Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome I/Séance du 16 mai 1831


Dix-huitième séance — 16 mai 1831.


M. de. Blainville occupe le fauteuil.

Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la dernière séance, le secrétaire fait remarquer qu’il s’est glissé une erreur typographique à la fin de la page 144 du Bulletin, ou il faut lire : Parmi les ossemens envoyés à Paris par M. Jameson à M. Cuvier, M. Pentland a reconnu, etc.

Il est fait hommage à la Société :

1° Par M. Hœninghaus, d’un Catalogue imprimé de sa collection de fossiles, maintenant réunie au Musée de Bonn.

2° Par M. Roulland, lieutenant de vaisseau à l’école royale de marine, à Angoulême, de six planches représentant, la première : une Polycônite operculée (Roulland), individu entier et de grandeur naturelle ; la deuxième : la Polycônite operculée avec birostre, vue en dessus et de côté ; la troisième : une Sphœrulites cylindracea ; la quatrième : une coupe longitudinale de la valve inférieure de la Sphœrulites cylindracea où sont représentés de nouveaux caractères organiques ; la cinquième : la Sphœrulites navis (Roulland), individu entier, avec son birostre ; et la sixième, fig. 1, : l’Ophilites(Roulland), individu entier, et fig. 2, un birostre d’Ophilites. Ces planches font parti d’un mémoire que M. Roulland compte publier dans les Actes de la Société linnéenne de Bordeaux. Elles ont été dessinées par M. Duvauroux, officier de santé de la marine, auquel M Roulland a dédié une nouvelle espèce de Sphérulite., sous le nom de S. Duvauruxi.

Il est présenté à la Société :

1° Une Notice sur les puits artésiens, ou observations sur les diverses tentatives exécutées dans le midi de la France pour obtenir des eaux jaillissantes, par M. Marcel de Serres ; in-8o de 139 pages. Montpellier, 1830.

Une Notice sur les ossemens humains fossiles des cavernes du département du Gard, par M. de Christel ; in-8o de 25 pages, avec une planche. Montpellier, 1829.

3° Un ouvrage de M. de Bronn, intitulé : Gœa Heidelbergensis, ou Description minéralogique des environs de Heidelberg ; in-8o de 137 pages, avec une carte géologique. Heidelberg, 1830.

4° Une nouvelle édition du Catalogue des fossiles de la Suède, par M. Hisinger ; in-8o de 25 pages, en français. Stockholm, 1831.

La Société renvoie au conseil la proposition suivante de M. Boué, savoir : Qu’une commission soit nommée à l’effet de voir s’il n’y a pas possibilité de commencer l’impression de la collection promise des mémoires de la Société ; que la commission consulte à cet égard M. le trésorier ; qu’elle soit chargée d’entrer en traité avec un libraire, avec ou sans bonification de la part de la Société pour les frais d’impression ; enfin, qu’elle soit obligée de rendre compte à la Société de ses décisions avant le commencement des vacances, afin que la nomination de la commission d’impression par le conseil puisse être soumise à l’approbation de la Société, et qu’on puisse procéder à l’impression pendant les vacances.

M. Roulland, ayant été conduit à parler des Ichthyosarcolites, déclare que ce genre doit être supprimé, ainsi qu’il l’a déjà dit dans un mémoire qu’il a publié à ce sujet dans la troisième livraison du quatrième volume des Actes de la Société linnéenne de Bordeaux.

Suivant cet auteur, on aurait fait, pour établir le genre Ichthyosarcolite, un double emploi des genres Hippurite et Sphérulite, c’est-à4dire que les Ichthyosarcolites ne seraient, ainsi qu’il l’a reconnu par un grand nombre d’observations, que des birostres d’Hippurifes et de Sphérulites à coquille tubuliforme. Il renvoie au mémoire précité pour l’explication des différens caractères que présentent les Ichthyosarcolites.

M. Roulland déclare pareillement qu’on n’a point reconnu jusqu’à ce jour les véritables caractères diagnostiques des Sphérulites et des Hippurites, lesquels consistent uniquement, pour les Sphérulites, en deux conduits testacés qu’il a signalés, sous le nom de siphon marginal double, dans un mémoire qui a été publié dans la cinquième livraison du troisième volume des Actes de la Société linnéenne de Bordeaux, sous le titre d’Observations sur les Ichthyosarcolites et sur les Hippurites.

Quant à ces dernières coquilles, elles diffèrent génériquement par l’absence du caractère mentionné ci-dessus, qui est remplacé dans la valve inférieure des Hippurites par deux arêtes obtuses, formées par le repli des bords internes du test, qui s’étendent en convergeant depuis l’ouverture jusqu’au fond de la valve. Ces deux arêtes sont toujours placées à gauche de la carêne, autre arête que l’on n’avait point encore signalée dans les Hippurites, et que M. Roulland a reconnu n’être dans M les Sphérulites, comme dans les Hippurites, que le reste d’un canal formé aussi par un repli des bords internes du test, qui se prolonge, en correspondant parfaitement d’une valve à l’autre, depuis le fond de chaque valve jusqu’à l’ouverture. D’après cet observateur, tous les autres caractères que l’on a considérés jusqu’à présent comme distinctifs des Sphérulites et des Hippurites, seraient de nulle valeur pour séparer génériquement ces deux genres. Quelques-uns de ces caractères, tels que l’absence des écailles, les fausses cloisons, le faux siphon, etc., dans les Hippurites, ne sont que des effets de la fossilisation ; les autres, c’est-à-dire ceux qui sont réellement organiques, telles que, par exemple, la grandeur des cellulosités du test, ne pourraient tout au plus servir qu’a établir des différences spécifiques.

M. Roulland fait pressentir ici que quelques-uns des fossiles, dont M. d’Orbigny a composé son genre Caprine, ne seraient que des Sphérulites ; il en a signalé et figuré une espèce, sous le nom de Sphérulite Desmoulins.

M. Roulland fait connaître, ensuite qu’ayant fait de nombreuses observations microscopiques sur les grains de l’oolite miliaire et cannabine, en étudiant la constitution géologique du département de la Charente, il a reconnu positivement que cette roche n’est qu’une agglomération de petites coquilles multiloculaires, parmi lesquelles il a reconnu des alvéolites, des miliolites et plusieurs espèces de mélonies, plus ou moins dénaturées par la pétrification. Le ciment qui paraît lier entre elles toutes ces petites coquilles, dont les deux oolithes en question ne présentent généralement que le moule intérieur, résulterait, suivant M. Roulland, de la dissolution de leur test.

Ces deux oolithes renferment, avec des Sphérulites et des Hippurites, à l’état d’Ichthyosarcolites, un grand nombre de nérinées et de trigonies ; elles alternent quelquefois avec le grès vert et la lumachelle virgulaire, mais elles sont inférieures à ces deux roches.

Les observations de M. Roulland sur les Rudistes donnent occasion à M. Deshayes de revenir sur plusieurs faits d’une grande importance pour rendre possible une explication raisonnable et admissible des faits qui semblent si inexplicables dans cette famille de coquilles bivalves.

M. Deshayes, dans un mémoire sur les Podopsides, publié depuis plusieurs années, a prouvé d’une manière irrévocable que, par un phénomène de la fossilisation dans certains terrains, les coquilles, la plupart composées de deux couches calcaires de nature différente, pouvaient être dissoutes en partie et en partie conservées. C’est la couche intérieure de la coquille qui est dissoute, tandis que la partie corticale persiste. En appliquant ce fait incontestable à la famille des Rudistes, dont les coquilles se trouvent le plus souvent dans les terrains où ce mode de dissolution a lieu, M. Deshayes arrive à la conclusion que ce que l’on nomme Birostre dans les Rudistes n’est autre chose que le moule intérieur d’une coquille dont la surface intérieure n’existe plus, puisque la partie du test qui la formait a été dissoute. S’il est vrai, dit M. Deshayes, que le Birostre soit le moule interne d’une coquille, ce que personne, au reste, ne conteste, il est très-facile de se faire une idée de cette coquille par un procédé bien simple auquel personne n’a songé. Lorsque l’on a un moule de Vénus, de Bucarde, ou de tout autre genre bien connu, si l’on veut se faire une juste idée de la profondeur des valves et des accidens divers que l’animal y a laissés, le moule étant d’une pâte assez fine pour avoir pris et conservé ces accidens, il suffira de prendre avec une matière plastique quelconque l’empreinte de ce moule, et l’on obtiendra par ce moyen la surface interne de la Vénus ou de la Bucarde, telle que l’animal l’avait faite. Ce procédé est exactement celui d’un mouleur qui, après avoir pris l’empreinte en creux d’une médaille, reproduit, à l’aide de cette empreinte, une imitation en creux d, tout ce que représente la médaille.

M. Deshayes a mis en pratique ce moyen à l’égard des moules des Rudistes ou birostres, et il est parvenu à reproduire exactement la coquille telle que l’animal l’avait faite.

M. Deshayes présente à la Société un birostre complet de la sphérulite foliacée et le résultat du moulage en plâtre de ce birostre. Il lui est facile de démontrer et de donner des preuves convaincantes que toutes les théories que l’on a proposées, que toutes les explications que l’on a données, sont autant d’erreurs. Tous les auteurs ont eu besoin de se jeter dans une foule d’exceptions, et de se mettre constamment en contradiction avec les principes les plus simples et, les plus généralement adoptés de conchyliologie, parce qu’ils n’ont pas compris les faits qu’ils ont observés.

Le résultat du moulage d’un birostre que présente M. Deshayes représente une véritable coquille bivalve avec tout ce qui constitue une coquille de cette classe avec tous ses caractères : ainsi dans la valve inférieure, on voit une cavité pour le ligament ; en avant, deux grandes cavités destinées à recevoir les dents cardinales de l’autre valve ; et latéralement en dehors de ces cavités, deux grandes impressions musculaires. Dans la valve supérieure, on trouve la cavité du ligament ; en avant, deux grandes dents cardinales, pyramidales, qui s’enfoncent dans les cavités correspondantes de la valve inférieure ; et de chaque côté de ces dents, deux impressions musculaires qui correspondent à celles de la valve inférieure, mais qui ont cela de particulier d’être saillantes dans l’intérieur de la coquille. À l’exception de ce caractère, qui est particulier aux Rudistes, ils rentrent dans la règle commune des coquilles bivalves ; puisque l’on y trouve un ligament interne, une charnière articulée et deux impressions musculaires latérales.

M. Deshayes conclut à l’adoption de sa manière de voir, parce que l’on y est conduit par l’observation et le moyen le plus simple et le plus rationnel, le moulage de birostre, et que l’on a pour résultat des coquilles bivalves qui rentrent dans les règles communes à toutes les coquilles bivalves, et qui ne sont peint en contradiction avec elles, comme on l’avait cru jusqu’alors.

M. Roulland déclare que les nombreuses observations qu’il a faits en étudiant les Sphérulites et les Hippurites, dont il a été à même de briser des milliers d’exemplaires, ne lui permettaient pas d’adopter le théorie de M. Deshayes.

1° Je n’ai point reconnu, dit M. Roulland, qu’il se soit opéré aucune dissolution de la partis intérieure du test des Sphérulites, et lorsque les conduits testacés que j’ai signalés dans le valve inférieure de ces coquilles existent, le birostre remplit parfaitement la cavité de la valve.

2° Sans vouloir émettre aucune opinion sur la destination de ces deux conduits, je ne puis partager celle que M. Deshayes a émise à ce sujet, d’abord parce que les côtés de ces conduit ne paraissent infiniment trop faibles pour recevoir des dents aussi considérables qu’il faudrait les supposer dans certains individus dont la valve inférieure atteint plus de 30 centimètres de long, puisque ces conduits, qui sont vides d’un bout à l’autre, s’étendent depuis l’ouverture jusqu’au fond de la valve. De plus, comme ces coquilles sont quelquefois recourbées au point paraître anastomosées, je demanderai comment ces énormes dents pourraient se mouvoir : d’ailleurs, comment supposer que la nature, toujours si sage dans ses œuvres, ait pourvu des coquilles dont la valve supérieure est généralement si légère, d’une charnière avec des dents aussi gigantesques. Je demanderai encore pourquoi les Hippurites, qui appartiennent à la même famille de mollusques, et qui présentent absolument les mêmes caractères dans la forme, la disposition et les rapports des deux valves, seraient totalement privées de charnière : ce qui devrait être ainsi, puisqu’elles sont dépourvues des deux conduits en question.

Je ne puis donc considérer les dents que M. Deshayes a cru reproduire au moyen de son ingénieux procédé que comme le meule intérieur seulement de ces creux conduits

Je n’ai pas l’intention, ajoute M. Roulland, de soutenir aucune opinion sur la destination des caractères organiques que j’ai découverts, dans les Rudistes ; mais puisqu’on me demande de faire connaître au moins ma pensée à cet égard, je dirai que je serais porté à regarder le double étui qui fait le sujet de la discussion comme propre à loger le ligament d’attache de l’animal qui habitait les Sphérulites, et que je ne puis reconnaître d’autre charnière dans les Rudistes, que le canal testacé qui se prolonge dans les deux valves de ces coquilles, depuis le fond jusqu’à l’ouverture, où il correspond parfaitement d’une valve à l’autre.

Ce canal, que l’on voit figuré dans la coupe transversale de la Sphérulite cylindracée que la Société a sous les yeux, me paraît en effet propre à recevoir le ligament destiné à joindre les deux valves, et je ne vois pas, je l’avoue, quelle autre destination l’on pourrait donner à ce caractère organique.

Au reste, comme je n’ai d’autre intention que celle de faire connaître l’organisation des Rudistes, sur l’histoire naturelle desquels il régnait tant d’obscurité, j’abandonne aux malacologistes plus instruits que moi le soin de reconnaître les fonctions des caractères que je signalerai dans le travail que je prépare à ce sujet, ainsi que la place que ces singulières coquilles doivent occuper dans l’échelle animale.

M. de Blainville fait quelques objections contre les idées de M. Deshayes.

On lit un mémoire de M. Tournal intitulé : Observations sur les ossemens humains et les objets de fabrication humaine confondus avec des ossemens de mammifères appartenant à des espèces perdues.

La découverte des cavernes à ossemens de Bize, près Narbonne (Aude), ne date que depuis quelques années seulement. Les faits nouveaux qu’elles m’ont présentes contrariant les idées généralement reçues, j’ai dû m’attendre à une forte opposition de la part des naturalistes mais principalement de la part de ceux qui avaient émis des idées contraires. Cependant la proposition qu’il n’existe pas d’ossmens humains fossiles ne reposant que sur des faits négatifs et sur la fausse interprétation donnée à la valeur de ce mot, il m’a semblé que la découverte d’un fait positif et la définition mieux développée du mot fossile devait forcer les esprits les plus difficiles à admettre non-seulement la contemporanéité de l’homme et de quelques espèces considérées jusqu’à présent comme fossiles, mais encore l’existence de l’homme à l’état fossile. En effet, de nombreux exemples sont venus confirmer mes premières observations. Les objets d’art que j’ai recueillis dans le limon et les brèches osseuses de Bise, ne peuvent pas nous indiquer à quelle époque le phénomène qui a comblé les cavernes à ossemens a eu lieu, ni quels peuples en ont été les témoins ou les victimes ; mais néanmoins la liaison qui existe entre les temps géologiques et les temps historiques est couverte d’un voile si mystérieux, que nous devons recueillir avec le plus grand soin tous les matériaux qui peuvent nous aider à éclairer cette importante question. La géologie peut seule jeter quelque jour sur l’histoire primitive du genre humain.

Il m’a semblé indispensable de faire précéder les considérations suivantes de quelques remarques sur ce que l’on doit entendre par diluvium et terrains diluviens, ainsi que sur la valeur du mot fossile. Assez généralement l’on entend par diluvium un terrain composé de fragmens roulés et de débris plus ou moins volumineux de roches de différente nature, d’amas de sable, de graviers, de marne et d’argile ; cet ensemble de dépôts, que l’on désigne aussi sous le nom de terrains diluviens, recouvre toutes les couches dont se compose l’écorce du globe, et n’est recouvert que par les alluvions des fleuves et par les produits volcaniques modernes ; le limon qui a comblé l’intérieur de certaines cavernes, et dans lequel on a obsœvé des amas prodigieux d’ossemens de mammifères terrestres, fait partie de l’ensemble de ces dépôts.

C’est avec l’époque de formation des terrains diluviens que certains géologues font coïncider la destruction de plusieurs races de mammifères, tels que certaines espèces de mastodontes, d’éléphans, de rhinocéros, d’hippopotames, d’ours, de lions, d’hyènes, de cerfs, etc., etc. Les géologues qui veulent soutenir le déluge de Moïse, regardent le diluvium comme l’effet d’un déluge universel, et pensent que les terrains diluviens ont été déposés d’une manière brusque et sous un cataclysme universel ; suivant eux, ce terrain ne renferme jamais des vestiges qui puissent indiquer l’existence de l’homme à cette époque : tous, au reste, sont d’avis que les corps organisés que l’on trouve ensevelis dans ce genre de dépôts méritent le nom de fossile.

D’après cette manière de voir, les terrains diluviens devraient être caractérisés par la présence des fossiles marins, puisqu’ils auraient été formés par une inondation marine générale. Or, il est bien prouvé qu’ils ne renferment des fossiles marins que sur les bords de la mer ; partout ailleurs, l’on n’y voit que des débris de coquillages terrestres et fluviatiles et des ossemens d’animaux terrestres, Nous devons encore ajouter qu’en général le diluvium est diversement composé suivant les localités, et que les matériaux qui le composent proviennent généralement des localités voisines, et que si dans quelques endroits il semble avoir été formé par de grandes révolutions, dans d’autres il paraît être le résultat de phénomènes lents et tranquilles, qui ont agi pendant une période de temps extrêmement longue. Nous devons dire aussi que, bien que les géologues admettent que les terrains diluviens ne se confondent jamais avec les dépôts actuels, il est incontestable qu’ils se lient, parce que les phénomènes qui ont donné lieu à la formation des uns et des autres n’ont jamais cessé leur action, et qu’il y a passage insensible entre l’époque actuelle (historique) et l’époque ancienne (géologique).

D’après cette dernière remarque, on doit voir qu’il est souvent très-difficile de distinguer les terrains diluviens des terrains plus modernes qui se déposent encore tous les jours. Les travaux et les observations de MM, C. Prévost, Boué et autres géologues, sont entièrement d’accord avec cette manière d’envisager les phénomènes diluviens et leurs liaisons avec les phénomènes de l’époque actuelle.

Bien loin donc d’admettre que les terrains sont le résultat d’une seule inondation brusque et passagère, il nous semble qu’ils sont le résultat des phénomènes locaux quelquefois lents, quelquefois brusques, mais qui ont agi pendant une période de temps extrêmement longue. La cause de ces phénomènes a pu être le redressement subit d’une chaîne de montagnes, le charriage lent et tranquille des matériaux fluviatiles, l’abaissement et la fréquence des eaux fluviales, et par suite le débordement des torrens, la fonte des glaciers, l’écoulement subit des eaux des lacs supérieurs, etc., etc. La question sur les terrains diluviens et le diluvium étant ainsi nettement posée, examinons quelles sont les conditions qui doivent nous faire regarder un corps organisé comme fossile, et d’abord rappelons la définition généralement reçue de ce mot.

L’on entend par fossile tout corps organisé, enseveli dans les couches régulières du globe. D’après cette définition, il ne peut y avoir aucun doute pour les corps organisés ensevelis dans les terrains anciens ; il ne peut y en avoir même pour ceux qui sont renfermés dans les couches les plus modernes, des terrains de sédiment supérieur. Il est bien évident que leur position seule suffit pour décider qu’ils sont fossiles, puisqu’ils sont renfermés dans les couches régulières du globe ; mais il n’en est pas de même pour les corps organisés que l’on rencontre dans les terrains de transport qui recouvrent immédiatement le terrain de sédiment supérieur car pour résoudre la difficulté, il faudrait que l’on pût indiquer où finissent les couches régulières du globe terrestre ; or, c’est ce qu’il est impossible de faire dans l’état actuel de la science. Je sais bien que quelques géologues admettent que le diluvium termine brusquement la série des dépôts réguliers ; mais nous avons vu plus haut que cela n’était pas, et que les terrains diluviens se confondaient avec les dépôts plus modernes.

Les caractères physiques et chimiques pris isolément ne peuvent non plus servir à déterminer si un corps organisé est fossile ou non. En effet, l’on donne avec juste raison le nom de fossile à des corps de nature et de propriétés entièrement différentes, à des empreintes, à des moules, soit intérieurs, soit extérieurs ; d’ailleurs, des ossemens modernes peuvent, sous l’influence de certaines circonstances, acquérir les mêmes caractères que les ossemens fossiles.

Quant aux pétrifications proprement dites, qui ne sont au reste qu’une manière d’être des corps organisés fossiles, l’on sait qu’il s’en forme encore de nos jours entièrement semblables à celles que l’on rencontre dans les terrains anciens, et sans parler même des incrustations produites par certaines sources minérales, il me suffira de rappeler comme exemples de véritables pétrifications, les graines de chara qui se pétrifient dans certains marais de l’Écosse ; le phénomène semblable qui a lieu pour certaines coquilles, dans le sein même de la Méditerranée, les bois silicifiés du pont de Trajan et les racines d’arbres en partie ligneuses, en partie calcaires, trouvées dans les sables des environs de Paris : il est donc bien évident que la nature des corps ne peut rien faire préjuger sur leur fossilité.

La position dans des limons ou des graviers ne peut pas également servir à déterminer si un corps organisé est ou non fossile, puisque nous voyons tous les jours sous nos yeux des ossemens d’animaux ensevelis par des causes naturelles, et que personne cependant ne regarde comme fossiles : or, comme il est impossible de distinguer les dépôts diluviens des dépôts plus modernes, la position seule d’un corps organisé dans des limons ou des graviers ne peut pas suffire pour mériter à ce corps le nom de fossile.

Suivant quelques géologues, ou pourrait regarder comme fossile tout corps enseveli par des causes naturelles. Si l’on voulait préciser la région où s’arrêtent les corps organisés fossiles, l’on aurait peut-être l’inconvénient de séparer ce que la nature n’aurait fait que nuancer.

Frappé de l’insuffisance des caractères que je viens d’exposer, et bien convaincu d’ailleurs qu’il est nécessaire, pour résoudre le question de l’existence des ossemens fossiles humains, de bien fixer les idées sur la valeur de ce mot, j’ai pensé que la présence dans un même dépôt d’une ou de plusieurs espèces animales bien caractéristiques et regardées par tous les naturalistes comme fossiles, devait suffire pour mériter à tous les corps organisés ensevelis dans le même dépôt, le nom de fossile, lorsque toutefois il est bien prouvé qu’ils sont contemporains, c’est-à-dire que leur mélange dans le même dépôt n’a pas eu lieu accidentellement, Or, il résulte des faits bien observés par plusieurs personnes et dans des localités différentes, que l’homme a été contemporain de quelques espèces animales maintenant disparues de la surface du globe, et parmi lesquelles on remarque l’hyène qui a reçu de M. Cuvier le nom de fossile, hyenna fossilis. Pour nous borner à deux exemples irrécusables, nous dirons :

1° Que nous avons observé, il y a deux ands, dans le limon et les brèches osseuses des cavernes de Bise, près Narbonne, des ossemens humains, des poteries, des bois de cerf, et d’autres ossemens travaillés confondus avec différentes espèces d’animaux, dont plusieurs appartiennent à des espèces perdues, et parmi lesquels on remarque des cerfs, des chamois, des chevreuils, des antilopes, des ours, etc. M. le professeur de Serre, avec qui nous devons donner en commun la description des cavernes de Bize, a de son côté fait les mêmes observations.

2° Que notre ami M. Jules de Christol, professeur de géologie à Marseille ; observé dans les cavernes du Gard des poteries et des ossemens humains associés avec des ossemens de rhinocéros, de cerf, de cheval, de bœuf et d’hyène (hyenna fossilis).

De ces faits bien observés l’on doit conclure, 10 que, des ossemens humains ayant été rencontrés enfouis dans les mêmes couches avec des ossemens de mammifères terrestres, considérés jusqu’à présent comme fossiles, l’existence des ossemens humains à l’état fossile ne peut être révoquée en doute ; 2° que, le limon au milieu duquel ces objets sont ensevelis étant regardé par tous les géologues comme faisant partie des terrains diluviens, l’existence des ossemens humains et des poteries anté-diluviennes ne peut également être contesté. Enfin, il résulte également des observations précédentes, qu’à une certaine époque, le département de l’Aude a été habité par des ours, des aurochs, des chamois, des cerfs, des chevreuils ; des antilopes, qui n’ont plus de représentans parmi les espèces actuellement existantes. À cette époque, l’homme vivait. déjà en société ; les objets de fabrication humaine que l’on trouve ensevelis avec les restes de ces anciens animaux, indiquent même un état de civilisation assez avancée. Là doit se terminer la tâche du naturaliste. Je ne puis cependant me dispenser de faire remarquer que probablement des observations postérieures agrandiront le champ de nos découvertes ; peut-être même parviendrons-nous a savoir à quelle époque ont vécu les hommes dont les ossemens, sont ensevelis dans les cavernes de Bize.

N. B. Les, poteries et les ossemens humains qui ont été trouvés dans les cavernes de Bize ont été déposés en partie dans les galeries d’anatomie du Muséum de Paris ; le reste existe dans la collection de M. Marcel de Serres et dans ma collection particulière.

Après la lecture du mémoire de M. Tournal, M. Roulland présente quelques considérations sur les grottes de Rancogne, d’après lesquelles il résulterait que les circonstances géologiques sous l’influence desquelles se sont formés les dépôts d’ossemens et d’objets de l’industrie humaine que l’on observe dans les grosses ossifères, se continueraient encore de nos jours. Les grottes qui ont été l’objet des observations de M. Roulland sont situées à six kilomètres environ au nord-est de Larochefoucaut, sur la rive droite de la Tardoire ; elles présentent, comme la plupart des cavernes du terrain jurassique, une suite de renflemens et de rétrécissemens, dont les parois sont recouvertes de stalactites de différentes formes. On y parvient par un long couloir, dont l’ouverture se trouve il quelques pieds au dessus du niveau moyen des eaux de la Tardoire, coule dans une direction à peu près perpendiculaire à celle des grottes. Elles sont traversées par un petit ruisseau formé par les infiltrations de la rivière.

M. Roulland, ayant fait creuser le plancher de ces grottes, y trouva une grande quantité d’ossemens mêlés avec des galets de différentes grosseurs, des débris de poterie et de roches calcaires des terrains environnans. M. Roulland, ayant reconnu positivement plusieurs ossemens humains au milieu de ce dépôts prit des informations qui font connaître qu’à différentes époques des hommes s’étaient réfugiés dans ces cavernes ; que des loups qui habitaient en grand nombre la forêt de la Braconne, où il en existe encore aujourd’hui, se retiraient aussi très-fréquemment dans les mêmes lieux et y portaient très-vraisemblablement leur proie ; que ces carnassiers avaient aussi quelquefois exhumé des cadavres du cimetière de Rancogne, situé immédiatement au-dessus des grottes ; enfin, qu’à certaines époques la Tardoire débordait et s’écoulait en partie dans ces grottes, où elle déposait une grande quantité de limon vaseux, qui se durcissait d’autant plus que ces débordemens étaient plus longtemps à se reproduire.

M. Boubée rapporte les observations qu’il a faites avec M. Beltrami, dans la grotte d’Ussat (Arriége). Cette grotte est creusée dans le calcaire compacte de transition, ou plutôt résulte de l’affaissement de deux couches épaisses qui sont appuyées l’une sur l’autre. Son entrée est élevée de plus 200 mètres au-dessus du sol de la vallée, et l’accés en est très-escarpé. Après une demi-heure de chemin dans l’intérieur de cette grotte, on rencontre un chaos de rochers épouvantables ; entassés les uns sur les autres, formant une muraille élevée de 60 mètres. De grandes échelles employées plusieurs fois successivement sont indispensables pour gravir ces rochers, et arriver à la seconde partie de la grotte. L’on y retrouve un sol parfaitement régulier, et il se présente tout de suite un large bassin pavé d’ossemms humains. Leur nombre est encore effrayant, malgré tout ce que l’on en a tiré depuis plusieurs années. En outre, on voit plusieurs tas de sable granitique refoulés dans les angles de la grotte, tandis que de toutes parts sont accumulés de gros cailloux bien arrondis de roches primitives, dont les unes granitiques sont en décomposition, et les autres résistent vivement au marteau. M. Boubée observe que les cailloux primitifs et les ossemens humains, ainsi que des débris de poteries et une mâchoire de mouton, qu’il y avait recueillis dans un précédent voyage, sont également recouverts de calcaire incrustant. Ayant fait creuser avec des pioches, MM. Boubée et Beltrami ont reconnu que les ossemens humains sont tous compris dans la couche épaisse de calcaire incrustant qui forme le sol de la grotte ; que parmi ces ossemens, il en est qui sont entièrement cachés et profondément empâtés dan ce calcaire, tandis qu’en grand nombre ne forment que des saillies sur ce sol concrétionné ; et enfin, que ce sol calcaire recouvre un depôt très-puissant de sable peu argileux, dans lequel ou retrouve bien des galets de toute grosseur disséminés, mais point d’ossemens.

Ce fait bien constaté leur a paru suffisant pour prouver que le terrain d’alluvion ancien qui remplit cette grotte date d’une époque bien antérieure a celle des ossemens humains ; cependant ils avaient été signalés comme d’époque diluvienne, et M. Boubée remarque à ce sujet que, dans bien des cas, l’on devrait distinguer ainsi soigneusement les débris humains, des circonstances qui semblent les accompagner. Mais cette grotte d’Ussat présente tant de faits remarquables et classiques pour l’étude des dépôts diluviens des cavernes, que M. Beltrami ou M. Boubée en feront le sujet d’un mémoire spécial.

M. de Beaumont rappelle les observations de M. Emilien Dumas de Sommières, qui a observé dans les dépôts ossifères de la caverne de Pondres (département du Gard) trois assises ; la supérieure est celle qui a fourni les ossemens et les poteries ; la moyenne est formée surtout par les excrémens de hyène, et l’inférieure par ce même album græcum et les ossemens d’animaux anté-diluviens. Sur la surface de la couche moyenne. M. Dumas a trouvé une dent humaine, mais elle a pu y être amenée accidentellement.

M. Reboul observe que M. de Christol décrit pourtant dans cette même caverne des poteries dans la couche la plus proche de son plancher, et jusqu’à 8 à 10 centimètres au-dessus de ce dernier.

M. Boubée explique le Tableau mnémonique des terrains primordiaux ci-contre qu’il emploie dans ses cours.

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Le but de ce tableau, ou résumé mnémonique de l’histoire et de la théorie des terrains primordiaux est d’exprimer que le granite forme la base des terrains primitifs, que les quatre roches qui l’environnent, et qui n’en sont que les modifications les plus immédiates se trouvent avec lui subordonnées dans les masses, et qu’il n’y a pas de raison pour placer l’une d’elles, la première, ou la seconde, mais qu’elles peuvent être toutes les quatre contemporaines, et de la même formation, en un mot, qu’elles sont parallèles dans la nature.

De plus, ce tableau doit montrer que les roches qui viennent après (jusques aux lignes ponctuées) bien qu’elles se rencontrent aussi subordonnées dans le granite, s’en écartent cependant davantage, et doivent, par conséquent, se trouver plus fréquemment dans la partie supérieure de ce terrain, en même temps que leur disposition rectangulaire annonce qu’aucune d’elles n’a de priorité, ni de position déterminée dans l’échelle linéaire des formations, et que l’on peut les y trouver aussi plusieurs fois en parallélisme.

Cette disposition, doit encore exprimer la nature ou la composition de chaque roche, et en quelque sorte sa description abrégée. Dans la première série, c’est le mica qui, par son abondance ou sa disposition, caractérise ces trois roches, et on se rappelle ainsi les passages insensibles du granite aux phyllades. Dans la seconde série des roches, le Talc joue le rôle de mica, et cela suffit pour en rappeler les caractères. La troisième série présente les roches où domine l’amphibole, en se souvenant que la syénite est quelquefois dépourvue de quarz, on conclut facilement que la disposition de l’amphibole caractérise, à elle seule, les trois roches ; que ce minéral est en lames disséminées dans le syénite, en lamelles à peu près continues dans le diorite, et en parties encore plus abondantes, ou même enveloppantes dans l’amphibolite. On doit se douter encore que, comme dans la première série qui lui est opposée, il existe, entre le granite et l’amphibolite les passages les plus insensibles. Enfin, dans la quatrième série, on retrouve les roches granitiques privées de l’un de leurs élémens. Il n’y a qu’à se rappeler que c’est le mica qui manque dans la pegmatite, que c’est quelquefois le quarz ou le mica, dans l’eurite, et que c’est le feldspath dans l’Hyalomicte.

Ces groupes. de roches ainsi formés paraîtront d’abord peut-être bien artificiels, mais c’est dans les voyages qu’on reconnaîtra combien ils sont la représentation de la nature, on verra alors que, lorsque le terrain primitif contient de l’amphibole, c’est principalement les roches de ce groupe qu’on trouve réunies ensemble, tandis que, un peu plus loin, et au même étage, on n’observera guère que les roches du groupe talqueux ou celles du groupe micacé, ou bien celles du quatrième groupe, les unes ou les autres presque toujours subordonnées au granite ou à la roche qui l’avoisine le plus dans la série, et les unes ou les autres plusieurs fois parallèles dans diverses contrées. Ainsi, pour ne citer d’exemples que parmi ceux que j’ai vus : de Bagnères à Bosost, en Espagne, on ne voit que des micaschistes, des granites, des gneis, des micaschistes et des phyllades ; à Soulan, dans la vallée de Massat, et à Seix, dans la vallée du Salat (Arriège), des granites, des protogines, des steaschistes et du talc pur. Dans la vallée d’Arnave, près Tarascon, des granites, des pegmatites, des diorites, des amphibolites, etc. Sur la route de Paris à Toulouse, dans la Haute-Vienne et la Corrèze, on voit fréquemment des granites, des pegmatites, et des hyalomictes, avec des curites et des gneis.

Ce tableau présenterait donc encore les coupes naturelles du terrain primitif, en exprimant toujours que chacune de ces roches peut se trouver isolée ou égarée au milieu de celles d’une autre série, et y remplacer l’une de celles qui lui sont correspondantes.

Il me semble donc que, lors même que ce tableau s’arrêterait à ces douze mots, il représenterait déjà assez exactement l’ensemble et la constitution du terrain primitif inférieur, et qu’en outre les coupes géognostiques de ce terrain, et les caractères ou la composition de ses roches s’y trouveraient heureusement exprimés.

Cependant j’aurais à craindre de vives réclamations pour le quarz en roche, pour le calcaire saccharoïde, pour les serpentines, les euphotides, etc. ; et certes il m’avait d’abord semblé qu’il serais difficile de les y faire entrer sans altérer la clarté et la simplicité du tableau ; je les avais même élagués à cause du rôle peu important que ces roches jouent dans le terrain primitif inférieur, que j’avais seul en vue : néanmoins, soit qu’il faille les y ajouter pour compléter le cadre de ces terrains, soit qu’en les y ajoutant, l’on veuille faire de ce tableau l’expression de tous les terrains primordiaux, il est évident que, sans faire violence à la nature, l’on pourra très-bien placer les schistes argileux, s’il en existe dans ce terrain, au-dessus des phyllades ; le quarz en roche après l’hyalomicte ; enfin, passer insensiblement de l’amphibolite à plusieurs variétés d’hemithréne, et arriver par de nouvelles nuances au calcaire saccharoïde dépouillé d’amphibole.

Mais il est encore une autre série de roches dans les terrains primordiaux ; ce sont celles dont on admet aujourd’hui généralement l’origine plutonique. J’aurais pu les exclure de ce tableau ; puisque l’on peut dire qu’elles sont hors de série, et qu’elles n’appartiennent pas plus aux terrains primitifs qu’aux divers autres terrains dans lesquels on les trouve injectées. Mais j’ai voulu m’efforcer de rendre plus complète cette représentation du sol primordial. Ainsi, la dolomie et le gypse n’étant que des modifications épigéniques du calcaire, sont venus se placer nécessairement après lui dans le tableau. Ces deux roches, qui représentent des couches de calcaire préexistant, peuvent se rencontrer partout où l’on pourrait trouver le calcaire primitif. Enfin, pour les roches d’épanchement, il fallait exprimer, par une simple disposition, leur nature orytognostique, leur position géognostique et leur formation géologique. J’ai donc été conduit à placer le porphyre à côté de l’eurite, parce qu’il n’est qu’une eurite porphiroïde ; la serpentine à côté du talc, parce qu’elle n’est qu’une roche talqueuse avec asbeste ou diallage, etc., disséminée ; et l’euphotide, entre le porphyre et la serpentine, parce qu’il participe de l’un et de l’autre, n’étant qu’une pâte de pétrosilex avec de la diallage et souvent de l’asbeste disséminé. D’un autre côté, cette disposition rappelle aisément que ces roches ont percé toutes les assises du terrain primordial pour se répandre par dessus ou entre les strates et à diffèrens étages. Ainsi la manière d’être en murs verticaux, en filons injectés, ou même en formations indépendantes, qui recouvrent et enveloppent d’autres terrains, me semble heureusement exprimée pour l’élève qui devra se rappeler aussitôt l’explication qu’on lui a donnée.

L’introduction de ces nouvelles roches, bien loin de rompre les rapports naturels, va compléter au contraire les coupes géognostiques des diverses localités que j’ai signalées comme exemples des quatre séries. Ainsi, dans le Limousin, les pegmatites et les hyalomictes sont fréquemment mêlées de quarz en roche. De Bosost à Saint-Béat les schistes argileux succèdent aux phyllades et passent au terrain de transition. Dans la vallée d’Arnave, les syénites et les amphibolites renferment des couches d’hémithrène très-belles et très-variées, roches qui passent par mille nuances à des calcaires saccharoïdes bleus, roses et blancs, dont les uns sont encore mêlées, d’amphibole, de pyrites et de mica, tandis que d’autres sont entièrement purs. Toutes ces masses, sont intercalées à plusieurs reprises et en couches à peu près verticales dans des gneis, des pegmatites, des granites et des syénites, ce qui est d’autant plus remarquable, que l’on y voit, en outre, une série de roches talqueuses qui, par les nuances les plus singulières, arrive jusqu’à une masse de gypse soute pénétrée de talc, de pyrites, de cristaux calcaires, de nodules de dolomie très-celluleuse et friable, et d’énormes rognons d’anhydrite. Ce gypse perd son talc à la partie inférieure et repose distinctement sur la syénite et le granite, tandis que c’est la série des roches talqueuses qui le recouvre. Ce fait justifie bien la place et l’introduction du gypse dans le tableau an même temps qu’il s’accorde avec l’idée que la plupart des gypses ne sont que des épigénies volcaniques de calcaires préexistans. En étudiant les dépôts ophiteux des Pyrénées, j’ai observé, notamment, que là où ces dépôts sont survenus, au milieu de calcaires anciens, primitifs ou intermédiaires, le gypse y est en masses presque sans argile, comme, par exemple, à la Cour et à Saint-Lary ; or l’on sait que ces calcaires anciens sont du carbonate de chaux presque pur et presque dépourvu d’argile. Lorsque ces dépôts se sont élevés au milieu des calcaires jurassiques ou crayeux, et c’est le cas le plus ordinaire, le gypse est tout pétri d’argile, qui quelquefois même y prédomine ; et l’on sait que ces calcaires supérieurs laissent dans les acides un résidu argileux très-abondant.

Dans tous les cas, l’on voit. que toutes ces roches que je viens d’ajouter dans ce tableau y sont parfaitement à leur place, sous tous les rapports ; car elles sont à la partie supérieure et aussi parallèles entre elles et à toutes les autres, cc qui représente à l’élève que ces roches constituent plus essentiellement les étages supérieurs des terrains primitifs ; que néanmoins elles pénètrent dans les parties inférieures en couches subordonnées, ou qu’elles ne forment que plusieurs bandes parallèles de telle sorte que ce très-petit tableau (de moins de trente mots) exprime, sans qu’on puisse s’empêcher de les lire du même regard, toutes les considérations générales et de nombreux détails qui, dans les livres, forment le sujet du plusieurs chapitres, et qui, dans les coupes géologiques, ne peuvent être représentés que par des faits isolés et déterminés, ce qui court risque toujours de donner une idée fausse de la nature, en ayant l’air de la réduire à une seule et immuable loi.

Enfin, j’ajouterai sur ce tableau les espèces minérales que l’on trouve dans les roches primordiales. Elles n’y sont encore que représenté par des traits ─. Les minéraux qui ne se trouvent que dans le granit seront avec lui sur la même ligne ; ceux que l’on trouve exclusivement ou plus particulièrement dans les diverses roches de chacune des quatre séries, seront à la place des traits qui leur sont parallèles : ainsi le grenat, la disthène, la staurotide, la macle, etc., seront rangés sous la série micacée, parce qu’ils semblent la caractériser, quoique l’on les trouve encore, mais plus rarement, dans des roches étrangères à cette série. Les minéraux qui, comme le fer oxidulé, le fer chromaté, le quarz agate, etc. ; ont un gisement remarquable dans les roches d’épanchement, seront écrits sur la même ligne verticale. Enfin, ceux qui se retrouvent dans plusieurs roches diverses sans en caractériser aucune spécialement, et dont on peut dire seulement que l’on les rencontre dans les terrains anciens, seront disposés tout autour du tableau en divers groupes, qui puissent rattacher à leur énumération quelque ; indications générales ou théoriques. L’on voit encore que par leur disposition ces minéraux participeront à tous les avantages et a toutes les conséquences du parallélisme rectangulaire, qui fait le mérite de ce tableau.

De cet exemple, qui n’est que le résumé synoptique de la géognosie des terrains primordiaux, il me semble que l’on pourrait peut-être déduire, non pas à titre de conclusion, mais plutôt comme une sorte de démonstration géologique, la proposition suivante : Que les trois principales formations du terrain primitifs, le granite, le gneis et le micaschiste, les formations moins importantes que quelques auteurs intercallent entre les premières, enfin les formations moins générales que l’on place communément plus haut, ou que l’on sépare quelquefois sous le nom de terrains primordiaux supérieurs, pourraient bien ne constituer qu’une seule et même formation, en considérant ce mot sous son véritable sens, et en élaguant les roches qui sont dues évidemment à des injections plutoniques, et qui par cela seul doivent former une série indépendante.

En effet, tout le monde sait en géologie que ces prétendues formations passent de l’une à l’autre par les alternances et les passages les plus multipliés et les plus insensibles, et que l’on ne peut assigner, ni généralement ni en détail pour chaque localité, le point de limite où l’une finit et où l’autre commence. Personne n’ignore que, dans chacune de ces prétendues formations, l’on retrouve toujours les mêmes roches, et presque toutes celles qui sont signalées dans ce tableau ; dans un cas, quelques-unes sont simplement subordonnées ou peu abondantes, tandis que dans un autre, elles forment les masses principales. Tout le monde a dû remarquer encore que, dans chacune de ces formations, ce sont à peu près les mêmes espèces minérales que l’on trouve disséminées ; seulement que les unes sont rares dans les formations inférieures et abondantes dans les formations supérieures, ou réciproquement. Mais, en définitive, si, comme pour les roches, on fait le relevé des espèces minérales que les divers géologues les plus recommandables assignent à ces divers terrains, et surtout si l’on les recueille dans les descriptions de géognosie locale, l’on trouve à peine une ou deux espèces minérales qui demeurent exclusivement dans chacune de ces formations ; et puisque, depuis les travaux modernes, ce nombre va toujours décroissant, qu’il est aujourd’hui réduit à si peu de chose, l’on ne peut pas affirmer que demain un voyageur des contrées lointaines n’apportera pas dans le granite un minéral que l’on ne croyait appartenir qu’aux phyllades ou au calcaire saccharoïde.

Sans doute, il semble qu’un pays couvert de micaschiste ne saurait être rapporté à la même formation que celui où l’on ne voit à peu près que du granite ou du gneis. Cependant ces roches n’offrent que les mêmes élémens ; tout ce qui semble les distinguer si fortement, n’est qu’une différence de texture et de proportion dans la quantité relative de ces élémens, et non-seulement ces élémens sont les mêmes, mais les minéraux disséminés sont encore à peu près les mêmes. Pourquoi donc supposer qu’ils n’appartiennent pas à une même formation ? et n’est-il pas vrai que l’on trouve du granite au milieu ou même au-dessus de ce micaschiste, et réciproquement du gneis et du micaschiste dans ce granite et avec les mêmes minéraux ?… Il semble donc véritablement qu’il n’y a, pour distinguer ces prétendues formations établies dans les terrains primordiaux, ni caractères géognostiques, ni caractères minéralogiques ; il n’y a pas non plus de caractères zoologiques : il ne reste donc que des conventions, et l’on sait que chacun propose et conserve les siennes.

Pour moi, si je désire une telle réunion, ce n’est pas pour faire un nouveau système, c’est uniquement dans la vue de diminuer et de détruire même, puisque c’est possible, l’obscurité et la confusion qui règnent dans les terrains primitifs, obscurité qui résulte de ce qu’il n’y a rien de tranché, rien de décisif, et que le jeune géologue voit toujours la même chose dans sept à huit formations où l’on l’oblige à trouver des différences.

Si ce système de parallélisme et d’équidistance qui caractérise ce tableau mnémonique existe véritablement dans la nature, toutes ces roches diverses doivent n’appartenir qu’à une seule et même formation, d’autant plus riche minéralogiquement, que le règne minéral occupait alors exclusivement toute la nature. Il ne s’agit donc que d’apprendre à distinguer et à reconnaître ce petit nombre de roches ; le géologue voyageur n’aura pour décrire un pays de terrain primitif, qu’à signaler exactement celles de ces roches qui s’y rencontrent et les circonstances qui les y accompagnent ; Ainsi avec beaucoup moins de recherches de la part du voyageur, la contrée sera tout aussi bien connue par cette description, qu’elle peut l’être, lorsque, pour y reconnaître telle ou telle de ces formations, à mon avis, arbitraires, le géologue aura peut-être supprimé quelques faits, en aura exagéré quelqu’autre, et aura toujours perdu beaucoup de temps, sans être jamais bien satisfait.



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