Briefwechsel zwischen Leibniz und Malebranche

Briefwechsel zwischen Leibniz und Malebranche
Die philosophischen Schriften (p. 315-361).




Briefwechsel
zwischen
Leibniz und Malebranche.
1674(?)—1711.


Während seines Pariser Aufenthalts suchte Leibniz die Bekanntschaft der berühmtesten Männer jedes Faches zu machen. Als vornehmster Vertreter der Cartesianischen Philosophie galt damals Nicolas Malebranche, Priester des Oratoriums (geb. 1638, gest. 1715), der zugleich auch ein tüchtiger Mathematiker war.[1] Es läßt sich nicht ermitteln, wann und durch welche Gelegenheit es Leibniz gelang, Malebranche, der ein zurückgezogenes Leben führte und wissenschaftliche Discussionen nicht liebte, persönlich näher zu treten.

Das erste Schreiben Leibnizens an Malebranche, das kein Datum hat, vielleicht aber 1674 oder 1675 geschrieben ist, giebt den Inhalt einer Unterredung zwischen beiden wieder. Es handelte sich um die Frage, ob das Wesen der Materie lediglich in der Ausdehnung bestehe. Sie wurde von Malebranche bejahet, von Leibniz bestritten. Um zu einer Entscheidung zu kommen, macht nun letzterer in diesem ersten Schreiben eine Zusammenstellung von Sätzen, deren Beweis er verlangt, wenn er die Behauptung Malebranche’s als richtig kennen soll. Da die Antwort Malebranche’s etwas knapp gehalten ist, so erneuert Leibniz in einem zweiten ausführlichen Schreiben seine Polemik, ohne jedoch mit seiner Meinung bestimmt hervorzutreten.

Im Jahre 1679 knüpfte Leibniz von Hannover aus den Briefwechsel mit Malebranche wieder an; es waren ihm die Conversations chrétiennes, als deren Verfasser Malebranche genannt wurde, durch die Prinzessin Elisabeth, Schwester der Herzogin Sophie von Hannover, zugekommen. Er urtheilt beifällig über die Schrift, geht aber sofort zu einem heftigen Angriff auf Descartes über. Sein Ton ist hier nicht so behutsam, wie in den ersten Briefen; man sieht deutlich, wie bedeutende Fortschritte in der Erkenntniß er selbst gemacht hat. Je suis persuadé, bemerkt er, que sa (Descartes) mécanique est pleine d’erreurs, que sa physique va trop vite, que sa géométrie est trop bornée, et enfin que sa métaphysique est tout cela ensemble. Malebranche wird jedoch weder durch dieses allgemeine Urtheil, noch dadurch, daß Leibniz in dem folgenden Schreiben speciell über die Metaphysik des Descartes sich verbreitet, aus seiner Zurückhaltung gebracht.

Im Jahre 1684 begann Leibniz mit seinen Angriffen auf Descartes öffentlich hervorzutreten. Der Abhandlung: Meditationes de cognitione, veritate et ideis, folgte 1686 der Aufsatz: Brevis demonstratio erroris memorabilis Cartesii et aliorum circa legem naturalem, secundum quam volunt a Deo eandem semper quantitatem motus conservari, qua et in re mechanica abutuntur, in dem er zeigte, daß der von den Cartesianern behauptete Satz, daß die Quantität der Bewegung in dem Universum immer unverändert bleibe, falsch ist. Der Abbé Catelan, ein Schüler und Freund Malebranche’s, reproducirte den Leibnizischen Aufsatz in den Nouvelles de la République des lettres desselben Jahres und antwortete darauf. In den so entstandenen Streit, für den die zuletzt gedachte Zeitschrift als Kampfplatz diente, wurde auch Malebranche verwickelt; er hatte bereitsin dem 6ten Buche der Recherche de la Vérité das eine Cartesianische Princip, daß die Ruhe irgend welche Kraft implicire, aufgegeben, das oben erwähnte aber noch aufrecht erhalten. Malebranche antwortete in einer besondern kleinen Schrift: Traité des loix de la communication des mouvemens, die im Jahre 1692 erschien. Unter Beibehaltung des Cartesianischen Princips entwickelte er darin die Gesetze der Bewegung zuerst für absolut harte Körper und im leeren Raume, sodann wenn die Körper weich und elastisch angenommen werden, und handelte zuletzt von den Hindernissen der Bewegung, die durch das umgebende Medium und andere Umstände entstehen. Leibnizens Bemerkungen darüber, die hier zuerst veröffentlicht werden, die vielleicht aber in anderer als der vorliegenden Form Malebranche zukamen, so wie die weiteren Abhandlungen dynamischen Inhalts, die Leibniz bis zum Jahre 1698 in den Actis Eruditorum Lips. erscheinen ließ, bewirkten, daß Malebranche endlich das von ihm bisher noch festgehaltene Cartesianische Princip, daß die Quantität der Bewegung im Universum unverändert bleibe, ausgab, sich ganz für Leibniz erklärte und im Jahre 1698 seinen Traité des loix de la communication des mouvemens überarbeitete und verbesserte

Die Correspondenz zwischen Leibniz und Malebranche schließt mit zwei Briefen aus dem Jahre 1711, welche die Theodicée betreffen, die Leibniz sofort nach ihrem Erscheinen an Malebranche übersandt hatte.


Die Briefe Leibnizens an Malebranche sind zufolge einer Notiz, die Guhrauer in den Anmerkungen zum 1sten Theil der Lebensbeschreibung Leibnizens S. 69 mittheilt, zuerst veröffentlicht in: Lettres au P. Malebranche et au P. Lelong, Paris de l’imprimerie de F. Didot 1820. Diese Schrift ist aber nur in 30 Exemplaren für die Mitglieder der Société des bibliophiles gedruckt und deshalbso selten, daß selbst Cousin von ihr keine Kenntniß hatte. Er ließ sich Abschriften aus der Königlichen Bibliothek in Hannover kommen und veröffentlichte darnach die Correspondenz zwischen Leibniz und Malebranche in: Fragments Philosophiques, Philos. moderne, IIe partie. – Für den vorliegenden Abdruck sind die Originale von neuem verglichen worden.


I.
Leibniz an Malebranche.

En retournant chez moy, j’ay medité sur ce que nous avions dit de part et d’autre. Il est tres vray, comme vous avez bien reconnu, qu’on ne sçauroit faire assez de reflexion sur toutes les choses pendant la chaleur de la conversation, à moins que de s’assujettir à des loix rigoureuses, ce qui seroit trop ennuyeux. Mais il est bien plus commode d’observer ces loix sur le papier. Je l’ay voulu essayer.

Nous estions sur cette question si agitée, sçavoir si l’espace est reellement distinct de la matiere, s’il y peut avoir un vuide, ou si plustost tout ce qui est étendu est matiere. Vous soûteniez le dernier, sçavoir que l’essence de la matiere consiste dans l’étendue seulement. Et pour prouver que ce vuide prétendu ne seroit qu’une portion de la matiere, vous me fistes remarquer, que ce vuide a des parties reellement distinctes, par exemple un vase tout vuide, separé en deux par un corps qui le coupe. Or tout ce qui est reellement distinct d’un autre, en est separable, à ce que vous disiez. Donc les parties de ce vuide sont separables ; donc elles sont mobiles ; donc ce vuide pretendu est une portion de la matiere. Ou, pour parler un peu plus formellement, et par propositions :

1) Le vuide (celuy du vase susdit, par exemple) a des parties reellement distinctes ;

2) Deux choses reellement distinctes sont separables ;

3) Deux choses etendues separables sont mobiles ;

4) Tout ce qui a des parties mobiles est matiere ;

5) Donc le vuide pretendu proposé est matiere.

Dans ce raisonnement je suis obligé de demander la preuve de deux propositions, sçavoir de la seconde et de la troisieme. Je vous avois déja contesté la seconde, mais à present je vois que la troisieme n’est pas sans difficulté, et je commenceray par elle.

Je demande donc, qu’on prouve que deux choses lenducs separables sont mobiles, ou peuvent changer de distance. Je naurois pas besoin de donner la raison qui me faii douler, car en matiere de demonstralion on a tousjours raison de douter d’une proposition qui nest pas prouvée. Je le fais pourtant pour vous faire mieux entendre ma pense.

Soit l'espace vuide ABCD, separé en deux parties par le corps EF, je dis que l'espace ABFE est separable de l'espace EFCD, sans mouvement,

ou sans s'éloigner de luy, savoir par la destruclion de l'un sans la destruclion de l'aulre. Car supposant que le vase du cosl6 droit soit courb6, ou que le Parallelogramme AB FE soit chang6 en figure courbe EGFEj je dis quune partie de Tespace entier ABCD, scavoir DE FC reste, et que Tautre, scavoir ABFEy est dtruite, et chang en EG FE, Et il ne faut pas dire que le premier espace AB FE reste encor, quoyquil ne soit plus design par aucun corps, parce que je croy devoir soütenir, que les parties dans le continu n’existent quautant qu’elles sont determines effectivement par la matiere ou par le mouvement. Donc je concluSy que les parties de Tespace peutent estre separes quoyque sans eloignement, puisque Tun de ces deux lieux vuides rectilignes a fait place k un lieu vuide curviligne. Mais je ne pretends pas vous prejuger par là, en cas que vous puissiez prouver par une raison k part que Telongabilite ou mobilit d’un etendu est une suite de la separabilite, quoyque Tloignement, comme je viens de prouver, ne soit pas une suite de la Separation. Voila pourquoy je demande la preuve de la troisieme proposition. Je viens maintenant k ia seconde, scavoir que deux choses reellement distinctes sont separables. Yostre preuve, ce me semble, se reduisoit à cecy : \) Deux choses reellement distinctes peuvent estre enlendues parfai lerne nt, Fune sans Tautre. J’adjoute ce mot par fa item ent, pai*ce que je le croy conforme k vostre senliment.

2) Deux choses intelligibles parfaitement l'une sans l'autre, peuvent estre l'une sans l'autre, ou sont separables.

3) Donc deux choses reellement distinctes sont separables.

Jay bien medité là dessus, et voicy de quelle maniere je demeurc daccord de la seconde proposition de ce prosyllogisme : Si entendre parfaitement une chose est entendre tous les requisits suffisans k la consiituer, alors j’avoue cette proposiiion, scavoir : Quand lous les requisits suffiSans a constituer une chose peuvent estre entendus, sans quon entende tous les requisits suffisans à constituer l’autre, l’une peut estre sans l’autre. Mais ainsi je naccorde pas la premiere proposition de ce prosyllogisme, scavoir, que deux choses estant reellement distinctes, tous les requisits de l’une peuvent estre tousjours entendus, sans entendre les requisits de l’autre.

Neantmoins, si vous pourrez prouver vos propositions universellement, sans avoir égard à ma distinction, à la bonne heure.

J’espere que vous jugerez par ce que je viens de dire, que j’ay taché de débarrasser la chose, que j’ay écrit cecy pour l’amour de la verité, et que je ne suis peut estre pas tout à fait indigne d’instruction. Et je vous asseure que vous ne me sçauriez convaincre, sans tirer de moy un aveu sincere de vostre avantage.

Apres cela peut estre que vous me reconnoistrez pour philosophe, c’est à dire amateur de la verité, avec autant de passion que je suis etc.


II.


Malebranche an Leibniz.


Je croy qu’il y a encore bien plus de temps à perdre et de difficultez à vaincre dans les disputes par écrit, que dans celles qui se terminent dans la conversation. Vous en voyez bien les raisons. Cependant puisque vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, vous souffrirez bien que je vous reponde.

Vous niez deux propositions, dont voicy la premiere : Deux choses reellement distinctes sont separables ; et vous dites sur la preuve de cette proposition, que quoyque deux choses soient reellement distinctes, tous les requisits de l’une ne peuvent pas toujours estre entendus sans les requisits de l’autre. À quoy je vous repons que cela n’est point vray dans les estres absolus, mais seulement dans les manieres des estres et dans toutes les choses qui consistent dans les rapports ; car les estres absolus n’ont point de requisits, leur idée est simple. Vous pouvez penser à une partie d’étendue sans penser à une autre ; mais si deux parties d’étendue se joignent et que vous les vouliez separer, alors il faut penser à une autre tendue qui les separe. Ce requisit est conü necessairement ; mais on voit clairement quil est aussi possible que les aulres pariies d’tendue qu’on concevoit jointes soient separes.[2] On n’y conoit point de contradiction, si ce n’est que Ton suppose ce qui est en question, que Tetendue est immobile.

La seconde proposilion que vous niez est celle cy : deux choses tendues separables sont mobiles. Cela me paroist evident. Car si Ton conoit que rtendue qui separe deux parties dtendue croisse ou augmente incessamment, les deux parties d6tendue s’ioigneront sans cesse, et par consequent clles seront en mouvement. Et je ne vois pas que, si Ton peut mettre rtendue dun pouce entre deux parties d<tendue, on ne puisse mettre un pied, une toise etc. Au reste, je tombe daocord que les parties de Fetendue sont separables, en ce que Tune peut estre dlruite sans Tautre, mais cela nempeche pas que Tune ne puisse sloigner de Tautre, si ce nest que Ton veuille toujours se representer Ttendue comme immobile, cest à dire supposer ce qui est en question.

Voila, Monsieur, ce quil est necessaire que je reponde pour satisfaire à votre lettre. Je ne vous en dis pas davantage, parce que jespere, en vous rendant les civilits que je vous dois depuis si longtemps, vous repondre plus clairement et plus agreablement sur les difficultez que vous me ferez Thonneur de me proposer. Je suis etc.

III.

Leibniz an Malebranche.

Je conois fort bien, que ceux qui ont la faciiit de comprendre et de s’enoncer trouvent plus de plaisir dans les conversations que dans les disputes par rit ; mais ceux qui sont aussi pesans que moy. ne peuvent pas les suivre ; car ils se trouvent arr6tez par tout, au Heu que les Berits leur laissent le loisir de mediter. Cela estant, il est conforme à Tequit, et mme à la Charit, que ceux qui sont plus parfaits, ayent queique condescendance pour les foibles. Je voy que vous en avez assez pour moy, et que cesi peutestre la seule raison, qui vous peut avoir engag6 à me rpondre. Je ous en suis oblig, el je vous supplie seulement, de ne pas regretter |uelques heures que vous pourrez encor employer à achever de minstruire le la maniöre que vous avez commenc.

Il y a deux questions, l’une si la separabilité est une suite de la listinclion reelle, Tautre si la mobilité est une suite de la separa»ilite. Vous affirmez Tun et Fautre, et vous entreprenez de le prouver. avois trouv que vostre preuve suppose que deux choses reellement distinces peuvent tousjours estre parfaitement entendues l’une sans l’autre : je vous ivois pri dans ma lettre de le prouver de la maniere que je le nioiS) sfaoir que tous les requisits de Tune peuvent tousjours estre entendus sans |u’on entende tous les requisits de Tautre. Vous distinguez dans vostre re»onse entre les estres absolus et respectifs ; vous dites que les estres absolus iont point de requisits : or les eboses dont il sagil, savoir deux parties de ’espace, sont des estres absolus ; done, puisqu’ils n’ont point de requisits, il era vray, que l’une pourra estre parfaitement entendue, sans qu’on entende »arfaitement l’aulre, ou que tous les requisits que Tune peut avoir, puissu’elle n’en a point, seront entendus, sans qu’on entende tous les requisits le Tautre, puisque Tautre neli a point non plus. Cest tres bien distingu. lais il vous reste à prouver que deux estres, tels que sont les parties de ’espace, n’ont point de requisits. Chez moy, tout ce qui peut estre produit, des requisits hors de luy, scavoir ceux qui ont concourru à sa proluction. Or les parties de Tespace sont produites par le mouvoment du orps qui le coupe ; donc elles ont des requisits. Vous entreprenez pourtant se prouver le contraire, et cela ainsi :

Les parties de l’etendue ne sont pas des manieres d’estre, ou estres espectifs, mais des estres absolus ;

Les estres absolus ont une idée simple ;

Les choses dont l’idée est simple n’ont point de requisits ;

Donc les parties de l’espace n’ont point de requisits.

De la maniere que vous expliquez par ce raisonnement même, ce que vous appelez Estres absolus, je suis obligé de ne pas accorder, que is parties susdites sont des estres absolus : il n’y aura même que Dieu et les perfections ou attributs qui seront absolus en ce sens là.

Vous inserez quelques raisonnemens à part. Vous dites qu’on peut penser à une partie d’un etendu sans penser à toutes les autres. Je reponds, qu'autre chose est y penser, et autre chose est l'entendre parfaitement, ou entendre tous les requisits, quand il y en a.

Au reste, je suis tousjours en droit de supposer qu'il n'est pas necessaire, que tout etendu soit mobile, jusqu’à ce qu’on le prouve : et celuy qui répond à une preuve peut tousjours supposer ce qui est en question, tandis qu'on ne prouve point l'impossibilité de sa supposition.

Cela me doit servir aussi pour repondre à ce que vous dites au second article, sçavoir que la mobilite est une suite de la separabilité. Votre preuve est :

Ce qui separe deux choses tendues est entre deux ;

Ce qui est entre deux choses, peut estre conceu augmenter de grandeur ;

Ce qui est entre deux choses augmentant de grandeur, augmente leur distance ;

Ce qui augmente la distance de deux choses, les met en mouvement ;

Donc, ce qui separe deux choses tendues, les met en mouvement.

Je réponds en niant la premiere proposition de ce raisonnement, savoir que ce qui separe deux choses étendues se met tousjours entre elles, puisque j’ay djà declaré dans la premiere lettre, que j’appelle Separation, non seulement l'eloignement, mais encor la destruction d’une chose sans l'autre : et jay fait voir par un exemple, comment il y a une Separation, sans éloigement.

Vous avez preveu, que je ferois cette réponse, et vous dites incontinent apres : »Je tombe d*accord, que les parties de l'étendue sont separables, »en ce que l'une peut estre détruite sans l'autre ; mais cela n'empeche pas, que l'une ne puisse s’eloigner de l'autre, si ce nest qu’on veuillo »tousjours se representer l'etendue comme immobile, c'est-à-dire supposer »ce qui est en question.«

Mais vous vous pouvez Souvenir que jay dit en termes exprs, dans ma premiere lettre, que ce que je disois, n’empeche pas ce que vous dites, pourveu que vous le prouyiez : et j’ay protesté, qu’en faisant voir qu’il y a une Separation sans éloignement, je ne veux pas vous prejuger, en cas que vous puissiez prouver, qu'il ny a point de separabilité sans elongabilité. Mais je niattendois a cette preuve, et je croyois pouvoir cependant supposer ce qui est en question.

Je suis asseure que vous jugerez vous même, qu'il faut encor quelque chose pour faire conceuvoir clairement la nccessite de la mobilite de tout ce qui est tendu ; et je soubaite que vous m’en fassiez pari, si vous avez en main quelque chose qui puisse satisfaire. Je reconnois quil est souvent difficile denoucer nos pensöes et de faire sentir aux autres ce qui nous paroist coQvainquant : mais je tiens aussi que c’est alors que nous avons une dmonstratioQ achev, quand nous sommes en estat de Fenoncer d’une maniere incontestable à Tgard de tout homme qui voudra prendre le sein de l’examiner de point en point.

Enfio, pour vous rendre justice, vous pourriez avoir’ raison de desirer, qu’un adversaire vous prouvt iuy mroe qu’il y a quelque ötendue immobile, si vous aviez à faire à un adversaire ; mais vous n’en trouvez point en moy, qui suis en humeur dapprendre, et non pas en estat d’enseigner. Vous pouvez adjouter, quau moins la presomtion est, que tout ce qui est etendu est mobile, jusquà ce quon prouve qu’il y a quelque 6tendu immobile. Je rponds que je trouve en moy cette presomtion conIrebalancee par un certain pencbant que tous les hommes ont de conceuvoir un espace distinct de la matiere.

Je suis etc.

IV.

Leibniz an Malebranche.

à Hanover ce 13 de Janvier 1679.

Cellecy est à deux fins, scavoir pour me conserver Favantage de vostre connoissance, et pour vous adresser ce gentilhomme Allemand qui a beaucoup desprit, de jugement et de curiosit6, comme vous reconnoistrs aisement.

Jay veu vos Conversations Chrestiennes par la faveur de Mad. la Princesse Elisabeth, aussi illustre par son S9avoir que par sa naissance ; eile en juge tres avantageusement, comme en effect, il y a bien des choses tres ingenicuses et fort solides. Jy ay mieux compris vostre sentiment que je navois fait du temps pass en lisant la Recherche de la Verit, parce que je navois pas eu alors asss de loisir. Je voudrois que vous n’eussis pas öcrit pour les Cartesiens seulemeut, comme vous avpus vous m6me ; car il me semble que tout nom de secte doit estre odieux à un amateur de la verite. Des Cartes a dit de belles choses ; c’estoit un esprit penetrant et judicieux au possibte. Mais comme il nest pas possible de tout faire à la fois, il na fait que donner de belies ouvertures, sans estre arrivö au fonds des choses ; et il me semble qu41 est encor bien eloignö de la veritable analyse et de Tart d’inventer en general. Car je suis persuad que sa mecanique est pieine d’erreurs, que sa physique va trop viste, que sa Geometrie est trop borne, et enfin que sa Metaphysique est tout cela ensemble.

Pour ce qui est de sa Metaphysique, vous avez fait voir vous mme son imperfection ; et je suis tout à fait dans vostre sentiment touchant Fimpossibilit quil y a de concevoir quune substance, qui na rien que Tetendue Sans pense, puisse agir sur une substance qui n’a rien que la pense sans 6tendue. Mais je eroy que vous n’aves fait que la moiti du chemin, et qu’on en peut encor tirer dautres consequences que Celles que vous faites. À mon avis, il s’ensuit que la matiere est quelque autre chose que Ttendue toute seule : dont je croy dailleurs qu’il y a dömonstration.

Je suis tout à fait de vostre sentiment, lorsque vous dites que Dieu agit de la plus parfaite maniere qui seit possible. Et quand vous dites dans un certain endroit, quMl y a PEUTESTRE contradiction que rhomme seit plus parfait qu’il n’est par rapport aux corps qui i’environnent, vous n’avies qu’a eflacer ce pcutestre. Je trouve aussi que vous faites un tres bei usage des causes finales, et jay eu mauvaise opinion de Mons. des Cartes qui les rejette, aussi bien que de quelques autres de ses endroits, oü le fonds de son ame paroist entrouvert.

Je vous supplie de me recommander à M. Arnauld, quand vous en trouvers Toccasion, et de luy temoigner que j’honoreray toute ma vie sa vertu et son savoir, qui sont ögalement incomparables.

Je voudrois S9avoir si vostre M. Prestet continue à travailler dans Tanalyse. Je le souhaite, parce qu’il y paroist propie. Je reconnois de plus en plus Fimperfection de celle que nous avons. Par exemple, elle nc donne pas un moyen seur pour resoudre les problemes de l'Arithmetiqu' de Diophante ; elle ne peut pas donner methodum tangentium inversara, cest «1 dire Irouver la ligne courbe ex data tangentium ejus proprietate ; elle ne donne point de voye pour tirer les racines irrationelles des equations des plus hauts degrs ; elle est bien eloignöe des problemes des quadratures. Enfin, je pourrois faire un livre des recherches oü elle narrive point, et oü quelque Gartesien que ce soit ne sauroit aniver sans inventer quelque methode au delà de la methode de des Cartes.

Si j'ay le loisir, j’espere de faire un jour en sorte qu’on reconnoisse, par quelque chose d'effectif, combien il s’en faut que M. des Cartes nous ait donné le fonds de la vraye methode ; et sans parier d’autres choses, on verra alors qu’il y a déja moyen d’aller au delà de sa Geometrie, bien plus que la sienne passe celle des anciens.

Quoyque je ne sois pas dans tous vos sentimens, je trouve neantmoins tant de belles pensöes dans vos écrits, que je souhaite que vous continuies de nous en donner. Je suis avec estime et passion etc.

P. S. Je souhaite d’apprendre des nouvelles de Messieurs des Billettes et Galinee ; et je vous supplie de charger l’un d’eux de ma part de me reCommander à M. le Duc de Roannez, si vous ne le voys pas vous mme ; car en ce cas, je vous supplie de luy temoigner que je nay pas oubliö de mediter quelquesfois sur quelques unes des belles pens6es que je luy dois.


V.

Malebranche an Leibniz.

Je vous suis tres oblige de l'honneur de v6trc Souvenir et de la connoissance du Gentilhomme Allemand que vous m’avez adressö. 11 a bien du merite, et je voudrois bien quMl seust que je l’honore extremement. On donne ici à M. l'Abbe Catelan le livre des Conversations Chrétiennes, que vous m'attribuez. Quoique je Faye Id plus d’une fois, je n’y ai point reHiarqu quil avouast qu’il ne fust fait que pour les Cartesiens, comme vous le dites. Du reste, Monsieur, je ne croi pas bien des choses que vous dites de M. Descartes. Quoique je puisse demontrer qu'il s'est trompé en plusieurs endroits, je vois clairement, ou je suis le plus stupide des hommes, qu’il a eu raison dans certaines choses que vous reprenez en lui. Votre lettre me donne la liberte de parier comme je fais. Et, si je ne craignois point d'abuser de votre loisir, et que je crusse devoir mappliquer a des choses que j’ai quiltees pour mappliquer à daulres qui sont plus essentielles, je vous prierois de me dire les raisons que vous avez pour defendre vos senlimens.

Le pauvre M. de Galinee est mort en Italie, il y a environ un an. Son dessein etoit de voyager quelques années dans l'Orient, mais il a fini tristement pour nous son voyage environ un mois aprs etre sorti de Paris. 11 y a 6 mois que M. des Billettes a la fivre ; il en est presque revenu. M. Arnaud a aussi Id malade, mais il se porle parfaitement bien. L'Auteur des Elemens est maintenant pretre de l'Oratoire ; il y a environ 2 ou 3 ans que je l’ai mis dans l’Oratoire, et depuis ce tems il n’a point pensé à l’Algebre. Il va neanmoins revoir son livre pour l’edition nouvelle, quand elle se fera. Le public vous seroit, Monsieur, tres obligé, si vous vouliez donner au jour la methode que vous avez pour pousser ces sciences comme vous me le faites esperer. On imprime ou l’on a même achevé d’imprimer les Lieux Geometriques et la Construction des equations de M. de la Hire. Je vous prie, Monsieur, dovoir toujours quelque amitié pour etc.

VI.

Leibniz an Malebranche.[3]

J’ay receu vostre lettre pour laquetic je vous ay de l’obligation ; un peu apres j’ay aussi receu les Meditations sur la metaphysique, que je ne puis aussi altribuer quà vous, ou au moins a ce M. FAbbe Catelan, h qui vous donnes les Conversations Chrestiennes, qui doit ostre babile homme, et qui est tout à fait entre dans vos sentimens. J’ay lu ces Meditations, non pas comme on lit un livre ordinaire, mais avec soin ; et si vous agrs mon ingenuite, je vous diray ce que j’ay pense ]à dessus. J’approuve merveilleusement ces deux propositions que vous avanc6s, S9avoir que nous voyons loutes choses en Dieu, et que les corps n’agissent pas proprement sur nous. J’en ay tousjours est persuado par des grandes raisons qui me paroissent incontestahles, et qui dependent de quelques axiomes que je ne vois encor eroployos nulle pari, quoyquon en puisse faire grand usage encor pour prouver quelques aulres theses qui ne cedent gueres à celles dont j’ay fait mention.

Pour ce qui est de l’existence et de la nature de ce que nous appelons corps, nous nous trompons encor plus que vous ne dites, et je vous accorde qul seroit mal aise de prouver qu’il y a de TeHendue hors de nous de la maniere qu’on Tentend. Mais pour ce qui est des esprits autres que nous, il y a demonstration de leur existence, et il en doit avoir plus qu’on ne pense. Il n’y a gueres de difficulte touchant la perpeluit de tous les esprits, quand ils existent une fois ; mais il y en a beaucoup touchant leur commencement, tel quon se le figure.

Je trouve aussi fort veritable ce que vous dites de la simplieite des decrets de Dieu, qui est cause de cc qull y a quelques inaux parliculiers : autrement Dieu seroit oblige de changer les loix de la nature à tout moment. 11 faut pourtanl dire \à dessus quelque chose de plus ; et je me souviens d’avoir monstr un jour un petit dialogue a Mons. Arnaud et à MoDS. des Billeltes, qui alloit fort avant, et qui, à mon avis, ne laissoit plus de doute sur la libert, si ce nest qu’on en veuiüe etablir une notion absurde et contradictoire. Quidquid agit, quatenus agit, liberum est. 11 faut dire aussi que Dieu fait le plus de cboses quHI peut, et ce qui Toblige à chercher des loix simples, c’est à fin de trouver place pour tout autant de choses quil est possible de placer ensemble ; et sMl se servoit d’autrcs loit, ce seroit comme si on vouloit employer des pierres rondes dans un batiment, qui nous ostent plus despace quelles n’occupent.

Pour ce qui est de Fame des bestes, je crois que vous en jugeris bien autrement que des Cartes, si vous regardies vos propres positions du mme cost6 (fue moy, qui en suis persuad6, mais par des raisons differentes des voslrcs, car Celles que vous donns dans vos Meditations ne me paroissent pas asss convaincantels et ne menent pas oü elles doivent. Je ne dis cela ny par vanit ny par un esprit de contradiction, et je tiens cette remarque necessaire ; car jay reconnu par une longue experience que nos pensees sont confuses, tandis que nous nen avons pas des demonstrations rigoureuses. Cest pourquoy je croy quon pourroit raisonner un peu plus familierement en matbematiques, oü les cboses se reglent delles mmes, mais quon doit raisonner avec plus de rigueur en metaphysiqne, parce que nous y manquons du secours de Timagination et des experiences, et que le moindrc faux pas y fait des mecbans efTects dont il est difficile de sappercevoir.

Je croy que ce que vous approuves en Monsieur des Cartes, et que je ne saurois goüter, vient de cc que nous ne nous entendons pas bien. Je liens pour asseur que les preuves qu’il apporte de Texistence de Dieu sont imparfaites, tandis quil ne prouve pas que nous avons une idee de Dieu ou du plus grand de tous les estres. Vous me dires qu’ autrement on n’en pourroit pas raisonner. Mais on peut raisonner aussi du plus grand de tous les nombres, qui ne laisse pas d’impliquer contradiction aussi bien que la plus grande de toutes les velocits ; c’est pourquoy il faut encor beaucoup de meditations profondes pour achcver celte demonstration. Mais quelcun me dira : Je conois le plus parfait de tous les estres, parce que je concois mon imperfection et celle des autres estres imparfaits, quoyque plus parfaits peutestre que moy ; ce que je ne saurois sans savoir ce que cVst que Festre absolument parfait. Mais ceia nest pas encor asss convainquanty car je puis juger que le binaire n’est pas un nombre infinimeot parfait, parce que jay ou puis appercevoir dans mon esprit Tidee d’un autrc noDibre plus parfait que luy et encor d’un autre plus parfait que celuycy. Mais apres tout je n’ay pas pour cela aucune ide du nombre infini, quoyque je voye bien que je puis tousjours trouver un nombre plus grand qu’un nombre donne, quel qu’il puisse estre.[4]

La distinction de Tarne et du corps nest pas encor prouve entierement. Car puisque vous avou6s que nous ne concevons pas distinctement ce que cest que la pensee, il ne suffit pas que nous pouvons douter de Fexistence de rtendue (c’est à dire de celle que nous concevons distinctement) sans pouvoir douter de la pensee ; cela, dis JO ; ne suffit pas pour conclure jusq’ oü va la distinction de ce qui est ötendu et de ce qui pense, paixe quon peut dire que cest peutestre nostre ignorance qui les distingue, et que la pens renferme Ttendue d’une maniere qui nous est inconnue.

Cependant je suis persuad6 de toutes les verites susdites, *non obstant rimperfection des preuves ordinaires, à la place des quelles je croy de pouvoir donner des demonstrations rigoureuses. Gomme j’ay commence a mediter lorsque je n’estois pas encor imbu des opinions Cartesiennes, cela m’a fait entrer dans Tinterieur des cboses par une autre porte et decouvrir des nouveaux pays, comme les estrangers qui fönt le tour de France suivant la trace de ceux qui les ont preceds, n’apprennent presque rien dWtraordinaire, à moins quils soyent fort exacts ou fort heureux ; mais celuy qui prend un chemin de travers, mmes au hazard de s6garer, pourra plus aisment rencontrer des choses inconnues aux autres voyageurs.

Vous m’av6s rejoui en mapprenant le parfait retablissement de la sante de Mens. Arnaud. Dieu veuiile quUl en jouisse encor longtempsl car oü trouverions nous une personne qui luy ressemble ? Je vous supplie de Fasseurer de mes respects. Si M. des Billeltes est à Pans, et si vous le voyez, Monsieur ayes la bont6 (je vous en prie) de luy tmoigner que sa maladie m’a afflig ; j’espre qu’elle sera pass6e, et je souhaitte quelle ne revienne pas ; car le public doit s’interesser dans la conservation des personnes qui luy peuvenl eslre aussi utiles que luy. Pour ce qui est de la mort du pauvre M. Galine, j’avoue que cette perte m’a touch : il savoit tant de heiles cboses ; et il auroil bien fait de se dcharger sur un imprimeur avant que draller en Orient.

Je voudrois que vostre auteur des Elemens qui est dans FOratoire, nabondonndt pas tout à fait FÄlgebre, pour laquelle il a un talent particulier. Mais je croy que ce qui fait quMl ne sy applique plus, est qu’il simagine que lout ce quil y a de beau est d6ja fait, et que le resle ne seroit quun travail ; mais je ne suis pas de ce sentiment, et j’ay trop d’experiences de ce qu’on y peut encor faire dHmportant et de beau. Car jay souvent cherch des problemes, qui m’opt men6 à des calculs tout autres que les ordinaires. Mais, dirs vous, comment est il possible de Irouver des calculs d’une aulre espece ? Je ne puis repondre à cette question que par un exemple : Seit une equation : a— b egal à c, et une autre equation : d’ + e 6gal à f. Je suppose que a, b Cy dj e, f, sont grandeurs oonnues ou donnes ; il s’agit de trouver les deux inconnues z ei y ; et il peut qu’un tel probleme puisse eslre quelques fois resolu en nombres ……[5] ou quelques fois par la regle et le compas, et mnie par les Coniques ou lignes plus composes, quelques fois aussi par les lignes que j’appelle transcendantes, et qui sont inconnues à M. des Cartes. Mais il est bien difticile de manier ces sortes de calcul. Cependant Falgebre est imparfaite, si eile n’en est pas la maitresse. Je vous supplie, Monsieur, d’y penser et d’y faire penser Vauleur des Elemens. Je finis, en vous disant que je suis avec zele, Monsieur, etc.


Unter den Leibnizischen Papieren findet sich der Entwurf eines Briefes, der zwar die Aufschrift »Monsieur« hat (in allen Briefen Leibnizens an Malebranche lautet dieselbe: Mon Reverend Pere), jedenfalls aber seinem Inhalte nach an Malebranche gerichtet ist. Leibniz hat darauf bemerkt: „ist nicht abgangen.“ Da in demselben Leibniz sich ursprünglicher, frischer und zugleich ausführlicher über sein Verhältniß zu Descartes ausspricht, als in dem vorstehenden an Malebranche abgeschickten Schreiben, so mag er hier folgen:

J’ay receu voslre lettre qui m’a fort rejoui en m’asseurant de la bonte que vous aves de songer à une personne qui vous estime beaucoup. Je n’ay pas enlendu parier que je scaclie de ce M. TAbb Gastellan qui doit estre habile homme, puisque vous dites quon luy donne le livre des Conversations Chrestiennes, donl les penses ayant tant de rapport aux vostres, ne m’ont pas 1aiss6 songer à un autre que vous. Je n’ay pas à present ce livre, Sans cela je vous marquerois Tendroit oü il semble dire asss clairement qu’il est 6crit principalement pour les Gartesiens. Et en effect prens quel jeune homme qu’il vous plaira, à moins que d’estre dja imbu du Gartesianisme, il ne parlera jamais comme Eraste.

Je souhaitterois de comprendre distinetement les raisons qui vous fönt parier avec tant d’asseurance en faveur de ces sentimens de M. des Cartes que je n’ay pas encor pü gouster. Gomme j’ay grande opinion de vostre cspril, je me defie de naoy m6me, et quoyque je croye aussi d’avoir des raisons bien evidentes de mon cost, neantmoins comme je nay pas encor pCi les reduire en forme de demonstration rigoureuse que je trouve absolument necessaire dans les raisonnemens de longue haieine, sur tout dans les matieres abslraites, oü Fimaginalion nous est peu secourable et oü il est aise de se tromper quaqd on se relache tant soit peu, je crains tousjours de faillir de nestre tromp. C’est pourquoy je vous aurois beaucoup d’obligation si vous pouvis un jour dissiper les doutes que j*ay sur les propositions suivantes : premierement que la matiere et Tetendue ne sont quune mme chose ; secondement que Tesprit peut subsister sans estre uni à quelque corps ; troisiemement que les raisons de Fexistence de Dieu de M. des Cartes sont bonnes ; quatriemement que toute la verile depend de la volonte de Dieu ; cinquiemement que la raison que M. des Gartes apporte a Fegard de la Proportion des refractions est valable ; sixiemement quiT se conserve tousjours la mme quantite de mouvement dans les corps. Je ne veux pas toucher à son Hypothese physique, car on ne la scauroit prouver qu’en expliquant les phenomenes de la nature. Je ne veux pas aussi parier de son arc-en-ciel, quoyque les experiences de Mons. Neuton fassent douter si M. des Gartes a bien expliqu la nature des couleurs. Et pour ce qui est de l’aimant, tandis qu’on ne peut pas trouver par Thypothese de M. des Gartes le secret des deciinaisons, je douteray tousjours si eile est bonne. Les plus habiles analoinistes croyent que Tusage de la glande pineale est peu vraisemblable, et que le mouvement que M. des Cartes donne au coeur et aux muscles, est dtruit par Texperience. Les experiences du vif argent fönt bien voir que M. des Cartes n’avoit pas encor asss expliqu les causes des meteores. L’usage et mme la marque de la vefitable science consiste à mon avis dans les inventions utiles quon en peut tirer. Mais je ne voy pas encor qu’aucun Cartesien ait trouv6 quelque chose dutiie par la Philosophie de son maistre, au Heu que nous devons au moins les commencemens des pendules et des experiences appelles du vuide aux pens6es de Galilei. 11 semble que la moisson de la philosophie de des Cartes est faite ou que son esperence a. esl detruite en herbe avec la mort de son auteur, car la pluspart des Cartesiens ne sont que des commentateurs, et je soubaiterois que quelqu’un entre eux fut capable d’adjouter autant à la physique que vous avs contribu6 à la metapbysique. Qui plus est, si toute la physique de des Cartes estoit accorde, eile serviroit de peu. Car enfin le premier et le second element sont des choses difficiles à mapier ; pourrat-on jamais trouver ou executer une formule comme cellecy : Recipe libram unam secundi elementi, unciam semis corporis famosi, drachmam materiae subtilis, misce, fiat aurura. Je croy qu’il faudroit peutestre un livre aussi grand que ce globe terrestre pour expliquer quel rapport quelque corps sensible peut avoir aux premiers elemens, s1ls estoient mme veritables et connus. On le peut juger par les experiences du microscope. Car il y a peutestre jusquà 800,000 pelits animaux visibles dans une goutte d’eau, et chacun de ces animaux est quasi encor aussi loin des premiers elemens, que nous le sommes, puisqull est encor un corps qui a beaucoup de rapport aux animaux ordinaires. Il y a mme lieu de craindre qu’l n ait peutestre point delemens, tout estant effectivement divis à Finfini en corps organiques. Car si ces animaux miscroscopiques estoient encor composes d’animaux ou plantes ou corps heterogenes à Finfini, il est visible qu’il n’y auroit point d’Elemens. Non obstant toutes ces considerations, je ne laisse pas avoir concu une haute estime pour M. des Cartes, et il y a peutestre peu de gens qui s’appercoivent aussi bien que moy de ia grandeur de son esprit. Certes de tous les auteurs qui Tont preced et dont nous ayöns les ouvrages, il n’y a qu’ Ärchimede et Galilei qui puissent entrer en iice avec luy. Il est vray qu’il nous reste peu des pens6es d’Arcbimede, et quoyque je trouve que Galilei dit tousjours quelque chose d’exquis lors quil est oblig de Iraiter quelque maliere que ce soit, de sorte qu*il ei !kl est à souhaiter qu’on luy eust donn6 oecasion d’crire davanlage, neanlmoins j’avoue qu’il n’a pas asseurement le genie aussi vaste que des Cartes, mais en recompense il sattachoil davantage au solide et à Tutile, au lieu que M. des Cartes par ambition d’etablir une secte, s’est laiss aller à dire bien des choses, ingenieuses au possible, mais souvent incertaines et steriles. Neantnioins je conseillerois tousjours.à un amateur de la verit dapprofondir son Systeme, car on y voit une adresse desprit admirable, et sa physique toute incertaine quelle est, peut servir de modele à la veritable, qui doit pour ie moins estre aussi claire et aussi bien concerte que la sienne ; car uo Roman peut estre ass6s beau pour estre imit par un historiographe. Pour Tabreger : Galilei excelle dans Tart de reduire les mecaniques en science ; des Cartes est admirable pour expliquer par des belles conjecturos les raisons des eifects de la nature, et il eust eslö à souhaitter qu’il eüt pü s’appliquer davantage à la medicine qui est toute conjecturale, et neantmoins necessaire. Mais Archipede, si nous devons croire aux bistoires, avoit un talent qui manque à ces deux, cest qu’il avoit Tesprit merveilleux pour inventer des machines utiles à la vie :

La Geometrie est ce que j’estime le moins en Mens, des Cartes ; il est asss aisà de tirer de Fanalyse de Viele la pluspart de ce quMI en dit, et si Viete ne s’est pas servi des lignes courbes au dessus du cercle, c’est qu’il estoit dans la persuasion que ces coustructions n’estoient pas geometriques ; car il avoit un peu trop de respect pour les anciens. On n’a qu’à examiner de prs ses ouvrages pour juger ce quil estoit capable de faire en Geometrie. Mais apres tout la Geometrie de Viete et des Cartes est a proportion de ce qu’on peut faire à present, comme les Elemens d’EucIide sont a Tegard d’Archimede ; il s’en faut beaucoup que tous les pro blemes se puissent reduire aux equations : par exemple qu’on trouve une ligne courbe C{C] de teile nature, que si on mene d’un point pris dans la courbe C ou (C) une ordonnee CB ou (C){B) et une tangente CT ou (C){T) jusqu’a Taxe TsT]BsB], la partie de Taxe intercepte entre Tordonne et la tangenle, savoir TB ou (r)(Ä), soit tousjours egale h une mme ligne droite donnee de grandeur A, La pluspart des plus beaux problemes de mecanique reviennent à de telles questions de geometrie qui ne sont ny planes ny cubiques ny sursolides etc., mais de toute autre nature. Pour manier ces problemes, il faut une toute autre espece d’analyse plus differente de celle de Viete et des Cartes que la leur n'est de l'Algebre de Cardan.

Mais si la Metaphysique de Mons. des Cartes estoit bien demonstrée, je restimerois infiniment au dela de tout qu’on pourra jamais faire en Geometrie ou Mecanique. Et je dis en verit que jaimerois mieux d’eslre contenl là dessus que d’avoir trouv un tresor. Gar quVst ce que tout le reste au prix de Dieu et de Tarne. En effect j’ay une amour demesur pour cette divine science : et je m’etonne de voir qu*elle est si peu estim6e. Les hommes sont partags ordinairement : ceux qui aiment les belies lettres, la jurisprudence, les histoires ou affaires, ne sauroient presque souffrir qu’on leur parle des sciences reelles ; un Physicien ou Machiniste se moque des sublilits des Geometres, et les Geometres ordinairement tiennent que les abstractions ne sont que des reveries. Pour moy, je me trouve forcé d'estimer egalement toutes les verites à proportion des consequences quon en peut tirer ; et comme il n’y a rien de si fecond ny de si important que les verites generales de metaphysique, je les aime au delà de ce qu’on S9auroit croire. Mais je souhaiterois de les voir tablies avec cette rigueur dont Euclide s’est servi en Geometrie. Et puisque nous sommes en train, je vous diray, Monsieur, ce que je trouve à redire au raisonnement de M. des Cartes, lorsqull pretend de reduire ses penses en forme de demonstration, à la fin de sa reponse aux troisiemes objections, car je les y trouve ramasses en petit. À l'egard des definitions dont il sy sert, je fais cette remarque generale, qu’on ne peut pas faire des demonstrations exactes, sans estre asseur que les definitions qui servent de base- ces demonstrations sont possibles. Gar si ces definitions, ou si vous voules, ces cboses definies sont impossibles, elles enfermeront contradictions, et si elles enferment contradictions, on en peut tirer des consequences contradictoires en m6me temps, et par consequent toutes les demonstrations quon en tirera, ne serviront de rien, car peutestre que le contradictoire de ce que nons avons demonstr, ne laissera pas destre vray, puisque le principe (quod contradictoria non possint simul esse vera) a seulement Heu dans les notions possibles. On voit par là que les definitions ne sont pas absolument arbitraires, comme plusieurs ont crü.

Je ne dis rien aux definitions en particulier, car l'occasion s’en presentera dans la suite, et il n’est pas necessaire icy d’examiner les demandes, car elles nentrenl pas dans la demonstralion, ne servant quà preparer Tesprit. Je viens aux axiomes, et je trouve que le deuxieme (tempus praesens a proxime praecedenti non pendere etc.) a besoin de demonslration ; car posant une fois quune chose existe, elle ne cessera pas dexisler sans quelque nouvelle raison. On peut dire au quatrieme axiome quicquid est perfectionis in re, est in prima ejus causa, pourveu quil y en ait une. Car sil y avoit un progrs des causes à Tinfini, il ny auroit point de premiere cause. J*avoue que cette objection nauroii pas lieu, si le 2 axiome estoit prouv6. Il y a quelque difficult6 k Pegard du 7™ axiome : Res cogitons si norit cogitationes, quibus careat, eas sibi statim dabit si sini in sua potestate. Il fout adjouter cette. limitalion : si noverit esse perfectiones ac in sua potestate esse, ac denique se illis carere. La verit du 9 axiome depend du 2"*, et par consequent il souffre la même difficulté. Il semble que le dixieme axiome peche pour ainsi dire par obreption, prenant comme pour accordi6 que l'existence necessaire et l'existence parfaite ne sont qu’une même chose. Passons maintenant aux demonstrations mêmes. La premiere proposition ou preuve de l'existence de Dieu peche manifestement contre deux remarques que nous venons de faire, premierement parce quelle donne lieu à l'obreption que j’ay remarque au 10 axiome dont elle se sert, et en deuxieme lieu parce qu’elle se sert de la definition de Dieu pour prouver qu'il existe, n'ayant pas prouvé que cette definition est possible. Car il n’est pas bien asseur6, si un estre infinimcnt parfait n’implique pas contradiction, comme motus celerrimus, numerus maximus et autres iv>tions semblables qui sont asseurement impossibles. Mons. des Cartes dans sa rponse aux deuxiemes objections articulo secundo demeure dacoord de cette analogie inter Ens perfectissimum et Numerum maximum, nii que ce nomhre implique. Gependant il est ais de le demonstrer. Nam numerus maximus idem est cum numero omnium unitaüim. Nijmerus autem omnium unitatum idem est cum numero omnium numerorum (nam quaelibet unitas addita prioribus npvum semper numerAmi facit). Numerus autem omnium numerorum implicat, quod sie ostendo : Cuilibet numero datur respondens numerus par qui est ipsius duplus. Ergo numerus numerorum omnium non est major numero numerorum partum, id est totum non est majos parte. Il ne sert de rien de repondre que nostre esprit fini ne comprend pas i’infini, car nous pouvons demonstrer quelque chose de ce que nous ne comprenons pas. Et icy nous comprenons au moins Fimpossibilit, si ce n’est qu’on veuille dire qu’il y a un certain tout qui n’est pas plus grand que sa parlie. Vous me dir6s, qu’il y a une id6e de Testre parfail, puisque vous penss à cet eslre, donc il est possible. Mais on repondra qu’on diroit par la mme raison quil y a une ide du plus grand nombre et quon peut penser h luy, cependant nous voyons qu’i ! implique. Il est vray qu’il y a des raisons de distinguer en cecy ces infinis impossibles, comme le nombre et le mouvemeni et autres choses semblables, de Testre souverainement parfait. Mais il faut des raisonnemens nouveaux et asss profonds pour s’en asseurer.

La deuxieme proposilion ou preuve de Texistence de Dieu est imparfaite.[6]

VII.

Malebranche an Leibniz..

L’auteur des Meditations Metaphysiques est Monsieur l’Abbé de Lanion. Quoiquil nait point mis son nom, il ne s’en caebe point. Je le scai parce qu’il me Va dit et à plusieurs autres personnes que je connois. Ainsi, Monsieur, ne m’altribuez point, sil vous piaist, cet ouvrage.

Un gentilhomme Allemand[7] est passé ici, et qui, je croi, doil vous aller voir ; lequel, à ce que Ton dit, et que je ne croi pas possible, a trouvé le moyen de faire evanouir tous les termes d’une Equation, hormis le premier et le demier. Quoique je ne m’applique nullement depuis bien du temps }li ces sortes d’etudes, je serois pourlant bien aise de savoir si cela est possible ; et je ne doute pas que vous ne vous donniez la peine de Texaminer lorsque ce gentilhomme vous le communiquera.

L’Auteur des Elemens est persuad qu’il y a bien des decouvertes à faire sur Tanalyse, mais il a peine a s’appliquer à ces sortes dtudes ; je Tai pourtant port à revoir son ouvrage pour le faire plus exact. Il y a longtems, Monsieur, que vous nous faites esperer quelque chose sur cette matiere, et sans doute vous pouvez …[8]

Monsieur des Billeltes a toujours la fievre quatre ; i pensa mourir il y a enviroD deux mois. Je pense que vous scavez que Mrs. Arnaud et Nicole ne paroissent plus ; ils se sont cachs : je nen sai pas les raisons particulieres. 11 y a des gens qui disent qu’ils sont allez à Rome, mais je ne croi pas que cela soit vrai.

Je ne sai point douvrage ni de nouvelle decouverte dont je puisse allonger ma lettre. Ainsi permettez de me dire, Monsieur etc.

À Paris ce dernier Juillet (1679).

VIII.

Leibniz an Malebranche.

4 Aoust 1679.

Je ne scavois rien de la retraite de Messieurs Amauld et Nicole, et je vous supplie de men faire scavoir les particularites quand vous les saurs.

Les Gonversations Ghrestiennes de M. TAbh Catelan et les Meditations Metaphysiques de M. TAhbe de Lanion onl tant de rapport à vos penses de la Recherche de la Veril6, que je ne croy pas mVstre fort trompe en vous joignant. Je vous supplie de me faire S9avoir un peu plus de parlicularils de ces Messieurs et de leurs semblables, car je prends grand plaisir à connoistre des personnes de cette force. Je suis bien aise que des gens d’esprit et de merite s’appliquent à la metaphysique, car il y a encor des choses importantes à d6couvrir. Vous passes finenient tout ce que javois mis en avant pour entrer en cette matiere.

À Tegard des racines des Equatipns, voicy mon opinion : Je tiens pour impossihle de resoudre toutes les equalions geometriquement, par la seule invention des moyennes proportionnelles ; mais je ne tiens pas pour impossible dexprimer la valeur de Tinconnue de Tequation generale de chaque degre par une formule irrationelle, à Texemple des racines de Gardan ; car je croy que les racines de Gardan sont generales pour Tequation cubique, non ohstant Timaginaire qui entre quelques fois dans Texpression ; et je croy de vous en avoir dit quelque chose de vive voix. Je distingue l’Analyse (c’est à dire l’expression des valeurs) de la Geometrie, c’est à dire des moyens de construire. Je tiens la valeur de l’inconnue trouve analytiquement, lorsque je la puis exprimer absolument et purement par une formule veritable ; car quoyque cette formule ne soit pas tousjours propre à la construction, elle ne laisse pas d’estre tousjours le but de l’Algebre, qui cherche les valeurs pures, et on n’est jamais arrivé à la connoissance parfaite de l’inconnue qu’on cherche (faisant abstraction des lignes et nombres) que lorsqu’on a eu cette valeur, par exemple : x³ + p x seq. q equation generale, dont la racine est x aequ.

qui est la veritable valeur de l’inconnue en tous les cas, non obstant la Variation des signes. Et il faut bien qu’elle soit la racine, puisqu’elle satisfait tousjours à l’equation.

Mais pour le vous prouver a priori, n’est il pas vray que

2 + y — 1 +2 — V — 1 est une grandeur veritable ? Ouy, sans doute, car elle vaut autant que 4. Or le cube de 2 + V — est + 2 + 1 1 V — \, donc V+2 + Viy est autant que 2 + V . Tout de mme V+ 2— 1 h f

est autant que 2 — V] donc + 2 + i\fZr\ f 4. 2 _ H f — 4 est autant que 4. Äinsi, si la racine de Cardan vous avoit donné cette formule

X aequ. V + 2 + \i V — 1 + r4-2 — iiV — 1, vous tireris la racine cubique de + 2 + 11 V — 1, et vous auris + 2 + V — 1, et de mme de +2 — 11 y — 1, vous auri +2 — V — 1, et joignant ensemble ces

deux racines, vous auries x egal à K+ 2 + 11 V — 1 + K + 2 — 1 1 V — 1, c’est à dire à + 2 + /HT-f- 2— T, c’est à dire à 4.[9]

Mais pour tirer la racine cubique ou autre d’un tel binome, comme , la regle de Schoten qui est à la fin de son commentaire, ne suffit pas, et il faut une autre que j’ay trouve, et qui est sans comparaison plus generale et plus belle. Mais lorsque la racine ne se peut tirer d’un tel binome imaginaire, la somme composée des racines des deux binomes imaginaires V + a + V — b + V + a — V — b ne laisse pas d’estre tousjours une grandeur veritable, et la destruction de l’imaginaire se fait en effect virlucileuienl, quoyqu’on ne le puisse faire voir en nombres ; mais ma regle d’exlraction ie fall voir au moins par une appropinquation aussi exacte quc Ton veut.

Cela estant bien entendu, vous ne trouverds plus eirange, si je vous dis quon pourra irouver des racines generales pour les degrs superieurs, comme par exemple pour le cinquieme. En eifecl, jay Irouv des essais en crtains cas, et je puis donner les racines irrationnelles de quelques equa tions indeprimables du cinquieme, septieme, neuvieme degre etc. à Tinfini. Par là jay reconnu une voye infaillible pour arriver aux racines generales de quelque degr6 que ce seit. Mais pour en rendre le calcul ais, il faudroil premierement sc faire certaines Tables, que je n’ay pas encor eu le loisir de dresser.

J’avois toutes ces choses estant encor à Paris, oü estoit aussi alors ce gentilhomme Allemand, dont vous aves entendu parier et donl je fais graiid cas. Il est ail depuis en Ilalie et revenu à Paris ; je les luy ay communiqu6es, et je Tay encourage à les pousser. Il avoit espere auparavant de trouver des racines parliculieres pour toutes sortes d’equations d’un mme degre, tromp par nos auteurs, qui asseuroient que les racines de Cardan n’estoient que particulieres dans le troisieme ; mais je luy fis voir quelles sont veritablcment generales, et quil est impossible den (rouver dautres pour les autres cas. Depuis ce temps là il y a fort travaille, et il mVn a fait rapport de temps en temps. Mais jusqu’icy il n est pas encor venu à beut du cinquieme, comme j’ay juge par la lettre Ires ample quil m’a ecrile il y a quelque temps, à laquelle j’ay rpondu en luy marquant ce qui empecheroit encor Texecution de son projet. La chose est plus difficile quon ne pense. Cependant j’ay demonstration du succs. Mais il sera necessaire de faire certaines tables d’Älgebre, autrement il faudroit trop de calcul. Les tables que j’ay projettöes seroient d’un secours merveilleux pour toute TÄlgebre. Mais en voila ass6s. Je voudrois bien scavoir si à present M. le Duc de Roannez est à Paris, item si M. des BUlettes se porte mieux, ce que je souhaitte fort. IX.

Malebranche an Leibniz.

le 8 Decembre (1692).

Monsieur, un honnête homme me fit hier l'honneur de me venir voir, et me donna de vôtre part quelques remarques[10] que vous avez eu la bonté de faire sur les premières loix du mouvement du petit traitté que j'ai fait imprimer. Il me promit dans 15 jours de revenir prendre la reponse que j’y ferois, sans vouloir, par honneté, me dire le lieu de sa demeure. J’ai donc cru, Monsieur, vous devoir remercier de l'honneur de vôtre souvenir, et par mes tres humbles respects que je vous rends presentement renouveler l'amitié que vous avez eue autrefois pour vôtre tres humble serviteur. Quoique depuis 15 ou 20 ans que vous étiez à Paris, je ne l'aye point entretenue par les devoirs ordinaires, je puis cependant vous assurer que j’ai toujours appris de vos nouvelles avec plaisir, que j'ai souvent prié M. Foucher et M. Thevenot, que nous avons perdu depuis peu, de vous presenter mes respects, lorsque j'ai sçu qu'ils vous écrivoient, et que j’avois beaucoup de joye lorsqu'ils me faisoient esperer que vous passeriez à Paris. En effet, outre le plaisir de voir present et d'embrasser un ancien ami, je m’attendois encore à apprendre de vous mille belles choses, et sur tout les adresses particulières dont il faut se servir dans le calcul intégral et différentiel, et les manières de l'appliquer aux questions de physique ; car dans l'intégral principalement il y a pour moi bien des difficultez. Ne pourriez vous point, Monsieur, donner au public plus en detail que vous n'avez fait, les regles de ce calcul et les usages qu'on en peut tirer ? Il me semble que cela vous regarde plus que personne, non seulement à cause que l'on vous en croit l'inventeur, et que personne que je sache ne vous conteste cette qualité, que parce que vous possedez parfaitement les mathematiques.

À l'egard, Monsieur, des remarques que vous avez faites sur les premieres loix du mouvement, permettez moi de vous dire qu’il me semble que vous n’avez pas fait attention à ce que je dis dabord que ces regles ne sont que pour ceux qui recoivent ce principe, que la mme quantité de mouvement se conserve toujours dans l’univers. Car, cela suppose, je crois qu’elles sont suffisamment demontres dans le petit traitté, quoique en quelques endroits j'aye peutetre été trop court. Il me semble que, ce principe posé, toutes autres loix qu’on veuille etablir, on tombe necessairement dans quelque contradiction, comme le calcul vous le montrera bientosl, si vous l’eprouvez. Mais, pour ne pas laisser vos remarques sans quelque reponse, je m’arreterai à Celles sur iesquelles il me semble que vous appuyez le plus.

Vous ne trouvez pas juste, Monsieur, que la grandeur de la masse ne regle pas en partie la grandeur du choc. On oseroit presque dire qu’une telle détermination du choc, dites Vous, oü la grandeur de l’un des corps donnés n’entre point du tout dans la valeur du résultat, est impossible. Sur quoi, Monsieur, je vous pric de considerer que les corps ne se poussent dans le choc que parce qu'ils sont impenetrables, et qu’ainsi, quoiqu’une masse grosse comme la terre, heurtant contre un grain de sable, ’agisse contre ce grain selon toute sa force, s’il est arreté sur un corps inbranlable, neanmoins cette grosse masse ne le pousseroit qu’à raison de sa vitesse, si ce grain cdoit sans resistance. Car il est evident qu’elle ne le pousseroit que parcequ’il est impenetrable et qu’elle le toucheroit ; or elle ne le toucheroil plus, dös qu’elle l’auroit poussé selon sa vitesse.

À l’egard de la difficulté que vous tirez de ce qu’une difference infiniment petite dans le donné change tout à fait le résultat, à cause que je dis que si m4, par exemple, choque 4m, chacun doit rejaillir comme il est venu, mais que si m4 prévaut d’une quantité de force infiniment petite, il doit demeurer en repos, et donner à 4m tout son mouvement, ce qui est contraire à votre méthode. Il est clair neanmoins que cela doit être ainsi, en supposant que le mouvement ne se perde point, et que les corps soient infinement durs. Car, cela supposé, un corps ne peut recevoir en même tems deux mouvemens contraires dans ses parties, ce qui arrive aux corps durs à ressort, dont la partie choquée recule dans le même tems que celle qui lui est opposée avance, ainsi que je l’ai expliqué dans les secondes loix, qui sont, à cause de ce fait, bien differentes des promieres. Or, si un Corps ne peut en même tems recevoir deux mouvemens contraires, il est clair que le plus faible . ne peut rien donner de son mouvement au plus fort, et que son action retombe toute sur lui. Je dis toute, car le mouvement est suppos ne se perdre point, et la reaction est toujours egale k Taction ; Texperience mme Tapprend. De plus mi pousse 4 m dans un instant qui est celui du choc, donc il le pousse selon sa vitesse, donc de toute sa force. Donc, quoique la quantite differentielle soit infinemont petite, le resultat est fort different. Ayez la bontc, Monsieur, par votre attention et votre penetration, de supleer a la brievete et a Tobscurite du pelit traitt6, et je pense que vous demeurerez daecord que les premieres Ibix sont suffisamment demontrces, et qu’on ne peut mme en donner dautres sans tomber dans la contradiction, supposant comme je fais, que le mouvement ne se perde point. Au reste, Monsieur, si j’ai suppos ce principe, c’est quil me paroit plus conforme à la raison que tout autre, et que tout ce que jai vu qu’on a ecrit au contraire ne m’a pas paru convaincant. Gest peut tre ma faute. Mais, quoiquMI en soil, quelque estime que j’aye pour mes amis, je ne me rends à leurs sentimens que lorsque j*en suis convaincu par Fevidence de leurs raisons, dont je ne sens pas toujours toute la force, et je croi que cette disposition d’esprit me rend moins indigne de Tbonneur de leur bienveillance. Il faudroit trc t(e à töt pour sentretenir.utilement et agreablement sur ces matieres ; car il ny a rien de plus ennuyeux et de plus desagreable que de philosopher par lettres, quand on a principalement dautres affaires plus {)rcssees. Je sai par experience que pour Tordinaire on y perd bien du temps, et vous n’en avez point du tout à perdre, vous, Monsieur, qui Temployez si utilement pour le public. Je suis, avec bien du respect, Monsieur etc.

M. Toisnard, que je sai, Monsieur, tre de vos amis, m’tant venu voir, comme je lui disois que javois une lettre k vous faire tenir, et que je lui deroandois qui pouvoit 6tre Thonncte homme qui m’avoit apport la votre, afin de lui epargner la peine de venir querir ma rponse, M. le Marquis de l’Hopital, qui ötoit present, me dit quMI seroit bien aise de vous ecrire, et il m’a envoy6 aujord’hui l’incluse[11]. C’est une personne d’un merite singulier, qui vous honore extremement, et qui est de mes anciens amis. Je suis persuad, Monsieur, que vous recevrez avec plaisir cette marque de son estime et du profit quil a fait dans vos ecrits. Et pour moi, j’ai bien de la joye quil soit à votre egard dans les sentimens oü je suis depuis longtems. C’est que voudrois que tout le monde et surtoui mes amis vous bonorasscnl autant que vous le merites.

Beilage.

1 ) Los relraclions ne coustent rien aux personnes dont le merite extraordiDairc est reconnu de lout le monde. Cesl ce quon peut dire sur le pelit Iraille des loix de la coinmunication des mouvemens que le fameux Auteur de la recherche de la verit vient de publier. 11 y donne premierement les loix du mouvement telles qu*elles doivent estre, quand on considere les Corps comme parfaitement durs saus ressort et dans le vuide ; puis il parle de ce qui arrive dans les corps mous et à ressort ; et enfin des empechemens qui viennent du milieu ambiant ou d’autres circonstances. Il conclut qu’il pourroit sestre trompe dans les secondes loix, et quil ne pretond pas avoir rien etabli dans les troisimes. Mais il me senible, dit il, que jay suffisament prouve et expliqu les premieres.

2) 11 faut avouer, qiie les Meditaiions quil donne \à dessus sont profondes, et qu’il y a bien du solide. 11 y a pourtant encor quelques endroils qui m’arrestent. 11 faudroit eniployer beaucoup de paroles pour eutrer dans le detail de cetle discufision, mais je veux faire icy des remarques a posteriori, en employant mon principe de Tbarmonie ou de la conVena nee, que javois expliqu dans les Nouvelles de la Republique des lettres.

3) Pour donner les loix dont il sagii, on determine premierement la force du choc de la maniere qui revient à cecy : Soit a celuy des corps qui nVst pas le plus petit, et Tautre corps soit 6 ; la vistesse d*a seit c, et la vislesse de b soit 6, et le choc soit x. Gela pos, voicy la quantit du choc qui sert à connoistre ces premieres loix.

4j Regle 1. Si ac n’est pas moindre que h e, x sera le produit de 6 multipli par la somme ou difference de c et e, scavoir par la somme quand ces vistesses sont en sens contraire, et par la difference, quand elles sonl en mme sens, cesl à dire quand la quaiitit de mouvement du corps qui n’est pas le moindre, nest pas inferieure non plus à celle de Tautre corps, le choc sera egal au produit de Fautre corps multipli par la vistesse respective, ou avec laquelle les corps s’approchent. 5) Regle 2. Si ac est moindre que be et que les vistesses sont en sens contraire, x sera ac+be c’est à dire si la quantité de mouvement du corps qui n’est pas le moindre, est moindre que la quantite du mouvement contraire de l’autre corps, la quantite du choc sera egale à celle du mouvement total.

6) Regle 3. Mais si ac estant encor moindre que be (comme dans la 2 regle), les vistesses sont en même sens, alors (comme dans la premiere) x sera le produit de b multiplié par la difference de c et e, c’est à dire si la quantite de mouvement du corps qui n’est pas le moindre, est la moindre (comme dans la regle precedente] mais que les mouvemens sont en mme sens, la quantite du choc sera egale (comme dans la premiere regle) au produit du corps dont la quantité de mouvement prevaut, multiplie par la vistesse respective.

Remarques.

7) Il paroist quil n'est pas possible de reduire ces trois à une seule commune, ce qui seroit pourtant le plus convenable, et me paroist faisable ou plustost fait.

8) En coroparant les reglos ensembie, il paroist peu convenable, que la quantite du mouvement total entre dans la seconde regle et point dans les deux autres ; item que la vistesse respective entre dans la premiere et derniere et point dans la seconde ; au lieu qu’il sembie, que la quantite de mouvement devroit entrer par tout, et la vislesse respective aussi par tout, chacune avec certaines distinctions convenables.

9) On est surpiis encor de voir, quil n’y a point de ressemblance dans le resultat entre la seconde et troisime regle, quoyquelles soyent tousjours à demy daccord in datis ; au lieu que dans la premiere et derniere seit que les donnes s’accordent à demy, ou poinl du tout, la maniere de determiner les resultats est tousjours la mme, cela paroist contraire à la grande regle de l'ordre qui veut, datig ordinatis etiam quaesita esse ordinata et consentanea.

10) Il paroist singulier aussi que dans la premiere et troisieme regle, c’est le corps b multiplié par la vistesse respective, qui fait le choc, et que cette mme prerogative de faire ie choc sans le concours de la grandeur de l'autre corps nest jamais accorde au corps a qui est pourtant le plus grand pour Fordinaire. Mais cette singularit pourroit estre excus6e, sii n’en naisseit un grand mal, que voicy : 11) C’est qu’on oseroit presque dire qu*une teile determination du choc, oü la grandeur de Tun des corps donns n’entre point du tout dans la valeur du resultat, est impossiblc. Elle devroit pourtant arriver seloD la preiniere et troisieme regle, oü la grandeur du corps a n’entre point dans la valeur du choc x,

12) Plusieurs trouveront encor estrange et tiendront pour un grand inconvenient, ce qui en resulte dans la premiere regle, Selon laquelle un mme corps b ne sera pas moins choque par un coips a, qui luy est egal, que par un corps A, qui luy est extremement superieur, pourveu que la vistesse dA n’excede pas cellle d’a ; mais comme dans la cinquieme page on est alle au devant de cette objection, en temoignant quon n trouve point d’inconvenient, j’ay voulu donner à considerer la difficult que voicy : Soyent

dans la figure cy jointe trois corps egaux 6, m, n, et h en

7" n n repos seit choquö en m6me temps avec la mme vistesse

I’ ’i par m et par n. Si m choque autanl qu’ m + n, donc n

fera rien, or il n’y a pas plus de raison de le dire du corps n, que du corps m, ils ne feront donc rien tous deux, ou bien il faul dire, quMls fonl plus ensemble que chacun ne feroit à part et seul.

13) Mais il est important sur tout de remarquer, que la premiere regle ne s’accorde point avec la seconde, dans le cas, oü elles doivent concourir, Selon la methode dont je me sers dans les Nouvelles de la Republique des leltres contre les loix du mouvement de M. des Gaites, en concevant Fegalite comme un cas parliculier de rinegalite, mais oü la difference est infiniment petite. Par cet artifice, je fais que deux regles differentes et qui d’ailleurs parlent de cas differens, doivent avoir lieu en m6me temps dans ce cas dinlersection ou de croix, ce qui me donne une equation laquelle ne reussissanl point et nestant point identique, cest une marque asseure que les regles ne sont pas encor tout k fait bien ajustöes.

14) Suivant cette methode seit ac egal à 66 et les mouvemens soyent contraires, donc selon la premiere regle ac estant ’egal à 6e ou prevalant dun excs infiniment petit, le choc sera 6c-f-6e ; et selon la seconde regle, bc prevalant de mme d’un excs infiniment pelil, le choc sera ac-Vty donc puisquicy ces deux cas sont equivalans, 6c-f-66 sera egal k ac-f-6e, ce qui est impossible, exceptö dans le seul cas, oü les deux corps sont egaux, et leur vistesses par consequent aussi, puisquMcy ac est suppos egal à 66. 15) Les principes de la Logique reelle ou d'une certaine analyse generale independante de l'Algebre, dont je me suis servi icy, pour mettre des regles ou theoremes à l'epreuve a posteriori, sans pourtant recourir aux experiences des sens, nayant gueres esté employés auparavant, je ne m'etonne point que d'excellens hommes, comme Descarles et l'auteur de la Recherche de la verité, n'y ont pas encor pris garde. Si ce celebre auteur leur donnera son approbation, on sera d'autant plus port à les observer doresnavant.

X.

Leibniz an Malebranche.

C'est trop de bonté à la fois, mon Reverend Pere, que cello que vous av6s eue de mcrire, et de me faire avoir en même temps une lettre de M. le Marquis de l’Hospital, qui est sans doute un des plus profonds en Geometrie et en Analyse que je connoisse, et dont j’espere des lumieres, bien loin desprer de luy en pouvoir donner, surtout dans la distraction oü je me trouve maintenant. Je suis trop heureux, si ce que jay donné auires fois, touchant une nouvelle fa9on de calculer, luy a pd servir. Si jay un jour quelque loisir, je proposeray un peu plus clairement, que je nay fait dans les Actes de Leipzig, les regles et l'usage de ce caicul, outre qu1l y a plusieurs errata capables d’obscurcir la chose ; et c'est pour cela que je crois que plusieurs ny ont rien compris.

Quant aux regles du mouvement, nous convenons que la force ne se perd point, mais il s’agit de sçavoir si cette force, qui se conserve, doit estre estime par la quantité du mouvement, comme on le croit vulgairement. M. l'Abbé Catelan n’avoit point compris mon sentiment, ei sMl a esté mon interprete auprès de vous, comme il me sembloit, il ne vous en aura point donné une bonne idée. Supposons que plusieurs corps communiquent seuls ensemble durant quelque temps : mon opinion est qu'ils gardent tousjours la même force en somme, non obstant leur communication, cest-A-dire, selon moy, que si leur force estoit employe (jusqu’ sa consomtion) à 6levr quelque corps pesant, soit qu’on la voulust employer avant ou apres la communic.ilion, roffect seroit tousjours equivalent, et se rduiroit tousjours a elever une mme pes.intrur a une mme haulenr, ou a produire quelque autrc eflect dtermine. Mais je choisis la pesanleur comme la plus coromode. Gala estant accord6, je demonslre que la mme quaniile de mouvement ne se eonserve noint. Je demonslre aussi, que s\ deux cas, qui Selon la noiion vulgaire de la force sont equivalens, se succdoienl, il y auroit le roouvement perpetuel mecanique. Par exemple, s*il arrivoit que toute la foroe dun corps i4 de 4 livres de poids et d’un degr de vitesse, estoit transfere sur le corps B duno livre de poids, et que le corps B devroit aloi’s recevoir 4 degrs de vilesse selon Topinion vulgaire, je demonslre qu’on auroit indubilablement le mouvement perpetuel. El par consequent i4 et ne sont point 6gaux en force, et generalement je dis que de deux hypotheses L et Mj celle d’ M a plus de force, si supposant M produite par L, on pourroit venir au mouvement perpetuel. El pour eviler Celle absurdit, c’est dans ce sens, que la force qui se eonserve doit estre entendue.

Je veux considerer plus allentivement les raisons de vos regles. U eust est à souhaitter, mon Reverend Pere, que vous eussis eu le loisir de les proposer aussi distinctement quil faul pour leur donner la forme d’une demonstration, car je me trouvois souvent arresle en les lisant. Gependant il semble que la nature de la continuit porte necessairement avec eile, que le cas de Tinegalit continuellement diroinu se doit perdre dans le cas de Tegalit. Et on le pourroit rendre palpable par une delin6alion, comme jay fait dans cei*taines remarques sur une parlie des Principes de M. des Garles. Ainsi je tins quil y a un defaut cach<3 dans les fondemens des regles qui n’observent point cette loy de continuit, comme j’ay coutume de Tappeler.

Au commencenient de mes ludes malhematiques, je me fis une Üieorie du mouvement absolu, oü supposant qu’il ny avoit rien dans le corps que rtendue et rimpenetrabilit, je fis des regles du mouvement absolu que je croyols verilables, et j’esperois de les pouvoir concilier avec les phenomenes par le moyen du Systeme des choses : mais jay reconnu dpuis, que cela ne se peut, et jay employ cela mme dans le Journal des S9avans 48 Juin 4694, pour prouver que la notion de Ftendue ne suffit pas pour expliquer tout ce qui se passe dans le corps. Suivant cette tbeorie, il se feroit seulement une composition de Teffort (conatusj que le corps a dja, avec celuy qu’un autre tache de luy imprimer de plus, en Sorte que chaque effort se conserve, mais deux efforts égaux contraires dans un même sujet degenerent en repos. Les choses devroient aller ainsi, si les corps n’estoient que ce qu’on s’en imagine.

J’ay repondu amplement à M. le Marquis de l’Hospital. Je n’ay pas vu la seconde edition de l’ouvrage de feu M. Preslet. Comme il s’appliquoit principalement à l’analyse, il auroit pu avancer considerablement cette science, s’il n’avoit esté trop attaché aux idées seules de l’Analyse de M. des Cartes, ce qui avoit borné ses veues.

Je crois d’avoir dit à vous et à luy à Paris, que je tiens les racines de Cardan pour generales a l’egard de l’equation cubique, non obstant l’impossibilité apparente dans le cas de trois racines réelles ; car les impossibles se detruisent virtuellement. est une grandeur reelle egale à 2 ; et vaut autant que , ce que M. Hugens trouva admirable, quond je le luy donnay autres fois à considerer. Ainsi on peut juger que est aussi une grandeur reelle, quoyqu'il n'y ait pas tousjours moyen de delivrer la valeur des quantités imaginaires intervenientes dans son expression. Il est vray que celte expression de la valeur ne sert point à la construction ; mais, comme on a d’ailleurs assez de constructions, il suffit qu’elle satisfait à l'analyse et au calcul, et j'en souhaiterois autant pour le degrés superieurs. Je serois bien aise de scavoir, si M. Prestet y avoit fait quelques progrès. Ce qu’il trouvoit à redire au projet de M. Tschirnhaus toucbant les racines des equations, ne m’arreste point, mais seulement que les choses ne vont pas dans les degrés superieurs, comme M. Tschirnhaus le paroist concevoir, et il n'est pas aisé de venir a la destruction de leur termes par des equations inferieures. Je crois que l'objection de M. Prestet, insere dans le Journal des Sçavans, oü il reprend M. Tschirnhaus davoir pris pour arbitraire une quantité qui est la somme des, deux racines, n'est pas fonde : ce nest pas par là que l'invention de M. Tschirnhaus est imparfaite. Outre ce que je viens de dire, elle engage à des calculs immenses, et apparemment ces empechemens ne luy ont point permis de l'executer au cinquieme degré, qui est le plus simple de ceux qui nous manquent.

Au reste, mon Reverend Pere, jay tousjours estimé et admire ce que vous nous avés donné en Metaphysique, même dans les endroits avec lesquels je ne suis pas encor d’accord entierement. Vous avés trouvé le secret de rendre les choses les plus nl>strailes non seulement sensibles, mais agreables et toucbantes, et den monstrer rinfluence dans la morale, laquelle est fond6e elTectivemenl sur la veritable Metapbysique. Vous av6s bien remarqu que nous n’avons poinl une idee parfaitemenl distincle de Tarne ; et peutestre aurs vous reconnu dpuis que celle que nous avons du corps ne Test pas non plus. La marque dune connoissance imparfaite chez moy est quand le sujet a des propriets dont ön ne peut enoor donner la demonstration. Ainsi les Geometres, qui nont encor pü demonstrer los propnetes de la ligne droite, quMls ont prises pour accordes, nen ont pas encor eu une ide assez distinete. Le corps renferme non seulement la notion de rtendue, cest à dire de la pluralit, continuit et coexistence des parties, mais encor celle du sujet qui est repct6 ou repandu, dont la notion est anterieure à celle de sa repetition, cest h dire à Tetendue. Gependant le bastiment de la philosophie de M. des Gartes est fond sur la pretendue connoissance claire et distinete de Tarne et du corps. Il alloit trop viste. et sa qualit de chef de secte le rendoit decisif. Sa bardiesse est utile et donne des iueurs de verit6, raais il n’est pas seur de le suivre. 11 seroit temps quon donnàt cong6 aux noms de secte, et qu’on s’attachàt aux demonstrations a la facon des Geometres, oü lon ne trouve point de distinction entre les Archimedistes et Euclidistes. Je souhaitterois que vous voulussis un jour prendre la peine de nous proposer vos belles et importantes penss en forme. de demonstrations, sauf h prendre Tessor dans les scholies, oü vous pourris encor dire mille belles choses que vous avs dans Tesprit. Je vous souhailte assez de vie et de sant pour nous donner encor bien des lumieres.


XL

6etbnt) an TlaUhxanàt.

Hannover ce 27 Decembr. 4694. Je ne vous importunerois pas sans un sujet que M. le Marquis de THospital ma fourni. 11 me mande de vous avoir laiss un crit que vous avis tir de luy pour le faire publier, mais qu’ayant appris que j’avois dessein d’crire sur les mmes matieres en partie, il me prioit de luy faire s9avoir au plustost, si je suis content que son 6crit paroisse. Jay repondu comme il faut à cette lionnestei, et je luy ay dit que, sMI ne vous avoii pas encor accord celte permissioD, je me joindrois à vous, mon Reverend Pere, pour Toblenir, faisant esiat d apprendre hien des helles choses moy rome.

Mais comme Monsieur le Marquis est loin de Paris, et que ma lettre ne luy sera rendue quun peu tard, je vous ay voulu 6crire en mme temps, afin de vous faire connoistre au plustost que Tegard qu’on peut avoir pour moy ne doit nullemenl empecher ny differer votre dessein. Je vous adresse en mme temps la lettre pour Monsieur le Marquis, dans la croyance que ce sera le moyen de la faire rendre plus promtement et plus seurement.

Mons. Arnaud estant mort enfin, on peut dire avec raison ce quun de mes amis mcrivoit agrablement, que les RR. PP. Jesuites y ont plus perdu, quils ne croyent peutestre avoir gagn : un tel surveillant estoit utile, a-jfa&iQ Sepu rhe, fipoToiai. Je crois, que le pere general, ayant les sentimens qu*on connoist, nestoit pas fach des soins que M. Arnaud prenoit pour le soulager. Pour vous, nion R. P., je croy que vous n’y av6s ny gagn ny perdu. Javoue que jestois fach de voir la quereile renouvell dernierement sur un sujet de peu d’iroportance, puisqu il ne sagissoit que du sentiment de S. Augustin sur une matiere de pbilosophie. Je ne say si la Bihliotbeque de la grace paroislra encor, non obstant la moi*t de ce grand homme, et non obstant la bulle et le bref du pape qui ont defendu depuis peu de renouveller les contestations sur les cinq propositions. Pour moy, je ne serois point fach de voir quantit de petits livres faits par dhabiles gens sur des matieres considerables, ramasss ensemble ; car jay fort medit sur cette mme matiere de la libert depuis bien dannes, jusquà avoir o6mpose 1à dessus un dialogue latin à Paris, que je fis voir à Mons. Arnaud, qui ne le meprisa point, et depuis j’ay plus approfondi les choses.

Mais je ne scay à quoi je songe denfiler des discours dans une lettre, qui ne devoit estre que pour le sujet que jay marqu au commencement. Finissant Fannie, je prie Dieu de vous en donner encor beaucoup dheureuses, et je suis avec zele etc. XII.

Seibni) an 3SllaUhxanài.

2 Hanover -— Oclobr. 4698.

Comme Mons. FAbbe Torelli m’a lemoigne avoir Thonneur de vous connoisire, je n’ay pas voulu qu’il partist d’icy sans vous porter des marques qui vous puissent faire connoistre, combien je conlinue de vous honorer. J’en ay souvent donne d’aulres, lors mme que j’ay avoue que nous n’estions pas en lout dun m<ine sentiment. Nous nous faisons tous deux un si grand interest a avancer la connoissance de la verile, que nous nous seaurons lousjours bon gre des eclaircissemens que Fun peut foumir à lautre ou au public. Je vous ay eu de Fobligation de ce que vous aves bien voilu m’en avoir, lorsque vous aves retouche à vos loix du mouvenient, et quoyqua mon avis la loy de la continuite, que j’avois mise autresfois en avanl dans le Journal de Hollande, et qui vous avoit plCi jusqua donner oecasion a vostre cbangement, s’y trouve encor un peu interesstV, quoy(|ue d’une maniere moins perceptihle qu’au commenccment, neantinoins j’ay cvd que je n*aurois pas bonne grace d’y insisler a vostre egard, pouvant m’expliquer sans cela. Car je crois en effect que les loix de la nature ne sont pas si arbilraires qu’on pourroit bien s’imaginer. Tout est delermine dans les choses, ou par des raisons comme geometriques de la necessite, ou par des raisons comme morales de la plus grande perfection. Vos beaux ecrits, mon Reverend Pere, ont rendu les hommes beaucoup plus capables qu’ils n’esloient auparavant, d’entrer dans les verits profondes ; si je pretends d’en profiter, je ne manqueray pas aussi de le reconnoislre. Mons. Bayle a fait des objections contre mon Systeme dans son beau Dictionnaire a Farticle de Rorarius. Mons. de Beauval publiera mes Solutions dans THistoire des Ouvrages des Scavans, apres les avoir comnmniquees a Mons. Bayle, qui in’a 6crit la dessus une lettre tres obligeante, oü il reconnoisl la force de ma reponse. Je ne laisseray pas de le prier de me marquer, s’il y a encor quelque chose qui Tarreste. Et rien ne mVst plus agreable que de pouvoir estre instruit par des personnes aussi profondes et aussi eclaires que vous et luy. Je suis avec zele etc.

XIII.
Malebranche an Leibniz.

J’ai reçu avec bien de la joye la lettre que M. l’Abbé Torelli m’a rendue de votre part, et je vous suis extremement obligé de l’honneur de votre souvenir. Je suis bien persuadé, Monsieur, que l’amitié dont vous m’honorez n’est pas inconstante comme celles qui ne sont fondées que sur des passions volages. Il n’y a que l’amour de la verité qui lie etroitement les cœurs. Et comme vous me rendez cette justice de croire que j’ai quelque amour pour elle, je suis persuadé que celui que vous lui portez se repandra toujours jusques à votre tres humble serviteur. Les obligations particulieres que vous ont tous ses disciples, à cause des nouvelles vues que vous leur avez données pour avancer dans les sciences, ne leur permettent pas d’être indifferens à l’egard de votre mérite ; et s’il y en a qui le soient ou qui le paroissent, ils ne font tort qu’à eux mêmes, du moins dans l’esprit des habiles gens. La seule methode des infiniment petits, dont vous êtes l’inventeur, est une si belle et si feconde découverte, qu’elle vous rendra immortel dans l’esprit des sçavans. Mais que ne feroit point le calcul integral, si vous vouliez bien comumniquer aux Geometres une partie de ce que vous sçavez sur cela ! Souvenez vous, Monsieur, que vous y êtes comme engagé, et que l’on attend avec impatience l’ouvrage De scientia infiniti, que vous nous avez promis. L’ingratitude des ignorans ou des esprits jaloux ne doit pas frustrer vos admirateurs du bien que vous pouvez leur faire, sans en devenir moins riche ; et la verité, que vous aimez, ne souffre pas qu’on la traite comme les avares leurs richesses. Vous sçavez, Monsieur, mieux que moi, ce que j’ai l’honneur de vous dire, et je suis persuadé que vous aimerez en moi cette ardeur qui me fait vous presser et vous importuner de me délivrer de mon ignorance.

En relisant à la campagne, où j’avois quelque loisir, le méchant petit Traitté de la communication des mouvemens, et voulant me satisfaire sur les troisiemes loix, j’ai reconnu qu’il n’étoit pas possible d’accorder l’experience avec ce principe de Descartes, que le mouvement absolu demeure toujours le même. J’ai donc tout changé ce traitté ; car je suis maintenant convaincu que le mouvement absolu se perd et s’augmente sans cesse, et qu’il n’y a que le mouvement de même part qui se conserve toujours le même dans le choc. J’ai donc tout corrigé ce traité, mais je ne sçai pas encore quand on le reimprimera. Je vous dis ceci, Monsieur, afin que vous continuiez dire persuadé que je cherche sinceremeni la verité, et que je merite en partie par cette disposition de mon esprit, que vous conlinuiez de m’aimer autant que je vous honore. Il n’y a rien de nouveau, ce me semble, sur les mathematiques et sur la physique, à l’exceplion de l’Histoire de l’Acadeinie des Sciences, que M. du Hamel nous a donnée en latin. Les esprits sont occupés à refuter le Quietisme et le prétendu pur amour ; j’ai été même engage malgré moi à écrire sur celle matière. Je fis, il y a un an, un petit Traité de l’amour de Dieu, auquel j’ai ajouté trois lettres au P. Lami, bénédictin, qu’on m’a dit être imprimées chez Plaignard à Lyon. Il n’y a point encore ici. Et comme cela est imprimé sans privilege, je ne sçai s’il en viendra librement à Paris. Je ne vous dis rien du Marquis de l’Hopita], parce qu’il m’a dit qu’il vous écriroit, et peutetre que je mettrai cette lettre dans la sienne. Je suis, Monsieur, avec bien du respect etc.

À Paris ce 13 Decembre 1698.

XIV.

Leibniz an Malebranche.

Hanover 13/23 Mars 1699.

J’ay un double sujet de vous écrire : c’est pour vous remercier de l’honneur de vostre souvenir, et pour vous feliciler ou nous plustost de ce que l’Academie Royale des sciences profitera desormais de vos lumieres, et que vous aurés ainsi plus d’occasion de contribuer au bien public. Les Mathematiciens ont autant besoin d’estre philosophes que les philosophes d’estre Malthematiciens ; et vous, mon R. P., qui estes l’un et l’autre, et qui passés avec raison pour un des premiers philosophes du temps, estes le plus propre du monde à faire cette alliance.

Je voudrois avoir porté la science de l’infini, où je la souhaite, et où je crois qu’elle peut aller, pour satisfaire à ce que vous demandés. Mais il y a des choses qui ont besoin de calcul, et il n’y a personne dans ce pays cy qui s’en mèle, cela me rebute. Ces sortes d’etudes, seches d’elles mêmes, deviennent plus agreables, quand on ies peut partager avec quelcun, et je ne suis pas an estat de travailler long temps aux calculs sans estre aid. *

Pour ce qui est de vostre Trait de la Communication des Mouvemens, que vous me mands, mon R. P., de vouloir reformer, je reconnois en mine temps en cela vostre penetration et vostre sinceril6. Il faut estre bien ~plus penetrant pour voir ce qull y a à changer dans le sien, que pour le decouvrir chez Ies autres : mais il faut estre fort sincere pour l’avouer, comme vous fistes d6ja à Tegard des loix du mouvement, mises dans la Recherche de la Verite, lorsque vous me fistes l’honneur de dire dans vostre petit trait en I69S, que mes reflexions avoient donn occasion à vos nouvolles considerations. Je trouvay pourtapt encor quelque chose dans ce dernier trait6 qut me parut sujet à des difficultös insurmontables, ce qui me fit faire des remarques là dessus ; mais je n’en voulus rien dire de peur de passer pour un homme qui affectoit de vous contredire. Maintenant que vous y voulus repenser, je vous envoye ces remarques, pour y faire la reflexion que vous jugers à propos. Vous convens maintenant avec moy quil ne se conserve pas la mme quantit de mouvement absolu, mais du mme cost6, ou comme je Tappelle, la mme quantit de direction. Mais il faut pourtant que je vous disc que je crois qu’il se conserve encor la m6me quantit non seulement de la force absolue, mais encor de Taction motrice absolue, que j’ay trouve entierement difierente de ce qu’on appelle la quantit de mouvement, en me servant dun raisonnement qui m’a d’autant plus, surpris qu41 est ais6 et clair, et tire des. plus simples notions, sans supposer ny poids ny ressort. Et j’ay tant de voyes qui menent toutes à un m6me but, que M. Bemoulli de Groningue, aprös y estre entr, n’a pA resister à la force de la verite.

Je seray encor ravi de voir un jour vostre Trait6 sur le pur amour. Vous dites tousjours quelque chose de profond, et j’ay examin autresfois cette matiere, en considerant Ies principes du droit, ayant mme donn Ies definitions que voicy dans ma preface du Code Diplomatique du droit des gens : J’y dis qu’ estre juste est estre chari table d’une maniere conforme à la sagesse ; que la Sagesse est la science de la felicit ; que la Charit est une bienveillance universelle, et la bienveillance une habitude d’aimer ; qu’aimer est Tinclination qui fait trouver du plaisir dans le bien, perfection, bonheur dautruy, ou (ce qui est la mme chose) qui fait que la folicite dautruy cntrc dans la nostre. Et jadjoute au mme lieu (avant qu’on a paii de ces disputes) que cette définition serl à resoudre un probleme difficile, scavoir : comment l’amour peut esire desintercss, quoyqu’on ne fasse jamais rien que porté par son propre bien. C’esi que noslre bien est de l’essence de l’amour, mais non pas nostre inierest. Ce qui piaist est UD bien en soy, et non pas un bien d’interest ; 11 appartient la fin et non pas aux moyens. J’y dis même que l’amour divin, ou le plaisir qu’on prend à ce qui fait sentir le bonheur et la supreme perfection de Dieu, entre tellement dans nostre veritable felicitö qu’il la fait loute entiere. Ce qui fait aussi, que tous les autres amours et tous les autres plaisirs sont soumis à l’amour de Dieu, ne pouvant donner autrement un solide plaisir, cest à dire tel qu’il faut pour concourir à la felicite, qui n’est autre chose que l’estat dune joye durable. Il me sembloit alors que cela suffisoit à peu pres pour resoudre la difficulté. Mais quand des habiles gens, comme vous, envisagent les choses, ils trouvent matiere à mille belles reflexions. Je souhaitte que vous continuis longtemps de faire part au public des vostres. Et je suis véritablement elc.

XV.
Malebranche an Leibniz

Je vous suis fort oblige de l’honneur de vôtre souvenir, et du présent précieux que le Père Lelong m’a fait de vötre part. J’ai parcouru d’abord vôtre ouvrage selon la coutume que jai à Fgard de ceux des auteurs que j’estime le plus, et j’en ai deja relü une bonne parlie. Vous prouvez fort bien, Monsieur, a priori, que de tous les plans possibles douvrages que Dieu decouvre dans sa sagesse, il doit choisir le meilleur, et quainsi toutes les raisons apparentes de M. B.[12] liröes des dcvoirs des hommes entr’eux, ne sont que des comparaisons seduisantes, et quil est dangereux de faire, à cause que nous ne somnies que trop porles à juger de Dieu par nous mmes, et à juger du plan de son ouvrage, quoique nous nVn connoissions presque rien. Je suis persuadé comme vous, Monsieur, que Dieu fait a ses creatures tout le bien qu’il peut leur faire, agissant neantmoins comme il doli agir, c’est ii clirc agissanl selon sa loi qui nc peul iSire quo Tordie imoiuable de ses divines perfections, quil ahne invinciblement el quil ne peut ddmentir ni ngliger. Et quainsi son ouvrage est le plus parfait quil puisse tre, noD absolumeut ndantmoins, mais compar6 aux voyes qui en sont executrices ; car Dieu ne schönere pas seulement par rexcellence de son ouvrage, mais encore par la simplicite et la schondilö, par la sagesse des voyes. De tous ies composez possibles de lexcellence des ouvrages el de la sagesse des voyes, celuy qui porte le plus le caractere des attribuls divins, c’est celui l qu’il a choisi. Gar la volonte de Dieu n’etant que Famour invincible qu’il se porte à lui mme et a ses divines perfections, il est clair que Tordre immuable qui est entrelles est sa loi, et qul y trouve tous sos motifs. Ainsi il ne peut Ies ngliger ny Ies dömentir. Mais quoil dit M. B., Dieu a prevü le pech6 du premier homme el toutes ses suites, il pouvoit Tempecher etc. Oui, mais il ne le devoit pas. Car, en demeurant immobile à la chute de Thomme, il exprime par la que le culte de la plus exeellente de ses creatures nest rien par rapport à lui ; son immobilit porte le caractere de sa divinite et de son infinite, qu’il dmentiroit s’il mettoit sa complaisance dans quelque creature, quelque excellente quelle seit. 11 a en vue Jesus Christ qui divinise le culte de ses creatures, ce culte dans lequel il pourra mettre sa complaisance sans dementir son attribut essen tiel, son infinit. Cest la son vrai et premier dessein. La chute du premier homme le favorise. 11 veul que Jesus Christ ait la gloire de bastir TEglise future, non du nant de Ttre, mais du neant de la saintel et de la justice, car la grace nest point donnec aux roerites, afin que Ies hommes, qui sont par le pech. dans un 6tat pire que le neant mdme, nayent aucun sujet de se glorifier en eux mmes, et quils doifent à Jesus Christ, leur chef, par qui ils peuvent rendre a Dieu des honneurs divins, leur bonheur eternel, et qu’ils soient liez avec lui par une etroite reconnoissance. Je vous avoue, Monsieur, que Ies derniers ouvrages de M. B. m’ont souvent irril, et je loue v6tre zele et en mme tems v6tre moderation dans la maniere dont vous refutez ses penses dangereuses et seduisantes. Je prie Dieu quil vous en recompense et quUI vous fasse la grace d’imiter votre tres illustre Prince. C’est Tamiti dont vous mhonorez depuis long tems, et que je crains de perdre, qui me presse de vous prier et de prier Dieu qu’elle dure 6ternellement en Jesus Christ, en qui je suis, Monsieur, avec bien du respect etc.

Paris ce 14 Decembre 1711. XVI.

Leibniz an Malebranche.

Il paroit par la lettre que j’ay eu Thonneur de recevoir de votre part, que le principal de mon ouvrage ne vous a point deplü. C’est de quoy je suis ravi, n’en connoissant gueres de meilleur juge que vous.

En effeet, quand je considere Fouvrage de Dieu, je considere ses voycs comme une partie de Touvrage, et la simplidt jointe à la fecondit des voyes fait une partie de FexceUence de Fouvrage : car dans ie total les moyens fönt une partie de la fin. Je ne say pas pourtant sll faudra recourir à cet expedient, que Dieu demeurant immobile à la cheutc de Fhomme et la permettant, marque que les plus excellentes creatures ne sont rien par rapport à luy ; car on en pourroit abuser, et inferer que le bien et le salut des creatures luy est indifferent, ce qui pourroit revenir au despotisme des supralapsaires, et diminuer Famour qu’on doit à Dieu. Dans le fond rien ne luy est indifferent, et aucune creature ny aclion de la creature n’est compte pour rien chez luy, quoyquelles soient comme. rien en comparaison de luy. Elles gardent leur proportions entre elles encor devant luy, comme les lignes que nous concevons comme infiniment petites ont leur rapports utiles entre elles, quoyquon les oompte pour rien quand il s’agit de les comparer aux lignes ordinaires ; et je crois d’avoir deja employ cette siroilitude. Mais il est vray que Dieu ne devoit point dranger son ouvrage pour empecber la cbeute de Fhomme ; cette complalsance pour une seule espece de creatures, quelque excellenle quelle soit, auroit öt trop grande. Je demeure aussi daccord que la grace n’est point donne aux merites, quoyque tant les bonnes que les mauvaises actions entrent dans le compte, f comme tout le reste, pour la formation du plan total, oü le salut est com- / pris. Priores, bonnes intentions, bonnes actions, tout est utile, et mroe f quelques fois necessaire, mais rien de tout cela nVst süffisant. sAu reste, f Fexemple de Fiilustre Prince, dont vous parls k la fin de votre lettre, n’est f point imitable à ceux qui considerent quil faudroit declarer par serment f quW croit que ce quon sait 6lre des nouveauts mal fondöes sont des verils f indispensables. Le reste des nations ne doit pas avoir asses de complaisance f pour se laisser mener par les Italiens qui sen moquent ; et il y a de l’apparence qu’ils se repentiront un jour d’avoir forg6 leur dernier pretendu Concile Oecumenique, qui les rend irreconciliables.][13]

J’ay tach aussi de combattre en passant certains philosophes relachs, comme M. Lock, M. le Clerc et leur semblables, qui ont des ides fausses et basses de rbomme, de Tame, de rentendement et mmo de la Divinit, et qui traitent de chimerique tout ce qui passe leur notions populaires et superficielles. Ce qui leur a fait du tort, c’est qu’estant peu informs des conDoissances mathematiques, ils n’ont pas asss connu la nature des verits elernelles.

Les Matbematiques vous sont Obligos d’avoir dress autres fois le Pere Prostet, dont je crois que le R. P. Reineau est un disciple ; mais il est all6 bien plus avant que luy, et jattends encor beaucoup de son genie et de son application. Car, bien loin que la matiere seit epuis, je trouve quil y a encor une infinite de choses à faire.[14]


  1. Das Hauptwerk Malebranche’s, das von Leibniz so oft erwähnt wird, ist: La Recherche de la Vérité. Es besteht aus drei Bänden; der erste erschien 1674 und enthält le Traité des Sens, le Traité de l’Imagination und le Traité de l’Esprit pur. 1676 folgte der zweite, in dem le livre des Passions, le livre des Inclinations und le Traité de la Méthode sich finden. Drei Jahre später erschien der dritte Band, der Eclaircissements enthält. Diese Schrift Malebranche’s wurde viel gelesen; es erschienen noch bei Lebzeiten des Verfassers bis zum Jahre 1712 sechs Auflagen davon, und sie wurde in alle lebenden Sprachen Europas übersetzt. Auf Veranlassung des Herzogs von Chevreuse gab Malebranche die schönsten Stellen, die von der Religion und Moral handeln, besonders heraus unter dem Titel: Conversations chrétiennes, zu denen er sich als Autor in einem folgenden Briefe nicht bekennen will.
  2. Die Worte »soient séparées« fehlen im Original; sie sind von Cousin eingeschaltet.
  3. Das Original ist datirt: 22 Junii 1679.
  4. Im Original findet sich folgende Randbemerkung Leibnizenz: Perfectionem summam tamen absolute concipio, alioqui non possem applicare ad numerum, ubi frustra applicatur.
  5. Das Manuscript ist hier schadhaft.
  6. Hiermit bricht das Schreiben ab.
  7. Tschirnhaus.
  8. Ein Wort fehlt.
  9. Leibniz bemerkt hierbei: il faut prendre garde que le quarré de est —1, et le cube en est .
  10. Beilage.
  11. Dieser erste Brief de l’Hopital’s an Leibniz ist datirt 14 Dec. 1692; daraus ergiebt sich für das vorstehende Schreiben Malebranche’s das oben bemerkte Datum.
  12. Bayle.
  13. Die eingeklammerte Stelle sollte in der Abschrift des Briefes wegfallen.
  14. Ohne Unterschrift und ohne Datum.