Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises/Gevaudan

Mme la comtesse d’Hautpoul
Texte établi par Alfred de MontferrandArmand-Aubrée, libraire (p. 438-445).


Mme  la Mise de Gévaudan.



Mme la Mse DE GÉVAUDAN


(Antoinette-Marie-Henriette)


NÉE À AVIGNON.


Fille du marquis de Nogaret, et d’Anne-Victoire d’Asques.


Mme de Gévaudan, la seconde des quatre filles que M. de Nogaret laissa orphelines en bas âge, fut mariée par son tuteur à l’âge de quatorze ans, pour devenir comme une sorte d’égide protectrice pour ses sœurs, que les orages politiques de ces temps malheureux menaçaient des plus grands dangers. La raison précoce de la jeune Henriette, et son esprit qui fut toujours inspiré par son cœur si aimant, lui avaient fait apprécier ces dangers ; elle se dévoua pour être utile à sa famille, et se soumit à un acte de raison et de prudence, car ce fut ainsi que son union lui fut présentée, mais elle devint la source de longs et profonds chagrins. Celui qui blessa le plus vivement sans doute la tendre Henriette, fut la perte de sa fille, âgée de six ans, qui périt sous les yeux de sa mère désespérée, victime du feu qui avait pris à ses vêtements.

La nature semble avoir créé Mme la marquise de Gévaudan comme une de ces fleurs printanières qu’elle se plaît à faire éclore et à embellir. Un teint d’une blancheur éblouissante, des dents magnifiques, de superbes cheveux blonds, un front candide, de grands yeux en amande couleur d’azur, joignant à l’esprit et à la vivacité des yeux noirs la tendre douceur des yeux bleus ; un sourire naïf, une taille peu élevée mais pleine de grâce ; des mains charmantes ; un langage harmonieux, qu’un léger accent avignonnais rendait plus expressif et plus nouveau ; enfin, tant d’attraits réunis formaient de la marquise de Gévaudan la femme la plus agréable et la plus séduisante. Mais la nature n’avait pas borné ses dons à des charmes extérieurs ; elle avait réservé encore pour elle des bienfaits plus précieux. Douée d’un esprit facile, d’une force d’âme supérieure, de la sensibilité la plus exquise, la marquise de Gévaudan aimait comme on aima jamais. Dès ses plus jeunes années, elle annonçait une imagination vive et brillante, son cœur était plein de poésie ; ses premiers essais, restés inédits, recelaient déjà un talent gracieux, embellissant toujours une pensée morale, tendre et religieuse.

En 1819 elle fit paraître un petit recueil de fables naïves, sous le pseudonyme de Mme de N… d’A…

On ne pouvait la connaître sans désirer être de ses amis ; car nulle femme ne réunit plus de bonhomie dans les manières et les relations intimes ; affable et polie pour tous, elle ne connut jamais de vaniteuses prétentions ; son âme grande et généreuse ne conserva jamais de ressentiment, quelque fondé qu’il fût.

Elle a épousé en secondes noces le marquis de Gévaudan, et elle connut enfin ce bonheur qu’elle était digne de ressentir dans toute son étendue et son énergie. Si jamais femme ne fut aussi passionnément aimée, jamais femme, dans une union selon son cœur, ne montra une abnégation plus complète d’elle-même, un attachement, une sollicitude pour son mari, qui n’eurent et ne sauraient avoir d’exemple. Cet heureux et prospère hymen n’a duré que peu d’années, et fut rompu quand l’adorable Henriette conservait encore les charmes et les grâces de ses plus belles années : elle appelait son époux, en sou¬ riant et le regard plein d’amour le mari-modèle ; elle aurait pu ajouter avec la même vérité : l’homme aimable modèle.

Le marquis de Gévaudan joint à un esprit délicat et fin, un tact juste, et cette politesse flatteuse, élégante, de bon ton et de bon goût qui plaît tant aux femmes et est si rare aujourd’hui.

Une mort prématurée enleva à l’hymen, à l’amour et à la littérature cette femme charmante, après une année des plus cruelles souffrances ; elle expira le 20 août 1835, dans les bras du plus désolé des époux.

Plusieurs journaux, le Moniteur du 19 novembre ; la Quotidienne du 2 décembre ; le Journal de l’Hérault du 2 du même mois ; la Gazette de France et l’Écho, en annonçant la mort de cette femme intéressante, lui ont donné de justes regrets et des éloges non moins mérités.

Nous ne citerons que quelques lignes de l’Écho de Vaucluse, du 6 décembre 1835.

« Mme la marquise de Gévaudan a succombé à Montpellier, aux suites d’une maladie longue et des plus douloureuses. Les qualités aimables de son esprit, son âme aimante et généreuse, la bonté parfaite de son cœur et sa bienfaisance envers les malheureux, lui firent des amis de ceux qui la connurent, et assurent aujourd’hui à sa mémoire de sincères hommages et regrets.

« Nous aimons aussi à venir déposer quelques fleurs sur la tombe de cette Muse vauclusienne, notre compatriote.

« Douée d’un esprit supérieur, d’une force d’âme bien rare pour son sexe, elle a souffert et vu approcher le moment suprême avec un calme stoïque et une résignation que lui inspirait seule la religion, dont les consolations et les secours lui étaient offerts par l’organe de l’un des ecclésiastiques les plus éclairés de Montpellier, M. l’abbé Guibaud.

« En sortant de la vie, sa peine était de quitter un époux qui possédait ses plus tendres affections. Personne ne fut plus initiée au secret de tout ce que contient de sublime le culte de l’amitié. »

Elle laisse deux ouvrages bien écrits et remplis d’intérêt : l’Homme Noir, ou les Malheurs de Pulchérie. Ce roman est remarquable par l’élégance du style, la vérité des portraits tracés avec grâce ou avec force, des descriptions charmantes, beaucoup de délicatesse dans les pensées, connaissance vraie du cœur humain ; l’auteur s’élève quelquefois jusqu’au plus sublime de la morale religieuse.

Nous citerons de cet ouvrage des vers heureux sur Avignon, patrie de l’auteur :

Te voilà, doux pays, témoin de ma naissance !
Voilà tes champs, tes prés, tes ombrages épais,
Et ton fleuve si pur, et tes vallons si frais :
Mais, hélas ! qu’as-tu fait des jeux de mon enfance ?
M’as-tu gardé, dis-moi, mes plaisirs, ma gaîté.
Un cœur exempt de soins, ma joie et ma santé ?
Beaux lieux où je naquis, me rendrez-vous la vie ?
Est-il vrai qu’en effet le ciel de la patrie,
Qui dans leur fleur naissante a vu nos jeunes ans.
Cet air, ces eaux, ces fruits, nos premiers aliments.
Cette nature enfin, étrange sympathie !
Par des liens cachés, à la notre assortie,
Lorsque d’un mal cruel nous sentons la langueur.
Puisse ressusciter notre antique vigueur.
Réveiller ces esprits qui se meuvent à peine,
Faire d’un sang plus pur bouillonner chaque veine,
Et de la vie en nous ranimant les ressorts,
Rendre à l’esprit sa flamme et ses forces au corps ?

L’Aveugle née, ou l’Héroïne du siècle, parut immédiatement après Pulchérie.

Cette œuvre, semi-historique et contemporaine, a été jugée digne de fixer l’attention des lecteurs les plus éclairés ; le succès qu’elle a obtenu parmi les classes supérieures de la société» est un suffrage honorable du à la plus noble fidélité, à des faits et à des détails intéressants ; c’est un de ces livres rares qu’on ne peut quitter » et auquel on regrette de ne point voir plus d’étendue.

Un autre ouvrage non terminé est resté entre les mains du marquis de Gévaudan : c’est un roman de chevalerie. Nous verrions avec plaisir cette dernière composition être publiée par fragments dans les journaux littéraires ; car ce que nous avons lu de cette femme spirituelle nous fait désirer de connaître toutes les productions de son âme de feu : ce n’est pas trop dire» car elle n’écrivait que sous l’influence d’une sorte d’inspiration de cette sublime portion de notre être.

La douloureuse brièveté de ses jours ne lui a pas permis de terminer ce travail, qu’aucune plume ne serait assez téméraire pour se croire digne d’achever.


Mme  la comtesse d’Hautpoul.