Catéchisme d’économie politique/1881/23

Texte établi par Charles Comte, Joseph GarnierGuillaumin (p. 134-138).

CHAPITRE XXIII.

De la population.


Qu’est-ce qui multiplie, en tous pays, le nombre des hommes ?

C’est la quantité des choses produites. Les choses produites, en se distribuant aux habitants d’un pays de la manière qui a été expliquée, forment leurs revenus ; et chaque classe d’habitants se multiplie à proportion du revenu qu’elle reçoit.

Un même revenu a-t-il le même effet dans toutes les classes indifféremment ?

Non ; dans les classes où chaque personne a plus de besoins, une certaine valeur fait subsister moins de personnes.

Pourquoi dans chaque classe y a-t-il toujours autant d’individus qu’il peut s’en entretenir ?

Parce que les hommes, de même que toutes les espèces animales, et mêmes les plantes, ont beaucoup plus de facilité à propager leur être qu’à le faire subsister.

Les denrées alimentaires ne sont-elles pas plus nécessaires pour maintenir la population que les autres produits ?

Les plus nécessaires sont celles auxquelles la population met le plus haut prix ; et comme c’est la production de chacun qui lui permet de mettre un prix aux choses dont il a besoin, on peut dire qu’en général la population est en proportion de la production.

Qu’arrive-t-il quand le nombre des naissances amasse dans un pays plus d’individus que l’état de la production n’en comporte ?

La population dépérit, principalement les individus faibles des classes indigentes, les enfants, les vieillards, les infirmes. Ceux qui ne meurent pas d’un défaut positif de nourriture, périssent faute d’une nourriture suffisamment saine ; faute de médicaments dans une maladie, faute de propreté, faute de repos, faute d’un logement sec et chaud, faute des soins dont on ne peut se passer dans les infirmités et dans la vieillesse. Au moment où il leur serait nécessaire de jouir de l’un de ces biens et qu’ils ne peuvent y atteindre, ils languissent plus ou moins longtemps, et succombent au premier choc.

Les guerres, les épidémies, ne nuisent-elles pas à la population ?

Elles la réduisent passagèrement ; mais l’expérience a démontré qu’à la suite d’un fléau qui a emporté un grand nombre de personnes, la population se rétablit très promptement dans sa proportion ordinaire avec la production du pays.

Quelle conclusion tirez-vous de ces faits ?

Qu’il n’y a aucun autre moyen d’augmenter la population que de favoriser la production. Encourager au mariage, honorer la fécondité, c’est encourager la misère. Le difficile n’est pas de multiplier les enfants, c’est de les élever.

Qu’est-ce qui détermine la quantité d’habitants qui peuplent un certain canton, une certaine ville ?

C’est le même principe : la somme des produits. Une ville ne produit pas de denrées alimentaires, mais elle peut acheter des denrées alimentaires, en proportion de la valeur de ses autres produits.

Une nombreuse population est-elle un avantage pour un pays ?

Oui, quand cette population possède les moyens de subsister avec aisance c’est-à-dire de l’industrie et des capitaux. Sans cela elle est un fardeau.

Quel avantage procurent à un pays des hommes qui y arrivent du dehors avec des capitaux et de l’industrie ?

C’est un nouveau commerce qui s’ouvre. Par la demande qu’ils font aux anciens habitants de leurs produits, ils leur procurent de nouveaux profits ; et par les objets qu’ils créent et donnent en échange, ils leur procurent de nouvelles jouissances.

Un pays peut-il empêcher que ces citoyens n’aillent à l’étranger et n’y emportent leur fortune ?

En supposant que l’on veuille violer le droit que tout homme a sur sa personne et sur ses biens, on peut détenir l’une et confisquer les autres ; il n’y a aucun moyen d’empêcher qu’ils n’aillent à l’étranger ainsi que leurs capitaux.

En prohibant la sortie de l’or et de l’argent n’empêche-t-on pas les fortunes de sortir du pays ?

Nullement ; car une fortune se compose de valeurs, et l’on peut faire sortir des valeurs sous la forme de certaines marchandises, si la sortie des autres est prohibée.

Mais celui qui fait sortir une marchandise ne fait-il pas moins de tort au pays que celui qui fait sortir de l’argent ?

Le tort est pareil dans les deux cas ; il est proportionné à la valeur, et non à la nature de la marchandise ; il provient, non de ce qu’une valeur sort du pays, mais de ce qu’il n’en rentre aucune autre en échange, comme il arrive dans les opérations du commerce.

Cependant celui qui fait sortir une marchandise l’a payée auparavant.

C’est vrai ; mais celui qui fait sortir de l’argent l’a payé de même ; il n’emporte le bien de personne.

Quelle est la population la plus avancée dans la civilisation ?

C’est celle qui produit et qui consomme le plus.

Pourquoi est-elle plus avancée ?

Parce que l’existence de chaque individu y est alors plus considérable, plus complète.