Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences1 (p. 616-617).
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CONDUITE DE CARNOT DANS LES CENT JOURS.


La conduite de Carnot dans les Cent-Jours me paraissait résumée tout entière et noblement dans ces paroles mémorables que Napoléon lui adressa après la bataille de Waterloo : Carnot, je vous ai connu trop tard !

Mais, comme j’écris une biographie et non un panégyrique, je dirai avec franchise que Carnot comme membre du gouvernement provisoire de cette époque subit l’influence malfaisante et antinationale du duc d’Otrante, ce qui l’entraîna à donner son adhésion à des mesures marquées au coin de la faiblesse, à des mesures sur lesquelles tout cœur animé de sentiments patriotiques désire jeter un voile épais.

Au surplus, peut-on trop vivement reprocher à Carnot de s’être laissé fasciner par les intrigues de Fouché, lorsqu’on voit Napoléon, malgré les soupçons les plus évidents de trahison, conserver cet homme dans son conseil.

Parmi des reproches adressés ostensiblement à Carnot sur cette période de nos annales, il en est un sur lequel je puis donner des explications personnelles. J’ai entendu blâmer vivement l’austère conventionnel d’avoir accepté certain titre de comte de l’empire : par bonheur, ma mémoire peut reproduire fidèlement quelques paroles de notre confrère qui éclairent ce point de sa vie, et qui me furent transmises le jour même par un officier qui les avait entendues.

On était à table, au ministère de l’intérieur. Une lettre arrive ; le ministre brise le cachet et s’écrie presque aussitôt : « Eh bien, Messieurs, me voilà comte de l’empire ! « Je devine bien au reste d’où le coup part. C’est ma démission qu’on désire, qu’on demande. Je ne lui donnerai pas cette satisfaction ; je resterai, puisque je pense pouvoir être utile au pays. Le jour viendra, j’espère, où il me sera permis de m’expliquer nettement sur cette perfidie ; à présent, je me contenterai de dédaigner ce vain titre, de ne jamais l’accoler à mon nom et surtout de ne pas en prendre le diplôme, quelques instances qu’on me fasse. De ce moment, vous pouvez tenir pour certain, Messieurs, que Carnot ne restera pas longtemps ministre après que les ennemis auront été repoussés. »

J’aurais bien mal fait apprécier notre confrère, Messieurs, si ces paroles semblaient exiger plus de développements.