Le nommé Martel


L’acte d’accusation portée devant le Châtelet de Paris n’est pas très explicite au sujet de ce sieur Martel. Il dit « Martel 3e, ci-devant garde-magasin au fort Machault. »

Il est question du garde-magasin Martel dans un des Mémoires de défense de Bigot. D’après l’intendant, c’est à sa propre demande que le ministre lui avait envoyé M. Querdisien Tremais « pour découvrir les malversations commises au détriment du Roi ». Bigot fait dire à ses avocats.

« Une des premières qu’il suspecta fut celle du fort Machault. Il lui parut que le munitionnaire (Cadet) s’était fait allouer un nombre de rations qui surpassait immensément celui qu’il avait dû fournir. Il dressa un mémoire d’observations qu’il remit au sieur Bigot. Celui-ci en fut frappé et il prit la résolution de s’en éclaircir. Il manda le sieur Martel qui avait été garde-magasin au fort Machault en 1759, et les 11 et 12 juillet 1760 il l’interrogea en présence du sieur Querdisien et du sieur de Villiers (Villars), contrôleur. Voici ce qui résulta de son interrogatoire. « Et le Mémoire raconte ensuite que le garde-magasin Martel s’excusa des nombreuses irrégularités commises et du gonflement des rations, en déclarant qu’il avait agi ainsi sur les ordres formels du commandant du fort qui voulait dédommager le munitionnaire Cadet qui aurait fait des pertes si on ne lui avait payé que le nombre de rations réellement fourni au fort Machault.[1]

Le chiffre 3e placé à la suite du nom du garde-magasin Martel, ne veut-il pas dire qu’il était le troisième des frères Martel mis en accusation  ? Dans le cas contraire, ce chiffre n’aurait aucune signification. Les deux autres Martel traduits devant le Châtelet étaient Jean-Baptiste Martel, garde-magasin du Roi à Montréal, et Pierre-Michel Martel, commissaire de la marine faisant fonction d’ordonnateur à Montréal.

Toutefois, une note de l’éditeur du Mémoire de Bigot semble détruire notre explication. Elle dit que le garde-magasin du fort Machault n’avait de commun que le nom avec le garde-magasin du Roi à Montréal.

Malgré cette note de l’éditeur du Mémoire nous persistons à croire que Martel, garde-magasin du fort Machault, était bien le frère des deux autres Martel mis en accusation devant le Châtelet. Les frères Martel, nous l’avons constaté plusieurs fois, ne se gênaient pas de fausser la vérité pour avancer leurs affaires. Trois frères accusés des mêmes crimes pouvaient perdre un peu de sympathie des juges. De là leur intérêt à cacher leurs parents devant le tribunal.

Les frères Martel étaient au nombre de huit. Récapitulons : 1o Pierre, qui fut Frère Charon à Montréal pendant quelques années puis retourna à la vie civile ; 2o François, qui fût prêtre ; 3o Jean-Urbain, qui fut intéressé dans les Forges Saint-Maurice jusqu’à la Conquête ; 4o Jean-Baptiste, le garde-magasin de Montréal ; 5o Antoine-Nicolas, que nous perdons de vue dès après sa naissance ; 6o François, qui disparaît également peu après sa naissance ; 7o Pierre-Michel, le commissaire de la marine à Montréal ; 8o Joseph-Nicolas, qui fut Jésuite puis prêtre séculier.

Pour nous, le garde-magasin du fort Machault en 1757 est l’ancien Frère Charon Pierre Martel ou encore soit Antoine-Nicolas ou François Martel.

Mais, encore une fois, notons qu’une simple entrée d’un registre de l’état-civil qui donnerait le prénom du garde-magasin Martel pourrait détruire notre argumentation. À date, cette preuve directe n’a pas été trouvée.

Quant au garde-magasin Martel, il ne comparu pas devant le Châtelet en 1763 et le tribunal, le 10 décembre 1763, se contenta de décréter qu’il serait plus amplement informé sur les faits du procès.

Il est probable que le garde-magasin Martel, une fois le procès du Châtelet classé ou oublié, il alla rejoindre ses deux frères établis en France depuis la Conquête et qui y vivaient dans le luxe avec les deniers acquis aux dépens du Roi.

  1. Mémoire pour messire François Bigot, 1ère partie, p. 242.