Causeries, deuxième série/Les Poissons d’avril

Hachette (2p. 198-213).

LES POISSONS D’AVRIL.

Je le sais mieux que vous, cet article est un anachronisme. Mais ne vous en prenez pas aux rédacteurs de l’Opinion nationale. Il n’y a qu’un coupable, et je vous le dénonce : c’est le gouvernement français.

Est-ce ma faute, à moi, si notre politique avance sur le calendrier, et si les hommes d’État les moins badins, les plus graves, les plus augustes, nous donnent le poisson d’avril dans les premiers jours de mars ?

Décidément, il y a de la place entre la coupe et les lèvres. On a bien tort de se réjouir ou de s’affliger vingt-quatre heures d’avance, surtout quand le sujet de joie ou de tristesse est confirmé par le journal officiel. Si vous lisez un exposé des motifs où tous les arguments, tous les exemples, toutes les citations se réunissent pour dire blanc, attendez au lendemain : qui sait si le projet de loi ne viendra pas renverser toutes vos idées ? Le ministre disait blanc, et donnait ses raisons ; le gouvernement dira noir. Mais pourquoi ? Mais comment ? Par quels motifs ? N’importe. Contentez-vous de connaître les arguments de M. Duruy en faveur de la loi rejetée.

Quant à la loi proposée, elle nous semble insignifiante par-ci, dangereuse par-là, et généralement inutile. Vous voudriez savoir sur quelle base elle se fonde ? Vous êtes bien curieux, messieurs les payeurs d’impôt ! Cette loi nulle, pire que nulle, a obtenu l’approbation de plusieurs ministres, l’appui de plusieurs membres du conseil privé. N’est-ce pas une recommandation suffisante ? Vous faudrait-il encore de bonnes raisons par-dessus le marché ? Mais il n’y en a plus, de bonnes raisons ! M. Duruy les a toutes prises : il en a fait un échafaudage de vingt colonnes, pour le projet de loi qui ne sera pas présenté. Ô la plaisante méthode à publier dans les traités d’architecture ! Creuser les fondations d’un immense édifice, et bâtir sur le sable à cinquante pas plus loin !

Quelques simples d’esprit regrettent qu’on ait laissé passer vingt-quatre heures entre l’Exposé des motifs qui dit oui, et le projet de loi qui dit non. Les fanatiques du progrès se sont livrés à l’espérance ; le Moniteur du 6 les a chauffés à blanc, le Moniteur du 7 leur est tombé sur la tête comme la douche des bains russes. Les champions de l’ignorance publique ont été plus agréablement surpris, mais ils pensent aussi qu’on aurait pu leur donner une secousse moins forte.

« La joie fait peur, disent-ils ; on ne passe pas impunément du désespoir profond à l’allégresse triomphante. Nous avons cru toute une journée que le peuple allait apprendre à lire et que le règne du Progrès était inauguré sur la terre. Ce n’était qu’une fausse alerte : le ciel en soit béni ! Mais enfin nous avons eu peur ; l’évêque de Saverne a été remué jusqu’au fond de ses entrailles : il faudra quinze jours de soins et de confitures pour rendre à ses fonctions naturelles leur vénérable régularité.

Les hommes sans passion qui composent la majeure partie du peuple, ces innombrables esprits de bonne foi, toujours sincères, souvent timides, ont éprouvé deux commotions profondes, qu’on aurait pu leur épargner. Entre nous, je crois que l’honorable M. Duruy avait un peu devancé l’opinion publique. La cause de l’instruction gratuite était gagnée depuis quelque temps, mais le grand nombre n’avait pas d’idées arrêtées sur l’instruction obligatoire.

Quelques millions de campagnards (sans compter celui qui vous parle) conservaient au fond de l’âme un reste d’incertitude, une hésitation naturelle et fort excusable, lorsqu’il s’agit de toucher, même utilement, à ce qui nous reste de liberté. Mais lorsqu’un général, emporté par sa fougue, se jette au milieu des ennemis, les soldats restent-ils à deviser entre eux sur l’imprudence de leur chef ? Non, morbleu ! Leur premier mouvement est de courir à sa suite : chacun prend ses jambes à son cou et se rue au danger, sauf à débattre après la victoire si le général n’est pas allé un peu loin.

Donc les plus hésitants ont pensé que l’hésitation n’était plus permise lorsqu’ils ont vu M. Duruy engagé au fort de l’action. Il y a des vérités qui ont le moyen d’attendre ; mais du jour où elles sont avancées, il faut marcher avec elles : les laisser se défendre toutes seules serait presque une trahison. L’esprit de l’homme fait beaucoup de chemin en vingt-quatre heures. Soyez persuadés qu’une foule d’esprits sages, modérés, patients même, se sont ralliés à l’audace généreuse de M. Duruy entre le Moniteur du 6 et le Moniteur du 7. Ceux-là se plaignent plus amèrement que tous les autres, car ils ont la ferveur des nouveaux convertis. Ils disent ( passez-moi la comparaison) qu’on les a entraînés dans une sorte d’embuscade, et qu’on aurait mieux fait de leur crier Casse-cou !

Ils ont tort. Le gouvernement a bien fait de laisser vingt-quatre heures entre le travail de M. Duruy et la piètre loi qui le dément. En évitant de rapprocher deux pièces si contradictoires, il a prouvé qu’il respectait encore un peu cette autorité immortelle, sacrée, inviolable à toutes les révolutions de la rue et à tous les coups d’État du pouvoir : le sens commun.

Le sens commun n’est pas chose commune.


disait je ne sais quel petit poëte de la sénilité française. Je ne suis pas de cet avis. En général, je crois que les hommes voient juste, et c’est ce qui nous permet une certaine confiance dans les décisions du suffrage universel. Dans l’espèce, il me paraît amplement démontré que le chef de la nation française a reçu pour le moins sa part de sens commun. Mais voir le bien et le faire sont deux ; entre la pensée et l’action, entre la tête et le bras des hommes qui gouvernent, il y a un bon bout de chemin.

Si nous avions le temps de passer en revue tous les poissons d’avril qui nous ont été servis depuis seize ans, vous reconnaîtriez un grand fond de bon sens dans les promesses qu’on nous a faites.

Reportez-vous au discours de Bordeaux et à cette belle parole : l’Empire, c’est la paix ! Savez-vous rien de plus juste et de plus raisonnable ? Si la richesse et la grandeur réelle de notre pays ont pris ce magnifique accroissement en dépit de la guerre, que n’aurions-nous point gagné par la paix ? Vous allez dire que la paix si noblement promise n’a été qu’un poisson d’avril ; vous citerez la Crimée, l’Italie, la Syrie, la Chine, la Cochinchine et le Mexique : d’accord. C’est que les passions, les sollicitations, les tentations, les ambitions et cent autres causes généralement irrésistibles viennent s’interposer entre la sagesse qui délibère et le bras qui agit.

La lettre à Edgar Ney, la liberté des Romains sous le pape, le Code Napoléon à Rome : poisson d’avril ! À qui la faute ? Rien n’était plus sensé ni plus juste que ce programme dont les cardinaux ont fait litière. Peut-être eût-il suffi d’une démonstration énergique pour soumettre cette coterie à l’autorité du bon sens. Mais placez un wagon sur les rails entre deux locomotives qui le tirent en sens inverse ; lui reprocherez-vous de rester stationnaire ou de marcher avec hésitation ? Il y a deux forces qui se combattent sur toute la surface du pays : vous-même qui me lisez en ce moment, vous subissez tour à tour leur influence. Quand je me serai fatigué les bras à vous pousser en avant, un autre va probablement vous reprendre et vous pousser en arrière. Pensez-vous être seul tiraillé de la sorte ? Pourquoi les influences qui vous font osciller comme un balancier de pendule ne s’exerceraient-elles que sur vous ?

La même comédie se joue dans les palais et dans les maisons bourgeoises, avec une différence pourtant. Quand vous vous êtes installé chez vous, vous n’avez pas repris avec le bail les serviteurs de l’ancien locataire. C’est un grand avantage que vous avez, monsieur : vous êtes plus heureux qu’un roi. Tous les princes se repassent un vieux fonds de maison qui perpétue chez celui-ci les traditions de celui-là. On a beau rajeunir le personnel de temps à autre : l’antiquité domine, et les idées nouvelles se heurtent inévitablement contre une montagne de préjugés. Il n’y a pas de voix assez fortes pour dominer le chœur nasillard des Gérontes qui disent : « Prenez garde ! nous ne le savons pas, donc cela n’est pas vrai ; nous ne l’avons jamais essayé, donc cela n’est pas possible ! Suivez, suivez la trace antique et vénérable de tous les gouvernements qui se sont perdus, grâce à nous ! »

Un beau poisson d’avril, c’est le couronnement de l’édifice. Je crois que nous l’aurons, quoi qu’on dise ; je suis même persuadé que nous l’aurions depuis quelques années sans les tiraillements que j’indiquais plus haut. La liberté des citoyens ne menace jamais les princes, mais elle ennuie tout le monde autour d’eux. Voilà la grande affaire et l’obstacle difficile à surmonter. Avez-vous lu l’adresse du Sénat ?

Voyez avec quel soin paternel (j’allais dire providentiel) les gardiens de la Constitution nous protégent contre les abus de notre libre arbitre. Ils ne demandent pas qu’on nous refuse absolument les libertés politiques, mais qu’on nous les conserve pour la joie et la consolation de nos vieux jours. Il nous sera permis de mordre ceux qui nous battent, lorsqu’on aura bien constaté la chute de notre dernière dent. Cette plaisanterie me rappelle le mot d’une petite fille à qui l’on avait donné une poupée de prix : « Tu es trop enfant, disait la mère, pour qu’on te laisse jouer avec cette poupée-là ; je vais la serrer dans un tiroir, et je te la rendrai quand tu seras grande.

— Mais, maman, répondit-elle, quand je serai grande, je ne jouerai plus. »

L’Italie délivrée jusqu’à l’Adriatique a été le poisson d’avril de 1859. La promesse fut accueillie avec le même enthousiasme que le rapport de M. Duruy. Il s’agissait, dans les deux cas, d’émanciper un peuple : affranchir les Italiens par la guerre, les Français par l’école. Le traité de Villafranca fut une déception navrante, comme le projet de loi sur l’instruction primaire. Déception, j’entends pour les hommes de progrès ; consolation pour le grand parti réactionnaire. Cependant la guerre d’Italie n’a pas été stérile ; Villafranca n’a marqué qu’un temps d’arrêt sur la grande route du mieux ; le mouvement s’est continué, pour ainsi dire, tout seul, malgré la résistance des uns et l’hésitation des autres. Telle est la force d’une idée juste, qu’elle aboutit quelquefois spontanément ; elle entre dans le domaine des faits comme un boulet dans une bicoque. Qui sait si le rapport de M. Duruy ne fera pas son chemin de la même manière ? Les vérités qu’il proclame n’ont été ni réfutées ni même contestées : le gouvernement les laisse intactes ; il passe outre, en fermant les yeux pour ne pas les voir. Il les verra toujours, quelques efforts qu’il fasse, et il y reviendra malgré lui.

Êtes-vous bien certain qu’il ne nourrisse pas une arrière-pensée d’y revenir bientôt ? Examinez l’affaire de tout près. Rien n’obligeait le Moniteur à publier le travail de M. Duruy. Les ministres ne sont pas assez omnipotents aujourd’hui pour qu’on ait peur d’enterrer leurs élucubrations au fond d’un portefeuille. Or, on n’a pas enterré celle-là ; bien au contraire. Pensez-vous qu’on lui ait donné une publicité immense pour le plaisir de nous faire pousser les hauts cris ? C’est tout à fait invraisemblable : le pouvoir est fondé sur l’opinion, et il le sait ; il ne s’amuserait pas à saper sa propre base. Cherchez une autre explication.

Lorsqu’un auteur a écrit une pièce hardie, sans précédents, faite pour étonner une noble partie du public, il y a deux moyens de la produire.

Le plus simple, mais le plus dangereux, consiste à aborder directement le théâtre. On risque d’exciter un vacarme de tous les diables et de voir la pièce arrêtée dès la première représentation.

L’autre méthode est plus savante et plus sûre. On fait refuser la pièce par un directeur, ou on la fait interdire par le ministère, puis on l’imprime en brochure, et l’on dit : J’en appelle à l’impartialité du public. Le public, ainsi prévenu, commence par trouver l’œuvre innocente, et finit par se gendarmer pour elle. On peut jouer la pièce, elle ne scandalisera plus personne ; c’est un succès presque assuré.

Transportez ces façons d’agir sur la scène politique. La pièce qu’on a jouée directement, du premier coup sans préparer son succès dans le public, c’est, par exemple, la convention du 15 septembre. Personne ne connaissait le dénouement, qui est neuf et inattendu. L’auteur avait des amis, beaucoup d’amis ans la salle ; il ne les avait pas invités aux répétitions. Le parterre a trouvé que la pièce était bonne ; il a applaudi à tour de bras ; mais les messieurs de l’orchestre et des premières loges ont sifflé ; ils sifflent encore ; ils ne désespèrent pas de faire tomber l’ouvrage. Quelle fête pour eux si le grand et légitime espoir de l’europe libérale pouvait finir en queue de poisson !

Il se pourrait que le gouvernement, après cette expérience, eût voulu tâter de l’autre méthode. Le Moniteur du 6, c’est la pièce imprimée ; le Moniteur du 7, c’est la préface où l’on nous dit :

…Le génie est captif sur la terre
Comme un aigle blessé qui meurt dans la poussière,
L’aile ouverte et les yeux tournés vers le soleil.

En autres termes : « Vous avez vu le vrai, le juste, le possible ; mais la majorité du ministère et du conseil privé n’est pas à la hauteur de cette révolution-là. On y renonce donc, à moins que l’intelligence et la conscience publique ne s’élèvent contre ces messieurs, en faveur de la loi. »

Si c’est là ce qu’on nous demande, à la bonne heure ! Crier contre le mauvais vouloir ou l’incapacité des gouvernants est un exercice facile et doux pour un larynx vraiment français. J’ai poussé mon cri, que chacun en fasse autant, et si le pouvoir ne nous entend pas, c’est qu’il aura tout le coton de l’Amérique empilé dans ses oreilles.

Puisqu’il me reste encore une colonne ou deux, parlons des libertés municipales qu’on nous annonce pour cette année, et voyons à ce que cette grande promesse ne soit pas un poisson d’avril. J’ai reçu plusieurs lettres sur la question ; elle intéresse beaucoup de bons esprits, et elle a le mérite de réunir sur un terrain commun les hommes les plus foncièrement divisés par la politique. Républicains, orléanistes, rêveurs de légitimité, partisans désintéressés de l’Empire, tous les Français, sauf les fonctionnaires, sont travaillés par un véritable besoin de vie indépendante. Ceux même qui font leur deuil de toutes les libertés politiques aspirent à voir couper cette multitude de ficelles inutiles qui enchaînent chaque citoyen au pouvoir central.

Si plusieurs millions de citoyens sont encore indifférents à la liberté de la presse, faute d’avoir appris à lire, il n’y en a pas un qui fasse bon marché de la vie municipale et de ses plaisirs aussi légitimes qu’inoffensifs.

Se gouverner à l’amiable, entre soi, dans les petites choses ; décider d’un commun accord les questions d’utilité communale ; confier l’exécution des vœux publics à un homme choisi par le public ; épargner, dépenser ses écus comme on l’entend, sans contrainte ni pression d’aucune sorte ; surveiller l’emploi de son argent, faire en un mot de la commune française une association un peu plus large que la famille, mais régie par des lois assez fraternelles pour qu’on n’y trouve jamais ni vainqueurs ni vaincus, ni oppresseurs, ni opprimés : voilà ce que tous les Français demandent à l’envi, voilà ce qu’ils pourraient obtenir aujourd’hui même sans ébranler l’Empire sur ses fondements.

On promet de décentraliser bientôt les communes ; mais nous savons comment on a décentralisé les départements en 1852, et le souvenir bride un peu notre espérance. Quand le peuple des départements se plaignait d’être vexé sans raison par les bureaux de tous étages, un bon décret vint à son aide. « Braves gens, nous dit-on, vous avez assez couru de Caïphe à Pilate, du préfet au ministre. Soyez heureux ! À dater de ce jour, les préfets sont investis d’un pouvoir absolu. »

Je vois bien ce que les préfets ont gagné à cette réforme ; mais le bénéfice des administrés me semble beaucoup moins net. Supposez que demain une loi, rédigée dans le même esprit, élargisse et fortifie l’autorité des maires : les maires y gagneront ; mais nous ? Notre maire n’est pas nous ; il ne représente pas la commune ; au contraire ! Tant qu’il n’est pas élu par ses concitoyens, il représente le préfet dans la commune, comme le préfet représente le ministre de l’intérieur au chef-lieu, comme le ministre représente l’Empereur à l’hôtel Beauveau. C’est le gouvernement en cascade, conforme sur tous les points, sauf un, à la logique du droit divin.

En droit divin, Dieu choisirait le roi, qui choisirait le ministre, qui choisirait le préfet, qui choisirait le maire, qui choisirait les conseils municipaux, qui bâcleraient à leur fantaisie les affaires des citoyens.

Mais nous n’en sommes plus là : le peuple a renversé la pyramide. Si notre France est à nous, si le plus haut personnage de l’empire n’est qu’une auguste créature de l’élection populaire ; si les députés qui dépensent le principal de nos impôts sont les enfants de notre choix ; si les conseillers généraux et les conseillers d’arrondissement sont tous à la nomination du peuple, en vertu de quel principe les maires sont-ils exceptés ?

Sommes-nous souverains ? Oui, puisque nous avons pu faire un Empereur.

Avons-nous abdiqué en 1852 ? Non, puisque nous exerçons encore notre droit dans les élections de toute sorte.

Dira-t-on que nous ne sommes pas suffisamment éclairés pour qu’on nous livre le choix d’un maire ? On nous a trouvés assez bons pour élire un président, un empereur, que nous ne connaissions pas ; on nous trouve assez bien renseignés pour choisir avec discernement un député, un conseiller général, un conseiller d’arrondissement que nous connaissons à peine. Et le maire de notre commune, l’homme que nous connaissons le mieux, que nous rencontrons le plus souvent, que nous sommes le plus capables d’apprécier, ne sera pas soumis à notre choix ! Le préfet, au chef-lieu, prétend savoir mieux que nous tous l’homme qui nous convient pour manier notre argent et gouverner nos petites affaires !

On nous parlait dernièrement résultats acceptés par l’opinion publique. Qu’on interroge un peu l’opinion publique sur les maires tombés du ciel !

Les chroniqueurs ont soin de conserver une anecdote pour la fin. En voici une petite qui se rattache à la question municipale.

Nous avons, à Nancy, un agriculteur éminent, M. Paté, qui rédige une feuille spéciale. Au mois de février 1865, il prit à partie la commune de Pont-Saint-Vincent, qui possède un vaste terrain honteusement inculte, au milieu d’un pays riche et très-bien cultivé. Il affirmait avec une sérieuse vraisemblance que ce sol, mis en culture, ou simplement reboisé, pourrait donner à la longue un revenu de dix à quinze mille francs.

Le maire lui répondit dans son journal (le Bélier, 26 février) une lettre fort hautaine où j’ai cueilli cet aveu naïf :

« Vous établissez tout à votre aise quinze mille francs de revenus. Les forêts rapportent si peu aux communes, que nos deux cents hectares ne donnent pas cinq cents francs par an net. »

Connaissez-vous en France un seul propriétaire assez fou pour affermer deux cents hectares de bois au prix de cinq cents francs ? Deux francs cinquante par hectare !

Croyez-vous que la commune de Pont-Saint-Vincent, pour en prendre une entre mille, se loue de voir son bien administré de la sorte ?

Admettez-vous que nos institutions démocratiques défendent à ces propriétaires de changer leur régisseur !

Ne vous semble-t-il pas que si l’on nous refuse le droit de choisir nos maires nous-mêmes, les promesses de décentralisation municipale tomberont, avec beaucoup d’autres, dans le bocal aux poissons d’avril ?