Bourassa et l’Anti-Laurierisme/La vraie indépendance

LA VRAIE INDÉPENDANCE.


M. Bourassa crie constamment à l’Indépendance ; il célèbre les vertus de l’Indépendance, mais son premier soin est de créer un parti nouveau et d’y enrégimenter autant de monde qu’il peut sous la discipline la plus sévère, quitte à tyranniser, vilipender et dénoncer ceux qui ne veulent passer sous la férule.

En voilà bien de l’indépendance.

Il est bien permis à l’a population ouvrière de songer à un troisième parti, parce qu’elle a des intérêts de classe, de collectivité à faire valoir. Ni les conservateurs, ni les libéraux ne peuvent se rallier d’emblée à toutes les théories ou réclamations ouvrières, bien qu’ils éprouvent de fortes sympathies pour elles, puisque le gouvernement est prêt à laisser élire leurs candidats. Alors, les ouvriers s’organisent en groupe, pour faire entendre leur voix dans le grand public. C’est une prétention légitime et constitutionnelle.

Mais, quel prétexte pourra donc invoquer un particulier qui n’a ni mission à montrer, ni griefs individuels à faire corriger, ni intérêts personnels à défendre ? Il s’écriera : « Mais, mes convictions ! ma conscience ! » Très bien ; mais, alors, ses convictions, sa conscience sont seules contre quarante ou cinquante autres consciences qui se sont consultées et ont mûrement délibéré. Lui, simple et jeune député, se pose du coup, comme l’adversaire et le juge du Premier Ministre, à la sagesse duquel sont confiées les destinées du pays. Donc, lui seul est infaillible, lui seul a de l’œil pour la conduite de nos affaires publiques. Voilà la négation la plus absolue du système parlementaire anglais, qui veut voir le pays conduit par les partis.

Il n’y a, en effet, de garantie, de sauvegarde pour la chose publique que dans l’existence des partis. Et, plus les partis sont forts, bien organisés, plus cette chose publique est protégée. Tuez l’esprit de parti, et, il ne reste plus que l’anarchie en politique. Chacun a le même droit que son voisin de faire prévaloir son opinion. La belle situation que nous aurions si tous, les uns après les autres, allaient courir les campagnes pour dire aux électeurs ahuris : « Ce n’est pas M. Bourassa qu’il faut croire ; c’est moi tout seul. M. Bourassa n’est qu’un mouton qui suit aveuglément M. Armand Lavergne ! Et, même, M. Lavergne n’est qu’un outil entre les mains de M. Paquet ! »

Les partis ont une force incommensurable, parce qu’ils sont le fruit d’une sagesse commune. Croit-on, par exemple, que Sir Wilfrid Laurier se conduit en autocrate avec ses amis ? Il est plus en état que tous d’apprécier une situation, parce que tous les renseignements convergent vers lui. Il reçoit les approbations et les désapprobations. Les députés à « l’esprit indépendant » ne manquent jamais de lui faire valoir leurs objections. Il pèse, il juge : il fait une moyenne de « pour » et de « contre » ; et, en définitive, il consulte la masse de ses partisans dans ce qu’on appelle un CAUCUS. Là, tout le monde donne sa façon de penser, sans réticences et sans ambages. Le député « indépendant » y a un beau rôle à jouer. Puis, la réunion adopte une décision quelconque, résultante de toutes les bonnes têtes réunies. Sortis de la salle, les membres les plus récalcitrants se soumettent au jugement de la majorité.

Telle est la véritable INDÉPENDANCE, qui éclaire un parti sans le ruiner. Elle vaut cent fois celle du particulier qui se contente de dire : « Tous les autres sont des imbéciles ; moi seul suis doué de la raison irrécusable et irréfragable. »

Si, dans notre société absolument démocrate, quelques-uns aiment un dictateur, qu’ils suivent cet homme-là ! ils ne s’embêteront pas à discuter sur les intérêts du pays et ne perdront pas leur temps à tirer des plans. Les choses leurs arriveront toutes mûries de ce cerveau puissant qui ne se trompe jamais.


LA PEUR DES ÉLECTIONS


BORDEN — : Sauvons-nous, les v’là !