Caractère de Mme la comtesse d’Olonne


Caractère de Mme la comtesse d’Olonne



CARACTÈRE DE MADAME LA COMTESSE D’OLONNE1.
(1657.)

Je ne pense pas être plus heureux à votre caractère, que nos peintres à votre portrait, où je puis dire que les meilleurs ont perdu leur réputation. Jusqu’ici nous n’avons point vu de beautés si achevées, qui ne soient allées chez eux, pour y chercher de certaines grâces, ou pour s’y défaire de quelques défauts. Vous seule, Madame, êtes au-dessus des arts qui savent flatter et embellir. Ils n’ont jamais travaillé pour vous2 que malheureusement : jamais sans vous avoir beaucoup intéressée, et fait perdre autant d’avantages à une personne accomplie, qu’ils ont accoutumé d’en donner à celles qui ne le sont pas.

Si vous n’êtes guère obligée à la peinture, vous l’êtes encore moins à la curiosité des ajustements. Vous ne devez rien, ni à la science d’autrui, ni à votre propre industrie, et pouvez en repos vous remettre à la nature des soins qu’elle prend pour vous. Comme il y a peu de négligences heureuses, je ne conseillerois pas aux autres de s’y fier3.

En effet, la plupart des femmes ne sont agréables que par les agréments qu’elles se font. Tout ce qu’elles mettent pour se parer cache des défauts. Tout ce que l’on vous ôte de votre parure vous rend quelque grâce ; et vous avez autant d’intérêt à revenir purement au naturel, qu’il leur est avantageux de s’en éloigner.

Je ne m’amuserai point à des louanges générales, aussi vieilles que les siècles4. Le Soleil ne me fournira point de comparaison pour vos yeux, ni les Fleurs pour votre teint. Je pourrois parler de la régularité du visage, de la délicatesse des traits, des agréments de la bouche, de ce cou si poli et si bien tourné, de cette gorge si bien formée. Mais, au delà des plus curieuses observations, il y a mille choses en vous à penser, qu’on ne peut bien dire, et mille choses qu’on sent mieux qu’on ne les pense.

Croyez-moi, Madame, ne confiez le soin de votre gloire à personne ; car, assurément, vous n’êtes jamais si bien qu’en vous-même. Paroissez au milieu des portraits et des caractères, et vous déferez toutes les images qu’on sauroit donner de vous.

Après vous avoir bien admirée, ce que je trouve de plus extraordinaire, c’est que vous ayiez comme ramassé en vous les charmes divers de différentes beautés : ce qui surprend, ce qui plaît, ce qui flatte, ce qui touche5.

Votre caractère proprement n’est point un caractère particulier ; c’est celui de toutes les belles personnes. Tel a résisté à des beautés fières, qui s’est laissé gagner à des beautés délicates. La délicatesse a donné du dégoût à un autre, qui a bien voulu se soumettre à la fierté.

Vous seule êtes le foible de tout le monde. Les emportés y trouvent le sujet de leurs transports ; les âmes passionnées reprennent leur tendresse et leur langueur. Esprits différents, diverses humeurs, tempéraments contraires, tout est sujet à votre empire6.

Ceux qui n’étoient nés ni pour donner, ni pour recevoir de l’amour, conservent la première de ces qualités, et perdent malheureusement l’autre. De là vient qu’il y a quelque ressemblance entre la chaleur de vos amis et la passion de vos amants ; qu’on ne sauroit vous admirer sans intérêt ; que le jugement des simples spectateurs n’est pas libre. De là vient enfin que tout aime où vous êtes, excepté vous, qui demeurez seule insensible.

Jusqu’ici, j’ai rendu une partie de ce que je devois à votre beauté, et ce n’est pas une de vos moindres louanges que j’aie pu vous louer si longtemps. Présentement, il est juste que je me donne quelque chose à moi-même ; et qu’en parlant de votre esprit et de votre humeur, je me laisse aller à la mienne.

Je ne dirai que des vérités ; et de peur que vous ne croyiez qu’elles vous soient toutes désavantageuses, je commencerai par les charmes de votre conversation, qui ne cèdent en rien à ceux de votre visage. Oui, Madame, on n’est pas moins touché de vous entendre que de vous voir. Vous pourriez donner de l’amour toute voilée, et faire voir en France, comme on a vu en Espagne, quelque aventure de la belle invisible.

On n’a jamais remarqué tant de politesse qu’en vos discours : ce qui est surprenant, rien de si vif et de si juste ; des choses si heureuses et si bien pensées7.

Mais finissons des louanges dont la longueur est toujours ennuyeuse, quelque véritables qu’elles soient ; et préparez-vous à souffrir patiemment ce que j’ai trouvé à redire en vous. Si vous avez de la peine à l’entendre, je n’en ai pas moins eu à le découvrir. Il m’a fallu faire des recherches profondes : et, après une étude fort difficile, voici les défauts que j’ai remarqués.

Je vous ai vue souvent estimer trop des gens médiocres ; et dans certaines docilités, qui véritablement ne vous durent guère, soumettre votre jugement à celui de beaucoup de personnes qui n’en avoient point.

Il me semble aussi que vous vous laissez trop aller à l’habitude. Ce que d’abord vous avez jugé grossier, fort sainement, vous paroît à la fin délicat, sans raison ; et quand vous venez à guérir de ces erreurs, c’est plutôt par un retour de votre humeur, que par les réflexions de votre esprit.

Quelquefois, Madame, par un mouvement contraire, pour penser trop, vous passez la vérité du sujet ; et les opinions que vous formez sont des choses plus fortement imaginées que solidement connues.

Pour vos actions, elles sont également innocentes et agréables. Mais comme vous pouvez négliger de petites formalités, qui sont de véritables gênes dans la vie, vous avez à craindre l’opinion des sots, et le chagrin de ceux que votre mérite fait vos ennemis.

Les femmes, vos ennemies déclarées, sont contraintes de nous avouer mille avantages que vous avez reçus de la nature. Il y a des occasions où nous sommes obligés de leur confesser qu’on pourroit les ménager mieux, et que vous n’en faites pas toujours ce que d’autres en sauroient faire.

Je finirai par vos inégalités dont vous faites vous-même une agréable peinture. Elles sont fâcheuses à ceux qui les souffrent. Pour moi, j’y trouve quelque chose de piquant ; et je vois, quand on se plaint le plus de l’humeur, que c’est alors qu’on s’intéresse le plus pour la personne.

Quoi qu’il en soit, tant s’en faut qu’on puisse prendre avantage sur vous, qu’on n’y sauroit prendre de mesure. On vous désoblige aisément, sans y penser ; et même le dessein de vous plaire a produit plus d’une fois le malheur de vous avoir déplu. Croyez-moi, Madame, il faudrait être bien heureux pour trouver de bons moments avec vous, et bien juste pour les prendre. Ce qu’on peut dire véritablement, après vous avoir examinée, c’est qu’il n’y a rien de si malheureux que de vous aimer, mais rien de si difficile que de ne vous aimer pas.

Voilà, Madame, les observations d’un spectateur qui, pour juger de vous plus sainement, a pris soin de demeurer libre. Le moyen qu’il a tenu pour se garantir a été de vous éviter autant qu’il a pu. Encore n’est-ce pas assez de ne vous voir point, quand on vous a vue ; et ce remède, ailleurs infaillible, n’apporte pas une sûreté entière, sur votre sujet.

Peut-être, me direz-vous, qu’un homme qui a des sentiments un peu tendres n’a pas d’ordinaire un jugement si rigoureux. Mais, quand vous prendrez la peine de me dire ce qui vous déplaît, je n’en aurai point à me démentir. Un discernement qui ne vous semble pas être avantageux ne sauroit subsister qu’en votre absence ; car, pour8 répéter ce que j’ai déjà dit : Paroissez, Madame, au milieu des portraits et des caractères, et vous déferez9 toutes les images qu’on sauroit donner de vous.

LETTRE À MADAME LA COMTESSE D’OLONNE, EN LUI
ENVOYANT SON CARACTÈRE.

Je vous envoie votre caractère, qui vous explique le sentiment général, et vous apprend qu’il n’y a rien en France de beau que vous. Ne soyez pas assez rigoureuse à vous-même pour vous dénier une justice que tout le monde vous rend. La plupart des dames se laissent persuader aisément, et reçoivent avec plaisir de douces erreurs. Il seroit bien étrange que vous ne voulussiez pas croire une vérité agréable10.

Outre l’opinion publique, le jugement de Mme de Longueville est pour vous. Rendez-vous y sans scrupule, et vous croyez hardiment, puisqu’elle le croit, la plus belle chose qu’on ait jamais vue.

De votre beauté, Madame, je passe aux maux qu’elle cause ; je passe aux malades, aux mourants qu’on voit pour vous. Ce n’est pas à dessein de vous rendre pitoyable ; au contraire, si vous suivez mon conseil, il en coûtera la vie à quelque malheureux. Il y a trop longtemps que les poëtes et les faiseurs de romans nous entretiennent de fausses morts. Je vous en demande une véritable, et ce vous sera un fort beau titre qu’un trépas dont on ne puisse douter11. De cinq ou six malades que je connois, choisissez celui que vous voudrez honorer de vos dernières rigueurs ; vous n’aurez pas beaucoup à faire pour le conduire de la maladie à la mort. Faites-le mourir promptement, pour votre satisfaction, et celle de

Votre, etc.



NOTES DE L’ÉDITEUR

1. Catherine-Henriette d’Angennes, comtesse d’Olonne, fille de Charles d’Angennes, seigneur de la Loupe, mariée à Louis de la Trémouille, comte d’Olonne, en 1652. Tout le monde sait ce qu’en a raconté Saint-Simon, et le rôle qu’elle joue dans l’Histoire amoureuse des Gaules de Bussy-Rabutin, dont il faut voir l’excellente édition de MM. Boiteau et Livet. Ce Caractère a été publié, pour la première fois, dans les Divers portraits de Mlle de Montpensier, en 1659, dont nous devons une nouvelle et très-correcte édition à M. de Barthélémy, Paris, 1860, in-8. Le texte imprimé pour Mlle de Montpensier, et celui qui a été reproduit par Des Maizeaux, présentent des variantes que nous avons relevées. Il est inutile d’ajouter que le texte de Des Maizeaux est celui qui nous inspire le plus de confiance, car il a été revu par Saint-Evremond lui-même, tandis que celui de Montpensier est resté chargé des altérations de Segrais, éditeur des divers portraits.

2. Texte Montpensier : sur vous.

3. Le texte de Mlle de Montpensier porte : Je ne conseille pas aux autres de se fier à cette sorte de providence.

4. Le texte Montpensier ajoute : Et les seuls restes des beautés qui ne sont plus.

5. Dans le texte de Montpensier on lit : ce qui surprend, ce qui touche, ce qui pique et ce qui plaît.

6. Le texte Montpensier ajoute : Dans cette confusion, vous faites le malheur des personnes d’entre deux âges, troublez le repos des plus tranquilles, et la raison des plus avisés.

7. Le texte de Montpensier ajoute : Au reste, l’intelligence fine et la vivacité du sens égale à celle de l’esprit.

8. Le texte de Mlle de Montpensier porte : Car pour conclusion, paroissez, etc.

9. Ibid. : et vous défaites toutes, etc. Nous avons suivi Des Maizeaux pour la disposition des alinéas.

10. Agréable est supprimé dans l’édition Montpensier.

11. Au lieu des lignes qui suivent, le texte de Mlle de Montpensier, suivi par les anciennes éditions françoises des Œuvres de Saint-Évremond, donne une page supprimée par Des Maizeaux, probablement d’après les ordres de l’auteur, et parce qu’elle étoit désavouée par lui. Il suffit, en effet, de lire cette page de mauvais goût, pour se convaincre qu’elle n’est pas de Saint-Évremond. Elle contient des allusions personnelles que ce dernier ne s’est jamais permises. Segrais peut être l’auteur de cette addition. On sait déjà combien les altérations sont fréquentes, dans les anciennes éditions des ouvrages de Saint-Évremond. Enfin, il est évident que le Caractère a été écrit avant la mort du duc de Candale, arrivée en 1658 ; or, la page dont il s’agit fait allusion au comte de Grammont qui, dit-on, fut un des consolateurs de la comtesse d’Olonne, après qu’elle eut perdu ce duc si séduisant, dont la mort prématurée fut un sujet de long chagrin pour elle. Voy. sup. page 195.