Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome III/Séance du 1er avril 1833
Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la dernière séance, M. le président proclame membres de la Société :
MM. Léonard Horner, membre des Sociétés royales de Londres et d’Edimbourg, et de la Société géologique de Londres, présenté par MM. Boué et Desnoyers ;
Le vicomte de Naylies, colonel de cavalerie, à Paris, présenté par MM. G. Prévost et de Montalembert ;
Henri Faudier, de Boulogne-sur-Mer, présenté par MM. de Roissy et Michelin ;
Bertrand De Doue, au Puy en Velay, présenté par MM. Brongniart et Boué.
La Société reçoit les ouvrages suivans :
1° De la part de M. Burat, son ouvrage intitulé : Description des terrains volcaniques de ta France centrale. Paris, 1833. In-8°, 342 pages, 10 pl.
2° La première livraison du tom. III des Annale, des mines. In-8°, 208 pages, 4 pl. Paris, 1833.
3° La vingt-huitième livraison de la Description des coquilles fossiles des environs de Paris, par M. Deshayes.
4° La troisième livraison (1er vol.) des Mémoires de la Société d’agriculture, sciences et arts d’Angers. In-8°, 70 p., 3 pl. Angers, 1833.
5° De la part de M. Yirlet, les portraits gravés de MM. Georges Cuvier et Bory de Saint-Vincent.
M. Boué communique à la Société le 1er cahier d’un ouvrage intitulé : Description d’ossemens fossiles de mammifères inconnus jusqu’à présent, qui se trouvent au Muséum grand-ducal de Darmstadt, par M. Kaup. Cette première livraison contient la description du genre Dinotherium (Tapirus giganteus. In-4° de 16 pages avec atlas in-f° de 5 pl. lithographiées.) Darmstadt, 1832.
Correspondance. ─ M. Bronn engage la Société a souscrire
à une publication nouvelle sous le titre de Lethœa geognostica,
ouvrage composé de 26 planches in-4o et
de 13 feuilles d’impression. Les planches représentent trois
cents espèces fossiles les plus caractéristiques des diverses
formations ; chaque espèce sera dessinée de deux à trois
côtés, et accompagnée d’une description, et d’une synonymie
complète, ainsi que de l’indication des lieux où elle
se trouve. L’ouvrage ne coûtera qu’environ 13 francs.
M. Tournal fils (de Narbonne) annonce qu’il persiste entièrement dans son opinion, relativement à l’âge moderne des cavernes de Bise.
M. Léonard Horner annonce qu’il a lu à la Société géologique de Londres un Mémoire sur la géologie des environs de Bonn sur le Rhin, dans lequel il a émis l’opinion que les lignites de ce pays sont du même âge que ceux d’Œningen, et que les dépôts trachytiques et basaltiques sont de cette même époque.
M. de Léonhard, professeur à Heidelberg (grand-duché de Bade) donne quelques deuils sur l’état de ses recherches concernant les calcaires grenus, sur lesquels il prépare un grand ouvrage accompagné de planches. Il compte compléter son travail par des voyages dans le Fichtelgebirge, l’Erzgebirge et la Silésie, et peut-être en Italie et en Scandinavie. Néanmoins, ne pouvant espérer de visiter toutes les localités intéressantes, il prie tous les géologues qui ont fait des observations sur les calcaires grenus de vouloir bien lui répondre sur les questions suivantes et de lui adresser, s’il est possible, des échantillons à l’appui des observations ; il désire d’assez grands morceaux, et surtout ceux relatifs aux questions placées plus bas, sous no 11 et 15 ?
1° Dans quelle formation se trouve le calcaire grenu ;
2° A-t-il l’allure d’un filon, d’une cavité remplie, d’une couche, ou d’un amas droit ? Y a-t-il des indices que le calcaire a été poussé violemment au milieu des roches qui l’entourent ou le recouvrent ?
3° Le calcaire a-t-il une étendue considérable ? quelle est-elle, et comment gît-il, par rapport à la direction des couches environnantes ? (Des esquisses de ces gisement seraient reçues avec reconnaissance.)
4° Quelle est la plus grande et la plus petite puissance des masses calcaires, et alternent-elles ?
5° Jusqu’à quelle profondeur a-t-on pénétré dans la roche calcaire ? l’a-t-ou traversée ? quelles sont les roches en contact avec elle ? ne la trouve-t-on que jusqu’à une certaine profondeur et pourquoi cela ?
6° Le dépôt calcaire ressort-il ça et là au-dessus des roches voisines ? Dans ce cas, quelle hauteur atteint-il, et quelle forme a-t-il ? est-il recouvert par d’autres masses ?
7° Le calcaire est-il distinctement stratifié ? les couches restent-elles parfaitement parallèles sur une certaine étendue, et ont-elles les caractères de véritables couches ?
8° Observe-t-on des dérangemens dans les rapports des roches stratifiées ou massives qui renferment le calcaire, et de quelle nature sont-ils ?
9° La limite du calcaire et des roches voisines est-elle très irrégulière, singulièrement courbée, à angles saillans ou rentrans, etc. ? Le calcaire se ramifie-t-il en filons dans les roches voisines ?
10° Au contact du calcaire et des roches étrangères, y a-t-il dans ces diverses masses des surfaces lisses, miroitantes, ou des surfaces polies par glissemens ? Les frictions ont-elles l’air de s’être répétées ?
11° Le calcaire empâte-t-il des gros fragmens, ou même des lits entiers des roches voisines ? ou bien inversement des débris ou des masses calcaires sont-ils renfermés dans ces dernières ? Dans ces deux cas, quelle est la nature de ces morceaux empâtés, relativement à leur état normal, et quels changemens paraissent-ils avoir subis ?
12° Le calcaire est-il grenu dans toute sa masse, et quel est l’état de cette structure ? Les parties les plus grenues sont-elles surtout dans l’intérieur, et cette structure diminue-t-elle en netteté vers les bords des masses ? ou bien le calcaire n’est-il grenu qu’au contact avec des roches étrangères, et y a-t-il passage au calcaire grenu à la roche compacte qui occupe le milieu de la masse ?
13° Le calcaire grenu vient-il en contact avec le calcaire compacte ? Dans ce cas, quels sont leurs rapports ? S’y établit-il des passages ? Y a-t-il des fossiles sur la limite des deux roches, et quels sont-ils ?
14° Le calcaire grenu offre-t-il des druses spathiques, sont-elles dans l’intérieur des masses ou sur leurs bords ?
15° Le calcaire grenu contient-il des substances accidentelles,
et quelles sont-elles ? sont-elles uniformément disséminées dans
toute la masse, ou sont-elles par paquets ? Des minéraux, tels que le
grenat, l’idocrase, le mica, le wollastonite, le fluor, l’amphibole,
le fer oxidulé, etc., paraissent-ils limités au contact du
calcaire avec des roches étrangères ? À quelle distance du contact
s’étendent ces mélanges ? Les substances empâtées sont-elles différentes
suivant que le calcaire vient en contact avec diverses
roches, telles que le granite, la siénite, le diorite, l’amphibolite,
les roches pyroxéniques ou porphyriques, le micaschiste, te talcschiste,
le schiste argileux, etc. ?
16° Le calcaire grenu renferme-t-il des filons d’autres roches ? Dans ce cas, quels sont leurs rapports aux points de contact ?
17° Y a-t-il près des calcaires grenus des dolomies, ou des gypses grenus, ou des corgneules, et quels sont leurs rapports ?
M. G. Prévost demande à ajouter quelques observations à celles qu’il a communiquées dans la dernière séance sur le mode de dépôt des ossemens dans les cavernes. Il présente le grand ouvrage de M. Buckland (Reliquiœ diluvianœ), et montre que la plupart des coupes de cavernes qui y sont figurées, surtout celles de la Franconie, indiquent par la forme irrégulière des anfractuosités de leur fond, par la manière dont les dépôts ossifères les remplissent quelquefois jusqu’au faîte, et par la disposition des stalactites et stalagmites, qui recouvrent ceux-ci, que les animaux n’ont pu vivre dans de semblables cavernes, mais que bien plus probablement leurs cadavres ont été entraînés dans ces cavités avec les sédimens qui les enveloppent, par des eaux courantes analogues à celles qui se perdent encore chaque jour dans un grand nombre de cavernes. À cette occasion M. G. Prévost rappelle, d’après un mémoire de M. Dethier[1], les phénomènes que présente encore la caverne du Trou-du-Han, traversée par la Lesse, à une lieue de Rochefort (province de Liège). M. P. renvoie, du reste, pour les développemens de son opinion à ce qu’il a dit des cavernes dans son mémoire sur la submersion itérative des continens.
M. Élie de Beaumont, après avoir rappelé que les cours
d’eau qui se perdent dans des pays calcaires y forment encore
aujourd’hui des dépôts d’ossemens, et que par conséquent
on doit s’attendre à trouver des cavernes à ossemens,
ayant une origine de ce genre, dit que l’ancienne habitation
des hyènes, dans les cavernes de Kirkdale, lui paraît complètement
démontrée par les faits publiés par M. Buckland,
cette explication n’ayant été donnée par le géologue qu’après
une longue et spéciale étude du phénomène.
M. Texier, architecte, indique que dans les cavités remplies par la brèche osseuse des environs d’Antibes, les ossemens sont comprimés et broyés comme par une grande force de pression, et que les espèces semblent distinctes selon les localité ; ici des cerfs ou autres ruminans, là des carnassiers
M. Héricart de Thury lit une Notice sur les cavernes calcaires de Cusy, dans les Beauges, en Savoie, et sur les sables aurifères du Chéran.
Au moment, dit-il, où de hautes questions sont élevées entre les géologues modernes, j’ai pensé que la Société n’entendrait pas sans intérêt le rapprochement des opinions de de Saussure et de Dolomieu sur les soulèvemens et le redressement des montagnes, et la part que ces célèbres géologues ont dans les opinions présentement adoptées, et dont ils semblent avoir posé les bases ou préparé les voies.
Les Beauges sont de hautes montagnes situées entre Chambéry, Aix, Annecy et Saint-Pierre d’Albigny sur Isère ; elles sont calcaires et d’un calcaire compacte, qui appartient à la partie inférieure de la grande formation des terrains crétacés. Elles forment un groupe de hautes montagnes disposées en chaînes à peu près parallèles, dont les principales directions sont du N.-N.-E au S.-S.-O ; elles semblent le résultat d’une révolution sinon générale, du moins très étendue, et dans laquelle ont eu lieu, ou simultanément, ou à différentes époques, de profondes ruptures et de grands soulèvemens ou de vastes affaissemens, Les montagnes présentent à cet égard un caractère constant et uniforme ; ainsi, elles forment comme celles de l’Entre-deux-Guiers au-dessus de Grenoble, de Sassenage, du Royanes, et de tout ce grand prolongement de calcaire crétacé de la rive gauche du Rhône elles forment des groupes de chaînons parallèles, ayant les uns leur escarpement à l’est avec l’inclinaison de leurs couches à l’ouest et les chaînons voisins ayant au contraire leurs escarpemens à l’ouest et leur inclinaison à l’est, manière d’être qui manifeste évidemment l’effet de l’affaissement entre ces chaînons.
« M, de Thury parcourut les Beauges avec M. le baron Fourier, alors préfet du département de l’Isère, et depuis secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences. Leur but était de visiter les cavernes de Cusy, dans la chaîne inférieure des Beauges, et de reconnaître le gisement des sables aurifères du Chéran, torrent qui descend des Beauges, et au sujet desquels Dolomieu écrivait à M. Schecber, inspecteur des mines à Grenoble, une note rapportée par M. de Thury.
« Je viens de voir entre Rumilly et Annecy des sables aurifères qui m’ont paru si extraordinaires, et tellement étrangers au pays calcaire que je venais de parcourir, que ne pouvant croire qu’ils eussent réellement été pris dans le torrent des Beauges, je me suis cru obligé de le remonter avec un des orpailleurs de Rumilly pour en étudier les sables et les graviers. À peine avions-nous fait quelques pas dans cette vallée, que je fus convaincu que les sables devaient en effet en provenir ; mais je n’en continuai pas moins mes reconnaissances, et jugez je ma surprise, quand, au lieu de cette vallée de calcaire compacte que je croyais voir, comme dans les Beauges, je me trouvai pendant plus de deux lieues au milieu de blocs et de galets de roches primitives de toute espèce ; porphyres, trapps, cornéenne talqueuse, plus ou moins altérés et décomposés, puis des poudingues entremêlés de bancs de sables et de graviers, recouvrant des grès micacés ; enfin des sables dans lesquels se trouvaient des cristaux de feroxidulé magnétique, des paillettes d’or, du feldspath, du grenat, du rubis, des hyacinthes ; enfin, toutes gemmes que je ne m’attendais nullement à trouver dans le torrent des Beauges. Comment s’y trouvent-elles ? Quelle est leur origine ? A moins qu’elles ne proviennent de la décomposition de ces poudingues de roches primitives, je ne sais à quoi les attribuer. Ailleurs, je les déclarerais volcaniques comme celles du sable du ruisseau d’Expilly ; mais dans cette vallée, je n’ai vu aucun caractère, aucun indice, rien qui puisse faire présumer l’action des volcans. Cependant, peut-être un jour en trouvera-t-on des témoignages ; peut-être alors le creusement des grandes cavernes de nos Alpes calcaires sera-t-il regardé comme produit par l’action simultanée de violent tremblement de terre, et de quelque grand courant acide qui aura surgi de ses entrailles ; peut-être alors, on expliquera par la même cause les soulèvemens, les redressemens et les affaissemens des grandes masses calcaires de nos chaînes subapennines ; peut-être enfin, après avoir repoussé l’opinion du chevalier de Lamanon, qui le premier nous a parlé de volcans dans les vallées des Alpes, sera-t-on obligé de l’adopter. Pour moi, je ne puis douter de ce que j’ai vu ; mais je n’ose présentement en tirer aucune conséquence. Quant aux sables aurifères et gemmifères, je le répète, ils appartiennent bien réellement la vallée du Chéran des Beauges. »
C’est particulièrement le désir de voir la caverne de Cusy, et d’y juger cette hypothèse de Dolomieu, qui détermina le voyage de MM. Fourier et de Thury. Ces cavernes sont composées de vastes chambres à des niveaux différens, et dans lesquelles on ne pénètre que par des essais souvent difficiles. Quoique les chambres dont M. de Thury donne la description soient revêtues de toutes parts de stalactites, cependant on y aperçoit par place le calcaire compacte crétacé. Il présente à sa surface des corps saillans qui pointent ça et là. Il semble qu’un puissant agent ait dissous la masse calcaire en laissant à sa surface des corps irréguliers, insolubles ou plus difficiles à dissoudre. En les étudiant avec soin, on y reconnaît tantôt des rognons siliceux, et tantôt des corps organisés parmi lesquels on distingue des Ammonites, des Trochites, des Cardites, des Térébratules, des Ananchites, des Caryophylites, etc.
M. de Thury dit que de toutes les cavernes qu’il a visitées dans les Alpes, aucune, celles des eaux d’Aix exceptées, ne lui a présenté d’une manière plus évidente ou mieux caractérisée les preuves de l’action érosive d’un grand courant qui aurait usé et sillonné les murs de ces cavernes avec l’action desséchante la plus puissante, et en même temps avec la force du surgissement le plus violent ou le plus impétueux ; aussi n’hésitèrent-ils pas un moment, M. le baron Fourier et lui, d’admettre, comme Dolomieu, la supposition d’un grand courant, qui aurait surgi des entrailles de la terre avec impétuosité, lors du grand tremblement de terre dont les Beauges présentent des caractères si fortement prononcés dans la dislocation, la bouleversement et le soulèvement de leurs hautes montagnes calcaires.
Après avoir visité les cavernes de Cusy et fait diverses observations sur la température de chaque chambre et celle du bassin du dernier étage, M. de Thury porte ses recherches sur les sables aurifères et gemmifères du Chéran, qui coule au-dessous de l’entrée de ces cavernes.
« Les orpailleurs de Rumilly ont reconnu et bien constaté que le Chéran ne roule point de sables aurifères au-dessus de ces cavernes, d’où s’est répandue cette opinion généralement admise dans le pays :
« 1o Que ces sables ont été autrefois rejetés des entrailles de la terre par ces cavernes ;
« 2o Que les chambres d’où ils proviennent ont été scellées et condamnées il y a plusieurs siècles ;
« 3o Que les paillettes que l’on recueille encore dans le Chéran ne sont plus que les restes d’une mine autrefois très riche. Telle est la tradition : il fallait y chercher la vérité.
« En remontant la vallée du Chéran, vers le Chetlaire, chef-lieu du canton des Beauges, ce torrent ne présente que du sable et du gravier calcaire. À cet égard, les orpailleurs ont donc raison ; mais est-ce un motif pour admettre que les sables aurifères aient été rejetés par le grand courant, qui aurait surgi de l’intérieur de la caverne ? Quelles peuvent en être les preuves ? Au-dessous du pont de Cusy, la vallée s’élargit, le calcaire disparaît sous des dépôts de sables, de graviers et de galets. « Là, dit M. de Thury, je reconnus, comme Dolomieu, des roches primordiales plus ou moins altérées, dans les galets de protogyne, de siénite, d’euphotide, de diorite, de diabase, de quarzite, de talcschiste, avec du fer oxidulé noir. Dans quelques endroits ces galets agrégés par un sable siliceux forment des bancs ou plutôt des amas irréguliers de poudingues déposés sur des grès coquilliers tertiaires, qui contiennent ça et là des couches de jayet ligniforme et des bois fossiles carbonisés, plutôt que bitumineux. Près d’Alby, ces grès sont en couches verticales de plus de 60 mètres de hauteur, entremêlés de bancs de graviers ou de poudingues de 0,25 à 0,30, et recouverts au sommet par des assises horizontales de sables et de cailloux, formant un poudingue grossier d’une nature bien différente.
« De Saussure, dans son premier voyage à Annecy, avait reconnu cette double formation de grès et de poudingues, et la disposition de ces couches de grès tertiaires verticales, recouvertes des poudingues de galets primitifs en couches horizontales. Il fit un voyage pour vérifier ce fait au sujet duquel il dit que les couches de la masse inférieure ont dû être redressées par une cause postérieure à leur déposition, et qu’ensuite elles ont été recouvertes par cette seconde formation en couches horizontales. Je suis convaincu, ajoute M. de Saussure, que cette situation ne peut être l’effet d’un simple affaissement ; il faut nécessairement supposer un refoulement en sens contraire, qui aura brisé et redressé ces couches originairement horizontales.
« Qui ne sera frappé, dit M. de Thury, de cet accord et de ce rapprochement dans la manière de voir et de juger des deux savans qui ont le plus contribué aux immenses progrès de la géologie ? Dès 1785, de Saussure, mais sans en déterminer la cause première, établissait l’opinion des refoulemens et des redressemens des masses de contreforts des Alpes, et quelques années après, Dolomieu, parcourant le même pays, visitant ces mêmes redressemens, et étudiant les sables et les galets ou poudingues des roches perpendiculaires gemmifères du Chéran, enfin, les traces de cette érosion qui a si profondément imprimé son surgissement dans les masses calcaires de ces montagnes, Dolomieu, mais avec réserve, hasardait de son côté l’opinion que bientôt ce serait peut-être dans la puissante et énergique action des feux souterrains qu’on en rechercherait la cause.
« Tel est le fait que je voudrais établir ; tel était mon but, dit M. de Thury ; faire voir la part que ces deux illustres géologues ont dans l’opinion généralement adoptée aujourd’hui sur les soulèvernens, les redressemens et leur cause première.
Après avoir fait ce rapprochement des opinions de de Saussure et Dolomieu, M. de Thury rend compte de ses recherches sur les sables aurifères du Chéran, qui, du moment qu’il eut constaté les grands amas de roches primordiales plus ou moins altérées, perdirent à ses yeux ce caractère étranger au pays qu’il leur avait d’abord supposé, à cause du fer oxidulé octaèdre, du Titane, de l’or et de toutes les gemmes qui s’y trouvent. C’est dans les angles, les anses, les coudes de la vallée du Chéran que se trouvent particulièrement les gîtes de sables aurifères.
« Ainsi, sans rechercher l’origine des paillettes d’or du Chéran dans les cavernes de Cusy, comme le supposent les orpailleurs du pays, et dont la nature du calcaire crétacé en exclut toute possibilité ; on vérifie cependant les observations journalières de ces orpailleurs, la connexité de la présence de ces sables et de ces cavernes, puisque ce n’est réellement qu’au-dessous de leur entrée, à la descente des Beauges que l’on commence à reconnaître dans la vallée du Chéran les grands dépôts de galets, de poudingues et de grès, à la décomposition desquels paraissent devoir se rapporter ces sables.
« Cette opinion, dit M. de Thury, ne laisse plus aucune chance pour la supposition de l’action volcanique, qui aurait rejeté ces sables gemmifères des entrailles de la terre ; cependant il n’est pas impossible de reconnaître quelques indices, quelques effets de cette action :
« 1o Dans la présence et l’altération de certains blocs de roches qui se trouvent dans les poudingues ;
« 2o Dans celle de quelques cristaux vitrifiés de ces sables ;
« 3o Dans cet état de carbonisation des bois qui se trouvent dans les grès micacés ; d’ailleurs, il restera toujours de hautes et puissantes probabilités, à l’appui du surgissement de ce grand courant acide, auquel Dolomieu pensait que peut-être un jour on attribuerait, sinon le creusement total, du moins la profonde érosion des flancs des cavernes de ces montagnes. »
M. de Thury termine sa notice par l’exploitation des sables aurifères. Cette exploitation est faite par cinq ou six familles, et par conséquent par vingt-cinq ou trente personnes au plus. Elle a lieu dans les saisons où les travaux agricoles leur laissent quelques loisirs. Les journées sont quelquefois heureuses et même avantageuses ; mais pour une semaine dans laquelle aura été faite la découverte de quelques pépites de 5 à 6 francs, il en est beaucoup qui ne rapportent guère plus de 1 fr. à 1 fr., 50 cent, ou 2 fr. Le lavage des sables se fait sur des bancs inclinés et recouverts de peaux de mouton garnies de leur toison. Les sables jetés sur ces bancs sont lavés à grande eau ; elle entraîne le sable, l’or reste dans la laine de la toison. Enfin, cet or se vend à Genève ou à Lyon, où il est très recherché, à raison de son extrême pureté, son titre étant de 0, 975 à 0,980, ou 23 karats et demi. »
M. Rozet lit un Mémoire géologique sur les environs d’Oran, en Afrique.
Ce travail est divisé en deux parties ; dans la première, l’auteur expose avec beaucoup de détails toutes les observations géognostiques qu’il a pu faire autour d’Oran, et le long de la côte jusqu’au cap Falcose, observations sur lesquelles une notice succincte, communiquée par M. Cordier à la Société, lorsque M. Rozet était encore en Afrique, a été insérée dans le tome II du Bulletin, p. 46 à 50, et à laquelle nous renvoyons pour les principaux faits.
Les roches calcaires que l’auteur avait provisoirement nommées Trapps, à cause de leur position normale dans les schistes et sur le terrain tertiaire, examinées par M. Leplay, de l’École des mines, ont été reconnues pour être de véritables dolomies ; mais leurs relations avec les autres roches annonçant qu’elles sont sorties de la terre à l’état de fusion, M. Rozet persiste dans sa première opinion à leur égard.
« Mes observations sur les dolomies d’Oran, dit-il dans la seconde partie, me semblent démontrer clairement que ces roches ont du être à l’état de fluidité ignée, et que, sur plusieurs points, elles ont coulé comme le ferait une matière pâteuse poussée à travers les crevasses de la croûte terrestre, par des forces intérieures.
» Ce fait n’est pas unique : pendant que je faisais mes observations de l’autre côte de la Méditerranée, M. Guidoni, en Italie, reconnaissait également que les Dolomies de la Spezia et de l’île de Palmaria ont débordé, et se sont même répandues sur les roches environnantes, et cet observateur n’hésite pas à leur attribuer une origine plutonique, comme aux serpentines ; enfin, M. de Léonhard vient d’annoncer, dans une lettre récemment communiquée à la Société par M. Dufréuoy, qu’il pensait que certains calcaires primitifs étaient venus de l’intérieur du globe à l’état de fusion comme les porphyres, etc.
« Tant que les roches dans la composition desquelles l’acide carbonique entre en quantité notable, n’ont point fait éruption au dehors, il n’est pas étonnant, d’après les expériences de Hall, qu’elles aient pu être à l’état de fluidité ignée sans perdre leur acide ; mais il n’a plus dû en être de même quand elles ont été lancées de l’intérieur par les crevasses de la croûte solide, comme cela est arrivé pour les dolomies d’Oran et celles de la Spezia.
« Dans ce cas, on peut admettre que la partie supérieure de la masse, jusqu’à une certaine profondeur, a perdu totalement, ou en partie son acide ; mais, en même temps, cette portion décomposée a formé en se refroidissant une croûte sous laquelle le reste a pu se solidifier sans perdre son acide, absolument comme cela avait lieu pour le calcaire que Hall avait fondu dans un tube hermétiquement fermé.
« Cette croûte supérieure, incohérente, exposée à l’action continuelle des agens destructeurs atmosphériques ou autres, a été entièrement enlevée avec le temps, et il ne reste plus aujourd’hui que la masse carbonatée qu’elle préservait.
« Non seulement j’admets que les dolomies d’Oran, et avec M. Guidoni, celles de la Spezia ont été à l’état de fusion, et qu’elles sont sorties de l’intérieur de la terre, à la manière de certains produits volcaniques ; mais je dis aussi que beaucoup de calcaires des terrains anciens, ceux qui forment des masses subordonnées dans les gneiss et les micaschistes sont dans le même cas ; les calcaires lamellaires et grenus serpentino-talqueux, dont on fait le marbre d’Epinal, forment des amas dans les gneiss de la chaîne des Vosges. Ce» amas ne sont jamais stratifiés, et les filières qu’on y remarque les divisent en fragmens très irréguliers. Le calcaire est souvent pénétré de serpentine, qui s’y trouve tellement disséminée, qu’il est impossible que les deux substances n’aient pas été formées ensemble. On admet généralement que la serpentine est un produit de la voie ignée. Il doit donc en être de même d’une roche dont elle est partie constituante. Il y a plus, beaucoup de ces masses calcaires out percé le gneiss, et se voient maintenant à la surface du sol ; mais un bien plus grand nombre est resté enfoncé sous cette roche ; et dans celles que l’on exploite, on est souvent obligé d’enlever le gneiss pour extraire le calcaire qui se prolonge fort avant au-dessous. Enfin, les hémithrènes et ophicalces, dans lesquelles le carbonate de chaux entre comme partie constituante essentielle, et qui sont aussi bien d’origine plutonique que les diorites et les ophiolites, avec lesquelles on les trouve associées, viennent encore prouver que dans la nature, comme dans les laboratoires, le carbonate de chaux a pu être fondu sans égard à son acide.
« Tout en disant que quelques Dolomies, et la plupart des calcaires primitifs sont des produits de la voie ignée, je ne prétends pas que toutes les variétés de ces deux espèces de roches doivent leur existence à la même cause ; je crois, au contraire, qu’il y a trois modes de formation pour les dolomies :
« 1o Des masses ignées sorties du sein de la terre par les crevasses de sa surface ;
« 2° Des dolomies produites par sublimation, comme l’a prouvé M. de Buch ;
« Enfin, des dolomies formées par la voie humide, comme les calcaires et les couches de marnes avec lesquelles on les voit alterner ; toutes celles des marnes irisées du muschelkalk, et de plusieurs autres formations secondaires.
« Ce que je dis pour les dolomies me semble pouvoir s’appliquer aux gypses ; je pense que certains gypses, ceux qui accompagnent les ophites des Pyrénées, par exemple, sont sortis de l’intérieur de la terre avec ces roches à l’état de fluidité ignée ; que d’autres, tels que les amas irréguliers qui existent au milieu des masses calcaires, sont le résultat d’une sublimation d’acide sulfurique à travers le calcaire. Enfin, les couches gypseuses qui alternent avec des marnes ou des calcaires non altérés, comme ceux des bassins de Paris, d’Aix, des marnes irisées, etc., ont été formées par la voie humide. »
M. Dufrénoy fait une observation relative à l’âge des lignites d’Aix. Il demande à quelle époque les rapporte M. Rozet. M. Rozet les rapporte au deuxième étage des formations subapennines.
M. Héricart de Thury annonce qu’une pépite d’or de la valeur de 8, 000 fr. a été récemment trouvée dans un terrain d’alluvion, aux environs de Turin.
M. Boubée lit une Note sur quelques souvenirs de son dernier Voyage aux Pyrénées. Il donne quelques développemens sur diverses découvertes et observations nouvelles, signalées dans son Bulletin de nouveaux gisement.
« Il partage pour la vallée du Mont-Dore l’hypothèse de l’érosion ; il y voit même un exemple bien marqué à l’appui de sa théorie du creusement des vallées à plusieurs étages… ; il indique le lac et le bassin de Chambon, comme formant un bassin bien caractérisé de post-diluvium toulousain ; il indique dans le Rouergue et dans l’Auvergne plusieurs coupes remarquables, des filons de porphyres dans le granite, et plusieurs espèces minérales qui n’étaient pas signalées en France. Il décrit le gisement du terrain aurifère de l’Ariége, et la manière dont il est exploité par quelques paysans ; il y a reconnu du zircon, du jaspe, du fer oxidulé, du fer oligiste, des tourmalines et des grenats en grains roulés, qui constituent un joli sable. Les montagnes d’Ax, sur les limites du sol français, procurèrent à l’auteur et à ses compagnons de voyage un grand nombre de très belles roches, et de beaux minéraux qui étaient entièrement inconnus dans les Pyrénées ; il fait remarquer surtout une siénite hypersténique qui renferme l’hyperstène en très gros cristaux bien déterminés. Entre l’Ariège et les Pyrénées-Orientales, l’auteur a découvert un calcaire à nautiles, avec des orthocères bien complets… Ce dernier genre de fossiles est également nouveau pour les Pyrénées. M. Boubée attribue à la même formation les terrains de transport qui, dans la vallée de la Tet, contiennent des couches de lignites sur divers points, et les marnes et les sables, qui, près de Perpignan, sont remplis de fossiles marins analogues à ceux de l’Italie, de la Sicile, de la Morée…, etc.
« M. Boubée regarde ces dépôts comme post-diluviens et comme
contemporains des terrains du bassin de Toulouse. Il donne à ces
dépôts marins le nom de post-diluvium sicilien, tandis qu’il réunit
sous le nom de post-diluvium toulousain tous les dépôts
lacustres de la même époque. M. Boubée rapporte ensuite les
observations qu’il a faites avec M. Tournal, soit dans les cavernes
de Bise, soit au milieu des dépôts de vacke et de gypse découverts
par M. Tournal aux environs de Narbonne.
« M. Boubée fait remarquer combien le nombre des naturalistes explorateurs est petit dans les contrées méridionales de la France, et combien il y reste de choses inconnues et de sujets d’études. Il annonce le projet de la formation d’une Société linnéenue à Toulouse, et le projet d’une grande collection d’histoire naturelle dans cette ville.
« Enfin, M. Boubée communique quelques détails sur le musée pyrénéen qu’il vient de fonder à Saint-Bertrand de Comminges près Saint-Gaudens (Haute-Garonne), où il se rassemble une collection complète de toutes les branches d’histoire naturelle des Pyrénées ; (roches, minéraux, coquilles, insectes, etc.), et où il invite la Société à se réunir pour un de ses prochains voyages.
« En outre, M. Boubée annonce qu’il s’efforce de former un recueil aussi complet que possible, de livres, de dessins, de tableaux, de manuscrits et d’autographes pyrénéens ; en un mot, de tout ce qui peut intéresser l’histoire de ces montagnes. M. Boubée fait observer qu’il est loin de vouloir embrasser lui-même l’étude de tous ces objets ; qu’il ne s’écartera jamais de sa spécialité, qu’il ne réunit tous ces matériaux que pour les soumettre au travail des collaborateurs, qui prépareront avec lui l’histoire générale des Pyrénées. Ce musée des Pyrénées permettra à l’auteur d’offrir aux naturalistes des produits pyrénéens en échange des minéraux, ou des coquilles de leurs localités respectives. »
- ↑ Coup d’œil sur les volcans éteints de la Kill supérieure.