Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BLADELIN, le chevalier Pierre

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BLADELIN, le chevalier Pierre



BLADELIN (le chevalier Pierre), surnommé Leestemaker[1], né probablement à Bruges dans les premières années du xve siècle, mort le 8 avril 1472. Sa famille était originaire de l’ambacht de Furnes, où plusieurs de ses membres avaient rempli avec honneur des fonctions municipales, tandis que d’autres occupaient des places distinguées dans le chapitre de Saint-Donat, à Bruges. Orphelin de bonne heure, Pierre se vit à la tête d’une fortune considérable qu’il augmenta de beaucoup par son mariage avec Marguerite Van de Vageviere, d’une naissance aussi noble que la sienne. Mais la régularité de sa conduite, le grand sens et l’esprit d’ordre qu’il montrait dans l’administration de ses biens attirèrent davantage sur lui l’attention de ses concitoyens et de son prince, le duc de Bourgogne. Déjà en 1436, on lui avait confié l’administration des finances communales, et les Acquits de la recette générale, qui se conservent aux archives du royaume, prouvent qu’il était receveur du bon duc en 1442. De grands abus régnaient encore dans l’administration des finances et beaucoup de subalternes y trouvaient moyen de s’enrichir ; mais le chevalier ne tint aucun compte de leurs doléances et rétablit un ordre parfait dans son département. Aussi fut-il créé peu après membre du conseil et maître d’hôtel de Philippe le Bon. Habile diplomate autant qu’administrateur intègre, il avait plus d’une fois rempli, à la satisfaction de son souverain, des missions de haute importance. C’est ainsi qu’il fut chargé, conjointement avec Olivier de la Marche, de négocier la mise en liberté du duc d’Orléans, depuis longues années prisonnier des Anglais, et qu’il conduisit à bonne fin une affaire à laquelle se rattache la plus belle page de l’histoire du bon duc. Au milieu de ces honneurs et d’une opulence honorablement acquise, Bladelin se convainquit que son mariage demeurerait stérile : de concert avec sa femme, il résolut donc d’employer ses richesses à une œuvre importante et durable. En effet, il ne s’agissait de rien moins que de bâtir à leurs frais une ville nouvelle. Bladelin racheta d’abord de son beau-frère un vaste domaine, ancienne propriété de l’abbaye norbertine de Middelbourg et situé dans la paroisse de Heyle, entre Ardenburg et Moerkerke ; il y ajouta le fief d’Aertryke et quelques fermes, car il était, dit Chastellain, « rice des biens de fortune oultre mesure. » Après avoir obtenu de Philippe le Bon la permission et l’octroi nécessaires pour l’exécution de son entreprise, il mit la main à l’œuvre et, comme toutes les mesures étaient prises d’avance, toutes les dépenses calculées, on construisit à la fois le château et l’église. Ces bâtiments n’étaient pas achevés encore, quand le fondateur obtint du bon duc pour sa ville naissante l’octroi d’une foire franche pendant six jours tous les ans. Six ans plus tard, les principaux travaux de la ville étant terminés et l’église consacrée sous l’invocation de saint Pierre, patron de Bladelin ; il y établit un collège de six plébendiers ou bénéficiers, dont le premier était le chantre, un curé, deux chapelains et deux clercs, et il dota convenablement ce modeste chapitre. Ces soins ne l’empêchaient pas toutefois de bien remplir ses fonctions à la cour et de rendre au duc des services signalés. C’est ainsi qu’il contribua puissamment, de concert avec le célèbre Louis de la Gruthuuse, à retenir Bruges dans la fidélité du prince pendant la révolte des Gantois. Il n’en fut pas moins affligé profondément à la nouvelle de l’affreux sac de Dinant qui flétrit d’une tache ineffaçable les derniers jours de son maître. Il ne craignit même pas de compromettre la haute faveur dont il jouissait en demandant qu’il fut permis aux malheureux Dinantais, qui erraient encore dans le pays et loin de leur ville ruinée, de s’établir à Middelbourg. Sa demande fut accueillie favorablement et, tout en ouvrant un asyle à des proscrits, Bladelin enrichit Middelbourg d’une industrie importante. Plus tard, il obtint d’Édouard IV, roi d’Angleterre, de grands priviléges pour ces ouvriers intelligents qui se montrèrent plus d’une fois dignes du nom d’artistes. L’avenir de la ville nouvelle paraissait assuré, quand son fondateur mourut, et fut suivi au tombeau quatre années après par sa femme. Le monument magnifique qu’on leur éleva dans l’église, en face du maître-autel, fut détruit dans les troubles du xvie siècle, mais leurs cendres reposent encore sous une tombe modeste. La maison que le chevalier s’était fait construire à Bruges et qu’il habita longtemps, existe encore dans la rue des Aiguilles et a conservé tout son caractère primitif : on la distingue par une tourelle charmante, en pierres de taille, dont elle est surmontée.

J.-J. De Smet.

Archives et comptes de la ville de Bruges. — Nouveau cartulaire de Middelbourg. — Rymer, Acta publica t. V. — Mémoires d’Ol. de la Marche. — G. Chastelain, œuvres publiées. — Heyndericx, Jaerb. van Veurne.


  1. Ce surnom lui vint du château de Leest qu’il avait construit sur la Lieve et dont le nom se conserve dans le Leestjesbrugge.