Biographie nationale de Belgique/Tome 7/FYON, Jean-Joseph DE

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FYON (Jean-Joseph DE), homme politique, né à Verviers en 1745 ; mort à Liége le 2 septembre 1816. Il appartenait à une vieille famille industrielle du marquisat de Franchimont, dont plusieurs membres avaient été bourgmestres de Verviers et même de Liége[1]. On ne sait rien de l’enfance de Fyon. La carrière politique qu’il a fournie suppose, nécessairement, un degré d’instruction supérieur à celui qu’on eût pu rencontrer alors à Verviers ; il est donc probable qu’il fit ses études à Liége, où sa famille avait d’ailleurs des ramifications. Fyon se mêla de bonne heure des affaires de sa ville natale. En 1770, à vingt-cinq ans, il en fut nommé conseiller de régence, et deux ans plus tard, on le voit occuper, avec M. de Zinck, le poste de bourgmestre. Déjà sa popularité était considérable : on raconte qu’il allait nu-tête par les rues, le chapeau à la main, pour s’épargner l’embarras d’avoir à se découvrir à chaque instant devant les gens qui le saluaient. La régence de Fyon fut marquée par le classement des archives de la ville, par plusieurs travaux d’embellissement et la construction d’un nouvel hôtel de ville, mesures incontestablement fort utiles à Verviers, mais dont il serait peut-être téméraire de lui rapporter tout l’honneur.

Cependant, à Verviers comme à Liége, se montrèrent bientôt des signes avant-coureurs de révolution. Fyon se montra l’un des promoteurs les plus ardents des idées nouvelles ; il lui arriva même d’intenter au prince une action politique, à propos de la rénovation magistrale. Dès le commencement d’août 1789, il devint clair qu’il serait à Verviers le chef du mouvement qui se préparait. Le peuple, paré de cocardes franchimontoises, faisait la haie dans les rues qu’il traversait, le saluant des cris de vive Fyon ! Vive la liberté ! Le 18 août éclata l’insurrection. L’ancienne magistrature donna sa démission, et le peuple nomma bourgmestres, par acclamation, Fyon, et son ami Th. Biolley[2].

Une semaine après ces événements, le 26 août, le congrès franchimontois tint à Polleur sa première séance ; Fyon, représentant de Verviers, fut élu par acclamation président pour la journée. Il ne semble pas toutefois avoir été fort assidu à cette assemblée, dont les véritables leaders furent les avocats Brixhe et Dethier, ses futurs ennemis politiques. Peu après, Fyon fut nommé député à l’assemblée des villes, réunie à Liége ; son rôle semble pareillement y avoir été assez effacé. En mai 1790, il débuta dans la carrière militaire en conduisant à Liége un bataillon de volontaires franchimontois, dont la plupart revinrent bientôt dans leur patrie. Ensuite, après l’organisation de l’armée nationale, on le nomma colonel de l’un des deux régiments de 1,000 hommes entretenus aux frais du pays entier. C’est en cette qualité qu’il prit part aux opérations militaires dans le Limbourg et, notamment, à la bataille de Sutendael. La conduite de Fyon à l’armée liégeoise nous est connue par une lettre de Fabry à son fils Hyacinthe. « Je suis fatigué, dit-il, des rapports des chefs : contradictions, mauvaise humeur, sottises, etc. Au moins nous ne nous plaindrons pas de Fyon, il ne nous dit rien ; mais les autres se plaignent de ne pas être informés de ses marches ni de ce qu’il fait[3] ».

Cependant les affaires de la révolution allaient de mal en pis. Le congrès franchimontois, dont on connaît les tendances réunionistes, ne renonça pas à son rôle pour la cause. En septembre 1790, il créa, pour le ban de Franchimont, un comité exécutif, un comité judiciaire et un comité administratif. Fyon fut nommé membre du premier, mais il ne semble même pas y avoir siégé. En décembre 1790, à la veille du retour de Hoesnbroeck, il fit partie de la députation des patriotes liégeois à Bender, députation qui ne réussit pas, on le sait, à préserver le pays de Liége de l’invasion des troupes exécutrices.

Le rôle que Fyon avait joué pendant la révolution le désignait naturellement comme un des plus dangereux adversaires de l’état de choses rétabli. Aussi fut-il, dès le retour du prince, porté sur la première liste des bannis ; on lui enleva, en outre, sa place de maître des postes impériales pour la ville de Verviers ; ses biens furent confisqués ; l’ancienne magistrature, réintégrée dans ses fonctions, alla même jusqu’à l’accuser d’avoir dilapidé les deniers publics. Du reste, il n’avait pas attendu ces représailles, qui étaient certaines, et s’était réfugié à Paris même avant l’arrivée des Autrichiens. Là, il continua plus que jamais à s’occuper des affaires politiques. On le vit tout d’abord entrer, avec les deux Franchimontois Brixhe et Dethier, au comité des Belges et Liégeois unis. En 1792, il fut député par ce comité avec Levoz et ses deux compatriotes, pour s’adjoindre à l’armée de Lafayette qui envahissait la Belgique. Il quitta le général avec ses collègues le 19 juin, pour aller se réunir, à Menin, aux quatre délégués belges qui accompagnaient le corps de Luckner entré en Flandres. Tous ensemble constituèrent le « comité révolutionnaire des Belges et Liégeois unis ». Lorsque Dumouriez, après avoir chassé les Impériaux de la Belgique, eut décrété pour le pays de Liége une convention nationale, Fyon revint dans son pays et fut élu, le 20 décembre 1792, membre de cette assemblée.

C’est là qu’on le voit désigné pour la première fois sous le nom de général. Il est probable qu’il servait comme tel dans le corps de Miranda. En effet, les 3 et 4 mars 1793, lors des échecs que les Autrichiens firent subir à celui-ci, c’est Fyon qui vint rassurer à tort ses collègues de la Convention et retarder leur fuite. Bientôt cependant la défaite des Français ne put plus être niée, et Fyon, comme les autres membres de l’assemblée, s’empressa d’abandonner Liége avant le retour des Autrichiens. La convention se réunit quelques jours à Lille ; puis, sur la nouvelle apportée par Fyon que la ville allait être mise en état de siége, elle se retira à Paris. La division ne tarda pas à se glisser dans ses rangs. Les Franchimontois qui, dès les débuts de la révolution, avaient manifesté des tendances séparatistes firent décidément bande à part et se rapprochèrent de la commune, à laquelle ils demandèrent un local, qui leur fut accordé. Mais le parti franchimontois lui-même ne devait pas rester uni : deux fractions s’y formèrent bientôt ; l’une, dirigée par l’avocat Brixhe, voulait franchement l’annexion à la France ; l’autre, dont le chef était Fyon, penchant vers la réconciliation avec Bassenge et Fabry. Le parti modéré l’emporta et les Franchimontois se réunirent de nouveau aux Liégeois. Malheureusement cette réunion n’atteignit pas les résultats qu’on en attendait.

Elle continua d’être travaillée par les démagogues de Brixhe et les modérés du parti Fyon. Ces deux hommes en étaient arrivés d’ailleurs, l’un envers l’autre, à une haine ouverte ; les choses s’envenimèrent à tel point que, le 4 décembre 1793, Fyon, fort probablement par suite des intrigues de son ennemi, fut arrêté et emprisonné au comité révolutionnaire de sa section. Sa captivité toutefois fut de courte durée. Sur ces entrefaites, les dissensions de l’assemblée étaient devenues si profondes que, le 25 décembre, les Franchimontois abandonnèrent de nouveau les Liégeois. il faut dire que, les plus modérés, Fyon à leur tête, n’en continuèrent pas moins à se considérer comme membres de l’assemblée liégeoise : Fyon en fut même nommé président après Bassenge. Cette attitude dut exaspérer ses anciens amis politiques ; Brixhe recommença à déclamer contre lui, si bien que finalement Fyon le souffleta un jour à la sortie du club des Jacobins. Ce coup d’éclat lui valut sa radiation des listes du club et et une nouvelle arrestation à Saint-Lazare en avril 1794. À partir de cette époque jusqu’à la réunion du pays de Liége à la France, on n’entendit plus parler de Fyon. Mais, après l’annexion, on le vit rentrer dans sa patrie et être nommé, en 1795, député de Liége au conseil des Anciens. Cette élection fut annulée pour sa couleur un peu trop accentuée dans le sens montagnard, et aussi parce que Fyon était soupçonné d’avoir trempé dans la conspiration de Babeuf. En l’an v, on retrouve Fyon à Vendôme. À la suite de l’explosion du 3 nivôse 1800, il fut inscrit sur la liste des Jacobins à déporter[4]. À partir de cette date, il disparaît de nouveau ; on sait seulement qu’il finit par se retirer à Liége, où il mourut obscurément en 1816. « Il ne paraît pas, dit Borgnet en appréciant la conduite politique de Fyon, qu’on puisse lui reprocher autre chose que la légèreté et l’inconsistance de son caractère ; elles le poussèrent à toutes sortes d’inconséquences et d’exagérations, sans cependant lui faire prendre part à ces odieuses dénonciations qu’on ne peut trop flétrir ». Quoi qu’il en soit, il reste vrai que peu d’hommes ont laissé dans leur ville natale un souvenir aussi populaire que Fyon, et il n’y a pas si longues années que tout vieux Verviétois se rappelait encore des vers wallons que le peuple avait chantés en son honneur et dans lesquels on prédisait son retour prochain.

Henri Pirenne.

Ad. Borgnet, Histoire de la révolution liégeoise. — Nautet, Notices historiques sur le pays de Liége, t. III. — Code du droit public des pays réunis de Franchimont. Stavelot et Logne. — Manuscrit appartenant à M. J. Mathieu, de Verviers. — Archives de la ville de Verviers. — Loyens, Recueil héraldique des bourgmestres, etc.


  1. Les Fyon portaient : coupé en chef d’argent en sautoir alezé et dentelé de gueules ; en pointe de gueules à deux tours crénelées d’argent. Il ne faut pas confondre notre Fyon avec son frère Edmond, qui construisit le château de Juslenville et y reçut la reine Hortense et Las Cases.
  2. On frappa, à l’occasion de cette nomination, une médaille où les armes des deux bourgmestres surmontaient les inscriptions de Vive Fyon ! Vive Biolley !
  3. Ad. Borgnet, Histoire de la révolution liégeoise, t. 1er, p. 328.
  4. Papiers de J.-R. de Chestret, Liége, 1881, in-8o, t. 1er, p. xxvi.