Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/MICHAUD (Louis-Gabriel)

Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843
Tome 28 page 214 à 216

MICHAUD (Louis-Gabriel)



MICHAUD (Louis-Gabriel), frère du précédent, naquit le 19 janvier 1773, à Villette, près du bourg de Pont-d’Ain, dans l’ancienne Bresse. Il fit de bonnes études au collège de Bourg, embrassa à dix-huit ans la carrière militaire, et débuta par le grade de sous-lieutenant dans le régiment royal des Deux-Ponts, infanterie. Il prit part, sous les ordres de Kellermann et de Dumouriez aux batailles de Valmy et de Jemmapes, et quitta le service en 1797 avec le grade de capitaine dans le 101e régiment de ligne, A son retour en France, Michaud, qui appartenait comme son frère à la nuance la plus tranchée de l’opinion royaliste, fonda, de concert avec le sieur Giguet, un grand établissement d’imprimerie, dont il consacra les presses à la propagation exclusive des écrits, religieux et monarchiques. Cette conduite attira sur les trois associés les sévérités de la police directoriale. Ils subirent en plusieurs mois d’emprisonnement à l’Abbaye pour avoir imprimé un écrit de Louis XVIII, que leur avait remis M. Royer-Collard. Ces rigueurs ne déconcertèrent point le zèle et les efforts de G. Michaud. Il prit soin de se mettre en rapport avec les principaux écrivains et publicistes de son opinion, et de ces communications, que favorisait puissamment la célébrité croissante de son frère, naquirent les belles éditions des Œuvres de Delille, de l’Histoire des guerres de la Vendée, par M. de Beauchamp, des Mémoires tirés des papiers d’un homme d’Etat, et plusieurs autres. Mais ces publications n’étaient que le prélude d’une collection bien autrement importante et qu’on peut, sans exagération, qualifier ici même l’entreprise littéraire la plus considérable du siècle. Encouragés par le succès d’une Galerie biographique des principaux acteurs de la révolution française, qu’ils avaient publiée clandestinement en 1806, et qu’ils refondirent plus tard dans la Biographie des hommes vivants, Paris, 1816, 5 vol. in-8o, les frères Michaud conçurent l’idée d’un cadre dont les vastes proportions embrasseraient tous les personnages qui s’étaient fait remarquer à un titre quelconque depuis l’origine du monde jusqu’à nos jours. Cette pensée n’était pas neuve sans doute ; elle avait été réalisée bien avant eux par quelques écrivains plus ou moins célèbres, tels que Suidas, Lloyd, Moreri, Bayle, Ladvocat, Feller, Chaudon et Delandine, Watkins, etc., mais ils surent en quelque sorte la rajeunir et la féconder par l’étendue des développements qu’ils lui donnèrent, et qui ont attaché à ce grand ouvrage le caractère et la valeur d’une véritable encyclopédie historique. Leur premier soin fut de provoquer le concours des esprits les plus éminents en France et à l’étranger, dans toutes les branches des sciences, de la littérature et des arts ; car l’originalité de cette entreprise consistait surtout, à la différence de celles qui l’avaient précédée, dans une division qui permît de confier chaque catégorie d’articles dépendant de telle ou telle section des connaissances humaines aux écrivains qui en avaient fait l’objet spécial de leurs études. Ce concours ne fit pas défaut aux nouveaux éditeurs. Tout ce que l’empire et la restauration comptèrent d’écrivains distingués en tout genre répondit à leur appel, et la coopération à la Biographie universelle n’a cessé depuis lors d’être considérée comme un titre d’honneur. Mais ce premier avantage, du, à beaucoup d’égards, à la position élevée qu’occupait Michaud l’aîné dans la république des lettres, était loin de suffire aux nécessités de cette vaste entreprise : il fallait maintenir l’esprit de cohésion entre tant d’éléments divers et conserver à la Biographie l’unité de l’esprit sous l’empire duquel elle avait été fondée. Cette œuvre difficile appartint spécialement à Gabriel Michaud, et ce sera son principal titre de gloire. A partir même de 1815, François Michaud, devenu député de l’Ain, concentra exclusivement sa vie dans les préoccupations politiques, et la direction, de même que la propriété de la Biographie universelle, ne cessa plus dès lors d’appartenir à son frère seul (1)[1]. Cependant le régime impérial succombait sous ses propres excès ; et les souverains coalisés étaient entrés dans Paris, fort incertains encore du gouvernement qu’il conviendrait à la France d’adopter ; Les royalistes, qui connaissaient les indécisions du czar, cet arbitre suprême de la situation, n’épargnèrent aucun effort pour faire pencher la balance du côté des Bourbons. Deux d’entre eux, MM. de Sémallé et de Polignac jugèrent que le moyen le plus efficace d’y incliner les esprits était de répandre les proclamations, encore inédites, adressées aux Français par les membres de la famille royale, et recoururent au dévouement des deux imprimeurs, qui n’hésitèrent point à engager dans cette démarche périlleuse leur liberté et leur vie. Nous croyons pouvoir établir que cet acte de courage fut propre surtout au personnage qui fait l’objet de cette notice. Ce fut également à Gabriel Michaud que le secrétaire de M. de Talleyrand porta pour l’imprimer la proclamation du 31 mars, par laquelle l’empereur Alexandre déclarait que les alliés ne traiteraient plus avec Napoléon ni avec aucun membre de sa famille. Quand on réfléchit que la situation politique de la France se débattait encore à ce moment entre les perplexités d’Alexandre, les négociations pressantes du duc de Vicence et les formidables convulsions du géant impérial qui, blessé mais non abattu, menaçait de ressaisir Paris par un suprême effort, on est amené à reconnaître que le concours de l’imprimeur royaliste offrait tous les caractères d’une véritable témérité. Michaud rapporta lui-même au prince de Talleyrand l’épreuve de la proclamation impériale, mot auquel il avait substitué celui de Déclaration ; mais il ne put parvenir jusqu’auprès du czar, auquel il se proposait de remettre un magnifique exemplaire de la Pitié, de Delille, sorti de ses presses quelques années auparavant. La publication rapide du manifeste impérial ne fut pas étrangère sans doute à la détermination d’Alexandre, que fixèrent irrévocablement la défection du corps d’armée de Marmont et le mot connu de Talleyrand Napoléon ou Louis XVIII ! Tout le reste n’est qu’une intrigue. Cet éminent service et quelques autres témoignages de zèle royaliste moins signalés, furent un peu négligés à travers les bruyantes démonstrations de dévouement qui ne manquèrent pas plus au régime de 1814 qu’à ceux qui lui ont succédé. Michaud obtint seulement le titre d’imprimeur du roi (1)[2], la croix d’honneur, et beaucoup plus tard, en 1823, les fonctions de directeur de l’imprimerie royale. Ces faveurs lui parurent une rémunération insuffisante des périls qu’il avait affrontés et des persécutions qu’il avait souffertes, et il conserva jusqu’à sa mort un ressentiment assez vif contre les princes de la maison de Bourbon, et surtout contre Louis XVIII, à qui, d’ailleurs, dans son goût originel pour le pouvoir absolu, il ne pardonnait point ses tendances libérales de 1789, ni la charte de 1814. Il oubliait que les causes politiques veulent être servies pour elles-mêmes et sans acception des personnages qu’elles représentent et des récompenses qu’ils peuvent décerner. Michaud appréciait avec autant de rigueur et plus d’équité la coalition étrangère de 1792, dans laquelle il avait pénétré le dessein égoïste d’envenimer la révolution plutôt que la volonté de la combattre sérieusement. Le régime oppressif de Napoléon ne lui avait jamais inspiré qu’une profonde antipathie. Les articles DUMOURIEZ, Louis XVIII et NAPOLÉON, qui sont, avec sa longue notice sur TALLEYRAND, les plus importants que lui ait dus la Biographie universelle, témoignent de ses sentiments sur ces divers points. Ces notices se font remarquer par une foule de particularités curieuses et intéressantes ; mais l’auteur tire de leur rapprochement des conséquences souvent excessives et passionnées, et la même absence d’impartialité affecte la plupart des nombreux et prolixes articles qu’il a consacrés aux acteurs plus ou moins marquants de la période révolutionnaire. Michaud est encore auteur des notices sur le prince EUGÈNE, sur FOLARD, sur FRÉDÉRIC II, etc. Il avait publié en 1814 un Tableau historique et raisonné des premières guerres de Napoléon Bonaparte, vol. in-8o. En 1848, il fit paraître une Histoire de Louis-Philippe, que les ennemis même du monarque déchu jugèrent empreinte d’une extrême sévérité, et qui, sous le rapport des faits, ne doit être consultée qu’avec ménagement. Quatre ans plus tard, il publia un opuscule intitulé Louise-Marie-Thérèse de Bourbon, duchesse de Parme et de Plaisance, notice où, à travers quelques inexactitudes de détail, les vertus naissantes d’une des plus distinguées et des plus malheureuses princesses de l’Europe sont dignement appréciées. Promoteur de l’entreprise bibliographique la plus importante de nos jours, Louis-Gabriel Michaud, victime de nombreux revers de fortune, mourut dans un état voisin de la gêne, aux Ternes, près Paris, où il s’était retiré depuis quelques années. Il succomba le 8 mars 1858, à 85 ans, vivement regretté d’une nombreuse famille, à laquelle il avait prodigué toutes les ressources de son dévouement. Malgré cet âge avancé, il ne vécut point assez pour assister à la conclusion définitive de son œuvre. Mais la dernière période de sa vie avait obtenu une éclatante consécration du titre qui a fondé la véritable et la plus recommandable notoriété de son nom (1)[3].

A. B-ÉE.


  1. (1) La 1re édition de la Biographie universelle, commencée en 1810 fut achevée en 1828. Elle formait 52 volumes in-8o à deux colonnes. Elle fut suivie de 3 volumes contenant la partie mythologique, et numérotes 53, 54 et 55. En 1834, Michaud entreprit la publication d’un supplément qui forme les volumes 56 et suivants. Le dernier volume publié par lui est le tome 84, qui va jusqu’aux lettres Van. La 1re édition, tirée au nombre de 8000 exemplaires, était épuisée. On songea à refondre la Biographie universelle et son supplément en un seul corps d’ouvrage, en apportant au texte les corrections et modifications qu’il pouvait réclamer, et en le complétant de toutes les notices relatives aux personnages contemporains morts entre la publication de la 1re édition et du supplément jusqu’au jour de l’apparition de chaque volume nouveau. — Il ne nous appartient pas de porter un jugement quelconque sur cette 2e édition de la Biographie universelle, dont la forte vieillesse de M. Michaud ne devait point voir l’achèvement. Nous devons dire seulement que, riches d’un fonds précieux, nous avons cherché à l’améliorer encore. Un savant bibliographe étranger, M. Œttinger, appelait la 1re édition de la Biographie universelle « un des plus beaux monuments de la littérature française » (Bibliographie biographique universelle, t. 2, col. 1955). Notre ambition est d’avoir réussi à la compléter et à l’améliorer dans cette seconde édition. Sans parler des nombreuses corrections de détail qu’elle a reçues, nous nous sommes appliqués surtout à mettre les parties scientifique, historique et bibliographique au niveau des connaissances et des découvertes modernes. Nous n’avons pas hésité à modifier profondément ou à refaire entièrement ceux des anciens articles qui nous ont paru ou défectueux, ou ayant conservé l’empreinte de nos discordes passées, qui ne sont plus aujourd’hui qu’une part de l’histoire. Nous nous sommes toujours souvenus dans ce travail de l’épigraphe de la Biographie : « La vérité aux morts », mais la vérité calme et profonde. Pour ce qui concerna la partie tout-à fait nouvelle, suivant les principes qui avaient fait la gloire et la fortune de la 1re édition de la Biographie universelle, nous l’avons partagée entre un grand nombre de collaborateurs, demandant à chaque talent le concours de sa spécialité. Ecrivant pour l’universalité du monde, pour l’avenir, nous nous sommes efforcés de rester impartiaux et justes pour tous, sans acception de partis ou de systèmes. Fléchissant sous le poids des années, absorbé par la rédaction de son supplément qu’il a laissé in achevé, Michaud a peu fait pour cette seconde édition de la Biographie universelle. Toutefois, nous lui devons un très grand nombre de corrections, de notes et documents amassés pendant sa longue carrière, et quelques articles nouveaux. E. D-Si
  2. (1) Ce brevet fut retiré à G. Michaud à l’époque de l’ordonnance du 5 septembre 1816, mais il en obtint plus tard la restitution.
  3. (1) En 1852 la Biographie universelle eut à défendre sa propriété contre les graves atteintes d’une contrefaçon. La maison Firmin Didot frères entreprenait la publication d’un Dictionnaire biographique. Cette publication s’intitulait Nouvelle biographie universelle, ancienne et moderne, et elle s’attribuait en même temps le droit de prendre dans notre ouvrage un grand nombre d’articles, parce qu’ils étaient signés par des auteurs dont les ouvrages étaient tombés dans le domaine public. Une instance correctionnelle dirigée contre MM. Firmin Didot frères s’ensuivit. On déniait à Michaud la pensée, la direction, la création de la Biographie universelle ; bornant son rôle à celui d’un simple collecteur d’articles. Différents mémoires furent rédigés de part et d’autres (voy. le Journal de la librairie, ann. 1852,1853, 1854 et 1855} et des pièces nombreuses vinrent prouver le rôle de directeur éminent que Michaud avait joué dans la composition et la publication de la Biographie. La cause de la Biographie universelle fut défendue en première instance et en appel à Paris, à Amiens, à Orléans, par Mme Marie et Bethmont, alors bâtonnier de l’ordre des avocats à Paris, et devant la cour de cassation par Me Groualle. Divers jugements et arrêts différents quant au résultat juridique, mais unanimes sur le mérite et l’importance de Michaud dans la création de l’œuvre, furent rendus. La propriété de la Biographie et de ses articles fut définitivement sauvegardée au nom de la loi violée par la contrefaçon. Sans nous étendre sur ce sujet, il nous suffira de renvoyer le lecteur curieux de plus longs détails sur cette haute question de propriété et de jurisprudence aux préfaces des tomes 12 et 13 de notre édition, où nous en avons raconté les péripéties successives et reproduit textuellement les arrêts définitifs intervenus. E. D-s.