Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises/Pannier

C. De Beauregard
Texte établi par Alfred de MontferrandArmand-Aubrée, libraire (p. 426-437).


Mme Pannier.


M“ PÀNNIER

( Sophie)

NÉE À PARIS LE 1793.

Fille de René-Auguste Tessier, et de Sophie-Pauline Bausserox.


La mère de M mc Pannier, encore vivante, appartient à une. honorable famille de la magistrature. Devenue veuve, elle épousa, en 1812, M. Joly, conservateur à la bibliothèque royale.

La jeune Sopiiie Tessier, issue du premier mariage,, avait montré dès sa plus tendre enfance un goût décidé pour la littérature. Cet entrainement alarma la prudente tendresse de ses parents, qui entreprirent de modérer l’ardeur avec laquelle, sans discernement et sans choix, elle dévorait tous les livres qui lui tombaient sous la main. Ils îa confièrent aux soins des respectables ursu- lines de Paris, qui habitaient alors l’ancien hôtel de Fleury, rue Notre-Dame~des-Champs, et à la bienveil¬ lance particulière d’une religieuse, amie de sa famille.

M mc Catti, c’est le nom de cette religieuse, aussi dis¬ tinguée par son instruction que recommandable par ses vertus, fut plus d’une fois tentée de calmer la vivacité d’esprit de son élève, en fournissant un aliment aux fa¬ cultés naturelles qu’elle lui reconnaissait ; mais envisageant le modeste avenir réservé à sa protégée, elle pensa avec les parents que loin de chercher à développer en elle les dons de l’imagination, elle devait apporter tous ses soins à en modérer et même à en arrêter l’essor.

Étouffée en quelque sorte dans l’éducation étroite qu’elle recevait, la jeune Sophie sortit du couvent à l’âge de quinze ans, comme l’oiseau qui vient de briser la coquille où il était emprisonné, et ce fut avec la satisfaction la plus vive qu’elle rentra dans sa famille. Mais sa mère, alors atteinte d’une maladie grave, et tout entière aux soins que réclamait l’état de sa fortune, n’avait ni le loisir d’étudier le caractère et les dispositions de sa fille, ni le calme nécessaire pour deviner le besoin d’épanchement qu’éprouvait une jeune personne sérieuse et froide à force d’exaltation.

Sophie Tessier, accueillie par ses parents avec une bonté parfaite, passait les plus beaux jours de son adolescence dans la terre de Cerny, que MM. Bellart et d’Angny possédaient en commun. Autour du célèbre avocat, que ses opinions politiques laissaient alors en dehors des emplois, se réunissaient les grandes lumières et les plus nobles espérances du barreau. Des conversations tour à tour solides et brillantes, instructives et spirituelles, animaient ce cercle d’hommes de mérite et de talent, et, satisfaite d’entendre parler un langage qui répondait si bien à son âme, la jeune fille eut encore le bonheur de trouver à Cerny une amie à qui il lui était permis de confier ses pensées et les sentiments confus dont son cœur était rempli.

Cette amie, objet pour Mme Sophie Pannier d’un attachement et d’une estime que le temps n’a fait que rendre plus solides, était Mlle Bellart. On sait le mutuel dévouement qui, jusqu’au dernier jour, confondit l’existence du frère et de la sœur. Les personnes qui ont été admises dans l’intimité de Mlle Bellart savent aussi que la tournure de son esprit et cette bonté parfaite qui la porte à être l’appui de tout ce qui en a besoin, l’attirent vers les jeunes personnes dont elle aime les impressions naïves et le langage ingénu. Sophie Tessier céda à l’attrait sympathique qui l’entraînait ; elle apporta dans une amitié si flatteuse pour elle tout l’abandon, toute la franchise de son âge. Une raison aimable et douce vint régler la vivacité de son imagination, et Mlle Bellart fut la première personne qui connut tout ce qu’il y avait d’enthousiasme sous la réserve extérieure que l’éducation avait donnée à sa jeune amie.

Mme Tessier avait permis à sa fille de lire les chefs-d’œuvre de la littérature française ; elle entra dans cette carrière avec une ardeur qui n’excluait pas la réflexion. Quel que fût le charme de la société d’un monde qu’elle ne connaissait pas encore, un volume de Corneille ou de Racine suffisait pour l’y arracher ; et, pour lui faire sacrifier les plaisirs de son âge, il n’était besoin que d’un ouvrage de Mme de Genlis, dont le talent vrai et sans artifice a toujours été pour elle l’objet d’un culte particulier.

Mais le cercle des ouvrages modernes que lui permettait la prudence de sa mère ayant été bientôt parcouru, elle relut, étudia, apprit par cœur Corneille, Racine, et même Delille, tant était vif son désir de savoir, tant était décidé son goût pour la littérature.

Nous insistons sur ces détails, parce qu’ils montrent l’influence de cette seconde éducation qui se compose des rapports sociaux et des lectures. C’est véritablement là que se décident les vocations, que se font les destinées.

Toutefois, rappelée à la vie positive par une demande de mariage, elle se résigna, par principe d’obéissance et par raison, à devenir l’épouse d’un négociant.

À dix-huit ans, unie à un homme de vingt-cinq, d’un caractère aimable et bon, il semble que le sort de la jeune femme soit fixé à jamais, et que sa vie, ignorée, mais heureuse, va s’écouler sans éclat, mais aussi sans revers. Il n’en fut pas ainsi : les vicissitudes commerciales qui signalèrent le passage de l’empire à la restauration, minèrent les fondements de la fortune des deux époux. Mme Sophie Pannier ne voulut pas attendre le jour où l’honneur serait compromis ; elle engagea son mari à liquider ses affaires, et fit à cet acte de loyauté le sacrifice de sa dot et de l’héritage paternel.

La jeune femme trouva une consolation dans la réalisation des engagements de son mari ; elle se flattait d’ailleurs qu’à l’aide de quelques protections, il parviendrait à trouver un emploi ; et, dans cette pensée, elle regardait la vente de la maison comme un bonheur de commerce, et sa ruine comme un affranchissement intellectuel.

De longues et pénibles démarches n’aboutirent qu’à procurer à M. Pannier, en province, un emploi trop modique et trop précaire pour qu’il pût y établir sa famille. Ce fut alors que Mme Pannier résolut de demander à sa plume ce que le désastre de sa fortune lui avait retiré, et de pourvoir par le travail à ses besoins et à ceux de ses deux enfants.

Elle s’essaya dans la carrière littéraire par quelques articles publiés dans les journaux, et qui furent favorablement accueillis. Encouragée par ce premier succès, clic osa entreprendre de combattre dans un roman les odieuses inculpations par lesquelles des productions du même genre et la presse philosophique cherchaient à dénaturer le caractère des ministres de l’Évangile. Le succès du Prêtre, donné en 1820, justifia la hardiesse de la jeune femme. Peu de débuts littéraires ont été aussi flatteurs.

On trouve dans cette composition originale des por¬ traits dessinés avec fermeté, des situations fortes et un but moral bien arrêté. Peut-être reprochera-t-on à la vive imagination de Fauteur quelques exagérations dans l’expression. Tout débutant craint de ne pas produire assez d’effet, de ne pas frapper assez fort Sans doute aussi la donnée du drame aurait pu être conçue avec plus de vérité dans ses rapports avec le caractère du prêtre. Mais de ccttc composition à celle de Y Athée, qui s’y trouvait en germe, il y a un progrès immense, et l’on voit dans ce dernier ouvrage que l’auteur a reconnu et corrigé elle-même les imperfections du premier.

Le roman du Prêtre y comme tous les autres ouvrages de Mme Pannier, hormis Y Athée, ayant été publié sous des initiales, on l’attribua tour à tour à plusieurs écri¬ vains distingués. D’aussi flatteuses méprises étaient un encouragement ; Mme Sophie Pannier ne réclama pas ; mais tôt ou tard les bons ouvrages portent leurs fruits comme les bonnes actions, et le souvenir du Prêtre n’a certainement pas nui au succès de Y Athée.

Deux ans après, parut, en 2 vol. in-12, la Vieille Fille, nouvelle remplie d’intérêt, dont se souviennent encore les amateurs de romans et dans laquelle, à côté du mérite de l’invention, se trouve celui de la grâce et de la pureté dans les formes du style.

En 1823, M œc Sophie Pannier eut l’heureuse idée de substituer au merveilleux des contes de Perrault le mer¬ veilleux qui anime et personnifie les choses morales, et, tirés à deux mille exemplaires, les t Cordes mythologiques furent appréciés par les jeunes lecteurs auxquels ils étaient offerts.

Mis en rapport avec de jeunes héros, dans ces contes, les dieux de l’Olympe n’interviennent qu’au profit de l’honneur et de la vertu ; au risque de n’être pas tout à fait en rapport avec les caractères donnés, l’auteur s’est efforcé de reléguer la fiction dans les faits et de mettre la vérité dans les sentiments.

À cet ouvrage, écrit avec une pureté et une élégance de style tout à fait remarquables, Mme Sophie Pannier a joint des notes sur l’origine de chacun des dieux qu’elle mettait en scène, en sorte que ce recueil de contes amu¬ sants est en même temps un petit traité élémentaire de mythologie.

En 1825, Mme Sophie Pannier publia tÉcrivain public (4 vol in-12). Cet ouvrage est un recueil de Nouvelles, destinées à mettre en action divers points de morale à l’usage des classes populaires. Il y avait quelque courage alors à s’élever contre le système suivi avec tant de per¬ sévérance par un parti politique pour fausser les idées des classes inférieures, propager parmi elles le mécon¬ tentement et les exciter contre les rangs élevés de la société et contre le pouvoir. Sans prendre une couleur prononcée pour ou contre certaines opinions, Fauteur s’est attaché à établir des vérités générales avouées dans tous les* temps par les hommes qui cherchent les condi¬ tions de l’ordre moral. L’Académie française a rendu justice tout à la fois aux intentions et aux talents de l’auteur, en lui décernant un des prix Monthyon pour les ouvrages les plus utiles à l’amélioration des mœurs.

C’est sous l’inspiration des mêmes idées que M mo Pan¬ nier écrivit et publia en 1829 : les Richesses du pauvre et les Misères du riche, véritable traité de morale, ayant pour but de réconcilier la classe ouvrière avec sa situa¬ tion, en lui montrant les avantages et les compensations de son état à côté des embarras et des tourments qui ac¬ compagnent l’opulence. Ce cadre ingénieux est rempli avec beaucoup d’habileté, de finesse et de tact. Un homme de lettres s’est récemment emparé de la donnée et presque du titre. Le seul reproche qu’on puisse faire au livre de Mme Pannier, c’est qu’on y trouve une profondeur d’aperçus et une élégance de style qui le mettent au-dessus de l’intelligence de la classe de lecteurs à laquelle elle l’avait primitivement destiné.

Après cette publication, Mme Sophie Pannier laissa écouler plusieurs années sans donner de nouveaux ouvrages. Elles les employa à des études sérieuses aux¬ quelles ont fait diversion des inquiétudes pour la santé d’une fille chérie, et le mariage de cette jeune personne douée de grâces et des plus belles qualités avec M. Brisset, homme de lettres aussi distingué par son talent comme écrivain, que recommandable par son noble caractère. Si ces incidents suspendaient les travaux de Mme Sophie Pannier, son temps n’était pas perdu pour la réflexion, qui devait produire une œuvre solide et de grande portée. Sur ces entrefaites et à la demande de quelques éditeurs de recueils, elle publia plusieurs de ces compositions légères qui n’exigent ni un grand effort de la pensée, ni un pénible travail. Ainsi elle donna dans le livre des Cent et un, le Jeune Républicain, morceau écrit de verve et où se révèle déjà l’auteur de M Athée. Dans le Salmigondis, les Deux Manières de voir et le Bol de punch, sorte de débauche d’esprit qui paraît être une innocente ironie du genre fantastique, mais où l’auteur a fait preuve d’une riche imagination. Enfin dans le Livre des Femmes, Mme Pannier a fourni son contingent avec Un et un font un, nouvelle remplie d’intérêt, et aussi piquante par l’originalité du sujet que par la manière dont il est traité.

De tels précédents donnaient sans doute à l’auteur de tant de compositions ingénieuses et surtout irréprochables, le droit de lever le voile de l’incognito et de se présenter avec confiance au public. Elle savait que, sans être connue de lui, il aimait son talent et lui rendait justice ; le soin extrême qu’elle avait apporté à la composition et au style de son dernier ouvrage rendaient donc bien légitime l’espoir qu’elle avait conçu qu’il apprécierait la droiture et la pureté de ses intentions.

Il y a sans doute pour une femme auteur, même lorsqu’elle obtient des succès, un grand charme attaché à l’incognito. Avoir de l’esprit quand on peut, mais sans y être obligée ; n’être ni le point de mire, ni le but des observations de certaines gens qui s’imaginent qu’une personne qui écrit doit parler, marcher et regarder autrement qu’une autre ; pouvoir entendre l’éloge de ses ouvrages sans alarmes pour la modestie, et les critiques sans trouble ou sans amertume, tels sont les avantages inappréciables qui résultent de l’incognito. Mais d’un autre côté n’est-ce pas un devoir d’y renoncer lorsqu’on défend la plus noble des causes ? Doit-on, quand on combat pour la religion et pour l’ordre moral, rester derrière un voile impénétrable comme ces écrivains qui rougissent de leurs œuvres et livrent au public de coupables pensées sans oser lui livrer leurs noms? En publiant l’Athée, M œc Sophie Pannier a cru que le temps était venu pour elle de se produire au grand jour, et elle n’a revendiqué ses premiers ouvrages que parce qu’elle a eu la conviction que ces essais, écrits sous l’influence des sentiments qui lui ont inspiré Y Athée, peu¬ vent ajouter quelque autorité aux principes développés dans ce dernier livre.

Il n’est personne un peu au courant de notre littérature, qui n’ait appris le succès de cette belle et noble composition, et qui, après la lecture, n’ait confirmé par son propre jugement celui des esprits éclairés. Mme Pannier a fait non-seulement un excellent livre, mais encore une bonne action ; car elle a saisi le doute dans ses retranchements les plus forts, et ramené des convictions égarées ou chancelantes. Avec une âme comme la sienne, ce seul résultat est une récompense qui surpasse toutes les jouissances de l’amour-propre.

Ce qui distingue surtout ce roman, après l’intérêt du drame, c’est la fermeté des principes -, la solidité du raisonnement et la franchise du débat entre Y Athée et la femme qui doit le ramener par la force de l’évidence. On n’y trouve aucun de ces subterfuges si fréquents dans des écrits de même nature, où l’objection est affaiblie dans l’intérêt de la réfutation. Cette conception en un mot, et son exécution, annoncent dans son auteur non-seulement une puissante faculté de penser, d’imaginer et de peindre, mais encore une inspiration qui s’est formée aux sources les plus élevées et les plus pures.

Arrivée à l’âge de la plus grande forcé intellectuelle, M“ e Sophie Pannier a marqué dans ce livre, d’une ma¬ nière éclatante, le commencement d’une nouvelle époque dans sa carrière littéraire ; et désormais la France a en elle une illustration de plus.


C. De Beauregard.