Cahier de chansons populaires/Deux maris pour une femme

Deux maris pour une femme

I

Dès le soir de mes noces
M’y vint un mandement
C’est d’aller à la guerre
Servir le roi puissant.

II

Ma tant jolie maîtresse,
Ne faisait que pleurer,
Je n’savais comment faire,
Pour la reconsoler.

III

— Ma tant jolie maîtresse,
Ne pleurez va point tant,
Le congé militaire,
Ne dure que deux ans !

IV

La campagne fut longue,
Elle a duré sept ans.
Ma tant jolie maîtresse
A fait un autre aimant.

V

Il s’en fut chez l’hôtesse
Demande logement.
— Logerez-vous ce soir
Un militair’ passant ?

VI

— Tant brave militaire
Nous n’pouvons vous loger
Notre fille s’y marie
Nous somm’s embarrassés.

VII

Pose sa valise à terre
Son or et son argent :
— Vous logerez ce soir,
Militaire, en passant

VIII

Tous les gens de la noce,
Buvaient à sa santé.
Il en a pris un verre,
Il les a salués.

IX

Au milieu de la table,
Au milieu d’ses cousins,
Madame la mariée
Avait le verre en main.

X

— Faudra tirer aux cartes,
Aux cartes ou aux billets,
Qu’aura la mariée
Ce soir à ses côtés.

XI

— Brav’ militair’ de guerre,
Ne vous en fâchez-pas ;
Ce soir la mariée
Ne vous appartient pas.

XII

— Je suis soldat de guerre,
En congé absolu ;
Avant d’êtr’ militaire,
Sa foi j’avais reçu.

XIII

— Mon mari il est mort,
J’en ai oui parler,
J’en ai reçu des lettres
Et sa mortalité.

XIV

J’ai fait dire des messes,
Des services chantés,
Et deux ans, dit la belle,
Le deuil j’en ai porté.

XV

— Où sont-ell’s donc tes bagues,
Tes jolies alliances
Dont je t’avais fait gage
Y a ce soir sept ans ?

XVI

— Ell’s sont dedans mon coffre,
Dans mon coffr’ renfermées ;
Ah ! si tu veux les voir,
Tiens en voilà la clef.

XVII

La bell’ s’est écriée :
— Douce Vierge Marie,
J’ai été sept ans veuve,
Ce soir, j’ai deux maris !

XVIII

Tous les gens de la noce
En fur’nt ben étonnés,
Disant : — Rendez les gages
Au nouveau marié !

XIX

— Oh ! prends va donc mon sac
Et ma boîte à congé,
Va-t-en faire compagne,
Après je te la donnerai.

XX

Donnez-vous bien d’agarde
Garçons à marier ;
N’allez point à ces veuves
De peur d’être trompés.

XXI

Allez à ces fillettes
Quelles soient belles ou pas belles
Allez et m’y croyez,
Au moins vous les aurez.

(BAULON).

Cf. : Revue des Traditions populaires, t. II, p. 68.