Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome I/Séance du 18 juin 1830

Quatrième séance. ─ 18 juin 1830.


M. Brongniart occupe le fauteuil.

Après l’adoption du procès-verbal de la séance précédente, M. le capitaine Duperrey fait hommage à la Société d’une carte destinée à représenter la configuration de l’équateur magnétique, telle qu’elle résulte des observations de l’aiguille aimantée qu’il a faites pendant son voyage autour du monde sur la corvette la Coquille.

M. Fleuriau de Bellevue fait hommage d’une notice sur la température d’un puits artésien entrepris à La Rochelle.

Parmi les ouvrages présentés à la Société se trouve la Description géognostique du Kaisersthul, par O. Eisenlohr, in-8o, publié en allemand à Carlsruhe en 1829, accompagnée d’une carte détaillée du Kaisersthul ; on y remarque, sur une assez grande étendue, un calcaire altéré et rendu grenu par le contact des roches.

Auguste Leprévost écrit de Rouen qu’ont va percer un puits artésien dans le Faubourg Saint-Sévère ; et que l’exécution de cette mesure aura l’immense avantage de décider la question des puits artésiens pour tout le littoral de la rive gauche de la Seine si aride et si sablonneux.

Un autre puits est pratiqué au Pollet, à Dieppe. M. Féret conservera les échantillons des terrains que l’on traversera ; il pense que la craie n’est pas aussi loin qu’on le supposait de la surface du sol ; enfin, on fore, au Hâvre, un puits qui sera d’un grand intérêt, en ce qu’il fera connaître les terrains qui se trouvent au-dessous du calcaire marneux dépendant du système oolitique, le plus ancien des terrains reconnus dans la Seine-Inférieure.

Le Secrétaire, après avoir fait connaître le nom des membres qui ont adhéré au réglement depuis sa publication, présente un relevé approximatif des géologues connus en Europe :

On en compte 12 en Écosse, 25 à 30 dans le royaume des Pays-Bas ; 30 à 35 en Prusse ; 12 à 15 dans la Bavière ; 1 dans le Wurtemberg ; autant dans le pays de Bade ; 12 dans la Saxe royale ; 30 à 35 dans les petits états de l’Allemagne, y compris le Hanôvre ; 32 à 35 dans les états Allemands et Slaves de l’Autriche ; 18 à 20 en Suisse ; 36 à 40 dans les pays Italiens, y compris la Sicile et la Sardaigne ; 30 en Russie ; 6 à 8 en Scandinavie ; 6 en Danemarck ; enfin la Société géologique de Londres est formée de plus de 300 membres.

Le secrétaire fait observer que la Société étant composée de membres étrangers au nombre de plus du quart, il serait convenable que les réunions d’été fussent quelquefois tenues hors des limites de la France.

M. Michelin, trésorier, présente un aperçu du budget pour l’année courante. La Société prend les décisions suivantes :

1o Le Conseil ne pourra pas outrepasser la somme de 2,500 fr pour pourvoir aux frais d’un agent, à ceux de l’impression du Bulletin, et du loyer de la salle des séances.

2o L’année financière ne commencera que le 1er juillet 1830, de telle sorte que les membres n’auront à payer pour cette année que 35 fr., y compris le droit d’entrée. Le paiement de la cotisation annuelle sera exigible par semestre.

3o Il sera délivré un diplôme à chaque membre.

4o Le terme des adhésions au réglement, sans présentation formelle, est prorogé au mois de novembre prochain.

M. Boué lit un Aperçu sur le sol tertiaire de la Gallicie.

« En Gallicie et en Bukowine, la chaîne du grès carpathique secondaire est bordée par un dépôt plus ou moins épais de molasse qu’on a confondue jusqu’ici avec le grès précédent. Cette erreur résulte de la ressemblance minéralogique de ces roches, les premières n’étant que les débris réaggrégés des dernières ; de la position inclinée de beaucoup de molasses, et de leur inclinaison fréquente au sud et coïncidente avec celle des grès carpathiques. Néanmoins l’auteur signale, dans les molasses, des roches et des accidens qu’il ne retrouve pas dans le dernier dépôt, comme la présence du quartz résinite à poissons, le dusodile, le grès silicifié, et certains fossiles. De plus, ces molasses inclinées sont à côté d’autres masses horizontales un peu inclinées, et dans une espèce de dérangement. Le contact des deux formations n’a encore été observé distinctement par personne, ni en Gallicie, ni en Transylvanie ou Moravie.

L’auteur détaille la position géographique de la molasse dans le S.-O de l’Europe, où elle borde partout les grandes chaînes, et ne s’étend pas dans les grandes plaines occupées par des matières argileuses. Il cherche à s’expliquer cette distribution, et commence la description des dépôts tertiaires par ceux de la plaine de la Gallicie. Ils offrent de l’argile marneuse à soufre, gypse et sel correspondant à la molasse inférieure du pied des Carpathes, des grès et des sables, deux ou trois calcaires assez distincts, et des marnes gypsifères.

L’argile marneuse salifère a pour base des molasses assez grossières qu’on observe au fond des mines de Wielicska : ces grès s’intercalent dans les argiles qui renferment inférieurement du gypse et du soufre massif brunâtre ou jaunâtre. Il donne la coupe des mines de soufre de Swoszowice, qui sont analogues à celles de Cesenate dans les collines subapennines et de Radeboy en Croatie. L’auteur ne croit pas que MM. Lill de Lilienbach et Pusch aient raison de séparer de ce gypse et de ce soufre un autre dépôt tout-à-fait semblable, qu’ils voudraient subordonner, soit en Pologne, soit dans la Gallicie orientale, au grès vert ou à la craie inférieure. Le soufre de Truskawice, minéralogiquement semblable, à celui de St-Boës, dans les Landes, et accompagné aussi de pétrole et de galène, pourrait bien être de cette dernière époque.

Il détaille la coupe générale des mines de Wieliczka. Toutes les couches inclinent faiblement au sud ; les mineurs y distinguent le banc supérieur de sel vert qui renferme de l’anhydrite réniforme, et cette variété de sel qui contient de l’hydrogène légèrement carboné. Sous ce banc, jusqu’ici sans fossiles, il y a des couches de sel compacte à nids de lignite et à coquilles ; plus bas, la masse devient plus arénacée ; on arrive à des molasses impressionnées, à sel, soufre et lignite à odeur de truffes. Enfin les travaux les plus profonds s’arrêtent à un schiste argilo-marneux alunifère. Il y a des dégagemens d’hydrogène carboné et sulfuré, et dans le fond des mines on trouve dans la masse, sur le schiste alunifère, des cailloux de granit et de calcaire jurassique du pays : Le dépôt salifère inférieur a subi une révolution avant d’être recouvert par le supérieur. Après avoir dit quelques mots sur Bochnia, l’auteur énumère les fossiles du sel : ce sont des peignes, des modioles, des cardium, des nucules, des tellines, des palundines ?, des miliolites, des fuseaux, des huîtres (ostrea navicularis), des turbinolies, des dents de squale, des pattes d’écrevisse, fossiles qu’il rapproche des espèces subapennines ou de Vienne, et qu’il retrouve en partie dans le sol tertiaire supérieur de la Gallicie. L’ostrea citée a été prise par plusieurs auteurs pour la gryphée arquée. M. Lill a vu encore des fossiles dans l’argile salifère de Kniasdwor, etc., etc.

Près de Lemberg, l’auteur a vu la craie marneuse horizontale recouverte des marnes et des molasses tertiaires, et il y a retrouvé les mêmes cailloux qu’au fond des mines de Wieliczka. Ces grès en partie coquilliers, renferment des lignites et des nids d’ambre. L’auteur discute les raisons pour classer le dépôt salifère dans le sol tertiaire plutôt que de le placer dans le grès vert. Pour cela, il parle successivement des mines de sel qu’il a visitées en Transylvanie. L’argile salifère s’y lie aux molasses, alterne avec elles, est souvent recouvert d’un dépôt ponceux ou trachytique très fin et à feuilles d’arbre (Deesch, Vaterlek, Persany). Il compare les marnes bigarrées tertiaires de Nières, en Transylvanie, à celles du Tholonet, près d’Aix, en Provence ; et s’étaie de l’opinion de p M. Partsch sur l’âge du sol de ce pays.

Des molasses de la partie S.-O. de la Transylvanie, il passe à celles de la Moravie, qu’il trouve surmontées de sables coquilliers et de grès tertiaires, et il y indique des silex résinites à poissons et insectes (Krepitz, Nikoltschitz). Le calcaire tertiaire à coraux y occupe un niveau inférieur aux dépôts précédens, comme cela a aussi lieu en Gallicie. Il parle aussi des molasses de la Hongrie orientale, qui sont si semblables à celles des bassins S.-O. de la France.

Les détails donnés sur les puits salifères situés au pied nord des Carpathes lui paraissent plutôt étayer l’âge tertiaire de l’argile salifère qu’être contraires à ce classement ; A-t-on vu nulle part le sel dans le grès carpathique véritable ? L’on peut dire la même chose des gypses. Il donne la coupe de Laczko, près de Dobromil, où l’argile salifère, placée très près des cimes secondaires carpathiques, est recouverte de molasse et de grès quartzeux siliceux à points verts et à lits de silex résinite. Il entre dans quelques détails sur le terrain de molasse, entre Myslenice, Ghow et Wieliczka, et y retrouve des silex résinites à poissons ; du lignite, des couches horizontales et inclinées, etc., etc. Il signale dans les sables tertiaires, au N.-O de Wieliczka et sur le sol beaucoup de fossiles tertiaires, et reconnaît au S. de cette ville, dans les hauteurs des alternats de sable et de grès compactes, en partie spathisés, en partie coquilliers, qui lui ont paru tout-à-fait tertiaires. Il en ressort, près de Signeczow, des rochers jurassiques.

Après cela, il donne un aperçu sur le sol tertiaire tout-à-fait supérieur qui couvre la Gallicie orientale depuis une ligne tirée de Drohobycz à Tomazow, et qui a été déposé jadis par une mer communiquant avec la mer Noire. On y trouve des sables en partie coquilliers, des grès, du calcaire sans coquilles et d’un aspect lacustre, du calcaire légèrement siliceux, du calcaire coquillier, du calcaire à coraux, de la marne et du gypse spathique et compacte.

L’étude du sol tertiaire d’Autriche et de Moravie a aidé l’auteur dans le classement de ces couches éparses et faciles à étudier le long des grandes rivières. Il a rapporté les faits qui lui ont prouvé qu’en Autriche la marne subapennine était non-seulement au-dessous du calcaire à coraux et de son agglomérat, mais encore qu’elle était séparée de ces dernières assises par des sables et des calcaires.

Il donne la coupe de Brunn, près de Fischau, où le calcaire à coraux recouvre la marne coquillière bleue. Il retrouve le même fait à Piesting, et il donne ensuite des détails de superposition sur les diverses couches tertiaires de plusieurs lieux au N. du Danube, comme la coupe de Selowitz, où l’on revoit le même fait qu’à Brunn : la coupe de Porzteich et de Steinabrunn, près île Nicolsburg, où le calcaire à coraux et à nummulites recouvre des couches marneuses ou sableuses pleines de fossiles, dont un grand nombre existent à Bordeaux, etc. Il développe aussi et donne la coupe de Prinzendorf, où l’argile subapennine est surmontée de sables en partie coquilliers et à bancs de calcaire coquillier, et plus haut de calcaire à coraux. Les sables y ouvrent des accidens de mélange de coquilles d’eau douce et de mer, accidens qui se répètent dans beaucoup d’endroits de ce bassin et de celui de la Hongrie.

Il donne, avec le consentement de M. C. Prévost, la coupe des environs d’Enzersfeld, où ce géologue avait bien remarqué, sans oser le publier, que le calcaire à coraux et son poudingue reposaient, soit sur l’argile subappennine, soit sur certaines marnes coquillières et à fossiles particuliers, dernière assise supérieure aux argiles précédentes.

Après avoir fait rentrer dans ce classement les dépôts de sable, de mélange coquillier, de sable à nummulites et de divers lieux en Hongrie et en Autriche, l’auteur en fait de même pour la Gallicie. Dans ce bassin, séparé de celui de la Moravie par une chaîne de montagnes, il retrouve les mêmes sables et les mêmes grès coquilliers que dans les bassins au sud des Carpathes. Il donne la coupe du Sandberg, près de Lemberg, et cite les localités où l’on voit soit des sables, soit des calcaires à coraux, ou d’autres à cérites ou à bivalves. Il détaille les couches, près de Janow, comme un exemple de ce calcaire caverneux sans coquilles, qui, sans être, d’eau douce, paraît cependant s’être formé dans une mer peu saumâtre ; il est au milieu des sables et se mélange avec eux. Le calcaire siliceux à la même position. Il cite des localités où il y a des mélanges de coquilles marines et d’eau douce, comme à Postolumka. Il parle de la localité de Kaminiec-Podolski, riche est fossiles, et comparable à celle de Korytnica, de Busko, etc., dans le royaume de Pologne.

Il compare certaines couches de Gallicie à d’autres d’Autriche ; il décrit les véritables calcaires oolitiques tertiaires de la Bukowine (mont Cecin, près de Czernowitz), et il prétend qu’on a voulu confondre quelquefois des coraux du véritable calcaire de ce nom avec des concrétions globulaires. Ensuite, il parle du gypse tertiaire qui surmonte le calcaire à coraux, ou alterne avec lui et qui offre quelquefois des grottes. Enfin, il termine par quelques mots sur les marnes alluviales de la Vistule, et par signaler le manque des blocs erratiques dans la Gallicie, ce qui indique que le sol primaire et secondaire des Carpathes n’a pas éprouvé des catastrophes si récentes que la chaîne du Mont-Blanc. »

M. Constant Prévost lit des considérations sur la valeur que les géologues modernes donnent à diverses expressions fréquemment employées par eux, telles, par exemple, que : époque ancienne et époque actuelle, époque ante-diluvienne et post-diluvienne, époque anté-historique et historique, période saturnienne et période jovienne.

« Rien, dit l’auteur, ne s’oppose plus aux progrès des sciences que l’emploi comme termes techniques, d’expressions, qui, ayant un sens bien déterminé et bien clair dans le langage ordinaire, sont appliqués à des à des idées qui n’ont rien d’arrêté et de précis.

Qu’entendre par exemple par époque actuelle, phrase dont se servent si fréquemment quelques géologues ? Qu’est-ce comparativement que l’époque ancienne ? Où commence l’une, où finit l’autre ? Personne n’a indiqué jusqu’à présent le point qui doit servir de limite entre les deux.

Certes, la formation des calcaires à trilobites appartient à l’époque ancienne, et les incrustations qui se font dans les tuyaux d’Arcueil, dans le clos de Saint-Allyre, les éruptions du Vésuve sont des produits et des phénomènes géologiques de l’époque actuelle. Mais quel est le dernier produit, le dernier phénomène de l’une des époques, et les premiers de l’autre ? Cette distinction, dira-t-on peut-être, est de même sorte et de même valeur que celle qui existe entre l’antiquité et les temps modernes. D’accord, et si cela est, il faut faire observer qu’entre les deux temps admis dans le langage des historiens, il y a passage et nuance insensible.

Mais ce n’est pas ainsi que l’entendent la plupart des géologues qui emploient ces expressions ; ils partent de cette idée, qu’entre l’époque actuelle et l’époque ancienne, il n’y a pas de transition qu’un hiatus immense sépare les phénomènes anciens et les nouveaux ; qu’en un mot, une grande révolution à tout changé, et a fait succéder une nature nouvelle à une nature ancienne.

Cependant, ceux qui admettent cette dernière idée d’une manière générale, ne sont pas d’accord entre eux sur la valeur relative et chronologique des deux termes qui leur servent à diviser le temps, et ils ne sont même pas toujours conséquens avec eux-mêmes.

Pour l’un, l’époque actuelle est l’époque post-diluvienne, en prenant le diluvium comme l’effet d’un seul déluge, de celui dont parle Moise ; bien qu’on ne puisse certainement distinguer cet effet diluvien de tous ceux produits par des déluges antérieurs et postérieurs, et quoique les traditions elles-mêmes nous enseignent positivement que, l’événement passé, les choses seraient rentrées dans l’ordre antérieur, et que par conséquent les phénomènes anté et postidiluviens devraient appartenir à une même série passagèrement interrompue.

Les uns regardent l’époque actuelle et l’époque historique comme une seule et même chose, et, pour ceux-ci, l’époque actuelle doit commencer avant le déluge mosaïque ; car l’homme existait sur la terre avant ce déluge, et puisqu’il y avait des habitans, des ustensiles, des animaux domestiques, etc., on pourrait trouver les mêmes vestiges dans les dépôts anté et post-diluviens. Que deviennent, en conséquence, les caractères assignés jusqu’à présent, on ne sait trop pourquoi, aux terrains anté-diluviens, de ne contenir ni fossiles humains, ni débris qui annoncent l’existence sociale de l’homme ?

L’époque actuelle, dit-on encore, a commencé avec la mise à sec de nos continens.

Mais qu’entendre par nos continens ? Sont-ce toutes les terres aujourd’hui à sec ? Sur quels faits peut-on établir que toutes leurs parties ont été émergées en même temps ? N’est-il pas plus probable que, tandis que certaines portions du sol n’ont jamais été inondées, d’autres sont sorties de l’eau, les unes avant le dépôt des terrains houilliers, d’autres avant celui du lias, avant la craie, etc. ; il est presque démontré que lorsque le sol des plateaux de Paris était couvert d’eaux marécageuses, lorsque les meulières se formaient, les bassins de la Touraine, de la Méditerranée, de Norfolk, etc., etc, comme l’a si bien établi M. Desnoyers, étaient submergés. Ces derniers terrains étaient probablement découverts, que les bancs des buttes de l’herme de Saint-Hospice, des côtes de Cornouailles, de la Nouvelle-Hollande, de la Sicile, etc., se déposaient sous la mer. Il n’y a pas six années qu’une étendue considérable du sol submergé auprès de Valparaiso est sortie du sein des eaux par l’effet d’un soulèvement. Ainsi la mise à sec des continens actuels, c’est-à-dire de nos continens, a été successive ; qu’elle ait eu lieu lentement ou par saccades, n’importe : cet événement ou plutôt cette suite d’événemens ne peut servir à fixer la limite entre deux époques.

La théorie des soulèvemens du sol, rendue si facile à comprendre par les faits recueillis avec tant de discernement par M. Élie de Beaumont, explique comment une portion de la surface du globe, jusque là submergée, a pu devenir une surface continentale. Des observations démontrent, jusqu’à l’évidence que chaque événement de cette sorte n’a pas changé l’ordre de la nature ; mais qu’après un instant de trouble, les choses ont repris leur ancien ordre.

Seulement chaque événement a dû déplacer les influences locales et modifier par suite et même subitement les produits qui précédemment se formaient dans un lieu donné. Ainsi, un soulèvement a pu faire changer la direction des cours d’eau, la place des embouchures, modifier les courans, donner lieu à des déplacemens des êtres. Si, par exemple, une mer profonde est devenue un rivage, si à la place d’un golfe est venu un détroit, etc., les animaux, ont dû changer d’habitation, beaucoup ont pu périr ; d’un autre côté, des communications ont pu être rompues, d’autres ont pu s’établir, de sorte que dans un point où des circonstances constantes donnaient lieu, à la formation d’un certain dépôt renfermant les débris de certaines espèces, un second dépôt minéralogiquement et zoologiquement différent du premier a pu lui succéder subitement par suite du changement de circonstances locales, sans, comme on le voit, que, l’on puisse attribuer les différences soit à des modifications dans la nature du liquide, soit à l’anéantissement de certaines races, et à la création de nouvelles.

M. Brongniart, en créant récemment les expressions de périodes saturnienne et jovienne pour remplacer celles si diversement employées d’époques, ancienne anté-diluvienne, anté-historique, et d’époques actuelle post-diluvienne et historique, n’a pu éviter l’écueil contre lequel ses opinions l’ont dirigé : car s’étant toujours refusé à reconnaître une liaison graduée entre les événemens géologiques anciens et ceux qui se passent encore autour de nous, il a cru devoir établir deux classes de phénomènes distincts, qu’il appelle saturniens et joviens, et qu’il fait entrer dans deux périodes qu’il regarde comme tranchées et successives.

Cependant le savant géologue fait remarquer que, par exception, l’époque jovienne a pu ne pas succéder à l’époque saturnienne en même temps pour tous les points, et que pour l’Amérique, par exemple, le passage de l’une à l’autre a pu s’effectuer plus tard que pour l’ancien continent ; ce trait de lumière semble être l’expression d’une vérité générale, c’est-à-dire que les deux sortes de phénomènes, ou les deux périodes, ont commencé presque en même temps, et qu’elles se continuent encore suivant les localités. Nous n’aurions donc plus deux périodes, mais deux ordres de phénomènes :

1o Ceux qui ont eu lieu sous l’eau, pendant l’immersion du sol (période d’immersion) ;

2o Ceux qui ont eu lieu depuis la mise à sec du sol (période d’émersion).

On voit que les rapports de ces deux classes varient pour chaque localité. Il n’y a pas, de cette manière, de transition : les deux périodes sont séparées par une révolution (l’émersion).

Mais, répétons-le, cette distinction, réelle n’est plus une division dans le temps, c’est une distinction entre les résultats de certaines circonstances et ceux d’autres, circonstances qui se sont succédées pour chacun des points de la surface terrestre, d’abord immergé, puis émergé, mais à des époques très différentes pour chaque point. — La période d’émersion a commencé avec la formation des terrains primaires pour certains. — Il en est encore un plus grand nombre, ceux qui ferment une grande partie du fond des mers, et qui sans doute n’ont jamais été découverts, pour lesquels la période d’immersion dure encore et durera probablement toujours ; d’autres, au contraire, pour lesquels la période cessera, demain, etc. Quels sont les caractères distinctifs des phénomênes produits pendant l’époque d’immersion et l’époque d’émersion, etc. ?

1o Nos terrains neptuniens ont été formés sous les eaux ; 2o depuis qu’ils ont été émergés, rien ne se fait plus sur eux qui ressemble à ce qui les a produits. Ce n’est donc pas en étudiant les effets causes qui agissent sur la terre sèche et dans l’atmosphère que l’on peut trouver l’explication propre à rendre compte de la formation des terrains neptuniens ; car sur le sol sec il ne se forme ni sédimens d’une grande étendue, ni des roches coquillières, ni marbres, ni fossiles, ni charbons de terre, etc. Les laves qui s’écoulent des volcans ne se refroidissent que sous une simple pression atmosphérique ; elles sont en contact avec-l’air ; elles peuvent se vitrifier, se boursoufler, etc. Des dunes, des attérissemens, des éboulemens, des stalactites, des tourbières, de l’humus, seuls produits qui puissent recouvrir un sol émergé, n’offrent aucune analogie de formation avec des terrains comme ceux de Paris ; et, si l’on s’en tient à ces effets, on peut dire avec raison que le fil, des opérations est rompu.

En disant qu’il se fait encore dans la mer des terrains comparables, on avance, il est vrai, une hypothèse, centre laquelle une objection a déjà été faite. Nous nions, dira-t-on, qu’il se fasse maintenant sous les eaux rien de comparable aux matériaux qui composent nos continens : prouvez ce qui se fait, car le champ est vaste ; vous pouvez supposer tout sans risque d’être contredit ; mais, diront à leur tour les adversaires, nous n’affirmons rien ; nous demandons seulement pourquoi il ne se ferait plus sous la mer ce qui s’est toujours fait sous la mer ? Nous voyons les matières premières, dissoutes ou suspendues dans les eaux qui vont se confondre dans le grand réceptacle commun, d’où l’évaporation n’enlève que de l’eau pure. Elles se réunissent quelque part, ces matières ; nous voyons des coquilles, des cadavres, des bois entraînés par des eaux bourbeuses : pourquoi ne se conserveraient-ils pas, ces corps ou au moins leurs moules, leurs empreintes, lorsqu’en plongeant dans une eau incrustante, on conserve la forme et la substance de fruits, d’oiseaux, etc. ? Qui, mais se-fait-il des pétrifications ou changemens de substance. Et ici il serait facile d’abandonner l’emploi du raisonnement pour avoir recours à des faits, en rappelant des exemples qui prouvent qu’à des époques bien récentes, et même dans le moment présent, il s’est formé et se forme encore des roches dures (Messine, Côtes du Calvados, Guadeloupe) que des substances organisées, placées dans de certaines circonstances, changent de nature (végétaux passant à l’état siliceux ou calcaire, bois du pont de Trajan, racines d’arbres en partie ligueuses, en partie calcaires, dans les sables des environs de Paris, etc.).

Évoquera-t-on maintenant comme objection à opposer qu’on ne voit pas de dépôts puissans, étendus, se former actuellement, parce qu’il ne se fait pas de dépôts dans la baie de Cancale ? Mais c’est que, lors même que les dépôts les plus étendus ont été formés, il y avait dans les mers des endroits où vivaient tranquilles les animaux fixés, et qui recherchent les eaux limpides.

S’il suffit d’un changement dans quelques circonstances locales, comme le déplacement de l’embouchure d’un cours d’eau, la formation d’un banc de sable, l’affaiblissement d’une falaise, pour qu’un point où vivaient des huîtres et du corail devienne inhabitable pour les mêmes êtres ; d’un autre côté, sans l’une de ces circonstances, les mêmes animaux ne cesseront pas de se propager sur le fond choisi par leurs ancêtres tant que ce fond conviendra à leurs organisations et à leurs habitudes.

En résumé, les expressions d’époque actuelle et d’époque ancienne peuvent indiquer, en géologie comme est histoire, des termes extrêmes qui se lient insensiblement, mais nullement deux classes de phénomènes.

L’époque anté et post-diluvienne n’indique qu’un temps avant ou après un événement qui, pour les géologues, n’a rien de précis, puisque les faits géologiques ne peuvent porter avec eux des caractères physiques de ces deux époques.

L’époque historique est relative pour chaque société, pour chaque peuple, et elle comprend les phénomènes anté et post-diluviens des auteurs, qui entendent par là spécifier le Déluge mosaïque ; les périodes saturnienne et jovienne seraient, d’après les phénomènes qu’elles comprennent, suivant M. Brongniart, deux périodes successives, mais pour chaque point du globe, et non deux périodes dans le temps.

Ces distinctions, utiles dans ce dernier sens, seraient nuisibles en tant qu’elles voudraient signifier un changement dans les effets et les causes générales.

Les causes qui agissent sur le sol découvert, et les effets qui en résultent, sont différens de ceux qui ont lieu sous les eaux. Il y a des phénomènes terrestres, et des phénomènes sous-aqueux ou neptuniens : voilà tout.

D’une part, dès l’instant qu’un sol a été découvert, il s’est fait des dégradations, des galets, des alluvions, des dunes, des tourbes ; d’une autre, il se fait encore sous les eaux des bancs coquilliers, des lignites, des fossiles. Il y a continuité entre l’époque ancienne et l’époque actuelle, comme entre l’antiquité et les temps modernes.

Seulement des modifications locales, échelle moins grande peut-être, mais mêmes causes premières, avec des causes secondaires atténuantes et modifiantes. Ainsi, si la chaleur est moins forte, si la surface des eaux, comparée avec celle des terres, est plus petite, il y a moins d’évaporation, moins d’eau courante ; si les lits de fleuves sont comblés, l’action des eaux est moins violente ; si les talus sont formés, il y a moins d’éboulemens. Les premiers terrains secondaires n’ont pu emprunter leurs matériaux qu’aux terrains primaires ; les terrains tertiaires ont emprunté les leurs aux terrains primaires et aux terrains secondaires, comme les terrains qui se forment aujourd’hui, le sont aux dépens des trois premiers formés ; les eaux retenues dans des bassins supérieurs sont en moindre quantité, les débâcles sont plus rares ; plus de stabilité, il est vrai ; mais ce, sont là des nuances, des gradations, ou plutôt c’est la fin d’une période de tranquillité. Certes, notre état social, nos usages, nos goûts, notre savoir, n’ont aucune ressemblance avec ceux des premiers Gaulois, nos ancêtres ; mais entre eux et nous il n’y a que des nuances : ce que les hommes font aujourd’hui sur la terre se complique de l’action des hommes qui les ont précédés. Quelques révolutions viennent bien modifier subitement la marche des choses et des idées, faire avancer ou retarder là civilisation ; mais la nature de l’homme ne change pas, et à travers ces modifications sans nombre, des règles certaines, des lois immuables subsistent.

On peut en dire exactement autant de l’histoire de la terre, ses premières pages se suivent jusqu’à nous ; les mêmes causes agissent, etc. Si des révolutions plus ou moins étendues sont venues interrompre le cours ordinaire des événement, ce n’a été que momentanément ; la nature des choses n’a pas changé pour cela, le système de l’univers n’a pas été troublé.

Ou j’ai raison, dit en terminant M. Prévost, et il faut étudier les phénomènes actuels avant d’expliquer les anciens. La géologie peut avoir des principes ; elle peut reposer sur des bases certaines. On doit, dans son étude, procéder par analyse, du connu à l’inconnu. Toute explication de faits doit être au moins vraisemblable. Il faut douter plutôt que d’avoir recours à des causes extraordinaires.

Si, au contraire, il est démontré que les phénomènes géologiques appartiennent à un ordre de choses tout différent de l’ordre actuel, à une époque où les lois de l’univers ne s’opposaient pas à ce que les mers changeassent subitement de nature, qu’elles passent se retirer, instantanément, rester stationnaires, revenir sur le même lieu, y séjourner, et cela quatre, cinq, dix fois, même sans brisemens de couches et dislocation du sol. Si tous les êtres d’une époque ont pu subitement être anéantis et remplacés subitement par de nouveaux êtres, etc., etc., alors il sera inutile pour les géologues d’étudier les phénomènes actuels, c’est à leur imagination qu’ils devront en appeler pour expliquer la formation du sol sur lequel ils marchent et pour rendre compte des révolutions de sa surface. »

M. Desnoyers annonce avoir trouvé. des cyclades dans le terrain d’eau douce supérieur d’Etampes. M. Constant Prévost ajoute avoir vu des bivalves dans le calcaire d’eau douce très-moderne de Pouqueville, près Dieppe. Dans tous les cas, c’est, d’après M. Brongniart, un accident rare.

La Société entre en vacances jusqu’au mois de novembre.


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