Bramante et l’Architecture italienne au XVIe siècle/5

Henri Laurens, éditeur (p. 99-121).


V. — Les Papes de la Contre-Réforme.

Michel-Ange. Vignole. Giacomo della Porta.
Domenico Fontana.

L’histoire de l’architecture, comme celle de tous les arts, comme toute l’histoire sociale de l’Italie, nous a montré comment l’âge de la Renaissance s’était peu à peu déchristianisé. Le paganisme, le décor emprunté à l’antiquité, s’est fait une place même dans les églises, et personne ne semble s’étonner d’y voir des figures de satyres et de chimères y étaler leur nudité. Le monde italien se plaît à l’évocation de cette civilisation antique si bien faite pour charmer des lettrés et des artistes, et le Christ n’est plus le maître unique vers lequel tendent toutes les pensées.

La révolte de Savonarole avait été une première protestation contre ces tendances ; celle de Luther en fut une plus significative. Les peuples du Nord s’insurgent contre Rome et se séparent d’elle, provoquant ainsi un des plus grands malheurs de l’Église chrétienne, créant une lamentable division entre les peuples de l’Europe jusqu’alors si étroitement unis dans une pensée religieuse commune.

La papauté, l’Église tout entière, sentit la nécessité de se défendre et de réformer un état social qui lui devenait si funeste : cette réaction, que les malheurs des guerres et du sac de Rome n’avaient pas suffi à produire entièrement, fut l’œuvre du concile de Trente, de ce concile qui marque une des plus grandes dates de l’histoire de l’Italie et de l’Europe, et qui eut une influence capitale sur les arts. Avec Paul IV commence un art dont les traits essentiels sont un énergique réveil de l’esprit chrétien et l’abandon des doctrines de cette antiquité à laquelle on s’était livré avec une si imprudente confiance. Cette période, justement appelée Contre-Réforme pour caractériser sa lutte contre l’esprit luthérien, pourrait s’appeler dans l’art « Contre-Renaissance », pour marquer qu’elle fut une réaction chrétienne contre l’esprit de l’antiquité.

L’art allait peut-être s’appauvrir momentanément, en renonçant aux beaux modèles de l’antiquité, mais il allait vivre, vivre réellement, il allait retrouver sa loi essentielle qui est l’adaptation de la forme à la pensée : il allait comprendre que tout doit se renouveler dans les arts quand tout se renouvelle dans la pensée, et que c’est folie de vouloir faire servir les formes des temples des dieux antiques aux églises du Dieu chrétien.

Le changement fut le même dans tous les arts. En architecture, ce fut le grand souci de construire des églises, non plus en vue de simples recherches de beauté, mais pour en

Pl. 20.



Cliché Alinari.
PALAIS CHIERICATI, À VICENCE, PAR PALLADIO.


Cliché Alinari.
THÉÂTRE DE VICENCE, PAR PALLADIO.

faire des édifices parfaitement adaptés au culte et où tout fût subordonné à l’expression du caractère chrétien. En peinture et en sculpture ce fut l’abandon de tout ce qui dans la Renaissance n’était pas chrétien, ce fut la substitution, aux motifs empruntés à la mythologie et à l’histoire antique, de sujets purement religieux, ce fut surtout la proscription du nu jusqu’alors si prédominant. C’est le moment de l’apparition de cette école bolonaise qui va prendre la place des écoles de la Renaissance.

Les papes cessent d’être des guerriers, pour être avant tout les chefs de l’Église. S’ils sont toujours des politiques, leurs efforts tendent à agrandir non plus leurs possessions temporelles, mais leur pouvoir spirituel. Un pape, Pie V, méritera d’être élevé à la sainteté, et cela ne s’était pas vu depuis le xiiie siècle, depuis Célestin V.

Dans cette nouvelle organisation religieuse, la papauté aura besoin de grands bâtiments pour ses services qui vont devenir plus importants que jamais. Les papes ne consacreront plus tous leurs efforts à construire de riches palais pour leur famille, mais à compléter les palais pontificaux. La première chose à faire était de terminer ces palais que Bramante avait conçus sur des plans gigantesques et qui, comme tout ce qu’il avait entrepris, comme l’église Saint-Pierre elle-même, étaient encore inachevés.

On achève au Vatican les colossales constructions du Belvédère ; et bientôt, ces bâtiments eux-mêmes ne suffisant plus, Domenico Fontana élève cette grande annexe du sud qui masque toutes les constructions précédentes et qui, jusqu’à nos jours n’a cessé d’être la demeure des papes. Le même architecte, dans une forme aussi sobre, construit comme seconde résidence des papes le palais du Latran. Et il fallait encore une résidence d’été, moins exposée aux chaleurs que le Vatican et le Latran, et Grégoire XIII fit commencer par Flaminio Ponzio le palais du Quirinal.

Les bâtiments pontificaux ne sont plus les seules constructions civiles nécessaires : il faut pourvoir à tous les besoins dont jusqu’alors la papauté s’était un peu trop désintéressée. Il faut songer au peuple, il faut songer à l’instruire. La tâche est immense. La papauté seule ne pouvait y suffire, elle créa autour d’elle l’armée des congrégations, et à l’une d’elles surtout, celle des Jésuites, elle confia le soin de faire connaître au loin, dans toute l’Italie, dans le monde entier, ses instructions nouvelles. De là tous ces collèges que l’on élève de toutes parts et dont les plus importants furent le Gollegio Romano, la Sapienza, la Propagande.

Mais, plus que les palais, plus que les collèges, ce sont les églises qui vont passer au premier plan, et le type de l’église nouvelle apparaît, dans une église des Jésuites, le Gesù, œuvre de Vignole. Vignole la construit en véritable architecte, avec sa logique de théoricien, et sa solution fut si satisfaisante qu’elle s’imposa à toute l’Italie et à toute l’Europe. Elle a comme mérite essentiel d’être particulièrement bien adaptée aux cérémonies du culte, d’être une construction très simple et très économique. Elle se compose d’une seule nef flanquée de chapelles, qui

Pl. 21.



Cliché Alinari.
SAN GIORGIO MAGGIORE, À VENISE, PAR PALLADIO.


Cliché Alinari.
INTÉRIEUR DU REDENTORE, À VENISE, PAR PALLADIO.

communiquant entre elles, remplissent, dans une certaine mesure,

le rôle des bas-côtés dans les églises du moyen âge. L’abside et le transept sont peu profonds, et l’autel se dresse au fond même de l’abside, afin que nulle partie de l’église ne soit inutilisée. De même que l’autel, la chaire, placée à la croisée du transept, est vue de toutes parts.

Quant au décor, tout ce qui est inutile, tout ce qui est en dehors du programme religieux, tous ces ornements imités de l’antiquité et adoptés en vue d’une exclusive recherche d’agrément, tout cela perd son importance. Le programme essentiel, ce sera de mettre devant les yeux des fidèles des images religieuses, des sculptures ou des tableaux sur les autels, mais surtout de grandes fresques sur les murs du transept, de l’abside, et sur les voûtes.

Au début d’ailleurs, tant qu’il s’est agi d’aller au plus pressé, on a dû multiplier la construction des églises en économisant sur le décor. Les constructions de la deuxième moitié du xvie siècle sont peu ornées ; c’est plus tard, au xviie siècle, que l’on concevra un programme plus riche et que l’on reprendra sur des idées nouvelles le décor des églises du xvie siècle, en substituant le luxe à la sobriété. C’est ainsi que le Gesù ne reçut la décoration de ses voûtes qu’un siècle après sa construction ; leur richesse contraste avec la simplicité des parties inférieures qui seules sont aujourd’hui telles que Vignole les avait conçues.

L’œuvre de Vignole était la suite des plus anciennes traditions de l’architecture italienne : elle était conforme à son caractère le plus notable, celui de la recherche des grands espaces libres. C’est par là, c’est par ce trait qu’elle diffère le plus essentiellement de l’architecture française, de cet art gothique qui, pour avoir voulu faire prédominer la fenêtre et le vitrail, a tellement affaibli les murs qu’il en a été réduit à encombrer de piliers tous ses intérieurs. Heureux du bel effet des vitraux et des voûtes, dont la hauteur apparaissait d’autant plus grande que l’étroitesse des nefs la faisait encore plus ressortir, nos architectes ont un peu oublié que le but fondamental d’une église était d’avoir des espaces libres afin de réunir en un même groupe le peuple des fidèles. De là, entre l’idée française et l’idée italienne, au point de vue architectural, des divergences inconciliables.

Cette beauté des espaces, les anciens Romains en avaient donné des exemples admirables, et il a suffi à Michel-Ange de restaurer une de leurs ruines, une des grandes salles des Thermes de Dioclétien, pour créer une église, celle de Sainte-Marie des Anges, où la papauté trouvait les formes convenant à la grandeur de sa pensée. L’art de Michel-Ange, s’unissant à l’art de l’antiquité romaine, a réalisé un des plus puissants effets de l’architecture.

L’église de Sainte-Marie des Anges fut une forme exceptionnelle ; c’est dans le type du Gesù, mieux adapté aux besoins du culte, que se construisent les églises qui s’élèvent alors de toutes parts. Une liste de quelques-unes de celles qui furent bâties à la fin du siècle fera comprendre, mieux que tout autre développement, l’intensité du mouvement religieux à cette époque, surtout si l’on se rappelle

Pl. 22.



Cliché Alinari.
CHAPELLE SIXTINE, À L’ÉGLISE SAINTE-MARIE-MAJEURE, À ROME,
PAR DOMENICO FONTANA.

que, sous les pontificats de Jules ii, de Léon x et de Clément vii, on n’en avait pour ainsi dire construit aucune. Les Jésuites construisent le Gesù, les Dominicains Sant’ Andrea della Valle, les Jeunes filles pauvres Sainte-Catherine dei Funari, les Oratoriens la Chiesa Nuova. À côté des églises des ordres religieux, il faut citer celles des corporations civiles, telles que Sainte-Marie dell’ Orto (église des Jardiniers), et surtout celles des diverses nationalités : Saint-Louis des Français, Saint-Athanase des Grecs, San Girolamo dei Schiavoni, San Spirito des Napolitains, Sainte Marie de Monserrat des Espagnols, etc.

Dans ces églises nouvelles, ainsi que dans les anciennes, on construit de nombreuses chapelles ; la plus somptueuse est celle que Sixte-Quint fait faire à Sainte-Marie-Majeure par Domenico Fontana pour recevoir son tombeau (Pl. 22). À ce moment Saint-Pierre est loin d’être terminé, les chantiers y sont en pleine activité, et les papes ne sauraient plus y trouver une place pour leurs tombeaux. Paul iv, le pape très chrétien, s’était contenté pour lui-même d’une simple pierre tombale, la plus modeste des tombes papales, à la Minerve. Mais, lorsque ses successeurs, après l’ère des difficultés, virent réapparaître l’âge des triomphes, ils voulurent des tombes plus dignes d’eux. Et cette chapelle Sixtine, est un des monuments les plus significatifs de cet âge. Elle montre la papauté éprise, non plus seulement de formes architecturales, comme nous le voyons dans la tombe de Léon x, non plus de la beauté d’une statue comme dans la tombe de Jules ii, mais désireuse de célébrer les gloires de l’Église. Autour des statues des papes, des séries de bas-reliefs disent les principaux actes de leur pontificat. L’œuvre, par sa richesse, indique que les jours d’épreuve sont terminés ; elle inaugure la joie et les triomphes du xviie siècle.

L’architecture de la Contre-Réforme, qui donna des résultats très satisfaisants pour les intérieurs, réussit moins bien, on peut même dire qu’elle échoua, pour les façades. Avec les formes de la Renaissance il était difficile de réaliser le problème de la façade des églises chrétiennes. La vraie logique du style de la Renaissance avait été d’aboutir pour les façades d’églises au portique grec, et c’est ce que Michel-Ange projeta pour sa façade de Saint-Pierre. Mais cela n’était pas chrétien, ce n’était expressif d’aucune pensée religieuse. On dut chercher autre chose, on tâtonna ; en conservant la colonne et les pilastres, la corniche et les frontons, on essaya d’en modifier les formes : on superposa les ordres pour pouvoir donner à la façade des lignes plus hautes, pour grandir l’édifice et retrouver ce caractère de solennité que l’art du moyen âge avait si bien su réaliser.

La façade de San Spirito, construite par Antonio da San Gallo[1], dérive de celles de Sainte-Marie du Peuple et de Saint-Augustin ; elle est le point de départ d’une forme très simple, mais très logique, qui fut reprise et très bien développée par Giacomo della Porta dans les façades du

Pl. 23.


Cliché Alinari.
FAÇADE DE SAINTE-CATHERINE DEI FUNARI, À ROME,
PAR GIACOMO DELLA PORTA.

Gesù, de Sainte-Marie des Monts, de Sainte-Catherine dei

Funari (Pl. 23).


À côté et au-dessus de ces églises qui vont s’élever de toutes parts, la grande préoccupation de la fin du xvie siècle fut l’achèvement de Saint-Pierre (Pl. 4 et 24). C’est Michel-Ange qui va entrer en scène et terminer sa vie par son plus grand chef-d’œuvre. Mais ce n’est pas sans de longues et confuses discussions que l’œuvre se continue et s’achève. Plus que jamais on hésite sur ce que l’on doit faire et Michel-Ange ne trouvera pas encore la solution définitive qui fut adoptée. Michel-Ange, c’est le génie souverain de l’Italie, l’homme que toute une suite d’immortels chefs-d’œuvre ont consacré, que tous les papes rêvent d’avoir à leur service, l’obligeant continuellement à abandonner les œuvres commandées par leurs prédécesseurs pour en entreprendre de nouvelles : et ce fut la fatalité de cette longue vie d’avoir commencé tant de travaux, sans, pour ainsi dire, en avoir pu terminer aucun.

Lorsque Michel-Ange se voit confier la construction de Saint-Pierre, il a soixante-treize ans, et pendant toute la fin de sa vie, c’est-à-dire pendant dix-sept ans, il va s’y adonner tout entier. Il est âgé, mais encore sans maladie physique, et sans faiblesse morale : il est dans toute la puissance de son génie. Mais jamais il ne se trouva aux prises avec de plus grandes difficultés : lui, si indépendant, d’un caractère si absolu, si difficile, plus que jamais, il va avoir à lutter. Et pourquoi ? C’est ici un point essentiel de ce moment si dramatique de l’histoire de l’art.

Michel-Ange qui, par tout son passé, par toutes ses œuvres, est plus que tout autre l’homme de la Renaissance, va être conduit par les événements à devenir le chef de cet âge nouveau de la Contre-Réforme dont le mot d’ordre est la proscription de tout ce que la Renaissance a aimé. Lui qui a passé sa vie à étudier le corps humain, à dire par ses écrits et par ses paroles, à prouver par ses œuvres, qu’il ne pouvait y avoir de beauté que dans l’étude de la nudité des corps, il va terminer sa carrière par une œuvre chrétienne. Il se transforme, mais il ne peut changer toutes les conceptions de son esprit, et dans ce Saint-Pierre qu’il va construire, nous trouverons encore, à côté de la pensée chrétienne, des souvenirs de cette Renaissance qu’il ne peut oublier.

Dans ses projets pour Saint-Pierre, il est une chose qui séduira la papauté, c’est la beauté de cette coupole qu’il va dresser si magnifiquement dans les airs. Elle n’est plus relativement basse et elle ne disparaît pas derrière les clochers, comme dans les projets de Bramante et même dans ceux de San Gallo, mais elle s’élève hardiment au-dessus du tambour, dominant tout par sa masse et sa hauteur. Si Michel-Ange a pu avoir une pareille conception, c’est sans doute parce qu’il connaissait le dôme de Sainte-Marie des Fleurs, parce qu’il avait grandi à l’ombre de la coupole de Brunelleschi, mais surtout c’est parce que l’esprit chrétien pénètre en lui, lutte avec la Renaissance, et le pousse à renoncer aux proportions classiques, aux

Pl. 24.


Cliché Alinari.
SAINT-PIERRE DE ROME, COUPOLE ET ABSIDE, PAR MICHEL-ANGE.

lignes pondérées, inspirées de l’art antique, pour retrouver

l’élan de verticalisme qui est le legs de l’architecture du moyen âge.

Mais, dans les projets de Michel-Ange, il y avait des points qui ne pouvaient plaire, et qui, par la force des choses, devaient être plus tard abandonnés : ce sont le plan et la façade. Sa façade se composait d’un portique formé de colonnes détachées portant un fronton, suivant la plus pure théorie antique. Quant au plan, c’était le retour à la croix grecque, au monument symétrique conçu par Bramante, et ayant au point de vue religieux les mêmes inconvénients. C’est que Michel-Ange est avant tout un artiste. Plus tard, quand la Contre-Réforme aura poursuivi son œuvre, les idées chrétiennes imposeront la construction d’une nef ; mais, pour l’instant, Michel-Ange, ayant conçu sa coupole, lui subordonne tout : il ne veut pas qu’une longue nef en diminue l’effet, ni qu’une façade trop haute vienne lutter avec elle par ses lignes ascensionnelles.

Si l’on compare l’œuvre de Michel-Ange avec celle de ses précesseurs, on voit que tout se simplifie : de toutes les délicatesses de Bramante, de toutes les complications de San Gallo, il ne reste rien. Quatre piliers pour supporter la coupole, des murs suivant le contour des quatre nefs, et ce fut tout.

À l’extérieur, les murs prennent, au point de vue esthétique, une importance de premier ordre. Par la manière dont Michel-Ange les traite, il se montre aussi grand que dans la conception de la coupole elle-même. On y trouve l’expression la plus complète de cette force qu’il avait su si parfaitement incarner dans le Moïse et dans la Sixtine, et qui caractérise toutes ses œuvres d’architecture, notamment le vestibule de la Laurentienne et les palais du Capitole. C’est la même manière de masquer les murs derrière les formes architecturales, grâce à la force et à la variété des ouvertures, et à la multiplicité des grands pilastres montant d’un jet de la base au sommet. L’attique, si critiqué d’habitude, semble au contraire une forme d’une admirable audace, qui apporte la force indispensable pour couronner les murs de ce gigantesque édifice. Une comparaison avec le projet, d’ailleurs très beau, de San Gallo fera mieux saisir la grandeur de l’œuvre de Michel-Ange.

Dans leur ensemble, ces murs sont une des conceptions les plus impressionnantes de l’architecture : ils forment le plus merveilleux piédestal qu’on puisse imaginer pour supporter la coupole. Pour comprendre le Saint-Pierre de Michel-Ange, ce n’est pas devant la façade qu’il faut se placer, c’est en arrière de l’église, un peu haut si possible, et, de là, tout ce qu’on voit appartient à ce maître.

Lorsque Michel-Ange mourut, la coupole ne s’élevait que jusqu’au sommet du tambour ; ce fut un de ses élèves, Giacomo della Porta, qui l’acheva. Sans avoir un génie égal à celui de Michel-Ange, il sut néanmoins continuer l’œuvre de son maître, sans l’amoindrir, et même en y mettant une beauté nouvelle. Si nous nous en rapportons à une peinture du Vatican, nous savons que la coupole de Michel-Ange devait être un peu plus basse que la coupole actuelle, et que sa silhouette extérieure se rapprochait davantage du plein cintre. C’est l’esprit chrétien qui l’a surélevée, c’est à cet esprit que G. della Porta a obéi en reprenant les formes gothiques ; c’est lui qui rend plus aiguë la coupole de Michel-Ange ; surtout c’est lui qui accentue l’élévation de la lanterne terminale, et, par là, achève d’enlever à la coupole tout caractère qui pourrait la rapprocher de l’art antique, et donne à cette œuvre le même élan que les façades et les clochers gothiques mettent sur les grandes cathédrales du moyen âge.

Alfred de Musset a eu raison d’associer des œuvres séparées pourtant par de longs siècles, en parlant de ces temps

Où Cologne et Strasbourg, Notre-Dame et Saint-Pierre,
S’agenouillaient au loin dans leurs robes de pierre.

C’est le dernier mot à dire sur ce siècle. Après avoir débuté dans le culte du paganisme, après avoir mis son idéal dans la copie des temples antiques, il redevient chrétien et fait une cathédrale digne de celles du moyen âge ; après avoir commencé par le Tempietto de Bramante, il se termine par la Coupole de Michel-Ange.



  1. Voir dans l’Arte (fasc. 6, 1912 et fasc. 1 et 2, 1913) une étude de M. Giovannoni sur les Chiese della seconda metà del cinquecento in Roma.