Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises/Carlowitz

Texte établi par Alfred de MontferrandArmand-Aubrée, libraire (p. 108-117).


Mme la baronne de Carlowitz.




Mme LA. Bnne DE CARLOWITZ


(Aloyse-Christine)


née à fiumes le 15 février 1797.


Fille de Wenceslas-Gustave, baron de Carlowitz, et de Louise Hainn.


La Camille de Carlowitz est originaire de Saxe et l’une des plus anciennes d’Allemagne. Sous le règne de Marie-Thérèse, le chef de cette famille, contraint par une catastrophe imprévue de quitter sa patrie, se réfugia en Autriche. Marie-Thérèse l’accueillit avec de grands égards, et le nomma colonel de ses gardes-nobles. Ses filles furent élevées dans des chapitres : l’une d’elles épousa le feld-maréchal lieutenant baron de Festenberg ; les garçons embrassèrent la carrière militaire.

Parmi eux, le baron Wenceslas-Gustave eut plusieurs enfants, mais ils moururent presque tous en bas âge. Il ne conserva qu’une fille, Aloyse-Christine, dont nous écrivons l’histoire. Son père concentra sur elle toutes ses affections : il dirigea lui-même son éducation, et voulut qu’elle fut la même que celle qu’il aurait donnée à ses enfants mâles.

La jeune Aloyse de Carlowitz montra de bonne heure des dispositions extraordinaires : elle apprit avec une rare facilité l’anglais, l’italien, le français surtout, qui fut sa langue de prédilection.

Dès l’âge de cinq ans elle composait de petits contes, de petites scènes dramatiques qu’elle jouait avec ses compagnes. Ne sachant pas encore écrire, elle avait inventé des signes à l’aide desquels elle figurait ses enfantines conceptions.

À l’âge de sept ans, elle fut saisie d’une fièvre scarlatine qui mit un moment sa vie dans un pressant danger. Le docteur Gall, ami de son père, qui a été le sien jusqu’à sa mort, lui donna les soins les plus empressés. Déjà célèbre par son système phrénologique, il en faisait l’application à sa jeune malade, il observait les formes de sa tête. Frappé de sa configuration, il disait souvent : « Quel dommage si j’avais le malheur de ne pouvoir la sauver ! »

Bientôt rétablie, elle se livra avec ardeur à l’étude de l’histoire, des mathématiques, de la physique, de l’histoire naturelle, de la géographie, de la littérature, des beaux-arts, surtout de la philosophie : Aristote, Platon, Sénèque, Kant, Leibnitz, étaient ses auteurs favoris ; elle examinait et jugeait leurs pensées avec une logique judicieuse.

La lecture de l’histoire ancienne l’ayant passionnée pour les républiques de Sparte, d’Athènes et de Rome, elle composa à l’âge de treize ans une constitution pour une république imaginaire. Celte constitution avait pour base les lois de Solon et de Lycurgue. Un ami de son père, M. de Laroche, directeur général de la police en Autriche, trouva cette pièce singulière, s’en amusa beaucoup, et la garda comme production curieuse d’une enfant qu’il appelait en riant sa petite Spartiate.

C’est dans cette douce paix de l’étude et de la réflexion que s’écoulèrent l’enfance et l’adolescence de M me de Carlowitz. Mais dès les premières années de sa jeunesse elle fut assaillie par une longue suite d’infortunes. Ses parents, indignement abusés par un aventurier étranger, faussaire hardi, hypocrite consommé, cherchant, disait-il, en Autriche un asile contre le ressentiment de Napoléon, eurent la faiblesse de consentir à un mariage qui, de la part de cet escroc du grand genre ; ne fut qu’une infâme supercherie à l’aide de laquelle il s’empara de la fortune de cette jeune personne, fortune qu’il dissipa honteusement et rapidement.

Mme de Carlowitz se propose de publier un jour ses mémoires. Ils feront connaître l’enchaînement de peines et de circonstances qui l’arrachèrent brusquement à une position brillante. Cette partie dramatique de sa vie mérite un récit particulier. Qu’il nous suffise de dire ici que Mme de Carlowitz, ayant dominé ses malheurs par son courage, mais pressée du besoin de ne plus habiter les lieux où elle les avait éprouvés, vint chercher en France une patrie adoptive, où elle put se livrer aux consolations dé l’étude et reprendre ses habitudes de méditation et de travail. Son premier soin, lorsqu’elle eut fixé sa retraite, fut de se rendre familière la langue française, d’en bien connaître le caractère et le génie, de parvenir à persuader aux Français éclairés avec qui elle causerait qu’elle était née en France ou qu’elle y avait toujours demeuré.

Cette préparation faite, elle se mit à écrire. Vinrent alors les mécomptes et les tribulations d’auteur. Depuis bien des années, en France surtout, les libraires éditeurs n’accueillent avec confiance que les ouvrages de personnes en réputation ; et ; d’un autre côté, tout nouvel écrivain, pour acquérir une réputation, a besoin de faire toute autre chose encore que de bons ouvrages : il faut qu’il perde son temps à entrer dans des coteries et sa dignité à poursuivre leur appui. S’il lès dédaigne, il peut arriver sans doute, mais lentement et à travers dé grandes difficultés.

C’est ainsi seulement que Mme de Carlowitz, retirée et solitaire, est parvenue à publier quelques-uns de ses ouvrages. Dans tous on reconnaît une habitude de méditation et une gravité de caractère peu communes parmi les femmes. Mme de Carlowitz, dont la société est très douce et les manières pleines d’aménité, joint à ces qualités de son sexe une force d’âme qui se manifeste dans ses écrits par une virilité remarquable de conception et de style.

Les ouvrages qu’elle a publiés sont :

L’Absolution, ou Jean le Parricide, 2 vol. in-8°. Paris, 1823. C’est un roman philosophique dont le sujet a existé.

Caroline, ou le Confesseur, lre édition, 1 vol. in-8° ; 2 e édition, 2 vol. in-12. Paris, 1833.

Le Pair de France, ou le Divorce, 3 vol. in-8°. Cet ouvrage, publié en juin 1835, expose et met en scène avec force et hardiesse la haute question politique et religieuse que son titre annonce.

La lecture de cet ouvrage m’a frappé, intéressé, et j’allais essayer d’exposer les diverses impressions que j’en ai reçues, lorsque j’ai trouvé ces impressions parfaitement décrites et le jugement de ma raison parfaitement confirmé par un article de journal dont je regrette de ne pas connaître l’auteur. N’espérant pas mieux faire, craignant même de ne pouvoir faire aussi bien, je transcris ici cet acte de justice rendue au talent, au caractère et à la composition de Mme de Carlowitz :

« Il y a deux manières de concourir au triomphe d’une vérité : d’abord, de la démontrer et de l’établir par la seule autorité du raisonnement ; en second lieu, de recourir aux prestiges de l’imagination, aux charmes de la fiction, pour lui donner plus de relief et de saillie, pour la faire plus vivement pénétrer dans les esprits. De ces deux procédés, le premier appartient au philosophe, à l’orateur, le second au poëte, au romancier. Tous deux ont leur valeur, ou plutôt l’un est le complément nécessaire de l’autre, puisque chacun d’eux s’adresse à une classe différente. En effet, il est des hommes qui veulent être convaincus, il en est d’autres qui ont plutôt besoin d’être persuadés. Aux uns les preuves froides et simples, aux autres le mouvement et les émotions. C’est toujours au service d’une idée morale, d’une vérité utile que Mme de Carlowitz met son talent ; et si elle écrit aujourd’hui, c’est qu’elle a voulu concourir cette fois à Étire rentrer dans notre législation ces dispositions en faveur du divorce qui en furent rayées il y a vingt ans.

« Le plan de la fable est fortement combiné et établi sur de grandes proportions. Pour embrasser la question sous toutes ses faces, l’auteur a voulu aller chercher ses personnages dans les classes delà société les plus diverses et les présenter dans les conditions les plus variées. C’est d’un côté un jeune homme d’une haute naissance, d’une âme douce et aimante, marié par un père impérieux à une femme riche dont le cœur sec et froid ne connaît d’autres jouissances que celles du monde et des plaisirs ; d’un autre côté une jeune file, d’une nature tendre et ardente, livrée à un homme bas et vil dont l’hypocrisie a séduit la crédulité d’un vieillard, et que son inconduite réduit bientôt à exercer les professions les plus méprisées. On se figure déjà tout l’intérêt qui peut naître de ces premiers contrastes. Voilà deux de ces unions comme nous en voyons tout autour de nous, et qui créent dans ce monde des souffrances assez cruelles pour donner une idée de celles de l’enfer. Avec la faculté du divorce, deux unions funestes eussent été dissoutes, deux familles conservaient le repos, deux êtres pleins de sentiments généreux vivaient pour le bonheur et la vertu. Avec l’indissolubilité du mariage, un jeune homme et une jeune femme, inspirant le plus vif intérêt, arrivent à travers toutes sortes de maux à la plus déplorable fin ; l’intrigue, la perfidie deviennent les armes habituelles d’une dame de haut rang ; des enfants recueillent le nom et la fortune de parents qui les désavouent ; l’amour, l’a¬ mitié, la tendresse filiale, tous les sentiments sont per¬ vertis, et sacrifiés. Quelle riche et forte démonstration delà vérité que l’auteur s’est donné la mission de dé¬ fendre 1

« En examinant il y a peu de temps Jean le Parricide, premier ouvrage de M mc de Carlowitz, nous y reconnais¬ sions la trace d’un talent élevé, ferme et énergique. Le Pair de France confirme pleinement l’opinion que nous nous étions formée. Aujourd’hui où tant de femmes écrivent, en est-il beaucoup qui puissent s’élever à cette hauteur de vues et à cette force d’exécution ? Sans con¬ tredit, à partir de ce jour, M“ c de Carlowitz s’est assuré une des premières places entre les écrivains’de son sexe et a pris rang parmi nos romanciers les plus distingués. »

M“° de Carlowitz a encore en portefeuille plusieurs ouvrages, qu’elle revoit avec soin, afin de les rendre le plus qu’il lui est possible dignes de l’approbation des lecteurs éclairés. Ce sont :

1° Pombal (Sébastien-Joseph de Carvalho, premier ministre du Portugal sous le règne de Joseph I er ), 2 vol. in-8° ; 2°7e Juif et le Chanoine, roman d’imagination, 2 vol. in-8° 3? Deux Ames en dix corps, 2 vol. in-8° : ce sont des contes fantastiques dans le genre d’Hoffmann ; 4° la Voix du sang, roman philosophique, 2 vol. in-8° ; 5° trois nouvelles intitulées le Bègue, Charles de fVurheim, les deux Sœurs.

M mc de Carlowitz a encore traduit pour le Magasin re¬ ligieux et le Journal des Femmes les morceaux les plus remarquables de la Messiade de Klopstock ; elle a fourni plusieurs articles à ces journaux et à d’autres recueils périodiques.

Enfin, cette dame a rassemblé un grand nombre de matériaux pour une Histoire des Germains depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’établissement de l’empire d’Allemagne. Cet ouvrage remplira une lacune ; car on ne possède sur les Germains que le livre de Tacite, qui, très remarquable comme œuvre philosophique, n’est point d’ailleurs une histoire, et ne repose que sur des faits tronqués, vagues ou incertains. Tacite continué, complété par une femme, ce sera, en histoire et en littérature, un événement qui causera quelque surprise. Mais cette femme est Germaine d’origine, et Française d’habitude, de talent et d’inclination

Azaïs.