Catéchisme du concile de Trente/Chapitre 19

Concile de Trente
Traduction par Emmanuel Marbeau.
Desclée, Lefebvre et Cie (p. 273-289).

I. — LA PRÉSENCE RÉELLE modifier

Le moment est venu de reprendre l’explication de certains points de doctrine que, pour aucun motif, on ne doit laisser ignorer aux Fidèles.

L’Apôtre nous enseigne que ceux qui[1] ne discernent point le Corps de Notre-Seigneur, commettent un grand crime. Les Pasteurs devront donc, avant tout, exhorter les Chrétiens à faire tous leurs efforts pour élever ici leur esprit et leur raison au-dessus des choses sensibles. S’ils se persuadaient que le sacrement de l’Eucharistie ne contient que ce que les sens y aperçoivent, ils tomberaient fatalement dans cette impiété énorme de croire qu’il ne renferme que du pain et du vin, puisque les yeux, le toucher, l’odorat, le goût ne rapportent que des apparences de pain et de vin. Il faut donc faire en sorte qu’ils renoncent, autant que possible, au jugement des sens, pour s’élever uniquement à la contemplation de la Vertu et de la Puissance infinie de Dieu ; car la Foi catholique enseigne et croit, sans hésitation aucune, que les paroles de la Consécration produisent spécialement trois effets admirables.

Le premier, c'est que le vrai corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Celui-là même qui: est né de la Vierge Marie, qui est assis à la droite du Père, est contenu dans l'Eucharistie.

Le second c'est que dans le Sacrement il ne reste rien de la substance des deux éléments, quoique cela semble tout-à-fait opposé et contraire au rapport des sens.

Le troisième, qui se, déduit aisément des deux autres, et qui est positivement exprimé par les paroles de la Consécration, c'est que par une disposition inexplicable et toute miraculeuse, les accidents qui apparaissent aux yeux, et que les autres sens perçoivent aussi, se soutiennent sans le secours d'aucun sujet. Ils présentent encore toutes les apparences du pain et du vin. Mais ils ne tiennent à aucune substance ; ils subsistent par eux-mêmes. Quant à la substance même du pain et du vin, elle est tellement changée au Corps et au Sang de Jésus-Christ, qu'il n'en reste absolument rien, et qu'il n'y a réellement plus ni substance du pain, ni substance du vin.

Parlons d'abord du premier de ces effets. Les Pasteurs s'efforceront de faire comprendre combien sont claires et positives les paroles de Notre Sauveur, qui établissent la présence réelle de son Corps dans l'Eucharistie. En effet, il a dit:[2] « Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang. » Or, il n'est personne de bon sens qui ne comprenne immédiatement ce que ces paroles signifient : d'autant plus qu'il est ici question de la nature humaine, et qu'il est hors de doute, dans la Foi catholique, que Jésus-Christ était véritablement homme. Aussi saint Hilaire, ce personnage si distingué par sa sainteté et par sa science, parlant de la présence réelle de la Chair et du Sang de Jésus-Christ, a-t-il dit nettement :[3] « qu'il est impossible pour nous de douter de cette vérité, puisque Jésus-Christ a déclaré lui-même, et que la Foi nous enseigne, que sa Chair est vraiment une nourriture. »

Les Pasteurs auront encore à développer un autre passage dont l'explication fera aisément conclure que l'Eucharistie contient vraiment le Corps et le Sang de Jésus-Christ. Saint Paul, après avoir rappelé la consécration que le Seigneur avait faite du pain et du vin, et la distribution des saints Mystères à ses Apôtres, ajoute :[4] « que l'homme s'éprouve donc lui-même, et qu'après cela il mange de ce pain et boive de ce calice : car celui qui le mange et le boit indignement, mange et boit sa propre condamnation, ne discernant pas le corps du Seigneur ». Si, comme le prétendent les hérétiques, nous n'avions autre chose à vénérer dans ce Sacrement que le souvenir et le signe de la Passion de Jésus-Christ, pourquoi l'Apôtre se servirait-il d'expressions aussi fortes pour exhorter les Fidèles à s'éprouver ? Ce mot terrible de condamnation, employé par lui, montre que c'est un crime abominable de recevoir indignement le Corps du Seigneur caché sous les espèces eucharistiques, et de ne pas distinguer cette nourriture de toutes les autres. Mais le même Apôtre s'exprime encore plus formellement dans le Chapitre précédent de la même Epître, lorsqu'il dit :[5] « Le calice de bénédiction que nous bénissons, n'est-il pas la communication du Sang de Jésus-Christ ? et le pain que nous rompons, n'est-ce pas la participation du Corps du Seigneur ? »

On ne peut désigner plus clairement la véritable substance du Corps et du Sang de Jésus-Christ. Mais en expliquant ces passages de la sainte Ecriture, les Pasteurs auront soin de faire remarquer aux Fidèles, qu'ils ne renferment rien de douteux ni d'incertain, surtout parce que l'Eglise de Dieu, avec son autorité infaillible, les a toujours entendus dans le sens que nous venons d'exposer. Pour nous en convaincre nous avons deux moyens faciles.

Le premier, c'est de consulter les Pères qui ont fleuri à l'origine et dans tous les âges de l'Eglise, et qui sont les meilleurs témoins de sa doctrine. Or, ils ont tous enseigné, et d'un accord unanime, la vérité du dogme en question. Mais ce serait un travail infini de citer tous les témoignages. Il nous suffira d'en rapporter, ou d'en indiquer quelques-uns, qui nous permettront de juger des autres. Que Saint Ambroise produise, le premier sa profession de Foi : dans le livre qu'il a écrit sur ceux qui sont initiés aux Mystères,[6] il affirme que « l'on reçoit dans l'Eucharistie le vrai Corps de Jésus-Christ, comme Il l'avait pris lui-même très réellement dans le sein de la bienheureuse Vierge et que c'est un article de Foi incontestable ». – « Avant la Consécration, dit-il ailleurs, il n'y a que du pain, mais après la Consécration, il n'y a que la Chair de Jésus-Christ ».

Que S. Jean Chrysostome se présente ensuite ; c'est un autre témoin non moins digne de confiance, et d'une autorité non moins grande. II professe et enseigne la même vérité dans une foule de passages, mais surtout dans la 60e homélie, « de ceux qui participent indignement aux saints Mystères » et dans les homélies 41 et 45, sur Saint Jean. « Obéissons à Dieu, dit-il, et ne refusons pas de Le croire, lors même qu'Il semble dire des choses contraires à la raison et aux sens. Sa parole est infaillible, tandis que notre jugement s'égare facilement. »

Et Saint Augustin, ce défenseur si zélé de la Foi catholique, a toujours pensé et parlé de même, mais spécialement dans son commentaire sur le Psaume 33 : « se porter soi-même dans ses mains est impossible à l'homme, dit-il, cela ne peut convenir qu'à Jésus-Christ ; car il se portait dans ses propres mains, lorsque, donnant son Corps, il dit : ceci est mon Corps. »

Enfin, sans parler de Saint Justin et de Saint Irénée, Saint Cyrille, dans son 4e livre sur Saint Jean, affirme si clairement que la véritable Chair de Jésus-Christ est dans l'Eucharistie, que nulle interprétation fausse et captieuse ne pourra jamais obscurcir ses paroles.

Si les Pasteurs désiraient connaître encore d'autres témoignages des Pères, il serait facile de leur citer Saint Denys, Saint Hilaire, Saint Jérôme, Saint Jean Damascène et une foule d'autres dont les sentiments si importants sur cette matière ont été réunis en corps d'ouvrage, par des hommes pieux et savants, et se lisent partout.

Le second moyen de connaître la doctrine de l'Eglise dans les choses de la Foi, c'est la condamnation qu'elle a faite des doctrines et des opinions contraires. Or, il est impossible de le nier, le dogme de la Présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie a toujours été tellement répandu et popularisé dans toute l'Eglise, il a toujours été si universellement reçu par tous les Fidèles, qu'au moment où Bérenger, dans le onzième siècle, osa l'attaquer et prétendre qu'il n'y avait là qu'un signe, il fut aussitôt condamné, et d'une voix unanime, au Concile de Verceil, convoqué par le Pape Léon IX, et lui-même y anathématisa son hérésie. Et lorsque plus tard il revint encore à cette erreur impie, il fut de nouveau condamné par trois autres Conciles, l'un de Tours, et les deux autres de Rome, ces deux derniers assemblés successivement par les Papes Nicolas II et Grégoire VIII. Toutes ces décisions furent confirmées ensuite par Innocent III dans le Concile général de Latran. Enfin les Conciles de Florence et de Trente sont venus tour à tour fixer ce dogme avec une clarté et une précision invincibles.

Si les Pasteurs ont soin de bien mettre en lumière toutes ces autorités, ils pourront, non pas ramener les hérétiques qui, aveuglés par leurs erreurs, ne baissent rien tant que la vérité, mais affermir les faibles, et remplir les âmes pieuses de consolation et de joie : d'autant plus — et cela est évident pour les Fidèles — que la foi de cette vérité est renfermée dans les autres articles de la Doctrine chrétienne. Quiconque en effet croit et confesse que Dieu est Tout Puissant, croit par là-même qu'Il n'a pas manqué de pouvoir pour opérer le chef-d’œuvre que nous admirons et que nous révérons dans l'Eucharistie. Quiconque encore croit la sainte Eglise catholique, doit nécessairement reconnaître pour vraie la doctrine que nous venons d'expliquer.

Mais ce qui met le comble au bonheur et à l'édification des âmes pieuses, c'est de contempler la sublime dignité (le ce Sacrement. Par là elles comprennent d'abord toute la perfection de la Loi évangélique, laquelle possède en réalité ce que la Loi de Moise n'avait qu'en figures et en images. Ce qui a fait dire admirablement à Saint Denys[7] que « Notre Eglise tient le milieu entre la Synagogue et la Jérusalem céleste, et qu'elle participe de l'une et de l'autre ». Les fidèles ne sauraient donc trop admirer la perfection, la gloire et la grandeur de la sainte Eglise, puisqu'il n'y a, pour ainsi dire, qu'un seul degré qui la sépare de la béatitude céleste. Nous avons cela de commun avec les habitants des cieux, que les uns et les autres nous possédons Jésus-Christ ; Dieu et homme, présent au milieu de nous. Le seul degré qui nous sépare d'eux, c'est qu'ils jouissent de la Présence de Jésus-Christ par la vision béatifique, tandis que nous, nous adorons seulement sa Présence, Présence invisible à nos yeux, et cachée sous le voile miraculeux des saints Mystères, mais que cependant nous confessons avec une Foi ferme et inébranlable.

Enfin Jésus-Christ nous a laissé dans ce Sacrement, la preuve de l'immense amour qu'Il a pour nous. N'était-ce pas en effet un des plus beaux traits de cet amour, de n'avoir pas emporté loin de nous cette nature qu'Il nous avait empruntée, mais d'avoir voulu, autant Rue cela était possible, demeurer sans cesse avec nous, afin que sans cesse on pût dire de Lui en toute vérité:[8] « mes délices sont d'être avec les enfants des hommes ? ».

II — JÉSUS-CHRIST EST TOUT ENTIER DANS L'EUCHARISTIE modifier

Ici les Pasteurs auront à expliquer que l'Eucharistie ne contient pas seulement le Corps de Jésus-Christ avec tout ce qui constitue un corps véritable, comme les os et les nerfs, mais encore Jésus-Christ tout entier. Il faut enseigner que Jésus-Christ, c'est le nom d'un Dieu et d'un homme tout à la fois, c'est-à-dire d'une personne dans laquelle la nature divine et la nature humaine son ; réunies ; Jésus-Christ possède les deux substances et ce qui les caractérise, la divinité d'abord, puis la nature humaine tout entière avec l'âme, les parties du corps et le sang qui la composent. Nous devons donc croire que toutes ces choses se trouvent dans l'Eucharistie. Car de même qu'au ciel l'humanité de Jésus-Christ est unie à la divinité dans une seule personne, (et dans une seule hypostase). de même ce serait un crime de supposer que le Corps, présent dans l'Eucharistie, y est séparé de la divinité.

Cependant les Pasteurs auront soin de faire observer que toutes ces choses ne sont point contenues de la même manière et par la même raison dans ce Sacrement. II en est qui s'y trouvent en vertu, et par la force même de la Consécration. Ces paroles en effet produisent ce qu'elles signifient, et les Théologiens disent qu'une chose se trouve dans le Sacrement, par la force du Sacrement, quand elle est exprimée par la forme des paroles. Selon eux, s'il pouvait arriver que les choses fussent détachées les unes des autres, il y aurait dans le Sacrement uniquement ce que sa forme signifie ; le reste ne s'y trouverait point. Au contraire, il est certaines choses qui sont renfermées dans le Sacrement, par cette seule et unique raison qu'elles. sont inséparablement liées avec celles que la forme exprime. Ainsi, comme la forme employée pour la Consécration du pain exprime le Corps de Notre-Seigneur, puisqu'on y dit : ceci est mon Corps, c'est donc par la force même du Sacrement que le Corps de Jésus-Christ est renferme dans l'Eucharistie. Mais parce que le Sang, l'âme et la Divinité sont inséparables du Corps, toutes ces choses seront aussi dans le Sacrement, non en vertu de la Consécration, mais par l'union qu'elles ont avec le Corps, ou comme disent les Théologiens, par concomitance. C'est de cette manière que manifestement Jésus-Christ est tout entier dans l'Eucharistie. Car lorsque deux choses sont absolument liées entre elles, il faut que l'une soit partout où l'autre se trouve. Il suit de là que Jésus-Christ est tellement tout entier, (si nous pouvons ainsi dire), et sous l'espèce du pain et sous l'espèce du vin, que, comme l'espèce du pain contient non seulement le Corps, mais le Sang, et Jésus-Christ tout entier, de même l'espèce du gyrin renferme non seulement le Sang, mais aussi le Corps et toute la Personne de Jésus-Christ.

Quoique les Fidèles doivent avoir la certitude et la persuasion que les choses se passent ainsi, cependant l'Eglise a été très sage de faire séparément les deux Consécrations. D'abord cela exprime bien mieux la Passion du Sauveur, dans laquelle le Sang fut séparé du Corps. C'est même pour cette raison que l'on fait mention de l'effusion du Sang, dans la Consécration. Ensuite, comme ce Sacrement était destiné à nourrir nos âmes, il était convenable qu’il fût établi sous la forme de nourriture et de breuvage, puisque ces deux choses constituent évidemment l’aliment complet de nos corps.

Il ne faut pas non plus oublier de dire que non seulement Jésus-Christ est tout entier dans chacune des espèces du pain et du vin, mais qu’Il est aussi tout entier dans la moindre parcelle de chaque espèce. « Chacun reçoit Jésus-Christ, écrivait Saint Augustin.,[9] et Jésus-Christ est tout entier dans la portion de chacun ; Il ne se divise pas entre tous, mais il se donne tout II tous. » nous avons d’ailleurs une preuve de cette vérité dans les Evangélistes. Il n’est pas à croire en effet que Jésus-Christ ait consacré séparément chacun des morceaux de pain qu’Il distribua aux Apôtres ; il paraît au contraire qu’il consacra, en prononçant une seule fois les paroles de la forme, tout le pain qui était nécessaire, et qu’Il le distribua ensuite à chacun. C’est évidemment ce qui eut lieu pour le calice, c’est-à-dire pour l’espèce du vin, puisque Jésus-Christ lui-même dit:[10] « prenez et partagez entre vous »

Tout ce que nous avons dit jusqu’ici a pour but de faire enseigner par les Pasteurs que le vrai Corps et le vrai Sang de Jésus-Christ sont contenus dans l’Eucharistie.

III. — DE LA TRANSSUBSTANTIATION modifier

Les Pasteurs enseigneront également — et c’était là notre second point, — qu’après la Consécration il ne reste absolument rien de la substance du pain et du vin dans le Sacrement. Si extraordinaire, si prodigieux que puisse nous paraître ce miracle, cependant il est une conséquence nécessaire de ce que nous venons de démontrer. En effet, si après la Consécration le Corps et le Sang de Jésus-Christ sont réellement présents sous les espèces du pain et du vin où Ils n’étaient pas auparavant, ce ne peut être que par changement de lieu, ou par création, ou par le changement d’une autre substance en la sienne. Or il est impassible que le Corps de Jésus-Christ soit présent dans l’Eucharistie, en y venant d’un autre lieu, puisque autrement Il devrait quitter le ciel, un corps ne pouvant être mis en mouvement sans s’éloigner du lieu d’où part le mouvement. Il est encore bien moins croyable que le Corps de Jésus-Christ soit dans l’Eucharistie par création, ou plutôt il n’est même pas permis de le penser. Que reste-t-il donc, sinon que le pain soit changé en son Corps, et par conséquent que la substance du pain soit totalement détruite par la Consécration ? Aussi les Pères du Concile général de Latran, et ceux du Concile de Florence ont-ils nettement enseigné cette vérité. Et après eux, le Concile de Trente l’a définie plus formellement encore en ces termes: « Si quelqu’un dit que dans le très saint sacrement de l’Eucharistie, la substance du pain et du vin demeure avec le Corps et le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit anathème ! »[11] Il est très facile d’ailleurs d’arriver à la même conclusion par les textes mêmes de la Sainte Ecriture. Et d’abord Notre-Seigneur, en instituant ce Sacrement, s’exprime ainsi: « ceci est mon Corps »: Or la propriété du mot: ceci, est d’exprimer toute la substance de l’objet présent. Si donc la substance du pain était demeurée, Jésus-Christ n’aurait pas pu dire avec vérité: ceci est mon Corps. D’un autre côté, le Seigneur dit, dans Saint Jean[12] « le pain que Je donnerai, c’est ma Chair pour la vie du monde » désignant ainsi sa Chair par le nom du pain ; puis un instant après, II ajoute[13] « Si vous ne mangez la Chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son Sang, vous n’aurez point la vie en vous ; » et encore[14] « ma Chair est véritablement une nourriture, et mon Sang est vraiment un breuvage » Or appeler en termes si clairs et si formels sa Chair un vrai pain, une véritable nourriture, et son Sang un vrai breuvage, n’est-ce pas évidemment pour nous apprendre que ni la substance du pain ni celle du vin ne demeurent dans ce Sacrement ?

Ceux qui auront seulement parcouru les Saints Pères, reconnaîtront sans peine que telle a toujours été leur croyance unanime. Voici ce qu’écrit Saint Ambroise:[15] « vous direz peut-être: ce pain est tout ordinaire. Oui c’est du pain ordinaire avant la Consécration ; mais aussitôt après la Consécration, ce pain devient la Chair de Jésus-Christ ». Puis, pour rendre ses preuves plus sensibles, il apporte plusieurs exemples et plusieurs comparaisons. Dans un autre endroit, en expliquant ces paroles du Psalmiste:[16] « le Seigneur a fait dans le ciel et sur la terre tout ce qu’Il a voulu, il dit: quoique l’on voie la figure et la forme du pain et du vin, il n’y a cependant rien autre chose après la Consécration, que la Chair et le Sang de Jésus-Christ ». Saint Hilaire s’est servi presque des mêmes termes pour exprimer la même vérité, il enseigne que[17] « le Corps et le Sang du Seigneur sont réellement dans l’Eucharistie, quoique, au dehors, on n’aperçoive que du pain et du vin »

Ici les Pasteurs feront bien d’avertir les Fidèles qu’ils ne doivent pas s’étonner qu’on ait conservé le nom de pain à l’Eucharistie, même après la Consécration. La raison en est que l’Eucharistie garde les apparences du pain et même la propriété naturelle du pain, qui est de nourrir et de fortifier le corps. C’est d’ailleurs une coutume de la Sainte Ecriture de nommer les objets d’après leurs formes extérieures. C’est ce qu’on voit dans la Genèse, où il est dit que trois hommes apparurent à Abraham, et cependant c’étaient trois Anges. De même nous lisons dans les Actes que deux hommes apparurent aux Apôtres, au moment où Notre-Seigneur Jésus-Christ venait de monter au ciel, et ces hommes étaient des Anges.

IV. — COMMENT S’OPÈRE LA TRANSSUBSTANTIATION modifier

L’explication de ce Mystère est extrêmement difficile. Cependant les Pasteurs tâcheront de faire comprendre à ceux qui sont assez avancés dans la connaissance des Vérités saintes, comment s’opère ce changement admirable. Car pour ceux qui sont encore faibles dans la Foi, il serait à craindre qu’ils ne fussent accablés sous le poids d’une Vérité si haute. Ce changement est tel que, par la puissance de Dieu, toute la substance du pain est convertie en la substance entière du Corps de Jésus-Christ, et toute la substance du vin en la substance entière de son Sang, sans aucun changement de la part de Notre-Seigneur Lui-même. En effet, Il n’y est ni engendré, ni changé, ni augmenté ; mais Il demeure intact dans sa substance. C’est ce qui a fait dire à Saint Ambroise, en parlant de ce Mystère:[18] « vous voyez combien la parole de Jésus-Christ est efficace. Si elle a eu assez de force pour faire exister ce qui n’était pas, le monde, par exemple, combien ne lui en a-t-il pas fallu pour donner un nouvel être aux choses qui existaient déjà et pour les changer en d’autres ? »

Plusieurs autres Pères très anciens, et d’une grande autorité, ont parlé dans le même sens. « nous le déclarons sans hésiter, dit Saint Augustin[19] avant la Consécration, il n’y a que le pain et le vin formés par la nature ; mais après la Consécration, il n’y a plus que la Chair et le Sang de Jésus-Christ, rendus présents par les paroles sacrées. » — Le Corps de Notre-Seigneur,[20] dit de son côté Saint Jean Damascène, « Celui-là même qui est né d’une Vierge, est véritablement uni dans l’Eucharistie à sa divinité ; non qu’Il descende du ciel où Il est monté, mais parce que le pain et le vin sont transsubstantiés au Corps et au Sang du Seigneur. »

C’est donc avec beaucoup de raison et de justesse que l’Eglise catholique appelle ce merveilleux changement transsubstantiation, comme l’enseigne le Concile de Trente. En effet de même que la génération naturelle peut très bien s’appeler transformation, parce qu’il s’y fait un changement de forme ; de même le mot de transsubstantiation a été très convenablement créé par nos Pères, pour exprimer le changement d’une substance tout entière en une autre substance, tel que celui qui s’opère dans l’Eucharistie.

Mais ainsi que les Saints Pères l’ont très souvent recommandé, il faut avertir les Fidèles de ne pas rechercher avec trop de curiosité comment un tel changement peut se faire. Il nous est impossible de le comprendre, et nous ne pouvons en trouver aucune image ni aucun exemple dans les changements naturels, ni même dans la création. La Foi nous apprend que la chose est ainsi, nous ne devons point chercher avec curiosité pourquoi ou comment la chose est ainsi.

Il ne faudra pas moins de prudence aux Pasteurs, lorsqu’ils expliqueront comment dans ce Mystère le Corps de Jésus-Christ se trouve contenu tout entier dans chacune des plus petites parcelles du pain eucharistique. Autant qu’on le peut il faut éviter soigneusement ces sortes de discussions ; cependant, si la Charité chrétienne en-fait un devoir, qu’on n’oublie pas tout d’abord de prémunir et de fortifier l’esprit des Fidèles par ces paroles de l’Evangile[21] « Rien n’est impossible à Dieu. » Après cela les Pasteurs pourront enseigner que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’est point dans ce Sacrement comme dans un lieu. Les choses ne sont dans un lieu qu’autant qu’elles ont quelque étendue. Or, quand nous disons que Jésus-Christ est dans l’Eucharistie, nous ne faisons pas attention à l’étendue plus ou moins grande de son Corps, mais à la substance elle-même, considérée indépendamment de l’étendue. Car la substance du pain est changée en la substance, et non pas en la quantité, ni en la grandeur du Corps de Jésus-Christ. Or personne ne doute qu’une substance ne puisse être également renfermée dans un petit espace aussi bien que dans un grand. Ainsi la substance de l’air est aussi entière dans une petite partie d’air que dans une grande ; la nature (ou la substance) de l’eau n’est pas moins entière dans un petit vase que dans un grand. Et comme le Corps de Notre-Seigneur remplace la substance du pain dans l’Eucharistie, on est obligé de convenir qu’Il est dans le Sacrement de la même manière que la substance du pain y était avant la Consécration. Or la substance du pain était aussi bien et aussi entière dans la plus petite partie que dans le tout. Cela ne se discute même pas.

V. — DES ACCIDENTS DU PAIN ET DU VIN modifier

La troisième merveille de ce Sacrement, la plus grande et la plus étonnante de toutes, mais que les Pasteurs pourront aborder plus aisément, après avoir expliqué les deux précédentes, c’est que les espèces du pain et du vin y subsistent sans être soutenues d’aucun sujet. En effet, nous avons démontré d’une part que le Corps et le Sang de Notre-Seigneur sont véritablement présents dans ce Sacrement, et de manière qu’il ne reste absolument rien de la substance du pain et du vin. Mais d’autre part il est impossible que les accidents qui demeurent, s’attachent à son Corps et à son Sang. Par conséquent il est de toute nécessité que, contre toutes les lois de la nature, ces accidents subsistent en eux-mêmes, et sans être soutenus par aucune substance. telle a toujours été la doctrine constante de l’Eglise catholique, doctrine qui peut du reste se déduire des témoignages que nous avons rapportés plus haut en faveur de la vérité qui nous occupe, à savoir qu’après la Consécration, il ne demeure plus rien de la substance du pain et du vin dans l’Eucharistie.

Mais rien ne convient mieux à la piété des Fidèles que de laisser de côté ces questions difficiles, et de se borner à vénérer, à adorer la majesté de ce Sacrement, et ensuite à admirer la souveraine Providence de Dieu, qui a établi ces sacrés Mystères, pour être administrés sous les espèces du pain et du vin. toutefois, comme il répugne absolument à la nature de manger la chair et de boire le sang de l’homme, c’est une grande marque de Sagesse de la part de Notre-Seigneur de nous avoir donné sa Chair et son Sang adorables sous les apparences du pain et du vin, qui sont notre nourriture journalière, la plus ordinaire, et en même temps la plus agréable.

Nous trouvons encore en cela deux autres avantages ; le premier, c’est d’être à l’abri d’accusations calomnieuses, et qu’il nous eût été difficile d’éviter de la part des infidèles, s’ils nous avaient vus manger la Chair de Jésus-Christ dans sa propre forme. Le second, c’est qu’en prenant le Corps et le Sang de Notre-Seigneur, sans que nos sens puissent saisir la réalité de leur existence, c’est un puissant moyen d’augmenter la Foi dans nos âmes. « Car la Foi, dit Saint Grégoire[22] ne mérite plus, quand la raison démontre. »

Tout ce que nous avons dit sur ces vérités si profondes ne doit être présenté aux Fidèles qu’avec de grandes précautions, et en tenant compte du développement de leur intelligence, aussi bien que des circonstances.

  1. 1 Cor., 11, 29.
  2. Matth., 16, 26.
  3. Lib. 8, de Trinit.
  4. 1 Cor., 11, 28.
  5. 1 Cor., 10, 16.
  6. Lib. 4, de Sacram.
  7. De Eccl. Hierarch. C., 3.
  8. Prov., 8, 31.
  9. De Consecrat. Dist., 2.
  10. Luc., 22, 17.
  11. Conc. Trid. Sess., 13. Cap., 4.
  12. Joan., 6, 52.
  13. Joan., 6, 54.
  14. Joan., 6, 56.
  15. Lib. 4 de Sacr.
  16. Psal., 134, 6.
  17. De Consecr. Distr. 2.
  18. Lib. 4, de Sacr.
  19. De Consecrat.
  20. 1 Lib., 4, de orth. fid. c., 4.
  21. Luc., 1, 37.
  22. Hom., 26, Sup. Evang.