevoir ensuite des renforts de dépôts à peine constitués ; petit à petit, Nord-africains et noirs eurent en France leurs centres d’instruction et de repos, leurs parcs de munitions, leurs hôpitaux, voire leurs mosquées ; des sociétés d’assistance se formèrent pour apporter tous les réconforts possibles à ces braves gens qui versaient généreusement leur sang au service de la France. Plusieurs décrets successifs, de 1914 à 1916, prouvent que l’administration de la guerre a appris à mieux ménager cette ressource excellente, en mobilisant nos indigènes suivant leurs aptitudes et combinant l’intérêt de la métropole avec celui des colonies elles-mêmes, qui sont seulement deux aspects de l’intérêt national. Le système des primes pour engagement et rengagement a été complété par des allocations aux familles des hommes sous les drapeaux ; si différentes que soient des nôtres les coutumes domestiques indigènes, aucune résolution n’a mieux fait comprendre aux populations de nos colonies que tous, sans distinction de sexe ni d’âge, étaient engagés dans la même partie que la grande Puissance protectrice.

On ne peut donner, sur les contingens d’indigènes enrôlés dans nos armées, que des chiffres approximatifs ; les plus vraisemblables ont été réunis par M. Georges Boussenot, député de la Réunion, en une instructive brochure récente [4]. D’après ces indications, les sujets français d’outre-mer ont contribué à la défense armée de la métropole au nombre minimum de 280 000 hommes, dont beaucoup enrôlés dans des corps d’élite ; la fougue des tirailleurs nord-africains et des spahis, partout où ils furent engagés, a été digne de sa réputation légendaire ; des Sénégalais, ainsi qu’un bataillon d’Indochinois, se sont signalés sous Verdun ; d’autres aux Dardanelles. Il est remarquable que partout les premières familles indigènes ont tenu à envoyer au front français quelques-uns de leurs enfans ; plusieurs ont, grade par grade, conquis les galons d’officier, avec les citations les plus élogieuses.

Depuis 1915, le recrutement n’est plus appliqué seulement pour la relève des combattans ; d’autres engagemens ont été provoqués, qui ont affecté des milliers d’indigènes à nos services militaires de l’arrière, ainsi qu’à des usines de guerre. Déjà, depuis 1912, des Kabyles étaient mineurs dans des houillères du Pas-de-Calais, d’autres manœuvres dans des raffineries parisiennes. L’essai, qui avait été satisfaisant, fut généralisé ; cette mobilisation civile, qui assure aujourd’hui aux familles des allocations analogues à celles de la mobilisation militaire, a pourvu aux besoins d’abord des usines de guerre en Algérie, puis de diverses autres dans la métropole ; d’autres Algériens ont été envoyés dans la Beauce, pour la moisson, ou dans les ports, pour la manutention des docks. Un effort analogue a été demandé au Maroc ; des spécialistes ont élaboré un contrat de travail adapté à ces innovations. L’Indochine a envoyé en France des convois d’ouvriers depuis le mois d’août 1915 ; ces Annamites, très alertes, doués d’une rare faculté d’imitation, sont très appréciés dans les fabriques de munitions et dans les ateliers d’aéronautique ; d’autres, ainsi que des Malgaches, font d’excellens infirmiers, silencieux, sobres, soigneux. Le profit de ces découvertes, issues des improvisations de guerre, ne disparaîtra pas au retour de la paix.

Peu préparées pour la production industrielle, les colonies n’ont pu contribuer que par des appoints à la fabrication du matériel, sur leur propre territoire. En général, la main- d’œuvre coloniale a besoin pour ces travaux d’une éducation qu’il n’est pas possible de lui donner sur place ; de plus, les transports intérieurs n’ont pas été aménagés pour la circulation facile des minerais et marchandises lourdes ; l’Algérie attend encore le chemin de fer qui emmènera sur le port de Bône le fer qui gît par montagnes entières, dans l’Ouenza ; en Nouvelle-Calédonie, les premiers hauts fourneaux traitant le nickel n’ont été mis à feu que peu de mois avant les hostilités. Dans l’impossibilité d’équiper aux colonies une industrie de guerre suffisante pour renforcer la métropole, les autorités se sont plus modestement proposé de maintenir les approvisionnemens de leurs propres territoires ; là, bien souvent encore, il a fallu recourir à des importations.

Mais les colonies étaient capables de coopérer d’autre manière au ravitaillement du front européen ; beaucoup de leurs produits naturels sont des articles de grande consommation, pour les besoins civils aussi bien que militaires ; elles ont de leur mieux mobilisé ces ressources, afin d’en faire profiter la France, et souvent les Alliés. La longue durée de la guerre a posé une question qui n’avait, au début, préoccupé que quelques spécialistes, celle du change ; les statistiques de 1916 accusent que la France a importé, pendant ces douze mois, pour dix milliards de francs au delà du total de ses exportations ; cet excédent ressortirait plus formidable, si les calculs avaient été faits sur la valeur actuelle des marchandises, et non sur des mercuriales périmées ; en ce moment, nous manquons de la compensation que nous apportent d’ordinaire la venue et le séjour en France de nombreux étrangers. Il est donc exact de dire que, du fait de la guerre, notre pays engage largement son capital ; son crédit à l’extérieur n’a pas pu n’en point éprouver le contre-coup, d’où la perte au change que subit notre papier sur tous les marchés neutres. Cette crise a été sensiblement atténuée par l’envoi de marchandises coloniales, dont le règlement, purement domestique, ne réagit pas sur les cours du change ; mais il importerait de renforcer beaucoup ce mouvement.

L’Indochine, grenier à riz, a expédié plusieurs milliers de tonnes de cette céréale en Europe ; une partie était une contribution purement gratuite ; elle a envoyé aussi du mais, plante que les Annamites cultivent très volontiers depuis quelques années, alternativement avec le riz, là où ils peuvent aisément diriger l’irrigation. L’Afrique du Nord a souffert de mauvaises récoltes de grains, en 1914 et 1915 ; elle n’a donc pu fournir à la métropole son contingent coutumier ; les autorités ont dû même prendre des précautions pour conserver sur place, et parfois importer, les quantités nécessaires aux semailles. La contribution en vin a été proportionnellement supérieure, ainsi que celle en fruits et en viande. Les Antilles et la Réunion, où la canne avait bien donné, ont réservé pour la métropole leurs sucres et leurs rhums ; on a signalé, en novembre 1914, un chargement direct de sucre de la Réunion à destination de l’Algérie. L’Intendance a réalisé au Maroc des achats considérables en blé, dont une partie a ravitaillé la Tunisie et les armées du Levant ; les œufs marocains, dirigés par millions sur la France pendant les mois d’hiver, remplacèrent ceux que les Balkans et la Russie ne nous envoyaient plus. Le chemin de fer abyssin, achevé en 1915 jusqu’aux portes d’Addis Ababa, fit descendre par Djibouti des grains et des cafés éthiopiens.

Une mention spéciale doit signaler le progrès des usines coloniales pour l’abatage industriel du bétail et la conservation frigorifique des viandes. Dès avant la guerre, des essais avaient été tentés par quelques municipalités de France, pour recommander au public ces viandes, très saines, d’usage courant depuis longtemps en Angleterre et contre lesquelles se coalisaient la prévention des cliens et la jalousie de la concurrence. Les soldats aux armées, souvent ravitaillés en « frigo, » auront beaucoup contribué à faire justice de ces routines ; mais nos colonies, si riches en bétail, n’ont encore expédié que de médiocres quantités ; il faudra beaucoup plus, pour atténuer, après la guerre, la rigueur de la vie chère. La Nouvelle-Calédonie, trop éloignée d’Europe, trouve cependant des acheteurs pour sa fabrique de Gomen-Ouaco, sur son propre territoire et en Océanie. Madagascar est voisine du très important marché britannique de l’Afrique australe, et a pu aider à l’approvisionnement des troupes alliées engagées dans l’Est africain allemand. Pour la France elle-même, il faut compter de préférence sur l’Afrique Occidentale, où déjà l’usine de Lyndiane, près Kaolack, emploie un millier de noirs ; une autre sera bientôt mise en train à Dakar ; des projets analogues sont à l’étude sur la côte atlantique du Maroc, où l’on entend ne pas négliger, non plus, le poisson qui abonde dans ces parages. En même temps que des alimens, le bétail ouest et nord-africain a fourni pour les armées des laines, des peaux (mouton et chèvre) qui ont été particulièrement utiles pendant les rudes hivers des tranchées. Les oléagineux d’Afrique (arachides et palmistes), les alcools de riz d’Indochine ont été travaillés dans des fabriques métropolitaines d’explosifs.

Les chiffres de 1916 montrent que toutes nos colonies, vendant des produits bruts et recevant relativement peu d’articles fabriqués, ont vu leurs exportations se relever et dépasser beaucoup leurs importations. Mais elles n’avaient pas attendu cette amélioration de leur balance commerciale pour participer en capital aux emprunts de la France. Non seulement les trésors coloniaux, notamment par leurs caisses de réserve, et les Banques Coloniales (Indochine, Afrique Occidentale, Algérie, etc.) ont largement souscrit aux émissions de rente perpétuelle et aux Bons de la Défense nationale, mais l’élan a été général, parmi les résidens français et les indigènes : avant l’emprunt de 1916, les souscriptions de l’Algérie atteignaient 370 millions de francs ; la Banque de l’Indochine, qui a aussi des guichets dans nos colonies de l’Inde, de Djibouti et de l’Océanie, avait réuni 146 millions ; la petite île de la Réunion avait versé 3 millions, etc. La bienfaisance privée s’est révélée inépuisable, comme en France même : hôpitaux et dispensaires, paquets pour les soldats du front et les prisonniers, distribution de travail aux femmes des mobilisés. Certaines attentions indigènes furent touchantes : envoi par des gens du Djérid de colis de dattes aux dépôts de tirailleurs, cadeaux d’oranges des jardiniers des Sahels tunisiens pour les convalescens. Les « journées » ont brillamment réussi dans nos colonies ; celle du 75, fixée pour l’Indochine au 14 juillet 1915, a donné, en Cochinchine et au Cambodge seulement, plus de 500 000 francs.


Ainsi d’âme et de corps, pourrait-on dire, les colonies ont pris part à la guerre ; contre le scepticisme de ceux qui les jugeaient un poids mort pour la France, elles se sont révélées l’un des ressorts résistans de la vigueur nationale. Il vaut la peine de nous demander, en terminant, comment nous avons fondé cette solidarité précieuse et s’il ne serait pas possible d’en multiplier les avantages pour l’avenir. La France, c’est une des caractéristiques de son expansion d’outre-mer, a toujours colonisé par la sympathie ; toute la croissance récente de son empire colonial a été dirigée suivant les principes de l’association avec les indigènes. Les musulmans de l’Afrique du Nord et de l’Ouest ont remarqué que la France rouvrait le pèlerinage de La Mecque, au moment même où le chérif de cette ville sainte se séparait du Sultan de Constantinople, inféodé aux Allemands. La Kabylie, tel douar marocain de la Chaouïa, se transforment avec l’argent qu’envoient de France les ouvriers des usines ; le seul bureau de poste de Fort-National a payé, du 15 mars au 15 juin 1916, 700 000 francs de mandats ainsi expédiés par des indigènes. La curiosité raisonnée des visiteurs marocains de l’Exposition de Casablanca (1915), de la Foire de Fez (1916) atteste l’intérêt qu’ils portent à un progrès dont ils se voient les acteurs. En Indochine, des Annamites ont commencé à fabriquer de la pâte à papier avec des bambous.

Il n’est pas douteux que nos institutions coloniales devront désormais reconnaître le prix de cette collaboration. Les discours prononcés par les gouverneurs généraux depuis le début des hostilités sont unanimes sur ce point ; autant ils expriment une juste défiance à l’égard d’une législation brutalement importée de la métropole, et visant à conférer aux indigènes le statut exact du citoyen français, autant ils recommandent un système politique qui appellera des indigènes, sous des formes non précisées encore, à prendre leur part de l’administration des colonies. Aussi bien cette préoccupation apparaît-elle aujourd’hui chez les Anglais pour l’Inde, chez les Hollandais pour la Malaisie ; elle tend à une adaptation du régime judiciaire et fiscal, à la diffusion d’un enseignement conforme à la mentalité des indigènes, déférent pour leurs traditions et pourtant imprégné d’une volonté de progrès. Scellée dans les douleurs de la guerre, l’association doit être demain plus intime, plus spirituelle, mieux qu’une formule d’école et de bureau.

Cette association s’enracinera solidement dans le cadre d’intérêts solidaires. Sachant ce que nos colonies ont fait pendant la guerre pour soutenir le ravitaillement national, il convient de les considérer comme complémentaires de notre territoire d’Europe, et de les outiller en conséquence. Au mois de juillet dernier, l’Union Coloniale Française adressait au président du Conseil une lettre exposant que, sur 4 700 millions de matières premières importées en France en 1913, beaucoup pourraient être demandées à nos colonies, au grand bénéfice de notre change, de notre industrie et, si nous savons nous imposer quelques innovations désirables, de notre marine marchande. Un délai très court suffirait pour organiser l’importation en grand des bois, oléagineux, grains, fruits, viandes ; une mise en train de cinq à dix ans, à partir d’aujourd’hui, aménagerait nos colonies en réservoirs toujours garnis de laine, coton, minerais, café, caoutchouc, etc. Tout ceci suppose que le capital français, qui fut si complaisant naguère à des entreprises étrangères, nous dirions même exotiques, sera sollicité vers nos colonies et qu’en même temps nous formerons, par une éducation appropriée, le personnel capable de lui assurer, en terre nationale d’outre-mer, des emplois rémunérateurs, cadres français, peu nombreux, et main-d’œuvre indigène.

Les échanges des colonies avec l’Europe, pendant la première année de la guerre surtout, ont beaucoup souffert de la suppression du pavillon allemand ; notre flotte de commerce s’était partout laissé distancer ; de Hambourg, importes par vapeurs allemands, des produits coloniaux français passaient en Autriche, dans les Balkans, chez nos alliés russes, avec lesquels il semblait que nous renoncions, pour beaucoup d’articles, à nouer des relations directes. Sans cesse, les Congrès coloniaux, les journaux spéciaux, les notices du Ministère des Colonies dénonçaient ces habitudes paresseuses ; des travaux d’inventaire scientifique, tels que ceux du professeur Perrot, de M. Auguste Chevalier, directeur du laboratoire d’agronomie coloniale du Muséum, étaient, avant la guerre, à peine remarqués de nos commerçans et industriels ; en 1913 seulement, un syndicat s’était constitué à Paris entre les importateurs des bois du Gabon ; les besoins de nos armées ont donné un essor admirable, presque imprévu, à l’exploitation des graphites de Madagascar.

Que ce progrès continue et se développe désormais, c’est le vœu commun de tous les Français, métropolitains et coloniaux. Il importe qu’il s’appuie sur une rénovation de notre marine marchande, qui va sortir de la période des hostilités, épuisée par la fatigue des navires. Nationaliser les transports extérieurs de nos colonies doit être un des chapitres essentiels du programme de la renaissance française ; il y faut des bâtimens adaptés aux exigences de certains frets, spécialisés comme le sont nos vagons pour vins, minerais, gros ou petit bétail, primeurs, etc. A cette question de la réorganisation de nos transports maritimes coloniaux se rattache celle des communications de nos colonies avec la métropole et entre elles, par câbles, télégraphie sans fil, chemins de fer. Profitons des leçons de la guerre pour réclamer une fois de plus la construction de notre grande ligne politique et plus tard économique d’Afrique, le transsaharien. Préparons-nous enfin à prolonger dans la paix la pratique d’une politique coloniale interalliée, qui s’est si heureusement affirmée pendant la guerre ; en Afrique notamment, la France a des services à échanger avec ses voisins anglais, belges, portugais. Retenons en un mot, de l’épreuve présente, que la France européenne, même avec les restitutions qu’elle attend d’une justice prochaine, n’est pas ainsi complète ; sa constitution intégrale englobe aussi ces colonies, présens de précurseurs trop longtemps dédaignés, qui viennent de lui prodiguer si magnifiquement le témoignage de leur richesse et de leur fidélité.


HENRI LORIN.

  1. Télégramme officiel adressé de Berlin, le 29 juillet 1914, par sir E. Goschen à sir Edward Grey.
  2. Traduction Millioud, Paris, 1916. L’original a paru en 1911.
  3. Paris, 1915.
  4. La France d’Outre-mer participe à la guerre, Paris, Blum, 1916.