Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome I/Séance du 4 juillet 1831


N° 10. ─ Juillet 1831


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Vingt-unième séance. — 4 juillet 1831.


M. Cordier occupe le fauteuil.

Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la dernière séance, le président proclame membres de la Société :

MM.

Aribert, membre de l’Université, présenté par MM. Boubée I et Boué ;

Olivier, ancien élève de l’École polytechnique, à Dieppe, présenté par MM. Boubée et Boué ;

Buckland, professeur de géologie à Oxford, membre de la Société royale de Londres, de la Société géologique de la même ville, et de plusieurs autres sociétés savantes, présenté par MM. Cordier et Brongniart.

On passe à la correspondance.

M. Graves, consulté par la Société sur les excursions qu’elle pourrait faire pendant son séjour à Beauvais lors de la réunion extraordinaire du 6 septembre, propose les trois tournées suivantes :

Dans la première tournée, on visiterait Bracheux, Laversine et Brelle, et on aurait occasion d’étudier les assises inférieures et moyennes du calcaire grossier, une craie analogue à celle de Maestricbt et des tourbières.

La seconde tournée se ferait par Abbecourt, Venancourt, Senefontaine et Saint-Martin-le-Nœud, et on y verrait l’argile plastique ; le grès ferrugineux et la craie chloritée coquillère.

La troisième tournée conduirait à Savignié, Courcelle et Saint-Paul, et permettrait d’étudier toutes les assises du grès vert, y compris ses couches à coquilles d’eau douce.

La Société décide que le plan des tournées à faire ne sera arrêté qu’à Beauvais.

M. Brongniart communique une lettre de M. Buckland, à laquelle était joint un envoi de dix-neuf variétés de coprolites, échantillons que M. Brongniart met sous les yeux de la Société.

M. Buckland possède maintenant plusieurs centaines de morceaux de coprolites du lias de Lyme-Regis. Il a reçu de New-York un coprolite semblable à l’un de ceux de Lyme-Regis, mais ce fossile s’y trouve dans le grès vert. Il donne le nom de Crocodilocoprus à un fossile de l’argile plastique d’Auteuil, corps cylindroïde indiqué par M. Becquerel comme de la chaux phosphatée. Enfin, il parle des ossemens découverts à la Nouvelle-Hollande, parmi lesquels il y a des restes d’un animal à dents qui est peut-être un Rhinocéros ou un Hippopotame.

M. de Blainville présente quelques observations sur les corps que M. Buckland appelle coprolites. Il fait observer que les matières fécales des reptiles se trouvent dans un cloaque et sans disposition en spirale, et qu’ainsi les corps en question n’ont pu appartenir ni aux Molosaures ou Mégalosaures, ni aux Plesiosaures, qui ne sont que des tortues avec des dents. Quant aux Ichtyosaures, on ne connaît pas encore assez leur structure pour pouvoir juger si l’on doit leur attribuer la formation des coprolites ; du reste, il est loin de penser qu’on ne puisse pas découvrir à l’état fossile des matières fécales de reptiles, mais il s’élève contre les déductions tirées de comparaisons faites des coprolites du lias avec des parties de colons de raies injectés artificiellement.

M. Boubée observe que les coprolites pourraient n’être que des moules intérieurs d’intestins, puisqu’ils en présentent aussi exactement la forme. Après la mort de l’animal, la matière terreuse aurait pu s’y introduire, gonfler l’intestin et s’y pétrifier avec la matière animale.

Il est présenté les ouvrages suivans :

Par M. Cordier, quatre mémoires de M. le docteur de Meyer, extraits de la deuxième partie du quinzième volume des Actes des Curieux de la nature, et accompagnés de planches.

Le premier est une description de l’Orthoceratites striolatus de la grauwacke d’Herborn dans le Dillenburg, et une dissertation sur la structure et le gisement de quelques Céphalopodes fossiles multiloculaires, avec une description du Calymene œqualis. N. Sp. de Herborn. L’auteur prétend avoir reconnu dans les Orthocères un appendice qu’il appelle dos, parce qu’il lui paraît répondre à ce qu’on nomme ainsi dans les Ammonites. Il croit que les Orthocères qui pourront être découverts dans des dépôts plus récens que le sol intermédiaire se rapprocheront d’autant plus des Baculites. qu’ils se trouveront dans des Formations plus récentes. À Wissenbach, des trilobites accompagnent les Orthocères, et à Herborn il y a de plus des Posidonies (P. Becheri Bronn) qui se trouvent aussi dans la grauwacke de Frankenberg en Hesse. On y observe de plus plusieurs Avicules, des Evomphales ?, des Peignes (P. primigenius et Munsteri N. Sp.), des Vénus et des petites bivalves(Cardium, Cardita ?) ainsi que de très-petits Nautiles et des impressions de plantes.

Dans une addition au précédent mémoire, M. le comte Munstert annonce que le calcaire intermédiaire d’Elbersreuth et de Regnitzlossau en Bavière contient trente-cinq espèces d’Orthocères. À Elbersreuth, il y a les Orthoceratites giganteus (Sow.), regularis (Schl.), acuarrius (Munster), striopuncattus (Munst.), cingulatus (M.), torquatus (M.), Steinhaueri (Sow.), carinatus (M.), linearis (M.), annulatus (Sow.) et irregularis (M.). De plus, la même localité offre cinq à six Trilobites en partie nouveaux et un Agnoste, les Planulites undulatus et lœvigatus (M.), les Cardium priscum et hybridum (M.), les Cardita costellata et gracilis (M.), la Patella prisca ? (M.) et la Turritella prica (M). M. de Meyer pense qu’il faudra probablement séparer le calcaire à Trilobites et Orthocères de celui à Spirifers et Terebratules : les environs de Prague offriraient les deux dépôts.

Le second mémoire contient la description du Mastodon arvernensis d’Eppelsheim près d’Alzey. Cette espèce se distingue par la forme générale des molaires, et surtout par la forme carrée de la troisième. En trouve à Eppelsheim le Mastodonte arvernensis associé avec le M. angustidens. L’auteur rapporte que la première espèce existe encore dans le dépôt alluvial ferrifère de Salmandingen et du Heuberg en VVurtemberg et à Friedrichsgemund en Bavière, ou il est associé dans un calcaire tertiaire avec le Mastodon angustidens, le Palœotherium aurelianense, le Rhinoceros incisivus, le Chœropotamus Sommerringii, des Lophiodons, un petit carnassier, un cerf, des tortues, etc., ainsi que des hélices.

Le troisième mémoire traite du genre Aptychus, nom que l’auteur donne à ce fossile appelé par Parkinson Trigonellites, par M. de Schlotheim Tellinites ; par Bourdet Ichthyosagone, et par M. Germar Lepadites. L’on sait que M., Ruppell en a voulu faire des opercules d’une coquille ayant la forme extérieure des Ammonites (Pseudo-Ammonites). L’auteur en a décrit quatre espèces : l’A. lœvis, sous-divisé en latus et longus ; L’A. imbricatus, sous-divisé en profondus et depressus ; l’A. bullatus et l’A. Elasina. Il se demande si c’est un reste de Gasteropode ou d’Acéphale, et il pense qu’on ne peut le placer parmi les véritables acéphales, mais que c’est bien un débris de mollusque. Ce genre de fossile se trouve dans le lias (Banzn Bavière), dans le schiste calcaire de Solenhofen, dans le calcaire jurassique moyen (Staffelstein en Bavière), dans l’argile de Kimmeridge, dans le calcaire au milieu des grès jurassiques tout-à-fait supérieurs des Alpes (mont Voirons) et des Carpathes (Silein). ainsi que dans le dépôt arénacé sous le dépôt salifère des Alpes calcaires. Le lias contient les deux dernières espèces et le schiste de Solenhofen, et les autres dépôts les deux autres.

Le quatrième mémoire est la description de nouveaux sauriens provenant savoir du Racheosaurus Gracilis et du Pleurosaurus Goldfussii, du calcaire juraasique feuilleté de Daiting près de Solenhofen. Le lias de Banz lui a offert des restes du Pterodactylus macronyx de M. Buckland, et il propose d’appeler Macrospondylus le Gavial de Boll de M. Cuvier, ou le Crocodilus bollensis du docteur Jaeger.

2° Par le secrétaire, A. le sixième volume des Entretiens sur la physique, de M. G, Parrot (in-8°, Dorpat ; 1824). Dans cet ouvrage français, l’auteur reproduit les idées qu’il a déjà émises dans son grand traité en allemand (Grundiss der physik u geologie, in-8o, 1815).

Il y parle en particulier des soulèvemens. qui ont produit à plusieurs reprises des chaînes de montagnes ; il appuie sur l’origine volcanique des dépôts ignés et salifères, et soupçonne que l’air contenait jadis une plus grande quantité d’acide carbonique. La nature des roches crystallines et secondaires lui semble indiquer des dépôts chimiques formés sous des circonstances particulières, et il croit pouvoir déduire de divers accidens que la craie est un produit des agens volcaniques.

B. Le dix-neuvième volume de l’Américan journal of sciences, de M. Silliman.

On y remarque les mémoires suivans : une Notice sur les anthracites de la Pennsylvanie, par l’éditeur ; un Mémoire sur les houillères de New-York et de la Pennsylvanie, par M. Eaton ; des Notes sur la géologie de Bedford et de Bath, par M. Hayden ; des Remarques sur le sel de Salina, par M. J. Forman ; un Mémoire sur la géologie du comte Saint-Laurent, par M. Finch ; et une Notice sur les mines de fer spathique de New-Milford, par M. Shepard.

M. Boubée présente le prospectus de ses courses géologiques pour l’étude des terrains parisiens, et de ses voyages dans le midi de la France, qu’il compte rendre classiques pour l’étude des sciences géologiques. Ces voyages auront lieu régulièrement tous les ans ; ils dureront environ trois mois ; le départ aura lieu dans la première quinzaine d’août. L’itinéraire de celui pour cette année se trouve joint au prospectus.

M. Boué donne à la Société une suite de roches des Alpes de l’Autriche et de la Bavière (140 échantillons), du sol tertiaire N de l’Autriche (40 échantillons), et de la Gallicie (20 échantillons).

M. Boubée lit les considérations suivantes sur de nouveaux moyens propres à faciliter la détermination des fossiles.

L’étude des coquilles fossiles devenant tous les jours plus indispensable au géologue, la confusion qui règne cependant dans les noms et les déterminations étant telle qu’il en résulte les conséquences les plus fausses, et que bientôt l’on arriverait à conclure que les débris fossiles ne donnent plus des résultats aussi certains que l’on l’avait cru d’abord, ou même que les caractères qu’ils fournissent seraient en contradiction avec les résultats directs de la géologie, j’ai cru qu’il pourrait être utile pour la science de présenter à la société quelques idées sur ce sujet.

Il s’agit simplement d’examiner quelles sont les causes de cette confusion si générale, et quels seraient les moyens d’y remédier, Or, les causes sont faciles à exposer ; l’on sait qu’elles se réduisent à deux principales : 1o  la facilité avec laquelle les géologues déterminent ou croient déterminer les espèces fossiles ; 2o  la difficulté qu’il y a, au contraire, à obtenir en paléonthologie de bonnes déterminations.

Voyons maintenant s’il ne serait pas possible de remédier à ces deux grandes causes d’erreurs géologiques, telles que l’on n’ose plus se fier aux indications de fossiles présentées par les auteurs même les plus estimés, tant on craint qu’ils s’en soient rapportés à des déterminations peu rigoureuses.

La facilité avec laquelle les géologues déterminent ou croient déterminer les fossiles, tient à ce qu’en général ils négligent de faire de la conchyliologie une étude approfondie ; ils se contentent ordinairement de prendre une idée générale de la forme de quelques espèces des genres principaux. Pour obvier à cette erreur, il suffira de la signaler plusieurs fois, et de relever dans toutes les circonstances les mauvaises déterminations et les conséquences fausses qui en sont résultées. Ainsi, les géologues deviendront certainement beaucoup plus réservés, Le plus difficile sera donc, de lever la seconde cause d’erreur, savoir la difficulté qu’il y a d’obtenir en paléonthologie de bonnes déterminations.

Pour ne parler ici que des coquilles et des zoophytes, Je dois rappeler que, puisque un grand nombre de leurs espèces sont très-difficiles à déterminer, même à l’état frais et lorsque l’on peut les étudier avec toutes leurs formes, soit intérieures, soit extérieures, et avec toutes leurs couleurs, il n’est pas étonnant qu’à l’état fossile, et surtout lorsque l’on n’a que des moules, ou que l’on n’a que les surfaces extérieures et point de traces de couleurs, la difficulté devienne beaucoup plus grande et les chances d’erreur beaucoup plus nombreuses. Mais cela tient-il à la nature même des choses, ou plutôt à notre manière de les étudier et de les considérer ? C’est là la grande question, et la seule à mon avis dont la solution pourra porter quelque remède au mal. Or, il est de fait que les espèces réellement différentes ne se ressemblent pas, qu’elles ont chacune un facies qui leur est propre, et qui est tel, que plusieurs individus entassés seront facilement distribués chacun selon son espèce, même par un enfant que l’on chargerait de faire le triage. Cependant, si ces espèces sont assez rapprochées dans le système, pour qu’elles n’aient que de légers caractères pour les distinguer, il arrivera, et il arrive tous les jours, que leurs descriptions seront si peu distinctes, qu’il sera impossible à celui qui n’aura pas les deux espèces à la fois sous les yeux, de tomber avec certitude sur la véritable détermination. L’erreur résulte donc, non pas des espèces elles-mêmes, qui sont assez distinctes pour que l’on les sépare très-facilement, mais des descriptions qui sont loin d’être précises, et qui ne présentent pas les différences qui existent réellement entre les espèces : c’est donc pour une bien grande partie à notre manière d’étudier et de considérer les fossiles qu’est due la plus grande cause d’erreur.

Voici donc les moyens qu’il me semble que l’on pourrait employer pour diminuer ces chances d’erreur. La détermination des fossiles reposant essentiellement sur leurs formes, la paléonthologie ne sera une science certaine que lorsque l’on sera parvenu à pouvoir déterminer les fossiles, soit seulement sur leurs formes extérieures, lorsque l’on n’a rien autre chose à sa disposition, soit seulement sur les formes intérieures, lorsque l’on n’a que des moules intérieurs.

Or, s’il est de fait qu’il n’y a pas deux espèces qui aient les mêmes formes, c’est à déterminer avec précision ces formes qu’il faut tâcher d’arriver. Il est plusieurs détails bien différens dont l’ensemble concourt à imprimer cette forme caractéristique ; c’est donc dans tous ces détails de forme que l’on devra, je crois, puiser des caractères. Mais si, comme l’on l’a fait jusqu’à présent, l’on veut se contenter d’exprimer par une douzaine de mots, dont le sens n’est pas même bien précis, des variations aussi multipliées que les espèces zoologiques, on ne pourra arriver qu’à rendre les descriptions d’autant plus obscures, que l’on y ajoutera plus de ces mots vagues et indéterminés. D’une autre part, si l’on doit décrire des formes, c’est à la géométrie qu’il faut emprunter ses moyens ; de toute autre manière, on ne saurait obtenir la précision nécessaire. Toutefois, je suis loin de vouloir faire de la conchyliologie un corollaire des mathématiques, comme on l’a fait pour la minéralogie. Je suis convaincu que c’est d’abord à l’introduction de la crystallographie géométrique, et maintenant à celle de la chimie la plus relevée, que la minéralogie doit l’état de décadence dans lequel on la voit aujourd’hui en France et dans tous les pays où de telles méthodes ont été adoptées ; mes efforts tendront toujours, au contraire, à répandre sur les sciences géologiques de l’attrait et de la simplicité.

Pourvu qu’on n’arrive pas à exagérer les moyens que je propose, le conchyliologiste n’aura besoin que de mesurer quelques lignes et quelques angles dans ses coquilles, et sans se mettre en peine d’en déduire le moindre calcul ou le moindre échafaudage algébrique. Ainsi dans les univalves, il suffira de mesurer l’angle de la spire à son sommet, parce qu’il est constant dans les individus d’une même variété ; de mesurer l’angle d’ouverture, parce qu’il est aussi très-différent dans les diverses espèces ; enfin, de mesurer l’angle que fait la direction des tours de spires avec l’axe de la coquille, parce que c’est de cette direction plus ou moins oblique que q résulte le facies particulier de chaque espèce.

Il est évident que si l’on détermine la longueur d’une coquille, sa largeur ou son plus grand diamètre, la longueur et la largeur de l’ouverture, l’angle d’ouverture, la direction des tours de spire et l’angle de la spire, on aura si bien précisé sa forme, que le naturaliste éloigné pourra la reproduire sous son crayon sans la voir et sans en avoir autre chose que la description ; et en second lieu, bien qu’il soit désormais indispensable d’avoir des figures pour s’assurer de la description, l’on pourra s’assurer par la seule description si les figures sont exactes ; et enfin, pour l’avenir, ces moyens, qui même sous ce rapport me paraissent très-importans, pourront permettre aux iconographes de mettre dans leurs dessins beaucoup plus de vérité et d’exactitude, et cela, par des procédés de la plus grande simplicité. La direction des stries, des varices, etc, tout pourra être rigoureusement déterminé ; néanmoins il faudra tenir compte aussi des variations dont chaque espèces est susceptible dans les proportions limitées.

Parmi les coquilles bivalves, ce sera tout aussi facile ; il en est d’équilatérales, dans lesquelles l’angle extérieur de la charnière sera le meilleur caractère ; celles qui sont inéquilatérales présenteront deux ou trois angles dont l’ensemble précisera la forme caractéristique de la manière la moins équivoque.

Pour les moules intérieurs on devra faire la même chose, et celui qui voudra donner un moule comme l’analogue ou comme le représentant d’une espèce connue, aura le moyen de s’assurer du fait : il n’aura qu’à faire le moulage et mesurer son plâtre ;

Pour les échinidées, il sera bien facile de caractériser géométriquement les diverses parties, de leur test et de leurs ambulacres. Enfin, les polypiers simples et aussi les polypiers agrégés offriront, sous le même rapport, les caractères les plus constans, malgré leur apparente irrégularité.

Par cette communication, j’ai voulu seulement signaler à la Société quelques points d’un travail étendu que j’ai entrepris, sur ce sujet important, et me hâter ainsi, dans l’intérêt de la géologie, d’attirer sur cet objet les recherches des naturalistes.

On achève la lecture du mémoire de M. Botta sur le Liban, et la Société examine la nombreuse suite de roches, de coquilles et de poissons fossiles accompagnant cet intéressant travail, dont M. Boué reproduit les coupes sur le tableau, et d’où il parait résulter que la chaîne du Liban est composée de calcaire jurassique supérieur à nérinées, de grès ferrugineux et vert, et de calcaire crétacé à gryphées voisines de celles de Salève, à sphérulites, etc.

Le Liban est une chaîne de montagnes qui commence près de Lataquie, court à peu près nord et sud, en formant un léger arc de cercle ouvert à l’est. La chaîne s’élève peu à peu jusqu’au mont Liban, proprement dit, qui est au nord la partie la plus haute ; de la elle baisse un peu pour se relever au Sannine, qui paraît au sud le point le plus élevé. Elle se continue par Dejebel el Keniset et Djebel el Scheikh, en baissant peu à peu et en se contournant à l’ouest pour venir finir auprès de Saïde. La partie de ces montagnes que j’ai eu l’occasion d’étudier, est celle qui est comprise entre le Liban et le Sannine.

La pente générale depuis la mer au sommet de la chaîne est très-rapide, et elle l’est encore plus vers la plaine de Bequaa ; c’est donc, pour ainsi dire, une muraille de quatre à cinq lieues de lareur. La direction des couches est du N. N.-E. au S. S.-O., et l’inclinaison à l’O. N.-O. ; par conséquent la direction est presque parallèle à celle de la chaîne et l’inclinaison à sa pente.

L’auteur résume de la manière suivante ses observations sur la vallée du fleuve du Chien.

Je distingue les terrains de cette vallée en trois parties distinctes :

1° En allant de haut en bas (géologiquement parlant), un terrain marno-calcaire composé de plusieurs alternatives de calcaire dur mêlé de nodules et de lits de silex, et de calcaire marneux blanc fossile ;

2° Un terrain sableux composé de plusieurs couches de grès ferrugineux, auquel prélude un terrain de calcaire jaunâtre plus ou moins mêlé de silice ou de sable, et dont quelques couches contiennent beaucoup de coquilles (Huîtres, Cardium, Hippurites, etc.) ;

3° Un second terrain calcaire, composé de grands bancs de calcaire caverneux, dont les couches supérieures contiennent de gros blocs de silex et des lits de la même matière, ainsi que des coquillages tels que des Ammonites, des Natices, des Buccins, des Turritelles, etc. Les assises inférieures n’en renferment pas, et ne sont remarquables quer par les trous et les canaux irréguliers qui les traversent.

Comme la pente de la montagne, les couches des deux premiers terrains sont fortement inclinées et souvent même verticales. Celles du troisième terrain, d’abord fortement inclinées, deviennent peu à peu horizontales.

L’auteur présente le résumé de ses remarques sur la Coupe du Sannine de la manière suivante :

En réfléchissant sur ce que j’avais vu, il m’a semblé que la succession des couches du Sannine était à peu de chose près celle des assises du bord de la mer, si ce n’est qu’il manque parmi ces dernières celles qui forment le sommet du Sannine, et qui n’y sortent pas du fond de la mer.

Quant au terrain sablonneux supérieur au calcaire inférieur, on en trouve çà et la des lambeaux sur cette roche. Tel est celui qui se remarque au village de Mazra, sur la crête orientale de la vallée de Nahr-el-Salib. Le terrain sablonneux est extrêmement ferrugineux, et on y a même exploité des minerais de fer, comme dans d’autres endroits du Liban situés dans le même terrain. Dans cette localité, on voit sur le penchant d’une colline à sommet sablonneux du porphyre pyroxénique, divisé en boules irrégulières enchâssées dans une espèce de wacke traversée par des veines de chaux carbonatée ; dans d’autres endroits, on trouve des lits réguliers d’une marne endurcie grisâtre assez solide, séparée par des couches de l’argile ferrugineuse brunâtre, qui se délite en minces feuillets et en petits fragmens. Je n’ai pu faire que peu d’observations sur ce dépôt, qui est certainement en rapport avec les sables du Sannine, et qui se retrouve dans d’autres endroits avec les mêmes caractères. Du reste, le trap est une roche très-rare dans le pays que j’ai parcouru, et j’ai trouvé aussi un bloc d’amygdaloïde.

Le terrain sablonneux contient des traces de lignites. Il y a une localité à environ trois heures de distance, au nord-est de Raifoun, où ce combustible est assez abondant pour avoir été l’objet d’une exploitation. Ce gite de lignite est situé sur le penchant occidental d’une montagne très-haute, qui tient à la base du Sannine. Ce sont des lits minces feuilletés, d’une matière noire légère (une variété de Dusodile), qui brûle assez bien en répandent la même odeur que notre charbon de terre. Il y a des morceaux plus compactes et plus lourds qui ont l’apparence et la texture de troncs à demi carbonisés. Ils contiennent des veines, du nids ou boulos de Pyrites. Ce gite de lignite est situé dans les couches sabloneuses les plus supérieures, peut-être même dans les dernières couches du calcaire jeune, mais dans le bas de la vallée, et par conséquent dans la partie inférieure du terrain sabloneux, il paraît qu’il y en a d’autres lits.

Je crois devoir ajouter ici quelques mots sur trois localités dans lesquelles on trouve des fossiles particuliers.

La première est un gite marneux dont je n’ai pu aucunement voir la stratification, et dans lequel ou trouve une très-grande quantité de piquans d’oursins plus ou moins gros, et en partie ovoïdes. Ce dépôt est situé dans le fond du bassin où est bâti Antoura et sur le penchant de la montagne. Je crois sa situation inférieure aux sables. C’est une modification de la couche dans laquelle se trouvent les nombreuses coquilles jurassiques de Raifoun (Gryphées voisines de celle de Saleve, Térébratules plissées, Natices grosses et petites, Huîtres, Pholadomies, Bucardes, Nérinées, Strombes, Astrées, etc.).

La seconde est une roche contenant de nombreuses Nérinées, qui, étant plus dures que la roche, saillent à la surface. Elle se trouve au-dessous du couvent Bikeurky, et sa place répond à certaines couches supérieures de la vallée du Chien. Elle contient des silex et des coquilles, dont on voit les débris sur une épaisseur assez considérable. Elle se retrouve dans d’autres endroits du Liban, et j’ai lieu de croire qu’elle se reproduit à des étages différens. La troisième est le gite de poissons de Sahel-Aalma. Il se trouve sous le couvent de ce nom, à environ 300 pieds au-dessus du niveau de la mer. C’est un calcaire argileux, feuilleté dans quelques couches, assez tendre, et n’ayant aucune odeur particulière. Il a des parties d’un gris foncé presque semblables à de l’argile plastique.

Outre les terrains clairement stratifiés dont je viens de parler, il y en a d’autres qui se trouvent irrégulièrement placés ; tels sont les poudingues calcaires que l’on trouve sur le haut de la crête septentrionale de la vallée du Chien.

Le fleuve du Chien, sort d’une caverne à voûte demi-circulaire, à stalactites pendantes du sommet. Elle est peu profonde et creusée dans le dépôt calcaire le plus inférieur. Elle fournit un beau volume d’une eau un peu laiteuse et très-froide. Cette caverne offre une brèche osseuse qui empâte des ossemens de quadrupèdes, des coquilles terrestres et marines (Turbo), et des débris de poteries Une caverne semblable existe à la source de la rivière d’Ent-Elias.

Dgibaïl est placé sur le terrain supérieur à celui du sommet du Sannine. Depuis cette ville, on distingue par la couleur que c’est ce dépôt qui forme la première rangée de montagnes s’élevant derrière elle.

De Dgibaïl pour aller à Hakel, village auprès duquel se trouve le gite le plus connu des poissons fossiles, la route court à peu près vers l’E. N.-E., et presque toujours sur le terrain à Sphérulites, Gryphées, Echinidées, Huîtres crétées, grands Strombes, etc., qui forme le sommet du Sannine. Les couches sont inclinées de 15 à 20 degrés et plongent de l’E. À l’O., et dans quelques endroits du S.-E. au N.-O. On y trouve des alternatives de calcaire plus dur à lits et morceaux de silex, et si je ne me trompe pas, j’y ai vu des Nérinées semblables à celles de Bekeurky. Comme les couches sont peu inclinées dans endroit, il s’ensuit qu’on marche longtemps sur le même terrain, et que l’on voit une grande épaisseur de montagnes formées des mêmes couches.

C’est dans un des derniers étages de ce terrain inférieur à celui où l’on trouve les Oursins, que se voient les empreintes fossiles de Hakel. Cet endroit est dans une vallée profonde située à une grande hauteur au-dessus de la mer, car il faut monter pendant six heures pour y arriver, et les nuages la parcourent. Le gite des poissons est sur la pente à droite en montant au-dessus du village. Il y a dans cet endroit un désordre considérable. les couches varient beaucoup dans leur direction et leur inclinaison. Les flancs de la montagne sont couverts de débris, et c’est dans ces débris qu’on trouve les poissons. Je n’ai pu parvenir à l’endroit d’où ils proviennent, mais il doit être à une fort petite distance un-dessus du point où j’étais. Ces débris sont formés de couches minces feuilletées, exhalant, quand on les casse, une forte odeur d’hydrogène sulfuré. Elles contiennent des lits irréguliers de silex, ou plutôt de calcaire siliceux, qui renferment eux-mêmes des poissons. On y trouve aussi des boules de carbonate de chaux.

Le gisement de ces poissons diffère par tous ses caractères de celui, dont j’ai parle précédemment, et dans mes idées il lui est supérieur, l’autre se trouvant plus rapproché du terrain sabloneux. Les espèces de poissons sont d’ailleurs toutes différentes, ainsi que leur disposition dans la roche et la nature de celle-ci.

Depuis Antoura jusqu’à Tripoli, on voit le long de la côte, en recouvrement les unes sur les autres, 1° des couches de calcaire argileux alternant avec du calcaire à silex ; 2° le terrain qui forme le sommet du Sannine ; 3o un nouveau terrain marneux sans silex ; 4o de nouveaux bancs de calcaire compacte ou fragmentaire ne contenant pas non plus de silex.

L’auteur résume ainsi son relevé géologique du mont Liban.

Je crois pouvoir dire qu’il y a dans le Liban trois terrains distincts. Le plus supérieur des trois est en général formé d’un calcaire variable en aspect et en dureté, alternant avec des marnes calcaires. Sa partie supérieure, composée d’un étage de calcaire et d’un massif marneux, ne contient pas de silex. Sa partie moyenne, formée d’alternatives de calcaires de diverses duretés en strates. ordinairement peu épais, renferme du silex en lits et en nodules, des oursins à peu près dans son milieu, et des poissons dans sa partie inférieure. Les assises les plus basses, formées de nouvelles alternatives de calcaire caverneux et de marnes, offrent beaucoup de silex. Je ne pourrais pas préciser exactement le nombre des alternatives de marne et de calcaire ; je le crois d’abord variable, et, supposé qu’il soit régulier, il faudrait, pour le découvrir, un travail auquel je n’ai pas eu le temps de me livrer.

Le second terrain est sabloneux et d’une épaisseur variable. Entre lui et le précédent, il y a un certain nombre de strates calcaires jaunes siliceux, et une couche bien distincte de calcaire caverneux, au-dessous de laquelle la roche devient de plus en plus sabloneuse, jusqu’à ressembler à un grès plus ou moins dur. Il est très ferrugineux, contient des minerais de fer et des gites de lignites.

Le troisième terrain, le plus inférieur qui paraisse dans le Liban, est formé de nombreuses assises de calcaire caverneux, dont les supérieurs contiennent du silex.

Comme les pentes des deux versans, les couches de chaque côté sont toujours fortement inclinées, excepté au sommet, où elles sont généralement horizontales. Dans les crêtes subordonnées, elles ont une tendance à s’incliner comme les flancs de ces montagnes. Les couches supérieures se recouvrent successivement ; les assises moyennes, au contraire, semblent avoir été écartées pour laisser passer les autres. C’est une couche du calcaire supérieur, qui a été portée à la plus grande hauteur, et qui forme le sommet de toute la chaîne.

Pour expliquer la formation de ces montagnes, l’hypothèse la plus plausible est celle d’un soulèvement, qui se serait fait suivant une ligne parallèle à la chaîne, mais sans coïncider tout-à-fait avec son axe ; de manière que la ligne de brisement des couches, ou celle de l’angle formé par les plans des couches inclinées de chaque côté, se trouve un peu à l’ouest de l’axe de la chaîne.

Sur toute la côte, depuis Beirout jusqu’à Tripoli, on trouve, d’espace en espace, des agrégats coquilliers à grains de grosseur variable, qui sont des formations nouvelles. Ils sont placés généralement sur les plages sabloneuses, toujours inférieurs à la ligne où peut atteindre la mer, et sans aucuns rapports avec les roches calcaires de la côte. Quand ils sortent de l’eau, ils sont peu solides, mais ils se durcissent à l’air, et servent de pierre de bâtisse, comme à Messine et Palerme.

Après la lecture de ce mémoire, M. Cordier remarque que les aglomérats coquilliers que M. Botta dit encore se former le long des plages de la Syrie, lui rappellent les roches semblables, qui composent la presqu’ile d’Aboukir en Égypte, et qu’ils lui paraissent plutôt de l’âge des faluns tertiaires les plus récens.

M. de Blainville observe que, d’après Forskall, les rescifs formés encore actuellement par les polypiers dans la mer Rouge fournissent des matériaux de bâtisse qu’on tire de leurs parties inférieures durcies, tandis que leurs portions supérieures sont encore incohérentes. Il ajoute qu’une partie de la description du Liban et ses fossiles lui ont tout-à-fait rappelé la formation crayeuse des Martigues, dans le département des Bouches-du-Rhône.

La Société entend la lecture d’une lettre de M. Destrem, ingénieur des ponts et chaussées à Carcassonne, sur les brêches osseuses de Bise, de Cette et d’autres lieux des côtes de la Méditerranée.

L’auteur rend compte des expériences qu’il a faites au feu de forge sur plusieurs des roches, qui contiennent les brêches osseuses ou qui y sont contenues, d’où il croit pouvoir déduire une théorie particulière sur la formation des brêches osseuses.


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