Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome I/Séance du 4 avril 1831


N° 7. ─ AVRIL 1831


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Quinzième Séance. — 4 avril 1831.


M. Cordier occupe le fauteuil.

Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la dernière séance, le président proclame membres de la Société :

MM. Arago, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, présenté par MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont ;

Murchison, président de la Société géologique de Londres, membre de la Société royale, de la Société linnéenne, et de plusieurs Sociétés savantes d’Angleterre, de France et d’Allemagne, présenté par MM. de Beaumont et Boué.

Debaux, ingénieur des Ponts et chaussées, à Agen, présenté par MM. Cordier et Boué.

Reboul, correspondant de l’Institut, à Pezenas, présenté par MM. Cordier et Boué.

Virlet, membre de la commission scientifique de Morée, présenté par MM. Élie de Beaumont et Boblaye.

On passe à la correspondance.

M. Tournal propose d’insérer dans la prochaine liste des membres de la Société leur adresse d’une manière précise, afin de faciliter les correspondances.

La Société reçoit le numéro 18 du Bulletin de la Société industrielle de Mulhouse.

On présente les numéros 18 et 19 (1830-1831) des procès-verbaux de la Société géologique de Londres. Le 17 novembre, le révérend M. James Yates a lu à cette société un mémoire sur la formation des dépôts d’alluvion, et M. S.-P. Pratt des remarques sur l’existence de l’Anoplotherium et Palœotberium de la formation d’eau douce inférieure à Binstead, prés de Ryde, dans l’ile de Wight. ─ Le 1er décembre, on a lu un mémoire de M. Boué, intitulé Esquisse explicative d’une carte géologique de la Moravie et de la Hongrie occidentale. — La séance du 15 décembre a été occupée par la lecture de deux mémoires, l’un de M. Boué, intitulé Esquisse explicative d’une carte géologique de la Transilvanie, et l’autre de M. Herschell, sur les causes astronomiques qui peuvent influer sur les phénomènes géologiques. — Le 5 janvier 1831, M. Sedgwick a lu un mémoire sur la structure générale des montagnes autour des lacs de l’Angleterre septentrionale, et-sur les grandes dislocations qui les ont séparées des chaînes voisines. — Aux séances du 19 janvier et du 2 février, M. Murchison a lu des observations supplémentaires sur la structure des Alpes d’Autriche et de Bavière. — Le 17 février, on a lu une lettre de M. Pierre Cunningham, datée de Newcastle, sur la rivière de Hunter, dans la nouvelle Galles du sud ; ce savant envoie plusieurs fossiles, et en particulier des vertèbres d’un grand animal. — De plus, on lit un mémoire de M. Alexandre Caldcleugh sur la géologie de l’ile de Juan-Fernandez.

Le secrétaire annonce à la Société la publication d’un opuscule de M. Witbam, sur les troncs et les bois fossiles du terrain houiller. Dans ce travail, accompagné de planches, l’auteur a exposé un mode particulier pour l’examen du tissu intérieur de ces végétaux. Il en colle artistement des tranches très-minces sur des morceaux de verre.

M. le professeur Lindley va commencer la publication d’une monographie des plantes du terrain houiller d’Angleterre. M. Hutton lui lburnit les échantillons pour cet ouvrage.

M. Pentland fait verbalement une communication sur des ossemens trouvés dans une broche calcaire sur la rivière de Hunter, dans le nord-est de la Nouvelle-Hollande, et en présente quelques échantillons à la Société.

Parmi les ossemens envoyés à Paris par M. Jameson, M. Cuvier a reconnu huit espèces d’animaux, savoir : une espèce d’Hypseprunus, une espèce de Thylacinus, deux espèces de Macropus, deux espèces d’Halmaturus, une espèce de Phlacomys et une espèce d’Éléphant ou de Mastadonte. Une des espèces d’Halmaturus a dû être plus grande que la plus grande espèce de Kangourou actuellement existante.

M. Pentland remarque que, sur ces huit espèces d’animaux, un seul genre est étranger à la Nouvelle-Hollande, et que ce fait se représente aussi parmi les espèces d’animaux terrestres perdus soit de l’Amérique, soit de l’ancien continent. Cette nouvelle découverte confirme la loi établie par M. Cuvier, que dans chaque continent toutes les espèces de mammifères perdus n’appartiennent qu’à des genres actuellement existans sur ces continens.

M. de Beaumont développe sur la carte géologique de l’Angleterre les idées de M. Sedgwick sur les dislocations et les montagnes du nord de l’Angleterre.

M. Boué présente à la Société 1° des échantillons de poissons fossiles du calcaire alpin bitumineux inférieur de Seefeld en Tyrol, ainsi qu’un Coprolite de cette localité ; 2° des morceaux du calcaire alpin à bélemnites, ammonites, térébratules, encrines et polypiers, qui a été percé par des coquillages perforans pendan l’époque tertiaire, à Enzersfeld, en Basse-Autriche ; 3° des morceaux de calcaire jurassique à ammonites, polypiers et coquillages de Seldenau, près de Ortenburg, en Bavière, roche qui a été aussi percée en place, pendant la période tertiaire, par des mollusques perforans. M. Boué remarque que les coquillages n’existent plus dans les cavités, et que les trous sont entourés d’une zône d’une couleur différente du reste de la roche, de manière qu’il semblerait que ces mollusques ont pu avoir la faculté d’attaquer la roche ; 4° des poudingues et des grès quarzeux du sol tertiaire supérieur de la Bavière orientale, dont les caractères minéralogiques se rapprochent tout-à-fait des quarzites ; 5° des échantillons de gypse contenant des coquilles et provenant du mont Wartberg, près de Heilbronn, en Wurtemberg. Cette montagne, composée de marne gypsifère du Keeper, paraît reposer sur le Muschelkalk. Près de sa base, on trouve des couches minces d’un calcaire compacte gris de fumée et à bivalves. La partie supérieure de ces lits offre plusieurs accidens singuliers ; d’abord une portion est consentie en gypse, tandis que le reste est traversé de petites fentes remplies de gypse ; de plus, les parties calcaires ont cet aspect fendillé si commun dans le calcaire des Alpes, et renferment des mouches de galène, du cuivre oxidulé et des enduis de cuivre carbonaté. On dirait que cette roche a été traversée par des émanations sulfureuses et métalliques, qui ont produit plus haut une infinité de réseaux et de nids gypseux dans les marnes du Keuper. Le test des bivalves existant dans les parties gypseuses est aussi de la même nature, et il est facile de recueillir des échantillons ou ces fossiles se trouvent d’un côté dans le calcaire, et de l’autre dans le gypse.

M. Nérée Boubée présente à la Société la Coupe géologique et topographique du bassin de Toulouse et la coupe du puits artésien commencé dans cette ville. À ce que nous avons extrait de sa lettre du 10 janvier (V. pag. 76), il ajoute que tout ce terrain, connu jusqu’à 360 mètres d’épaisseur, parait être d’une seule et même formation, entièrement alluviale, et qui ne saurait être classée dans aucun des terrains décrits jusqu’à ce jour. M. Boubée propose de la désigner par le nom de post-diluvvium toulousain, voulant indiquer à la fois par ce nom sa nature oryctognostique, son âge relatif etsa position géognostique.

Le bassin de la Haute-Garonne avait toujours été considéré comme appartenant à la molasse tertiaire. M. Boubée cherche à prouver d’abord que le terrain de Toulouse est évidemment de formation d’eau douce, et en second lieu qu’il ne peut appartenir à aucun des terrains tertiaires.

Absence de fossiles marins bien constatée, présence de coquilles terrestres (hélices) dans quelques couches de calcaire sabloneux marneux, poissons d’eau douce dans quelques marnes argileuses, débris de mammifères herbivores et carnassiers, très-abondans dans des couches de sable argilo-calcaire, structure celluleuse bien caractérisée et parfaitement analogue à celle des calcaires d’eau douce du terrain tertiaire, dans les marnes dures et dans les calcaires argilo-sabloneux qui caractérisent ce terrain, telles sont les preuves de l’origine lacustre du post-diluvium toulousain.

Absence de calcaire compacte proprement dit, de gypse, de strontiane, de silex d’aucune espèce, en un mot aucun minéral de cristallisation contemporaine, si ce n’est quelques cristaux ou lames de chaux carbonatée en druses dans les cavités et les fissures du calcaire sabloneux ; présence de fer hydroxidé pisolitique dans quelques marnes argileuses, fait qui, observé dans des localités bien éloignées (Saint Gaudens, la Salvétat près Toulouse), suffirait à lui seul pour prouver l’origine alluviale de ce terrain ; enfin des cailloux roulés primordiaux en gravier et non en poudingue, disséminés dans les couches sableuses, même à de très-grandes profondeurs (à 460 pieds), et en outre l’ensemble des caractères et la physionomie de ces roches, qui annonce partout un terrain de diluvium, toutes ces circonstances déterminent M. Boubée à séparer la formation toulousaine de la série des terrains tertiaires, même des terrains diluviens proprement dits, pour la classer en première ligne dans la série des terrains post-diluviens. L’auteur cherche ensuite à déterminer les limites de cette formation et sa superposition sur les terrains tertiaires.

Le post-diluvium toulousain remplit un bassin très-étendu, à limites bien sinueuses, dont l’auteur n’a pu reconnaître encore que les points principaux. Une ligne qui passerait par Avignonet, Auriac, Gaillac, Caussade, Malliose, Valence, Agen, port Sainte-Marie, Marmande, Cologne, Valentine, Saint-Gaudens, Martres, Varilhes, Mirepoix, Saint-Michel, limiterait grossièrement ce bassin, et ne renfermerait qu’un seule et même formation, le post-diluvium ; en négligeant, bien entendu, le terrain de transport post-diluvien qui recouvre de ses sables et de ses graviers la crête de presque tous les coteaux et beaucoup de plateaux inaccessible aux inondations actuelles, le terrain d’alluvion moderne, que l’on retrouve le long de toutes les rivières et qui y règne jusqu’à la hauteur de leurs plus grands débordemens, et la terre végétale, si précieuse et souvent très-épaisse dans ce bassin, trois terrain qui ne forment ensemble qu’une nappe étendue sur cette grande formation dont on ne connaît encore que 360 mètres de puissance.


La partie septentrionale de la butte qui supporte Avignonet appartient au post-diluvium toulousain, la partie méridionale au calcaire d’eau douce supérieur du terrain tertiaire. Malgré les ébranlemens et les décombres du village, qui repose sur la jonction des deux dépôts, on reconnaît facilement que le terrain tertiaire se termine obliquement, et que le post-diluvium toulousain repose obliquement aussi sur ce terrain. De Toulouse à ce point de limite, et il en est de même pour tout le bassin, ou ne trouve que marnes, argiles et sables qui quelquefois sont à l’état de grès demi-dur et bien mauvais, mais il n’y a aucune pierre à chaux, ni plâtre, ni bonne pierre à bâtir ; la brique y est seule employée. À partir de ce point comme de tous les autres points de limite indiqués, l’on voit la pierre de taille former la majeure partie ou la totalité des édifices, et l’on rencontre partout des exploitations de pierres à chaux, à plâtre ou à bâtir.

Voici la composition de ce terrain tertiaire à Avignonet. Sous les murailles fortes de cette ancienne ville, ou voit des calcaires d’eau douce compactes, durs et celluleux en grandes couches blanches et roses, comme à Gaillac et Agen ; elles reposent sur des assises très-épaisses de grès dur et demi-dur que l’on exploite à la manière de la pierre de Carcassonne. Ces grès et ces calcaires mêlés de couches sableuses reposent sur des argiles et des marnes compactes qui passent fréquemment au calcaire ; tout cela est recouvert un peu plus loin par des sables, des grès et des argiles fortement et diversement colorés. En s’avançant vers Montferrand et Naurouse, on découvre bientôt dans la colline, et presque à sa base, une couche très-épaisse de poudingue très-dur qui règne dans tout le pays. Les fameuses pierres de Naurouse dont un énorme bloc sert de base à la colonne monumentale élevée à la gloire de Riquet, ne sont que des restes parfaitement en place de cette couche de poudingue, qui seule a pu résister par sa dureté à la violence des veaux qui ont e creusé la vallée. Ce poudingue est très-remarquable, en ce qu’il est composé principalement de galets très-arrondis de calcaire primitif ; il est si dur qu’il sert à ferrer le grand chemin. Plus loin et par dessous toutes ces roches, l’on exploite comme pierres à plâtre des argiles marneuses toutes pétries de lames et de petits cristaux de gypse ; la marne forme plus des trois quarts de la masse ; le procédé que l’on emploie pour en extraire le plâtre est très-simple et très-ingénieux. L’on y trouve bien rarement quelques silex cornés. De l’autre côté du canal, et en lice ; règne une colline dans laquelle prédomine le calcaire d’eau douce ; on l’exploite sur tous les points comme pierre à chaux ; on y trouve aussi du calcaire siliceux qui donne, comme celui d’Auriac, une très-bonne chaux hydraulique ; ce calcaire est riche en fossiles terrestres et d’eau douce. Outre des plantes ligniteuses et de belles impressions de feuilles dans un banc d’argile à dégraisser, on trouve des débris de mammifères très-abondans dans une marne fétide ; l’auteur y a aussi recueilli, dans les calcaires compactes peu celluleux, des limnëes, des planorbes, des hélices, des carocolles, des cyclostomes (C. elegans) et un très-grand et très-beau bulime très-élégamment strié, qui atteint quatre pouces de longueur. L’on ne pourrait lui donner de nom plus convenable que celui de bulimus turriculatus, il est voisin du bulimus calcareus Lam.

M. Boubée signale ensuite l’identité de structure et de composition que présente le calcaire d’eau douce, supérieur dans presque tous les points de limite qu’il a signalés ; il remarque qu’il y forme des chaînes coupées à pic du côté qui regarde le bassin ; elles sont partout un peu plus élevées que les collines du bassin de Toulouse, et elles ne présentent jamais que des couches horizontales. L’auteur pense que ce terrain tertiaire a aussi occupé, lors de sa formation, tout le pays toulousain ; que de grandes eaux sont venues le sillonner, le creuser, et le balayer jusqu’à une très-grande profondeur ; qu’il en est résulté une vaste excavation, dont les eaux des montagnes ont bientôt fait un lac, qui a été rempli lentement par les débris qu’elles y charriaient, comme on l’observe de nos jours dans le lac de Genève et tant d’autres. Ce lac, une fois comblé, a formé une plaine haute sur laquelle les eaux, devenues courantes, déposèrent une couche de cailloux roulés et de sable d’alluvion ; de nouvelles inondations vinrent creuser cette plaine haute, ne laissant que quelques chaînes éloignées, dont le niveau moyen, élevé de 280 mètres au dessus de la mer et le lit épais de gravier, prouvent l’ancien état du pays. Cette plaine inférieure, nouvellement formée, fut de même bientôt couverte de cailloux roulés. De nouvelles eaux vinrent encore la creuser, et laissèrent pour preuve de l’ancien état de choses de très-nombreux côteaux couverts de cailloux roulés, qui dessinent un second niveau élevé seulement de 230 mètres. Ce second creusement, qui a donné au bassin la forme actuelle, ne s’est cependant terminé que par plusieurs efforts successifs qui ont eu lieu à des époques fort éloignées l’une de l’antre, comme l’attestent les trois grands échelons que l’on voit dans la vallée de la Garonne et le lit épais de cailloux qui les recouvre. La vallée du Tarn offre aussi deux échelons analogues.

Entre plusieurs causes locales de ces inondations, M. Boubée signale la rupture des grands lacs ou réservoirs, qui ont évidemment existé dans les Pyrénées. Il indique le soulèvement des dépôts ophiteux de ces montagnes, et le soulèvement de la montagne noire qui lui a paru postérieur aux terrains tertiaires, comme causes bien suffisantes pour expliquer la rupture de ces lacs. Il annonce qu’il n’a pas encore terminé un travail très-étendu qu’il a entrepris sur le bassin de Toulouse, et dont il présentera les principales conclusions à la Société.

M. Boubée signale enfin comme un fait concluant en faveur de son hypothèse l’analogie parfaite qu’il a remarquée entre les échantillons du puits foré à Toulouse et ceux du puits d’Agen, où l’on s’est arrêté à 362 pieds. Il croit que si l’on avait percé sur les côteaux qui touchent cette ville, après avoir atteint le niveau de la vallée on aurait eu une toute autre série de terrains que ceux que l’on a traversés dans la vallée qu’il regarde comme comblée par le post-diluvium toulousain. Son opinion à cet égard s’est encore affermie par l’examen des échantillons du puits de Bordeaux, qui diffèrent totalement de ceux des deux autres puits, comme il l’avait présumé d’avance. Et en effet, le calcaire d’eau douce si bien développé dans l’Agénais, semble se terminer en mourant du côté de Marmande et de Langon, où il ne forme plus qu’une faible assise sur le calcaire grossier marin. Or, dans les environs de Bordeaux, la même calcaire d’eau douce subsiste encore et recouvre le terrain tertiaire marin dans lequel la Garonne a creusé son lit ; il ne Fallait donc s’attendre à traverser que des terrains plus anciens. On a creusé jusqu’à 600 pieds, et il a paru à M. Boubée que l’on est déjà parvenu à la craie. Un mémoire de M. Jouannet donne une idée très-exacte des terrains que l’on a traversés jusqu’à 400 pieds.

Plusieurs membres combattent la classification proposée par M. Boubée, et exposent n’avoir vu dans le pays en question qu’un terrain de molasse surmonté, sur les bords du bassin toulousain, par un dépôt de calcaire d’eau douce, auquel le premier dépôt est lié par des alternances.

M. Boblaye lit une Notice sur les altérations des roches calcaires du littoral de la Grèce.

Il insiste sur l’importance de l’étude des actions qui s’exercent à la surface du globe pour pouvoir arriver avec quelques probabilités aux causes qui ont présidé aux produits des époques antérieures à la nôtre. Chaque époque géognostique comprend deux périodes ; l’une, d’actions passagères, violentes et d’effets puissans ; l’autre, de calme et de produits lents et réguliers. Si nous ne pouvons remonter par analogie aux causes qui présidèrent aux premiers phénomènes, tout nous annonce, au contraire, que les rapports actuels entre les causes et les effets doivent se retrouver avec plus ou moins d’analogie dans les périodes de calme antérieures à la nôtre, et que l’on ne doit par conséquent recourir, pour l’explication d’un phénomène, à des causes étrangères aux actions qui s’exercent de nos jours, que lorsqu’aucune de celles-ci n’aura pu y satisfaire.

Cette notice se divise en deux parties : dans la première, l’auteur examine les diverses altérations des roches calcaires du littoral[1] ; dans la seconde, il les compare avec les altérations analogues qui se présentent dans l’intérieur des continens, et qui paraissent à l’auteur offrir tous les caractères des rivages anciens, et s’expliquer ainsi par les causes agissantes et sans le secours des diverses hypothèses auxquelles elles avaient donné lieu.

La sphère d’action de la mer et de l’aura marina se partage en plusieurs zônes horizontales.

La première, qu’on peut désigner sous le nom de zône du flot, s’étend à quelques mètres au-dessus et au-dessous du niveau moyen de la mer. Elle montre dans sa partie inférieure une table ou gradin sous-marin à pente très-faible vers la mer. Sa largeur, qui dans les calcaires anciens atteint à peine 2 à 3 mètres, dépasse 200 mètres au pied des hautes falaises du grès vert, et là surtout où règnent de forts courans littoraux, comme aux environs de Modon.

Cette table sous-marine se termine, du côté du continent, par des roches carriées, ou un sillon creux où le flot vient briser. Dans les calcaires anciens, le sillon n’a jamais beaucoup de profondeur ni de régularité ; mais dans les conglomérats ferrugineux qui bordent souvent le rivage, il pénètre à une grande profondeur (8 à 10 mètres), et il en résulte des fractures, dans la partie qui surplombe, par lesquelles le flot, après avoir brisé sous les pieds s’échappe en jets d’eau.

Dans les rivages à pente à peu près verticale, comme le cap Gros, le sillon est indiqué d’une manière très-prononcée par une succession de cavernes et de cavités qui règnent à partir de la limite inférieure du flot.

Les cavernes littorales ne diffèrent des cavités que par leur plus grande dimension. La réunion de plusieurs fissures parait avoir favorisé l’action de la mer et fait passer les cavités à l’état de cavernes. Elles ont des caractères de forme et de position qui les distinguent des cavernes d’érosion continentale (la plupart des cavernes à ossemens) et des cavernes d’éboulement. On devra en retrouver d’analogues aux anciennes limites du bassin des mers. Indépendamment des caractères zoologiques particuliers, elles offriront des niveaux à peu près constans, des parois arrondies dans leur partie inférieure, des routes solides, point de communications par des chambres ou galeries successives, mais seulement des fissures élargies et corrodées dans la partie du fond, des roches carriées sans être anguleuses comme dans les cavernes d’éboulement, et enfin une demi-voûte coupée par le plan du rocher plutôt qu’une voute entière[2].

Les rochers de calcaire, de marbre, de dolomie et de calcaire compacte sont donc creusés partout au niveau du flot, quelle qu’en soit la cause, ou chimique ou mécanique, ou l’une et l’autre à la fois. Il en résulte des sillons, des cavités et des cavernes, et, par suite de cette action long-temps prolongée, une table sous-marine de peu de largeur dans les calcaires, et beaucoup plus étendue dans les roches plis destructibles.

Cette action doit nécessairement par sa nature être resserrée dans des limites fort étroites de durée et d’effets, surtout la ou des courans n’entraînent pas les débris du rivage. Cependant elle s’observe encore presque partout, ce qui suffirait pour prouver le peu d’ancienneté de l’établissement des mers dans leurs limites actuelles.

L’auteur appelle l’attention des géognostes sur un fait qu’il croit devoir rapporter au précédent : c’est l’existence de quatre à cinq terrasses dessinées plus ou moins nettement sur les rivages de la Grèce, quelle que soit d’ailleurs leur nature, qui semblent indiquer autant de niveaux et de séjours prolongés dans la Méditerranée. Il pense qu’il ne sera pas impossible d’y rattacher le soulèvement des alluvions littorales, quelques lignes de phollades dans des calcaires très-récens, les faluns de Tirynthe et quelques autres petits dépôts coquilliers.

Les dépôts coquilliers de Saint-Hospice près Nice, ceux des bords de l’Hellespont et un grand nombre d’autres sur les bords de la Méditerranée se rattachent probablement aux mêmes circonstances ; mais on ignore si dans ces diverses localités on a reconnu l’existence des terrasses.

Il sera curieux de bien constater leurs hauteurs dans chaque lieu, de les comparer dans divers points éloignés de la Méditerranée, et de vérifier le parallélisme qu’on croit avoir reconnu entre elles.


Zône noire ou carriés

Au dessus de la limite supérieure du flot, dans l’état de calme, s’étend une zône d’une couleur noire ou brun-verdâtre. Sa hauteur dépend de la violence avec laquelle la lame brise sur le rivage. Elle dépasse rarement 7 à 8 mètres. Dans tout cet espace les calcaires se montrent tellement corrodés que ce ne sont plus (surtout dans la partie inférieure) que des branches âpres, contournées, couvertes d’aspérités et liées seulement entre elles par quelques points ; on dirait des récifs de polypiers. En outre des cavités profondes et tortueuses pénètrent la roche beaucoup au dessous du niveau de la mer ; les lignes de fissures élargies et déformées ont exercé une grande influence sur la destruction du calcaire. C’est dans cette zône carriée qu’on remarque, à la surface des aspérités lavées par la lame, une substance d’un brun-noir éclatant, mamellonnée, lisse, plus dure que le calcaire à cassure, légèrement translucide. On la rencontre constamment à cette hauteur, mais uniquement sur les roches calcaires que j’ai nommées précédemment. J’en donnerai plus tard l’analyse chimique.

Cette zône paraît avoir son analogue dans l’intérieur des continens, dans des surfaces calcaires criblées de cavités sinueuses et irrégulières, qui ne diffèrent de celles-ci que par la disparition des petites aspérités et des arêtes aiguës que les agens atmosphériques et le frottement des matières alluviales ont sans doute détruites. Ces cavités ne pénètrent jamais très-profondément dans la roche, ce qui prouve qu’elles ne sont pas dues à des émanations de gaz ou à l’écoulement d’eaux acides venues de l’intérieur.

Les nombreuses coupes de plusieurs centaines de mètres que présente la Morée, n’ont rien d’analogue dans l’intérieur des masses.

De plus ces cavités ne sont jamais remplies que par l’argile ocreuse ; elles sont toujours liées par leur position à des indices certains de rivage, tels que des galets percés de pholades, des brèches ferrugineuses ; et elles sont très-souvent, si ce n’est toujours, placées à la limite supérieure des terrains tertiaires.


Zône blanche.

En continuant à s’élever, on entre dans une zône blanche que la lame brisée ne peut plus atteindre que par une pluie, fine emportée par le vent. Toute trace de végétation marine a disparu, partout les surfaces vives et parfaitement décapées, si on peut se servir de cette expression, montrent à nu la couleur du rocher.

Elle est divisée, en tous sens, par des fissures très-élargies ; et quoique moins carriée que la zône précédente, il est très-difficile, à raison de l’aspérité des surfaces, d’y marcher et d’y appuyer les mains. En les examinant attentivement, on les voit toutes criblées de petites cavités de quelques millimètres, à bords tranchans et recouvrans ou creusées en dessous. Il est important de remarquer que ces petites cavités se trouvent aussi bien sur les faces verticales que sur celles qui sont horizontales, ce qui prouve que la cause première des phénomènes est indépendante de la pesanteur.

Les mêmes surfaces présentent, en outre, de nombreux petits sillons dirigés rigoureusement suivant les lignes de plus grande pente. On les voit naître sur chaque arête culminante, creuser et s’élargir en descendant vers les extrémités du plan incliné. Les arêtes qui séparent les sillons principaux deviennent elles-mêmes le point de départ de sillons nouveaux, qui convergent vers le fond des premiers. On dirait le plan en relief d’une contrée montueuse. On doit observer que ces sillons ne se montrent pas sur les faces horizontales ni sur celles qui approchent de la verticale. On peut assurer que le voisinage de la mer est une circonstance nécessaire au phénomène en action, car on cesse entièrement de voir des cavités à surfaces vives à 30 ou 40 mètres au dessus du niveau de la mer et à 1500 ou 2000 mètres de distance en plaine. (Tirynthe est à la limite de l’action de l’aura marina dans le golfe Argolique.)

Le phénomène précédent peut s’expliquer par des actions en quelque sorte mécaniques. Les particules salines emportées par le flot agissent par imbibition et cristallisation et en outre hygrométriquement en fixant l’humidité dans les parties qu’elles pénètrent. Les cavités se forment ainsi sur toutes les faces. Ensuite les eaux pluviales et de rosée créent les sillons, en se dirigeant suivant les lignes de plus grande pente et entraînant les parties désaggrégées.

Quand on s’élève dans la partie supérieure de cette zône, on remarque que le fond des cavités se recouvre d’un lichen grisâtre ; bientôt la roche entière en est couverte et toute action érosive a cessé.

Les monumens historiques situés dans la sphère d’activité de l’aura marina font voir les mêmes érosions, tandis que ceux du même âge (cyclopéens ou helléniques), reculés dans l’intérieur du terres, sont inaltérés comme au jour de leur construction, et que d’un autre côté des monumens de l’époque des croisades, situés sur le littoral, montrent déjà quelques traces d’érosion. L’auteur a été quelquefois à même d’observer dans le même lieu et sur les mêmes matériaux, l’effet de cette action empreint à la fois sur des monumens de six siècles et de trente siècles d’existence et sur les rochers qui les supportent, rochers qui deviennent ici pour nous les monumens historiques du dernier mouvement méditerranéen[3].

L’auteur pense que ce phénomène des sillons par la constance et la simplicité de sa cause est plus propre à l’appréciation des temps que cet des attérissemens et d’autres accidens de cette nature dépendans de causes multipliées et variables dans leur intensité.

Continuant à suivre le but qu’il s’est proposé, l’auteur reconnaît, dans l’intérieur des continens et à une grande hauteur au dessus du niveau de la mer, des surfaces couvertes de ces sillons dirigés suivant les lignes de plus grande pente. Saussure et plusieurs autres géologues les avaient observés dans les Alpes et les Apennins sans saisir leurs rapports avec les phénomènes littoraux.

Ces sillons de l’intérieur, et les petites cavités qui les accompagnent, montrent par la forme émoussée des arêtes et la pellicule végétale qui les recouvre que toute érosion a cessé depuis long-temps. Ils ne diffèrent de ceux des rivages actuels que par de plus grandes dimensions. Partout où ils existent vous pouvez être sur de trouver des traces de soulèvemens plus ou moins récens et au dessous des indices d’anciens rivages, ou les limites supérieures du terrain tertiaire.

On peut résumer ainsi les observations contenues dans cette note. Une puissante action érosive s’exerce sur les rivages ; il en résulte un talus sous-marin et une zône de cavités et de cavernes à formes particulières, là où les rivages sont très-escarpés, et dans le contraire une zône de roches profondément carriées ; en outre, au dessus de la limite que la lame peut atteindre, existe une zône blanche couverte de petites aspérités et de sillons dirigés suivant les lignes de plus grande pente dont l’érosion est due à des causes encore actives. L’intérieur du continent présente des phénomènes tout-à-fait analogues, et si l’on observe qu’ils sont accompagnés de preuves incontestables as l’existence d’anciens rivages, on sera conduit à les attribuer à des actions littorales analogues aux précédentes. ce sont donc de nouveaux caractères qui pourront souvent servir à retrouver la trace des rivages anciens ; les sillons, indice de surface continentale, pourront, par suite de leur indestructibilité, éclaircir la question du retour de la mer sur les continens, en même temps que l’examen de leur surface, dans le cas où elle aurait dévié de la ligne de plus grande pente, fera connaître la direction du soulèvement postérieur à leur érosion, dégagée de tous les effets des soulèvemens antérieurs.

La profondeur des sillons comparée dans diverses périodes pourra conduire à apprécier le temps de leur durée. La distinction établie d’après leur caractère entre les cavernes littorales d’érosion et d’éboulement, pourra simplifier l’étude des questions nombreuses qu’elles présentent, et l’ensemble de ces observations détruira la nécessité du recours à des hypothèses hasardées pour expliquer des phénomènes qui rentrent en partie dans l’ordre actuel des choses.


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  1. Les observations de l’auteur s’appliquent principalement aux marbres, dolomies et calcaires compactes. Les calcaires grossiers présentent des phénomènes assez différens pour demander à être traités à part.
  2. La petite ile qui ferme la rade de Navarin à la pointe de Sphacterie offre une caverne qui a cela de remarquable, qu’elle la traverse d’un côté à l’autre et n’a qu’une faible profondeur, malgré ses grandes dimensions.
  3. Il est important de rappeler qu’il n’est question dans cette note que des marbres et des calcaires compactes. Les calcaires grossiers éprouvent dans toute situation une décomposition rapide par l’action des agens atmosphériques.