Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises/Bayle-Celnart

Mme Joséphine Lebassu.
Texte établi par Alfred de MontferrandArmand-Aubrée, libraire (p. 200-213).


Mme Bayle-Ceylnart.


Mme BAYLE-CELNART

(Félicité-Elisabeth)

NÉE A MOULINS EN 1798.

Fille de François Celnart et d’Elisabeth Granjus.

Le père de Mme Celnart, professeur de mathématiques spéciales au lycée de Moulins, homme d’un mérite éminent, était déjà avancé en âge quand il eut sa première fille. Quelques écrits sur l’algèbre ont conservé son nom, et deux concours ouverts la même année par l’Institut a sur l’organisation du jury et sur les principes de l’économie politique, lui valurent une double couronne. Malgré des succès si éclatants, il fut bientôt oublié au fond de sa province ; mais il était dédommagé de cet abandon par une fortune suffisante, et par l’estime des membres les plus éclairés de l’Institut.

Tous ses moments de loisir furent consacrés à l’instruction de sa fille aînée, dont la précoce intelligence faisait son espoir et sa joie, il la prenait sur ses genoux, et au milieu de caresses reçues et rendues, il lui donna, dès son plus jeune âge, des leçons de zoologie et d’histoire. Plus tard, il étendit son enseignement ; et fidèle à ses principes, il le rendit moins brillant que solide. Ne trouvant point de livre trop sérieux, trop savant pour son élève, il lui fit lire, à l’àge de treize ans, cinquante des gros volumes de l'Histoire universelle, traduite de l’anglais ; exigea de sa mémoire autant que de son intelligence, et ne lui fit pas même grâce de la longue série des consuls romains, qu’il fallut apprendre et retenir. La jeune fille se joua de ces difficultés, qui auraient lassé peut-être pour toujours une organisation moins heureuse, et continua, avec un zèle soutenu, une suite d’études dirigées toutes sur ce plan dangereux à force d’être étendu.

L’instituteur fit courir à son élève un péril plus grand encore. L’époque de la première communion était arrivée. Disciple zélé d’Helvétius, il présenta à sa fille cette cérémonie comme une sorte de sacrifice qu’il fallait faire à l’usage, la tourna presque en ridicule ; et, pour l’instruction préparatoire, lui remit avec dédain un exemplaire de l’Évangile, filais l’âme tendre et pieuse de l’enfant comprit le livre inspiré mieux que ne l’avait fait son père. Il devint dans la suite sa lecture favorite ; elle s’en pénétra, en nourrit sa jeune raison ; et, repoussant avec une égale répugnance le fanatisme de quelques philosophes, l’intolérance de quelques dévots, elle fut et resta chrétienne.

Elle passa ainsi sa première jeunesse, entourée d’affections, guidée avec soin dans des études qui pour elle étaient un bonheur, habitant tour à tour la campagne et Moulins, ayant toujours sous les yeux les rives de l’Ailier, si vertes, si riantes, si diversement cultivées, et auxquelles elle dut les premières et naïves inspirations de son âme.

L’âge suivant fut bien moins heureux. Père de quatre filles, M. Celnart voulut s’enrichir pour elles. Trop confiant dans sa supériorité, il entreprit des spéculations industrielles, et créa, en 1814, une fabrique de sucre de betteraves. L’invasion déjoua tous ses calculs ; la chute fut complète. 11 était encore sous le coup de ce désastre, quand sa femme tomba gravement malade. Félicité la soigna jour et nuit, et paya bien cher l’ac¬ complissement de ce devoir^ La fatigue, la douleur d’une ruine récente, l’anxiété que lui causait la maladie de sa mère, vingt nuits de veilles au milieu de l’hiver, échauf¬ fèrent son sang, excitèrent outre mesure le système ner¬ veux à Un âge où les émotions pénibles Sont toujours dangereuses. Un affaiblissement graduel de l’organe de l’ouïe, accompagné bientôt d’insupportables bourdonne¬ ments, fut suivi d’une violente fièvre maligne* Grâce à de prompts secours, la vie fut sauvée ; mais la surdité résista aux remèdes les plus énergiques».

Ainsi, en quelques mois, la jeune fille naguère si gaie, si heureuse, avait perdu sa fortune, sa santé. Elle avait aussi perdu tous ses anciens amis ; Car sa famille avait quitté le Bourbonnais pour se réfugier à Paris. Et là, comment former des amitiés nouvelles? Dans le monde, que d’angoisses à chaque question qu’elle n’entendait pas ! que de trouble à chaque réponse qu’elle ne pou¬ vait saisir ! Dans la solitude, que dé’ tristes réflexions, de regrets amers, de souvenirs douloureux ! Alors s’ac¬ croissaient ces bruissements étranges,, cessons bizarres, ces sifflements aigus, stridents internes qiii fatiguaient l’oreillè insensible aux bruits extérieurs. Pour les com¬ battre, pour les oublier un moment, la malade se livrait à l’étude, et l’étude les exaltait encore : c’était tout à la fois l’isolement dans là société, le tumulte dans la soli¬ tude, le trouble dans la méditation.

Dans cette longue lutte contre tant de souffrances diverses, Félicité ne perdit pas courage. Sa pensée, élevée vers Dieu, puisait une vigueur nouvelle dans de pieuses méditations qui lui procuraient une douce paix. Cepen-. dant la résignation ne devait pas être le seul baume répandu dans ce cœur affligé. Une amitié produite par une heureuse conformité de sentiments et d’opinions se forma entre Félicité et une jeune fille éprouvée comme elle : toutes deux trouvèrent dans ce nouveau lien la compensation d’un triste passé.

Dans des entretiens fréquents et pleins d’abandon, elles fortifiaient leurs âmes et s’excitaient mutuellement à l’admiration de tout ce qui est noble, pur et grand. Mais si l’amitié de M“* Joséphine Lebassu. fut pour le cœur aimant de Félicité un attrait constant et profond. l’affection de celle-ci fut une ressource pour la première, un port où elle se réfugia brisée par des orages intérieurs.

Restée sans énergie devant une continuité d’épreuves, Joséphine vit changer son horizon moral par les tendres inspirations de son amie ; elle retrouva des forces pour souffrir, et ne voulut pas rester seule à l’entrée de la carrière parcourue ai noblement par Félicité.

Avoir ramené la confiance et la sérénité chez une per¬ sonne abattue et chérie, était une joie puissante pour celle qui fiait de la bonté le charme de ses jours. Félicité remercia le ciel du bien produit par ses conseils et ses consolations ; elle-même trouva dans cette pensée une douceur dont le résultat ne lui fut pas moins avantageux qu’à son amie.

Conseils salutaires, indulgence parfaite, abandon ré¬ ciproque, tels sont. les caractères de ce sentiment des¬ tiné à influencer constamment l’existence de toutes deux.

L’équilibre se rétablit graduellement dans cette âme bouleversée par tant de secousses successives. Le jour

fut consacré aux devoirs de famille, aux soins dômes-

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tiques. Une partie des nuits était réservéè à la médita¬ tion, aux travaux littéraires qui furent d’abord une dis-

. traction, et bientôt une habitude. un besoin. Dans le silence de la nuit. Félicité se dédommageait de l’isolement de la journée, en s’entourant des êtres que créait son imagination. Un roman intitulé : Émile et Rosalie, qui parut en 1820, fut le premier résultat de ce. travail nocturne. Dans cet ouvrage, on remarque plus de verve que de style, pins de chaleur que d’ordre, plus d’abandon que de combinaison. Peu de temps après, quatre nouveaux volumes furent publiés ; un touchant épisode de l’histoire romaine, la Mort de Virginie, en fournit le sujet. Plqs d’ordre, une plus grande habileté de style, de nombreuses recherches historiques, distin¬ guent ce roman, au frontispice duquel l’auteur plaça pour la première fois (1822) le nom moitié vrai, moitié faux d’Élisabeth Celnart,- que depuis elle a conservé, même après son mariage. -

Une fois engagée dans cette voie, elle voulut donner une direction utile aux travaüx littéraires qui la conso¬ laient de ses souffrances. D’abord elle fit quelques tenta¬ tives en différents genres. Il y avait peu d’ouvrages d’éducation destinés aux jeunes personnes qui déjà sont sorties de l’enfance, mais qui ne sont pas encore entrées dans le monde. Pour combler un peu cette lacune, M œ * Celnart publia successivement la Bonne Cousine, les Dimanches j Ut Sortie de pension. Ces écrits ont eu, pres¬ que tous, plus d’une édition ; ils méritent ce succès par une morale douce et pure, des leçons persuasives, une instruction solide et attachante. Les mêmes qualités dis¬ tinguent les Premiers du mois, .les Contes du bon Tuteur, petits livres destinés à un âge pliis avancé.

- En même temps qu’elle s’occupait dé ces premiers ouvrages d’éducation, M œc Celnart composa’ trois ou¬ vrages remarquables’, que leur rapprochement rendait plus remarquables oncore.

Elle souffrait, elle était pieuse ; souvent elle dut chercher du soulagement dans la prière. Mais il est des mo¬ ments où Fàme ne peut s’élever sans aide aux pensées religieuses. Elle l’éprouvait quelquefois ; alors elle sen¬ tait combien la France est pauvre en livres de piété. Dès qu’elle eut compris ce besoin, essayant de le satisfaire, elle composa les Consolations chrétiennes (1 vol. in-18, 1825), dont elle prépare en ce moment la troisième édition.

Mais précisément parce qu’elle était pieuse, clic res¬ sentait une plus vive indignation au récit des excès du fanatisme. On venait de rétablir l’inquisition en Espa¬ gne. A cette nouvelle, elle écrivit de verve un poëme en quatre chants, destiné à stigmatiser les crimes de ces bourreaux religieux (t vol. in-18, 1824) ; et le caractère de cet écrit fut énergiquement signalé par cette épigra¬ phe empruntée aux livres saints : Je parlerai dans l’amer¬ tume de mon âme ; car le Seigneur a en abomination l’homme sanguinaire et trompeur. Mais alors on était en pleine cen¬ sure. Le préfet de police, M. de Laveau, refusa la per¬ mission d’afficher l’inquisition ; les articles dans lesquels les journaux en parlaient, furent impitoyablement biffés. Les bons vers que renfermait l’ouvrage ne purent le faire triompher de cette proscription.

Un dernier roman suivit de près l’Inquisition. Dans Bethsali (4 vol. in-18, 1825), Mme Celnart s’attache à peindre la chute de Jérusalem, la lutte du vieux monde romain contre le vieux judaïsme, au sein duquel est né une religion nouvelle. Cet ouvrage, un des meilleurs que Fauteur ait publiés, fait connaître mieux que tout autre les mœurs juives et les mœurs romaines au temps de Véspasien. Il est toujours curieux et attachant, souvent élevé, et se termine par un tableau plein tout ensemble de profondeur et de poésie, résumant toute la pensée de l 1 ouvrage : un Romain d’une Juive s’unissant au pied d’un autel chrétien, et recevant doublement la vie nou¬ velle par le baptême et le mariage.

Jusqu’à ce moment, des romans, quelques poésies, quelques volumes destinés à l’éducation plutôt qu’à l’in¬ struction de la jeunesse, avaient occupé presque unique¬ ment Mme Celnart. Mais à cette époque elle entreprit une longue série de travaux plus sérieux et d’une utilité plus immédiate.

M. Roret venait de commencer sa collection de Ma¬ nuels. Les arts qui conviennent aux femmes devaient y trouver place ; il confia à Mme Celnart cette tâche diffi¬ cile, et l’invita à décrire dans un Manuel des demoiselles, tous les travaux à l’aiguille. C’était une entreprise péril¬ leuse. Saint-Aubin l’avait tentée naguère avec peu de succès pour la collection de l’Académie des sciences ; cet échec n’effraya pas M rar Celnart. Très habile à faire les raille petits ouvrages qui occupent les loisirs de tant de femmes et sont l’unique ressource de tant d’autres, elle les décrivit à mesure qu’elle les exécutait ; allant alter¬ nativement de son bureau au métier de broderie, au carreau à dentelle, à la tapisserie ; tenant en quelque sorte la plume d’une main, et de l’autre tour à tour le crochet, les fuseaux ou l’aiguille.

Le succès de ce volume la détermina à prendre une part active à la rédaction des Manuels. Tous ceux qui sont consacrés à des travaux de femme furent .exécutés par elle. Ensuite vinrent les volumes destinés à l’écono¬ mie domestique. Jusqu’alors les livres de cette nature étaient une compilation faite au hasard de recettes bonnes ou mauvaises. S’écartant de cette méthode facile, elle classa les procédés, les compara, les choisit et sut élaguer ce qui avait vieilli, ce qué la science réprouvait. Elle mit de la sorte en circulation dans la classe la moins éclairée, beaucoup dénotions utiles et combattit plus d’un préjugé funeste. Dans quelques-uns, tels que le Manuel des domestiques, les instructions économiques servirent de passe-port aux instructions morales ; et dans le Manuel de la politesse, les bonnes mœurs furent données pour base aux bonnes manières. Enfin elle aborda la techno¬ logie proprement dite, visita les ateliers, étudia des tra¬ vaux dont l’intelligence exige un savoir que peu de femmes possèdent, les décrivit avec succès ; mais dé¬ guisa plusieurs fois son nom, daus la crainte que la sagesse de ses conseils ne fut mal goûtée par les fabricants ou les ouvriers qui connaîtraient son sexe. Plus d’une fois elle a dû sourire en voyant les graves rédacteurs de la Revue encyclopédique ou des autres journaux indus¬ triels, rendre hommage à ses connaissances techniques, et placer au rang des meilleurs manuels quelques-uns de ceux qu’elle avait signés d’un nom trompeur. Il serait trop long d’énumérer tous les volumes qu’elle a compo¬ sés pour cette collection, il suffit de dire qu’ils sont au nombre de vingt ; presque tous ont eu plusieurs éditions.

La part si active que prenait M“ e Celnart à l’enseigne¬ ment industriel, à la recherche et à la propagation de toutes les découvertes dans les arts utiles, ne suffisait pourtant point pour l’occuper entièrement. Une société s’était formée à Paris pour l’amélioration dé l’instruc¬ tion élémentaire. En 1825, elle ouvrit un concours et offrit des médailles aux auteurs des meilleurs ouvrages populaires. Dès que Mme Celnart eut connaissance de cet appel, elle se mit sur les rangs et réussit. En 1827, un prix fut décerné aux Soirées du dimanche ; deux furent obtenus en 1828 par l’Art de fertiliser les terres et les Veillées de la salle Saint-Rock. Un autre fut décerné en 1829 à la Garde-Malade domestique . Ainsi, sur neuf ma¬ nuscrits couronnés dans ces trois années, quatre étaient son ouvrage. Les plus remarquables de ces petits livres sont la Garde-Malade domestique et les Veillées delà salle Saint-Bock. Ce dernier a pour but de mettre à la portée du peuple des notions d’économie politique applicables à la vie commune. Pour cela, l’auteur les a mises en quelque sorte en action dans une série de contes, dont le premier fut inspiré par une note des Éléments de J.-B. Say. Ainsi, cet ouvrage a un grand rapport avec les Contes d’économie politique, publiés en Angleterre par miss Henriette Martineau. A l’époque où les journaux

de France annonçaient comme une heureuse innovation

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l’ouvrage de la dame anglaise (qui par une étrange coïncidence est aussi atteinte de surdité), six mille exemplaires des Veillées de la salle Saint-Rock étaient déjà répandus dans les ateliers ou parmi les enfants du peuple. Mais l’ouvrage français, imprimé avec économie en bien petit format, sur vilain papier gris, rédigé bien simplement et n’ayant, pas d’ailleurs la prétention de propager les doctrines de Malthus, de populariser l’émi¬ gration ou de rendre populaires les théories de Ricardo, devait passer inaperçu des journalistes.

D’autres appels faits par diverses sociétés savantes avaient excité Mme Celnart à d’autres travaux.

L’Académie de Châlons-sur-Marne ayant invité à com¬ parer la morale de l’Evangile avec la morale des philo¬ sophies anciens et modernes, le prix fut partagé entre l’auteur des Consolations chrétiennes et M. Bautin, de Strasbourg. M me Celnart devint membre correspondant de l’Académie d’Arras, à la suite d’itn concours sur l’exa¬ men des avantages et . des inconvénients de la centrali¬ sation. Aucun prix ne fut décerné ; mais elle obtint la première mention honorable. La grande médaille d’or de l’Académie de Clermont-Ferrand fut décernée au mé-, moire qu’elle avait envoyé à nn autre concours sur l’Éclectisme en littérature.

Un nouveau programme de la Société d’instruction élémentaire lui fit soutenir une dernière lutte en 1830. A la suite de la révolution, des machines furent brisées par les ouvriers. On s’effraya de ce nouveau péril qu’al¬ lait courir notre industrie ; on sentit le besoin d’éclairer les ouvriers sur leurs véritables intérêts, et l’on provo¬ qua par un concours la rédaction d’une instruction po¬ pulaire destinée à faire comprendre à tous, les avantages

des machines et leur utile influence sur le sort des tra-

vailleurs. Le mal était pressant, il avait frappé tous les esprits ; aussi, quoique le délai fût à peine de quelques semaines, le nombre des concurrents fut plus considé¬ rable qu’il ne l’avait jamais été en pareille occasion. Le premier prix de ce concours improvisé fut obtenu par Mme CeInart ; et son écrit, répandu avec profusion dans les ateliers, contribua sans doute à prévenir le retour de ces affligeants désordres.

On s’était accoutumé à voir Mme Celnart se présenter avec succès dès que son zèle ou ses talents pouvaient être utiles, et l’on finit par s’adresser directement à elle.

M. le baron de Gérando, qui ne la connaissait que par ses ouvrages, lui écrivit en 1832 : « 11 est un livre que je désirerais bien voir entreprendre, car j’en sens vive¬ ment le besoin. Chargé, comme membre du conseil gé¬ néral des hospices, de la surveillance des enfants trou¬ vés et de celle de la direction des nourrices de campagne, je n’ai trouvé aucun livre que je puisse donner ou indi¬ quer à ces femmes, pour leur tracer leurs devoirs et les instruire de la mission que la Providence leur confie. Quel beau sujet pour vous ! la Nourrice de village ; les soins physiques, les soins moraux, les devoirs sacrés attachés à cette espèce d’adoption ; un chapitre spécial pour celles qui se chargent d’enfants abandonnés, des avis sur l’éducation de la première enfance… Eh bien, que vous en dit le cœur ?»

Quelques mois plus tard, un Manuel des nourrices était composé (1vol. in-18, Renouard, 1833). Soumis tour à tour à l’examen de M. de Gérando, des médecins et chirurgiens de l’hospice des enfants trouvés, pas un mot n’y était changé ; il obtenait l’approbation des hommes de l’art et du philanthrope éclairé qui en avait provoqué la composition. Le conseil général des hos pices l’adoptait, en faisait distribuer six cents exemplai¬ res aux nourrices d’enfants trouvés ; et le ministre de l’instruction publique lui décernait le second rang parmi les ouvrages utiles.

Ainsi, en douze ou treize ans, indépendamment d’une participation plus ou moins active à la rédaction du Journal des connaissances usuelles, du Journal des jeunes personnes, de l‘Art en province et de quelques autres écrits périodiques, Mme Celnart a publié trente-huit ou¬ vrages différents, formant près de cinquante petits vo¬ lumes, presque tous utiles et dont quelques-uns ont obtenu un succès marqué.

Une grande portion de ses écrits a été composée au fond de la province. Unie par affection à M. Bayle- Mouillard, jeune avocat dont les travaux sur la con¬ trainte par corps ont été récemment couronnés par l’Institut, elle alla s’établir à Clermont-Ferrand, où celui qu’elle aimait était déjà fixé. C’est là, au pied du Puy-de-Dôme et des monts Dore, au milieu de la riche Limagne et non loin de son pays natal, qu’elle a conti¬ nué ses travaux. De temps en temps elle vient visiter Paris ou va parcourir avec son mari les principales villes de France. Observant avec lui les mœurs, contemplant «  les monuments, pénétrant dans les ateliers, dans les hôpitaux, étudiant tour à tour le peuple des villes et le peuple des campagnes, elle recueille soigneusement des matériaux pour d’autres ouvrages» non pas plus utiles, mais plus longuement médités. Sa santé s’est fortifiée malgré ses travaux ; sa surdité est devenue moins grave par cela seul qu’elle s’en est moins affligée. La fortune et la nature l’avaient frappée tour à tour : à force de travail, d’efforts, de résignation » de patiente énergie, elle a triomphé de la nature et de la fortune, elle a reconquis la position qu’elle avait perdue. Et maintenant aimée » estimée » se livrant en paix aux études qu’elle préfère ; allant peu dans le monde» mais ne le fuyant pas, faisant oublier ses travaux par sa grande simplicité, elle a rempli la plus douce mission de son sexe, car elle a inspiré et partagé une affection durable. Enfin trois mots, qui se trouveront dans la biographie d’un bien petit nombre de femmes, peuvent finir cette notice : elle est heureuse.

Mme Joséphine Lebassu.