Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/HENRIETTE-ANNE d’Angleterre

Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843
Tome 19 page 208 à 212

HENRIETTE-ANNE d'Angleterre


lennelles, les dames de la Visitation. Anne d’Autriche et la reine d’Angleterre parurent désirer, pendant quelque temps, que Louis XIV choisît Henriette pour épouse ; mais le roi la trouvait trop jeune, et il rejeta cette idée. Peu de mois après le traité des Pyrénées, la reine mère fit la demande d’Henriette pour Philippe de France, son second fils. La reine d’Angleterre y consentit : mais avant de former cette union, elle voulut passer la mer avec sa fille, et se rendre auprès de Charles II pour le féliciter de son rétablissement sur le tronc de ses pères. Au bout de quelques semaines, pressée par les instances réitérées de Monsieur, la reine s’embarqua pour revenir en France : un gros temps l’obligea de rentrer dans le port. La jeune Henriette, déjà souffrante, avait à peine remis le pied sur le vaisseau que la rougeole se déclara. On mit à la voile aussitôt que son état le permit, et les princesses abordèrent au Havre, d’où elle se rendirent à Paris. Monsieur alla au-devant de sa future épouse avec empressement, et continua, jusqu’à son mariage, à lui rendre des devoirs « auxquels, dit madame de la Fayette, il ne manquait que de l’amour ; mais, continue-t-elle, le miracle d’enflammer le cœur de ce prince n’était réservé à aucune femme du monde. » Les époux furent unis le Bl mars 1661 dans la chapelle du Palais-Royal sans aucun appareil, parce qu’on était en carême. Henriette, qui était toujours restée auprès de la reine sa mère, s’était peu livrée à la société ; elle étonna tout le monde par l’agrément d’un esprit cultivé et le charme inexprimable de sa conversation. Une extrême affabilité, les grâces de la premîère jeunesse, animées par l’enjouement, en faisaient le plus bel ornement de la jeune cour de Louis XIV, et y rappelaient le souvenir de l’intéressante Marie Stuart, bisaïeule d’Henriette. Mais si ces qualités brillantes lui gagnèrent les cœurs, elle éprouva aussi tout le danger qui les accompagne, quand elles ne sont pas dirigées par le jugement et l’expérience. Alors régnait dans la haute société cette mode d’une froide galanterie, dont tous les romans et les poésies médiocres de ce temps sont empreints, et qui était devenue tellement usuelle, qu’elle avait pris la place de la simple politesse. C’est principalement à cette cause qu’il faut attribuer la liaison de Madame avec le comte de Guiche. Ce jeune seigneur, l’un des mieux faits et des plus recherchés de la cour, dont le style comme le langage étaient calqués sur ceux des héros de la Calprenède et de Scudéri, était alors dans les bonnes grâces de Monsieur. Le prince le présenta à sa nouvelle épouse, en la priant de le traiter avec bienveillance, et de l'admettre dans sa société particulière. Le comte ne put voir froidement tant d’agréments réunis : de l’admiration, du profond dévouement qu’inspire la vue d’une princesse que l’on sert encore plus par affection que par devoir, il passa bientôt à un sentiment plus tendre, mais moins respectueux. Mademoiselle de Montalais, l’une des filles d’honneur de Madame, ne tarda pas à pénétrer ce qui se passait dans l’âme de M. de Guiche : loin de le désabuser, elle prit intérêt à sa passion ; elle alla même jusqu’à se charger de mettre sous les yeux de la duchesse les lettres qu’il lui confiait. Madame refusa d’abord de les lire ; mais, vaincue par les supplications de mademoiselle de Montalais, elle lui permit d’y répondre, écrivit bientôt elle-même, et, entraînée par par un désir immodéré de plaire, elle eut l’imprudence d’accorder au comte plusieurs entrevues. Monsieur, en ayant des soupçons, pria le roi d’éloigner M. de Guiche : celui-ci reçut aussitôt l’ordre de se rendre en Pologne, et mademoiselle de Montalais fut renvoyée. Voilà tout ce que l’historien peut recueillir de certain sur cette intrigue ; et tout porte à croire que Madame n’eut à se reprocher que de la légèreté et de l’inconséquence. Peu de temps après leur mariage, Monsieur et Madame allèrent à Fontainebleau rejoindre la cour. Ce fut là que le mérite singulier d’Henriette fut apprécié par le roi, et que peut-être il se repentit de ne l’avoir pas élevée à la première place de son royaume. S’il parut épris de la société de sa belle-sœur, celle-ci ne fut pas insensible à un retour qui la flattait. Bientôt ce changement fut remarqué et diversement interprété. Anne d’Autriche craignit que la reine n’en prit de l’ombrage, et fit des représentations à son fils : le duc d’Orléans, naturellement jaloux, se plaignit avec amertume. Quelques personnes ont pensé a qu’il fut alors convenu entre la duchesse et le roi que celui-ci feindrait de s’attacher à mademoiselle de la Vallière, l’une des filles d’honneur de Madame. Mais, soit que cette passion ne fût en effet que simulée dans ses commencements, soit qu’elle fût la suite d’une véritable inclination, elle eut bientôt remplacé toutes les autres dans le cœur de Louis XIV. On a répété, d’après le témoignage de Voltaire, que l’intelligence secrète qui régnait entre le roi et Madame avait donné lieu à un commerce de galanterie, dont le marquis de Dangeau était l’àme et le confident, sans qu’aucune des deux parties intéressées s’en doutàt. Ce fait manque d’exactitude. Dangeau était absent de France pendant le peu de temps que dura cette liaison : il passa au service d’Espagne aussitôt après le traité des Pyrénées (voy. DANGEAU). L’abbé de Choisy dit positivement que c’est entre le roi et mademoiselle de la Vallière que cette singulière correspondance a eu lieu. Plus tendre que spirituelle, la Vallière ne savait pas toujours exprimer tout ce qu’elle sentait ; elle priait Dangeau de venir à son aide, et était loin de soupçonner qu’il fût l’auteur de la lettre à laquelle elle était si embarrassée de répondre. Une commune ambition et l’entraînement des mêmes goûts avaient établi de grands rapports entre Madame et la comtesse de Soissons. Elles s’étaient flattées toutes les deux d’obtenir, par mademoiselle de la Vallière, beaucoup d’influence sur le roi ; mais cette jeune personne, tout entière à son amour, restait étrangère aux calculs de l’intrigue : aussi sa perte fut-elle résolue, et tous les efforts se réunirent pour lui faire préférer mademoiselle de la Mothe-Houdancour, fille du maréchal de ce nom, en qui l’on espérait trouver plus de soumission. Le comte de Guiche portait Madame à cette démarche, et Vardes y excitait la comtesse de Soissons. Tous deux supposèrent une lettre espagnole, écrite à la reine par le roi son père, pour l’informer de la liaison de Louis XIV avec mademoiselle de la Vallière. Cette lettre fut remise au roi, et comme il s’en était ouvert à quelques-uns de ceux qui l’approchaient de plus près, Vardes, consulté à son tour, dirigea les soupçons de son maître sur la duchesse de Navailles, insinuation que la vertu austère de cette dame rendait vraisemblable, et elle ne put se soustraire à sa disgrâce. La véridique madame de Motteville pensa même s’y trouver enveloppée. Ce ne fut qu’en 1661 qu’une nouvelle intrigue fit connaître au roi les vrais auteurs de la lettre. Le comte de Guiche, obligé de s’expatrier, avait chargé Vardes d’entretenir Madame dans les sentiments favorables qu’elle lui portait. Celui-ci, honoré des bontés de la princesse, admis même dans sa confidence, conçut le projet de perdre son ami dans l’esprit d’Henriette, et de la tenir dans sa dépendance en se constituant le dépositaire obligé des lettres du comte. Cette dangereuse correspondance avait été confiée à mademoiselle de Montalais. Vardes représente à Madame l’importance dont il était pour elle de retirer un tel dépôt et de l’anéantir ; puis, quand il s’en vit possesseur, il refusa de s’en dessaisir. Les entretiens particuliers qu’entraînaient ces négociations excitèrent la jalousie de la comtesse de Soissons : elle crut que Madame cherchait à lui enlever son amant, et elle ne mit plus de bornes à son ressentiment. Les choses en étaient là quand Vardes rencontra le chevalier de Lorraine, et eut avec lui une conversation que ses suites ont rendue importante. Après qu’ils se furent loués réciproquement, et félicités sur le bon goût de leurs ajustements, Vardes fit les honneurs de sa personne ; il reconnut qu’il ne lui appartenait plus de prétendre aux succès de la première jeunesse ; « Mais pour vous, dit-il au chevalier, vous ètes d’âge et d’état à tout entreprendre ; jetez le mouchoir, et il n’y a point de dame à la cour qui ne le relève. » Le chevalier de Lorraine répéta cette conversation au marquis de Villeroy, l’ennemi de Vardes, qui courut aussitôt chez Madame et lui rapporta que Vardes avait dit au chevalier « qu’il avait tort de s’amuser aux soubrettes, et que, fait comme il était, il devait s’adresser à la maîtresse ; que même il y aurait plus de facilités. » Henriette, indignée, en instruisit aussitôt le roi, et Vardes fut mis à la Bastille. Outrée de la disgrâce de son amant, la comtesse de Soissons se répandit en discours injurieux contre Madame, et elle poussa l’animosité jusqu’à faire connaître à Louis XIV le secret de la correspondance de la duchesse d’Orléans avec le comte de Guiche. Réduite à cette extrémité, Henriette avoua franchement ses torts à son beau-frère ; mais elle lui révéla en même temps le dangereux mystère de la lettre espagnole. Le roi, indigné d’avoir été joué par un homme qu’il admettait dans sa familiarité, fit conduire Vardes à la citadelle de Montpellier, et le comte de Soissons fut renvoyé, ainsi que sa femme, dans son gouvernement de Champagne. Si Madame était sans cesse agitée par ces intrigues de cour, elle ne trouvait pas plus de calme dans l’intérieur de sa maison ; Cette princesse, douée de toutes les qualités qui peuvent le plus attacher un mari, n’avait pu parvenir à se faire aimer de Monsieur. Le chevalier de Lorraine, successeur du comte de Guiche dans la faveur du prince, le gouvernait despotiquement. Madame se plaignait souvent ; lasse enfin de l’inutilité constante de ses plaintes, elle eut recours au roi, et le chevalier eut l’ordre de se rendre en exil. Monsieur en conçut un chagrin mortel ; il se jeta au pied du roi, et voyant qu’il n’en pouvait rien obtenir, il se résigna en apparence : mais ce fut pour s’en venger sur Madame, en l’abreuvant d’amertumes. Daniel de Cosnac, évêque de Valence, premier aumônier de Monsieur, s’était montré attaché aux intérêts de la princesse ; il avait même eu le courage de faire des représentations, qui avaient déplu. Monsieur lui fit éprouver des désagréments si réitérés, que le prélat fut obligé de quitter la cour. Il continua néanmoins d’entretenir une correspondance avec Madame : la conduite qu’il tint envers cette princesse fut noble et généreuse ; son dévouement alla jusqu’à s’exposer pour elle à une disgrâce assurée (1)[1]. L’aveu que Madame avait fait au roi lui-même de la part qu’elle avait prise à la lettre espagnole avait singulièrement refroidi celui-ci pour elle ; et cette disgrâce durait encore, lorsqu’un grand intérêt politique rapprocha Louis XIV de sa belle-sœur. Il méditait en 1670 la ruine de la Hollande et ne pouvait y parvenir qu’en détachant Charles II de la triple alliance qui unissait à cette puissance l’Angleterre et la Suède. Le marquis de Croissy avait été envoyé à Londres ; on l’y avait bien accueilli ; mais rien ne se terminait. Le roi, connaissant l’intimité qui existait entre Madame et son frère, crut que par son entremise il obtiendrait plus facilement ce qu’il désirait. Il rendit donc ses bonnes grâces à la princesse et lui communiqua son dessein. Flattée de l’importance de la mission, Madame consentit à s’en charger ; mais elle refusa positivement d’avoir aucun rapport avec Louvois, dont les manières dures l’avaient révoltée. Il fut convenu que ce ministre serait suppléé par le maréchal de Turenne : mais l’exclusion de Louvois n’était qu’apparente ; consulté en secret, il dirigeait tout ans être vu. Le roi avait exigé que le secret de la négociation fût caché à son frère : Madame n’avait pas eu de peine à le promettre, et cependant Monsieur connut une partie du secret (voy. TURENNE). Tout étant préparé, le voyage de Flandre fut annoncé : son motif apparent était de faire voir à la reine les villes provenant des droits de cette princesse, qui venaient d'être réunies à la France. Quand la cour fut à Calais, Madame passa à Douvres, sous le prétexte de rendre visite à son frère, qui s’y était transporté de son côté. Voltaire place cette entrevue à Cantorbéry ; c’est une erreur démentie par tous les autres historiens. On avait pris le soin de faire accompagner Madame par mademoiselle de Kéroual, jolie Bretonne, qui plut à Charles, devint par la suite duchesse de Porstmouth, et contribua, dit-on, à la conclusion du traité. Au bout de dix jours, Madame revint en France comblée d’honneurs, apportant un traité sur lequel reposait le sort de plusieurs États. « La confiance de deux si grands rois, disait Bossuet, l’élevait au comble de la grandeur et de la gloire, » lorsque, le dimanche 29 juin 1670, retentit tout à coup dans St-Cloud ce cri : Madame se meurt, Madame est morte ; cri que nos neveux répéteront tant qu’on se souviendra de nos princes et que nos chefs-d’œuvre seront admirés. La princesse se plaignait d’un mal de côté et d’une douleur dans l’estomac. À sept heures du soir, elle demanda un verre d’eau de chicorée, qu’elle prenait depuis quelques jours. À peine l’eut-elle bu, qu’elle ressentit dans le côté une douleur violente qui lui arracha des cris perçants. Le mal, loin de se calmer par les remèdes, devenait d’instant en instant plus alarmant. Madame ne cessait de s’écrier qu’elle était plus malade que l’on ne pensait ; qu’elle allait mourir, et qu’il fallait lui aller chercher son confesseur. Elle embrassa Monsieur, qui était devant son lit, et lui dit avec douceur : « Hélas ! Monsieur, vous ne m’aimez plus, il y a longtemps ; mais cela est injuste, je ne vous ai jamais manqué. Elle ordonna de faire l’examen de l’eau de chicorée, assurant qu’elle était empoisonnée, et elle rétracta cet ordre quelques instants après. Monsieur s’empressa même de boire une partie du résidu. Des contre-poisons lui furent administrés. Bientôt le curé de St-Cloud survint : Madame se confessa, sans permettre à l’une de ses femmes de chambre, qui soutenait ses oreillers, de se retirer. Le roi, averti, arriva de Versailles à onze heures du soir ; il conféra avec les médecins, dit adieu à sa belle-sœur en pleurant, et se retira consterné. Madame de la Fayette fit appeler M. Feuillet, chanoine de St-Cloud, qui exhorta la princesse à la mort avec une énergie austère qui pour les lecteurs attendris semblait de la dureté. Bossuet accourt de Paris, et parle de Dieu et de l’éternité avec ce profond sentiment qui anime tous ses discours. Le zèle de ces deux hommes apostoliques ne fut pas perdu. Madame vit la mort en chrétienne ; elle accepta ses souffrances avec résignation, et expira à trois heures du matin ; elle avait à peine vingt-six ans. On lui vit conserver jusque dans les bras de la mort son caractère de grâce et d’amabilité : aussi n’oublia-t-elle pas M. de Condom dans ce dernier moment, et elle donna l’ordre de lui remettre, quand elle ne serait plus, une bague d’émeraude qu’elle lui avait destinée. Bossuet fait allusion à ce dernier souvenir de Madame dans son oraison funèbre, l’un des plus beaux modèles de l’éloquence de la chaire. Cette mort produisit une surprise que l’on n’essayera pas de peindre ; et encore aujourd’hui l’on se demande quelle a pu en être la cause. Il y aurait de la témérité à prétendre résoudre ce problème historique : on se contentera d’exposer ici des doutes. Les médecins qui firent l’ouverture du corps, en présence de l’ambassadeur d’Angleterre, déclarèrent que la mort avait été naturelle. Vallot, premier médecin du roi, donna par écrit un avis qui a été conservé : il dit que depuis longtemps il avait une très-mauvaise opinion de la santé de Madame ; qu’à l’ouverture de son corps, il avait reconnu que le foie et le poumon étaient entièrement corrompus, tandis que le cœur et l’estomac avaient conservé toute leur intégrité. Les historiens français et anglais ont pour a plupart adopté l’opinion de ce médecin. D’un autre côté, la France avait un grand intérêt à établir qu’il n’y avait pas eu de poison : on redoutait à Versailles une rupture avec Charles II, et il serait possible que de grandes vues politiques eussent eu de l’influence sur les rapports des médecins. On voit dans la correspondance de M. de Montaigu, ambassadeur d’Angleterre, avec sa cour, qu’il demanda à Madame, au lit de la mort, si elle se croyait empoisonnée, et que M. Feuillet prévint la réponse de la princesse, en lui disant de n’accuser personne, et d’offrir à Dieu sa mort en sacrifice. Madame de la Fayette, témoin de cette horrible scène, penche pour le poison. La princesse palatine de Bavière, seconde femme de Monsieur, qui avait recueilli tout ce que l’on savait à la cour sur cette mort, fortifie singulièrement ces doutes : elle affirme qu’il n’est que trop vrai que Madame Henriette a été empoisonnée ; elle assure même que cette princesse avait trois trous dans l’estomac. Son récit s’accorde presque en tout avec celui du duc de St-Simon : Mais, si ce crime parait trop certain, qui doit-on en accuser ? On éprouve un soulagement en voyant St-Simon et tous les contemporains écarter et démentir les bruits qui avaient circulé dans le peuple, à l’égard d’une personne auguste, et l’on s’accorda généralement accuser de ce forfait le chevalier de Lorraine. Retiré à Rome, ce favori supportait impatiemment sa disgrâce. Deux officiers de la maison de Monsieur, ses amis, ou plutôt ses compagnons de débauche, souhaitaient ardemment son retour, auquel Madame était le seul obstacle. Il parait que le chevalier leur envoya un poison subtil, par le nommé Morelli, et que l’un de ces hommes jeta le poison dans l’eau de chicorée, ou bien en frotta le gobelet qui devait servir à la princesse. Madame de Bavière assure dans ses lettres que, pour récompenser Morelli, on le plaça dans la maison en qualité de premier maître d’hôteI, et que, peu de temps après, on lui fit vendre sa charge. Il avait, dit cette princesse, de l’esprit comme un démon ; mais il était sans foi ni loi, et il mourut comme un athée. » Le marquis d’Argenson raconte cette anecdote un peu différemment, mais il ne rapporte qu’un ouï-dire ; et la princesse palatine, seconde femme de Monsieur, dit ce qu’elle a vu. Une lettre de M. de Montaigu, écrite à sa cour dans le temps du rappel du chevalier de Lorraine, accuse encore ce chevalier. Si Madame a été empoisonnée, dit-il, toute la France le regarde comme son empoisonneur. » (Voy. OEuvres de la Fayette, Paris, 1805, t. 3, p. 202.) Voltaire traite de fable populaire le bruit qui s’était répandu que le chevalier de Lorraine était l’auteur du crime ; mais il ne faut pas oublier que les Mémoires de St-Simon et ceux de la princesse de Bavière n’ont été imprimés que longtemps après leur mort. M. Craufurd, dans Ses Essai : sur la littérature française, a donné quelques considérations sur les causes de la mort d’Henriette. Il pense aussi que cette princesse a été empoisonnée ; mais il disculpe le chevalier de Lorraine. Voici l’analyse de son système. On voit dans St-Simon que Ie roi, la nuit qui suivit la mort de Madame, fit amener devant lui Purnon, premier maître d’hôtel de la princesse, et lui promit le pardon, en lui ordonnant sous peine de mort de lui dire la vérité. Cet homme avoua l’empoisonnement, ajoutant que c’était le chevalier de Lorraine qui avait envoyé le poison à Beuvron et à d’Effiat. Louis XIV, redoublant les promesses et les menaces, demanda si Monsieur en avait été instruit. Sur l’assurance négative que cet homme lui en donna, le roi parut soulagé d’un grand poids, et le fit mettre en liberté. Or, dit-on, si Louis XIV a connu le crime du chevalier de Lorraine, comment lui aurait-il permis, au mois de février 1672, de revenir à la cour, en le faisant maréchal de camp, ainsi qu’on le voit dans une lettre de madame de Sévigné du 12 février 1672 ? Cette objection n’est pas sans réponse. Ceux qui projetaient ce crime n’auront dit à Purnon que ce qu’il était nécessaire qu’il sût, pour aider à son exécution : il n’a dû en connaître que les auteurs immédiats. St-Simon dit d’ailleurs que c’est cet homme lui-même qui, longtemps après, a raconté cette anecdote à M. Joly de Fleury, procureur général au parlement de Paris. N’est-il pas possible qu’en la révélant, Purnon ait confondu et ce qu’il savait dès l’origine et ce que des conversations particulières lui avaient appris depuis ? Et en supposant que Louis XIV ait su que le chevalier de Lorraine fût le coupable, nous dirons avec Laplace que le roi ne devait point laisser pénétrer qu’il en eût aucune connaissance, et qu’il était indispensable qu’il traitat extérieurement le chevalier de Lorraine, d’Effiat et de Beuvron, comme s’il avait ignoré cet affreux secret. Autrement, il aurait semblé participer au crime en ne le punissant pas. Le roi avait besoin du chevalier de Lorraine pour contenir et gouverner Monsieur, et c’est à cette seule cause que le retour du chevalier doit être attribué. Madame de la Fayette nous a laissé une Histoire d’Henriette d’Angleterre ; il ne faut y chercher l’exactitude de l’historien que dans les détails de la dernière maladie : elle ne quitta pas Madame un seul instant, et elle rend compte de tout ce qui se passa (1)[2]. Bossuet prononça à St-Denis l’oraison funèbre de Madame, le 21 août 1670. M. Feuillet, chanoine de St-Cloud, qui assista la princesse, a aussi composé pour elle une oraison funèbre : il l’a fait précéder de la relation de sa mort. Ce discours a été imprimé à Paris en 1686.

M―r.


  1. (l) Voy. COSNAC et les Mémoires de Daniel de Cosnac, publiés par le comte Jules de Cosnac, pour la société de l’histoire, de France. Paris, Jules Renouard, 1852, in-8o•. On y trouve des détails plus étendus que ceux que l’on rencontre dans les Mémoires de l’abbé de Choisy.
  2. (1) Dans ces derniers temps, on a cherché à douter de l’horrible mort inopinée de Madame. On cite une lettre de Bossuet dont l’original est perdu, mais dont une copie s’est trouvée dans les mémoires inédits de Philibert de la Mare. L’opinion de Bossuet serait d’un grand poids ; mais elle ne nous parait pas suffisamment prouvée, et nous persistons, avec le savant baron de Walckenaer, à croire à l’empoisonnement, malgré les estimables recherches de l’honorable savant, M. Floquet.