Bourassa et l’Anti-Laurierisme/Sir W. Laurier : réponse à un article infâme de M. Bourassa

Sir Wilfrid Laurier.

RÉPONSE À UN ARTICLE INFÂME DE M. BOURASSA.


M. Bourassa, qui au début de son insurrection avait fait mine de se prendre au sérieux, s’est vite démasqué, dans un article intitulé : « M. Laurier double martyr » ; il a laissé percer toute sa haine pour le premier ministre, il a fait couler sous sa plume, le flot de bile qui empoisonne son cœur et donné libre cours à la jalousie que lui inspire l’homme qui a su se gagner le respect de tout le pays, sans insulter ses adversaires.

M. Bourassa nous a accoutumés à sa manie de sarcasme. Il maniait autrefois cette arme tout en conservant les allures d’un gentilhomme. Mais depuis qu’il ne peut plus ouvrir la bouche dans une assemblée publique sans qu’une bave quasi épileptique lui monte aux lèvres, il se complaît à écrire comme il parle.

Il s’évertue à résumer le raisonnement de ceux qui partagent les opinions du premier ministre, dans cette formule simpliste dont il est l’auteur : « Sir Wilfrid Laurier est attaqué par les conservateurs et les nationalistes de Québec, comme TRAÎTRE À SA RACE ET À SA RELIGION, par les tories d’Ontario comme TRAÎTRE À L’ANGLETERRE ET AU PROTESTANTISME ; donc il a raison ».

Le grand prêtre du nationalisme étroit que représente la petite clique de Montréal, se trompe du tout au tout. Nous croyons que Sir Wilfrid Laurier a raison, parce que ses actes sont inspirées par un patriotisme éclairé, par le désir — qu’il sait mettre en action — de faire le Canada aussi grand que possible. Que cette ligne de conduite lui vaille les attaques des nationalistes, cela ne doit pas nous surprendre. Les quêteurs de places éconduits ne pardonnent jamais à ceux qui ont refusé de satisfaire leurs appétits. Nous n’espérons pas pouvoir jamais ouvrir les yeux à M. Bourassa et à ses partisans, mais on se console facilement de l’hostilité de ces prétendus frondeurs qui ne sont, après tout, que des batteurs d’estrade, des saltimbanques politiques.

D’après M. Bourassa, Sir Wilfrid Laurier ne serait qu’un vulgaire adorateur de tient lieu de tout sentiment d’honneur et de tous les dieux de l’Olympe politique. Il « a brûlé et adoré tour à tour toutes les idoles de la théogonie politique… Il a élevé, renversé, reconstruit tous les autels. Il a fait mieux encore : il a trouvé le moyen de sacrifier, au même moment, à Jéhovah et à Baal ».

Les forcenés du Nationalisme — ces gens qui mettent cependant une vigueur peu commune à insulter ceux qui n’ont pas le don de leur plaire, quitte à invoquer ensuite l’état délabré de leur précieuse santé dès que la justice leur met la main au collet — ces gens-là n’ont jamais trouvé mieux. Ils ménageaient évidemment leurs forces afin de laisser le champ libre à leur chef. Il suffit de reproduire une phrase comme celle citée ci-dessus pour en faire voir toute l’inanité. On ne répond pas à de pareilles choses, même si elles tombent de la plume de celui qui fait annoncer dans son journal ses articles du lendemain, comme on proclame à la porte d’une baraque de foire les exploits de l’hercule, ou l’adresse de l’enfant qui marche sur des œufs… sans les casser.

Mais voilà qui est mieux. Poursuivant son persiflage, M. Bourassa se demande si Sir Wilfrid Laurier a « souffert des manifestations successives ou simultanées de sa foi à des dieux si variés », et ajoute : « Mais ce que je constate, c’est qu’à s’infliger ces tourments, il a gagné quelques avantages extérieurs : LA LONGUE JOUISSANCE DU POUVOIR, DES ÉMOLUMENTS CONVENABLES, UNE MAISON SPACIEUSE ET BIEN MEUBLÉE, UNE AUTOMOBILE DE CHOIX, UNE RENTE VIAGÈRE CONTRE LES INTEMPÉRIES DE LA DÉFAITE TOUJOURS POSSIBLE. »

Et l’article finit, après nombre d’autres phrases aussi malveillantes que fausses, par cette perle : « Les adeptes sincères de tous les systèmes politiques, de toutes les aspirations nationales ont tour à tour cru en lui ; mais ouvrant enfin les yeux sur sa duplicité, ils commencent à s’apercevoir que cet homme éminent que la Providence a si bien doué, que les circonstances ont si bien servi, n’a eu, au fond et toute sa vie, qu’un principe : SE LAISSER VIVRE ; qu’un culte : SA GLOIRE ET SON AVANTAGE ».

Les majuscules sont de M. Bourassa lui-même, qui prend plaisir à souligner ces mots afin que personne ne puisse manquer de saisir toute la saveur de son infamie.

Aussi, d’après le chef nationaliste, Sir Wilfrid Laurier ne songe qu’à lui même ; il cultive sa gloire et son avantage personnel, il n’est, enfin qu’un JOUISSEUR livré tout entier à l’argent et aux plaisirs qu’il procure. Un homme ordinaire, tant soit peu au courant de ce qui se passe, n’aurait jamais osé écrire de pareilles choses ; mais quand on est le Nabuchodonosor de la tribu nationaliste, on ne se gêne pas pour si peu. Dans ce cafard, il y a un petit Voltaire qui croit bien qu’il trouvera toujours quelqu’un pour ajouter foi à ses mensonges éhontés.

La vérité est que Sir Wilfrid Laurier mène l’existence la plus simple possible compatible avec la haute position qu’il occupe. Sa maison, où il n’affiche pas un luxe insolent (quoi qu’en puisse dire le directeur du « Devoir » ) est ouverte à tout le monde ; si l’hospitalité qu’y offrent Sir Wilfrid et Lady Laurier est large, elle est surtout cordiale. Le premier ministre a des émoluments respectables, en rapport avec sa situation : c’est le pays qui les lui a votés. Il en consacre une part notable à faire instruire de jeunes Canadiens et Canadiennes de talent — ce qui est aussi noble et généreux que de gaspiller en folles spéculations une fortune qui appartient à d’autres. Et quelques intimes seulement savent combien de souffrances lui et sa digne compagne ont soulagées et soulagent encore tous les jours, combien d’orphelins ils ont tiré de la misère, arrachés à la rue, pour en faire de bons citoyens.

Voilà l’homme en qui M. Bourassa veut nous montrer un jouisseur, un homme attaché uniquement à « sa gloire » et à « son avantage ». Et c’est de sang-froid, avec la pleine conscience de leur odieuse fausseté, que M. Bourassa écrit de pareilles abominations. On pourrait les pardonner à un écrivailleur quelconque chargé d’une besogne quelconque dans un journal comme l’“Eye Opener”, voire même du « Devoir » ; mais venant d’un chef de parti, d’un homme qui pose en sauveur de sa race et se prétend gentilhomme, elles étonnent.

Nous ne songeons pas à plaindre Sir Wilfrid, pas plus qu’il ne songe à s’en plaindre lui-même, des attaques dirigées contre lui. Le premier ministre est assez grand pour que de pareilles infamies ne puissent l’atteindre.

Nous pouvons cependant dire ceci à M. Bourassa et à ses seïdes : Le nom de Sir Wilfrid Laurier passera dans l’histoire comme celui d’un citoyen intègre, d’un patriote éclairé, d’un homme d’État éminent. Son souvenir vivra parmi ses compatriotes, Canadiens-anglais comme Canadiens-français, et sa mémoire, dans un demi-siècle et plus, sera respectée comme son nom est respecté aujourd’hui par tous ceux que n’aveuglent pas un esprit de parti intransigeant et une basse jalousie.

On n’en saurait dire autant de M. Bourassa.

SAINT-DENIS.