Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BERT, Pierre

◄  Tome 1 Tome 2 Tome 3  ►



BERT (Pierre), ou BERTIUS ou DE BERTE, érudit, né à Beveren[1] le 14 novembre 1565, décédé à Paris le 5 octobre 1629. Son père, Pierre Bert, qui s’est fait connaître comme professeur, ministre protestant et poëte latin, quitta en 1568 le village de Beveren qu’il habitait, afin d’échapper aux rigueurs des édits en matière de religion et alla avec son fils grossir cette colonie d’émigrants, sortis surtout de la Flandre, et se fixer en Angleterre. Il vint s’établir dans un des faubourgs de Londres et y confia la première instruction de son fils à un autre réfugié flamand, nommé Chrétien de Witte, qui lui enseigna le latin, le grec et le français. Le jeune Pierre Bert n’avait que douze ans lorsque son père, nommé ministre à Rotterdam, l’emmena avec lui et le fit inscrire à l’Université de Leide, où il se livra bientôt avec toute l’ardeur de son âge à l’étude de la langue hébraïque, des belles- lettres et de la théologie, sous la direction de deux savants déjà illustres : Juste-Lipse et Vulcanius ou De Smet. Il n’avait que dix-sept ans quand, en 1582, il commença à enseigner lui-même les humanités comme professeur privé et qu’il se rendit successivement en cette qualité à Anvers, à Ostende, à Middelbourg et à Goes. Revenu à Leide en 1593, il y acheva ses études, souvent interrompues, afin de pourvoir à sa subsistance par des leçons particulières. Dès lors il s’appliqua surtout à l’histoire, à la philosophie, à la langue grecque. Poussé par le désir de voir les pays étrangers, il entreprit, en 1591, avec Juste-Lipse, un voyage en Allemagne et résida quelque temps à Heidelberg et à Strasbourg où il dut reprendre l’enseignement privé, pour se créer des moyens d’existence. Deux ans après nous le voyons parcourir la Bohème, la Silésie, la Pologne et la Russie. Rentré à Leide en 1593, il y obtint la chaire de théologie. — Il s’y mêla activement aux disputes académiques et se signala par sa dialectique serrée et sa profonde science. Les curateurs de l’université lui confièrent aussi la direction de leur bibliothèque. C’est en cette qualité qu’il classa les livres dans un ordre méthodique qui, bien longtemps après lui, fut encore observé, et qu’il publia un catalogue dont voici le titre : Nomenclator auctorum omnium quorum libri vel manuscripti vel typis expressi extant in Bibliotheca Lugduno-Batava cum epistola Petri Bertii de ordine ejus atque usu. Lug. Batav., 1595, in-4o .

Les dix années suivantes furent consacrées à former, par des leçons particulières, les jeunes gens à la pratique de l’éloquence, tout en enseignant comme professeur en titre, à l’université. Après la mort de Jean Kuchlein ou Cuchlinus, arrivée en 1606, il remplaça celui-ci dans ses fonctions de régent du collège de théologie, mais ce ne fut pas sans répugnance, car on était alors dans le feu des disputes religieuses des Gomaristes et des Arminiens, et Bertius pressentait, avec raison, que sa nouvelle dignité deviendrait l’occasion de sa perte. Il renonça, par cette nomination, à ses autres fonctions et se trouva bientôt, par suite de la tournure aggressive de son esprit, engagé dans le parti des Remonstrants, ce qui lui suscita bon nombre de sourdes persécutions. On y préluda en le forçant d’échanger son emploi de régent contre celui de professeur de philosophie morale, ce qui lui enlevait toute influence sur le corps universitaire. Divers écrits qu’il publia, en matière de religion, vinrent mettre le comble à sa disgrâce. En 1619, le synode de Leide l’exclut de la participation à la cène, et sa destitution de professeur suivit de près. Malgré la protection du prince d’Orange, on le força d’abandonner l’enseignement privé. Pierre Bertius fit alors des instances auprès des états de Hollande pour obtenir une pension ; mais elle lui fut durement refusée, bien qu’il fût dénué de toutes ressources pour subvenir aux besoins de sa nombreuse famille.

Fatigué de tant d’ennuis, déjà agité par des doutes sérieux sur la vérité de la religion dans laquelle il avait été élevé, il se détermina en 1620, à quitter la Hollande et à se réfugier en France où le roi Louis XIII, appréciant son mérite, lui avait accordé le titre de cosmographe, deux ans auparavant, lorsqu’il lui eut dédié son Theatrum geographiæ veteris. Ce prince accueillit le réfugié hollandais avec grande faveur, lui assigna une pension convenable et lui octroya des lettres de naturalité pour lui et sa famille. Convaincu par quelques docteurs de Sorbonne de la fausseté du calvinisme, outré aussi des persécutions et de l’inhumanité de ses coreligionnaires envers lui, il embrassa alors ouvertement le catholicisme et abjura entre les mains du cardinal de Retz. Sa femme, fille de l’ancien régent Cuchlinus, et ses enfants, qui l’avaient accompagné à l’étranger, suivirent son exemple un an après son arrivée à Paris. La communauté protestante française fit tous ses efforts pour empêcher la conversion de Bertius, mais elle n’y put réussir. C’est à la suite de sa résistance qu’il fut publiquement excommunié, le jour de Pâques 1621, par le synode de Dortrecht. Ses compatriotes ne lui pardonnèrent jamais sa conversion et il fut, jusqu’à sa mort, en butte à leurs sarcasmes et à leurs attaques.

Soutenu par ceux qui l’avaient poussé à se convertir, Bertius fut nommé professeur d’éloquence au collége de Boncourt ; en 1622, Louis XIII créa en sa faveur une chaire de mathématiques au collège royal et enfin à la même époque, il le nomma son historiographe.

Cette vie orageuse avait probablement usé la constitution de Bertius ; il mourut à Paris, à l’âge de soixante-quatre ans, des suites de la dissenterie et déjà affaibli par de longues souffrances.

Ses démêlés politiques et religieux, sa polémique ardente, ses écrits philosophiques, ses discours, ses lettres, eurent un grand retentissement à l’époque où il vécut ; mais après sa mort, les disputes des Arméniens et des Gomaristes étant apaisées, cette renommée s’effaça promptement et la postérité ne se serait guère occupée de lui s’il n’avait laissé sur l’histoire, la géographie et l’hydrostatique des traités considérables qui ont établi sa réputation dans le monde des érudits. Pour la liste de ses écrits politiques et religieux nous renverrons le lecteur à Paquot et à Vander Aa qui les ont énumérés d’une manière assez complète. Il suffira sans doute de donner ici les titres de ses autres ouvrages ; nous avons déjà cité le catalogue de la bibliothèque de Leide. — 1° Variæ orbis universi et eius partium tabulæ XX geographicæ ex antiquis geographis et historicis confectæ. 1602, in-4o obl. C’est un recueil de cartes géographiques, fort estimé à l’époque où il parut. — 2° Tabularum geographicarum contractarum libri quatuor, Amstel., 1600, même ouvrage. — 3° Libri septem, in quibus tabulæ omnes gradibus distinctæ descriptiones accuratæ, cœtera suprà priores editiones politiora auctioraque ad christianissimum Galliæ et Navarræ regem Ludovicum XIII. Amstel., Sumptibus et typis œneis Jud. Hondii, 1616, in-4o. La première édition, traduite en allemand, parut à Francfort, en 1612, sous le titre de Petri Bertii, Geographische tabellen. Cette collection de cartes a servi de type aux vastes recueils publiés plus tard par Merian et Bleau. L’auteur voulait rivaliser d’exactitude et de soins avec Mercator et Ortelius, les plus célèbres géographes des Pays-Bas. — 4° Theatri geographiœ veteris tomus prior in quo cl. Ptolomæi Alexandrini geographiæ libri VIII ; græca ad codices palatinos collata, aucta et emendata sunt, latina infinitis locis correcta, opera P. Bertii, tomus posterior in quo itinerarium Anthonini imperatoris terrestre et maritimum provinciarum Gallicarum itinerarium à Burdigala. Hierosolymam usgue, tabula Peutigeriana cum notis Velseri ad tabulæ ejus partem parergi orteliani tabulæ aliquot. Amstel., ex officinà Judoci Hondii, 1619, fol., avec grand nombre de cartes. Dans sa préface l’auteur donne quelques détails intéressants sur cette vaste compilation des écrits de Ptolémée, de l’Itinéraire d’Antonin, de la Table de Peutinger et de la Notice des provinces de l’empire romain. Le même ouvrage contient Tabulœ Ptolemæiæ, décrites par Gérard Mercator : Recensuit variè, correxit auxitque Petrus Bertius. Son portrait, bien gravé par Hondius, se trouve en tête de quelques-uns des exemplaires de cet ouvrage, qui est devenu rare. — 5° Petri Bertii de Geographia oratio, Parisiis, 1622, in-4o. C’est son discours d’inauguration comme professeur de la chaire de mathématiques au collège royal que lui avait accordée le roi Louis XIII. — 6° Breviarium totius orbis terrarum. Lutetias Paris., 1625, in-4o, 17 pages. Ce traité très-abrégé de géographie générale parut encore successivement à Hanovre (1629), à Francfort (1640), à Leide, en 1647, à la suite de l’Introduction de Cluverius, à Leipsick (1662), à Amsterdam (1662 et 1676), et à Utrecht (1701). — 7° Notitia chorographica Episcopatuum Galliæ. Paris., 1625, in-fol. Recueil de cartes des évêchés de France. — 8° Commentariorum rerum Germanicarum libri tres. Amstel., 1626, in-4o obl., 732 pages, avec vues de villes gravées en taille-douce. D’autres éditions de ce livre assez estimé ont été publiées, disent les bibliogiaphes, à Amsterdam, en 1626 et 1632, mais, vérification faite, elles n’ont qu’un titre nouveau mis en tête des exemplaires de l’édition de 1616 ; sauf l’édition in-8o d’Amsterdam, de 1625 (avec dix-sept cartes géographiques), qui est nouvelle. — 9° De Aggeribus et pontibus hactenus ad mare extructis digestum novum. Paris, 1629, in-8o. Cet ouvrage, qui a valu à l’auteur une réputation d’hydrographe un peu usurpée, fut réimprimé par Sallengre, dans le Thesaurus antiquitatum romanarum, t. II, pp. 917-984. Bertius le composa à l’occasion de la construction de la digue, élevée par les ordres du cardinal de Richelieu pour fermer le port de la Rochelle, lors du siége de cette ville, en 1629. Enfant des Pays-Bas, où les inondations étaient si fréquentes, nul mieux que lui ne pouvait parler de l’histoire et de l’utilité du moyen que les Hollandais emploient pour s’opposer aux envahissements de la mer ; aussi le chapitre consacre aux constructions de ce genre, qui existaient dans sa patrie, offre-t-il un véritable intérêt. A la fin du volume se trouve une épître du cardinal de Richelieu qui remercie Bertius de l’envoi de ce livre et l’assure de sa bienveillance en faisant un aimable calembour intraduisible en français : Tuos libros et liberos mihi summopere comendatos scito. A la suite d’un livre intitulé : Novi orbis sivè descriptio Indiæ occidentalis, d’Antoine de Herrera (Amst. 1622, fol.), on trouve ordinairement un extrait du grand ouvrage de Bertius : Brevis et succincta Americæ, etc. descriptio excerpta ex tabulis geographicis P. Bertii. On lui doit encore une carte de l’empire de Charlemagne publiée à Paris.

Il a laissé, en outre, des oraisons funèbres, des poésies latines et un recueil de lettres d’hommes illustres, avec une préface toute empreinte de l’esprit littéraire de son temps. Ses propres lettres ont également été publiées et renferment des particularités curieuses sur sa vie agitée, particularités qui sont résumées avec beaucoup d’art dans le discours qu’il prononça en prenant possession de sa chaire au collége de Boncourt pour expliquer sa retraite en France. Bertius a encore mis une préface traitant de la vie et des écrits de Boèce, en tête de l’édition de l’ouvrage : de Consolatione philosophiæ. Cette édition parut après la mort de Bertius.

L’étendue des connaissances de cet érudit se manifeste dans la diversité de ces ouvrages ; à la fois théologien, géographe, historien, poète, mathématicien, hydrographe, philosophe, numismate, antiquaire, il n’est resté étranger à aucune science. Peut-être reprochera-t-on à Bertius, comme à tant de lettrés de son époque, d’avoir éparpillé son savoir dans une foule d’écrits fugitifs, au lieu de se consacrer à l’étude de la géographie, étude où il aurait atteint, comme le témoignent ses écrits, une véritable supériorité.

Bertius laissa six enfants, dont trois, Abraham, Nicolas et Jean, entrèrent dans l’ordre des carmes déchaussés ; Wenceslas devint missionnaire et mourut au Mont-Liban, en 1643. Abraham décéda à Leide, en 1683, et publia un grand nombre d’écrits religieux. Jean, prieur des carmes à Malte, y termina ses jours en 1662 et fit paraître un traité sur l’Eucharistie ; un quatrième fils, nommé également Jean, entra dans l’ordre de Saint-Benoît.

Meursius a publié le portrait de Pierre Bertius dans ses Athenæ Batavæ avec sa devise : Unum expetii a Domino !

Bon de Saint-Genois.

Paquot, Mémoires, t. XIV p. 1-23. — Vander Aa, Biographisch Woordenboek, t. I. — Nouvelle Biographie universelle, publiée par Didot. — Biographie de la Flandre occidentale. — Halma, Tonneel der Vereenigde Nederlanden, t. I, 132.


  1. Il y a plusieurs villages de ce nom dans la Flandre. On paraît être d’accord pour fixer le lieu de sa naissance au bourg de Beveren, au pays de Waes.