Bibliographie historique du Velay


BIBLIOGRAPHIE



Ils seront bien heureux nos successeurs en recherches locales : on leur taille de la besogne, la voie se déblaie, les matériaux s’accumulent. Nous défonçons le terrain et faisons les semailles ; à ceux qui viendront après nous sourient la récolte facile et les épis mûrs. Partant de cette idée juste que l’histoire du Velay reste, en dépit de maintes tentatives, à l’état d’ébauche, l’érudition indigène se remue et déserte la voie stérile des systèmes et des partis pris. Dans leur sphère modeste les chercheurs de nos parages s’inspirent des procédés bénédictins : ils traitent l’étude du passé comme une science véritable, dont la certitude exige les principes d’une saine méthode. Nous voilà de nouveau réduits aux tâtonnements de la création et de l’élaboration. Il faut abdiquer toute visée ambitieuse, s’astreindre aux détails, vérifier les dires de nos hagiographes, se confiner dans le menu des dates et des faits. Tâche aride, souvent ingrate ! On aimerait parfois à élargir son horizon. Les travaux d’ensemble séduisent et l’on s’imagine que l’histoire définitive de notre province offre certaines chances, mais cette illusion d’optique dure peu. Il y a trop de lacunes, trop de problèmes et d’énigmes dans nos auteurs et nos manuscrits, trop d’événements inconnus ou défigurés ! On revient en boudant, mais on revient à l’œuvre préparatoire, aux essais, aux coups de sonde jetés çà et là, à ce que nous appelons volontiers le rudiment, le Lhomond de nos annales.

On a déjà gagné du chemin dans cet ordre d’idées. Une masse de diplômes ont paru à la lumière. Nos archives, soit départementales, soit nationales, et les dépôts domestiques se sont vu ravir bien des pièces inédites et d’un intérêt sérieux. Publier des titres, c’est parfait, c’est même l’essentiel, mais il ne faut point s’en tenir là. Il est bon de tendre l’oreille à tout ce qui se dit, et de lire, si c’est possible, tout ce qui s’imprime. On recueille des données précieuses dans beaucoup de monographies étrangères à notre pays et à plus forte raison dans les livres consacrés aux provinces du voisinage. C’est jouer de malheur si le flot sans cesse renouvelé de notices, opuscules, cartulaires, mémoires, alors même que ce flot vienne de loin, ne laisse par quelques épaves sur nos rives. Sous ce rapport, un bulletin bibliographique, tenu au jour le jour, serait pour chacun de nous d’une aide efficace : toutefois, gardons-nous de concevoir cette revue sommaire du mouvement intellectuel comme réservée aux seules productions contemporaines. S’il convient d’être à l’affût de l’heure présente, il est non moins utile d’interroger les vieux grimoires et les bouquins vermoulus. Il y a profit à s’orienter en tous sens, à vivre dans l’atmosphère courante, mais aussi à regarder de temps à autre derrière soi. Le bulletin bibliographique, dont nous parlons, serait donc un peu capricieux : il devrait glaner, butiner de droite et de gauche, parler aujourd’hui des publications quotidiennes et demain rouvrir les in-quarto de nos pères. — Essayons pour notre compte. — En ce moment nous ne voulons entretenir nos amis que des livres de la veille, et, parmi ces livres il s’en trouve qui nous regardent d’assez près.

Citons d’abord la nouvelle édition donnée par M. Paul Meyer de la Chanson de la Croisade contre les Albigeois, Paris, librairie Renouard, 1875. Nous n’avons encore à notre disposition que le premier tome de cet ouvrage, mais il suffit pour attester combien le nouveau texte est supérieur à celui qu’a publié l’illustre Fauriel dans la Collection des Documents relatifs à l’Histoire de France, 1 volume in-4o, Imprimerie royale, 1837. M. Paul Meyer n’a plus ses preuves à faire. Ses travaux sur la littérature romane sont connus et appréciés du monde savant. Il appartient à ce groupe déjà considérable de l’École des Hautes-Études, qui nous venge enfin de notre trop longue infériorité au regard de la philologie allemande. Les compatriotes de Diez, Fuschs, Wolf, avaient pris sur nous de l’avance dans l’étude de nos vieux dialectes et ils triomphaient sans détour de leurs succès en accusant la frivolité française. Grâce à MM. Gaston Paris, Paul Meyer, Brachet et bien d’autres, nous pouvons montrer à nos chers amis d’outre-Rhin des œuvres qui valent les leurs en solidité et les surpassent par la bonne humeur et l’entrain. Dans le récent travail dont nous nous occupons, M. Paul Meyer est resté fidèle à ses habitudes de critique sévère et d’érudition abondante et sûre. Le poème de Guillaume de Tudèle est restitué dans sa véritable physionomie. Des notes succinctes mais topiques éclairent le texte et le complètent. Des variantes, des leçons diverses empruntées à plusieurs manuscrits permettent au lecteur le plus profane de trancher lui-même les questions techniques de grammaire et de langage. L’éditeur a mis également à contribution les nombreux récits de la guerre des Albigeois, et, à l’aide de ces documents contratradictoires, il contrôle ou redresse la narration du poète. Notre confrère, M. Antoine Jacotin, a mieux fait que de louer l’œuvre de M. Paul Meyer ; il s’en est servi d’une manière très-heureuse pour son intéressante étude sur notre évêque Bertrand de Chalencon, l’un des généraux de la Croisade.

Il importe également de signaler aux curieux le dernier ouvrage de M. Chazaud, archiviste de l’Allier. M. Chazaud n’est point un inconnu pour nous : il s’est intéressé à l’entreprise des Tablettes et l’a même aidée de son précieux concours. Son édition de la Chronique du bon duc Loys de Bourbon, Paris, librairie Renouard, 1876, est bien digne de figurer dans cette série de livres excellents que met au jour la Société de l’Histoire de France. On connaît par La Mure, édition Chantelauze, t. II, pp. 44 et suiv., la biographie de Louis II, duc de Bourbon et comte de Forez. Ce prince succéda à son père, Pierre Ier, décédé en 1360 à Londres où il était détenu comme otage du roi Jean. La carrière de Louis II, qui se poursuivit jusqu’en 1410, ne mérite point sans doute les hyperboles de ses biographes, mais elle fut honorable, patriotique et semée de bonnes et nobles actions. On doit avant tout savoir gré à sa mémoire des services qu’il rendit à la cause nationale, dans cette désolante anarchie qu’inaugura le règne de Charles VI. La Chronique du duc Louis II avait été imprimée deux fois, la première, chez François Huby, in-8o, Paris, 1612, la seconde, dans le Panthéon littéraire de Buchon en 1841. M. Chazaud a profité des travaux de ses devanciers, mais en y ajoutant beaucoup de son crû, grâce à la collation des trois manuscrits de Saint-Pétersbourg, de Bruxelles et de notre Bibliothèque nationale. Au point de vue philologique, le volume de M. Chazaud défie toute contrefaçon. C’est bien là le récit pur et original de « Jehan d’Orreville, picard, nommé Cabaret, pouvre pèlerin. » Une fort bonne introduction renferme de copieux documents bibliographiques, des notes sur le bon duc et ses principaux chevaliers, et surtout une biographie aussi complète que possible du rédacteur de la chronique, Jean Cabaret, et de son collaborateur Jean de Chatelus, seigneur de Châteaumorand. Un sommaire chronologique, un appendice et une table des noms de lieux et de personnes achèvent de donner à l’ouvrage de M. Chazaud le caractère de précision et d’utilité qui fait le prix des travaux de ce genre.

Ce qui nous intéresse directement dans la Chronique du bon duc Loys, c’est la mention quatre fois répétée du Puy-Notre-Dame. Voici les passages où il est question de notre ville, et l’on regrettera que ces passages n’aient point été relevés par nos auteurs locaux :

En 1375, le duc de Bourbon, après avoir guerroyé contre les compagnies anglaises d’Auvergne, vint faire un pèlerinage au Puy (édit. Chazaud, pp. 105 et 106), et voici l’événement qui signale son séjour dans notre ville :


Comment le duc de Bourbon se mit en ordonnance pour aller en Espaigne la première fois, pour cuider voyaiger en Grenade.

L’an de grâce M IIIc septante et cinq estoit entré, que le duc de Bourbon ot deslivré Auvergne des ennemis du royaulme, lequel avoit de coustume en tous ses fais de louer Dieu, et très-dévot estoit à la vierge Marie : et pour ce, après la prise des places, s’en alla en pellerinage à Nostre-Dame d’Orcival[1], et illec offrit son pennon, qui encores y est, lequel il avoit voué quand il le vit premier sur la Roche Senadoire[2], pour ce que c’estoit la première place près de la aourée de Nostre-Dame, et là fonda le duc une messe perpétuelle. Et faicte son oblation, se partit et alla à Ardes[3] vers le conte Daulphin, qui le festoya moult grandement et d’Ardes alla au Puy-Nostre-Dame, ou il s’estoit voué. Et lui estant au Puy à son pellerinage, et ja y ot demouré deux jours pour sa devocion, vint à lui ung herault honnorable, de par le roi Henri d’Espaigne, qui apporta lettres au duc de Bourbon, les plus belles qu’on peust voir, ou ledit roi Henri prioit et requéroit au duc de Bourbon qu’il lui pleust de venir en Espaigne, et que le duc y avoit bien son venir : car la seigneurie de Bourbon l’avoit fort aidé à conquester son royaume, c’est assavoir le conte de la Marche, qui estoit du sang et des armes de Bourbon : « Et pour la grant renommée, bonne chevalerie, preudhommie et sagesse que j’ai oui dire de vous, je vous envoye mon especial hérault Moniquot, vous certiffiant par mes lettres patentes que mon intention et mon emprinse est, à l’aide de Dieu, entrer en Grenade en la saison nouvelle, à toute la puissance d’Espaigne, et sur toute rien désirerois vostre compaignie. A laquelle chose je vous prie que ne me vueillez faillir, et vous plaise amener avecques vous deux ou trois cens chevaliers et escuiers, et je vous promects que je vous despartirai de mes biens tout ce que vous en vouldrez prendre. » De quoi le duc Loys de Bourbon fut moult lie et joyeulx, et lui sembloit que Dieu l’emportoit, quand il véoit chose honnorable en quoi à la saison nouvelle il se peust employer. Et sur cela deslivra le duc de Bourbon le hérault du roi nommé Moniquot, et lui donna un escusson de ses armes, et de riches vestures de drap d’or, et sa devise, et l’en envoya ; et escript le duc ses honnorables lettres par ledict hérault au roi d’ESpaigne : que au plaisir de Dieu, il seroit devers lui, dedans la fin de mai ; et sur ce s’en revint le duc en son pais de Bourbonnois pour mettre en ordonnance à fere son voyaige…


Au cours de l’année 1380 le connétable Duguesclin arriva au Puy avec des gentilshommes du duc de Bourbon, et de notre ville se rendit à Châteauneuf-Randon où il devait trouver la mort (13 juillet 1380). Le chroniqueur raconte comme suit (édit. Chazaud, pp. 115 et suiv.) le séjour du connétable dans nos murs :


Comment le conestable messire Bertrand se partit de Bretagne, sur l’espoir de s’en aller en Espaigne, passa par Bourbonnois, ou le duc le festoia, et alla devant Chastelneuf de Randon, ou il morut, et ot le chastel.

Jà couroit l’an de grâce M III LXX et neuf[4], que le bon conestable messire Bertrand de Claiquin meut du païs de Bretaigne pour vuider le païs et royaume de France, comme il avoit promis aux ducs d’Anjou et de Bourbon ; et pour son bon los, à l’accompaigner et servir se présentèrent plusieurs barons et seigneurs de moult de parties, lesquels il regracia de celle offre, et ne voult mener o lui, pour son allée accomplir, fors trois cens hommes d’armes. Et bien ordonnée son affaire, se mit au chemin pour s’en aller demeurer en Espaigne, et avec sa compaignie vint passer par Bourbonnois, où le duc Loys estoit, qui le festoya grandement, et de rechief le cuida convertir de le retenir, comme cellui qui avoit grant regret en son allée ; mais le duc n’y peut oncques mectre remède ; et à son despartir, lui donna un bel hanap d’or, esmaillé de ses armes, lui priant qu’il y voulsist boire toujours pour l’amour de lui, et lui donna aussi une belle seincture d’or, très riche, de son ordre d’Espérance, laquelle il lui mit au col, dont le conestable le mercia, et en fut moult joyeux. Ainsi prindrent congié l’ung de l’autre, et lui bailla le duc de Bourbon dix gentilzhommes de son hostel, pour le conduire quatre journées, lesquels furent Jehan de Chastelmorand, qui portoit l’enseigne du duc de Bourbon, Gauvain, Michaille, Perrin d’Ussel, messire Odin de Rollat, Champropin, le bastard de Glarains, le borgne de Veaulce, et autres. Et estoient gens que le conestable amoit moult, et qu’il congnoissoit ; et le convoyèrent au Puy-Nostre-Dame, où les citoyens lui supplièrent que, pour Dieu, il voulaist aller devant Chastelneuf-de-Randon qui destruisoit le païs, et que, aincois qu’il se partist du royaume, le deslivrast des Anglois ; et que ce lui seroit louable mémoire avec les biens qu’il avoit fais. Si leur octroya le conestable ; et après qu’il ot visité l’esglise Nostre-Dame, et fait son pellerinage, il dit aux compaignons qui le conduisaient : « Vous mes chiers compaignons, frères et amis, de l’hostel de mon bon seigneur et maistre le duc de Bourbon, puis qu’il n’a guiéres jusques-là, je vous prie, faictes moi compaignie devant la place, si verrez que nous ferons, car à Dieu le veu, nous les arons, les gars ; et se le souleil y entre, nous y entrerons. » De celle parolle se rirent les compaignons, et dirent que de bon cueur le conduiroient. Adonc se partit du Puy le conestable o sa compaignie, et chevaucha devant Chastelneuf-de-Randon où il mit le siège, mais avant ot dit à ceulx du Puy : « Mes amis, c’est la dernière place angloise que je saiche en mon chemin pour m’en aller. Mais ainçois que je parte, à Dieu le veu, je l’aurai. » Et quant le conestable ot visitée la place, il mist son siège en belle ordonnance et commanda à ceulx du Puy comment ils garnissent le siège de vivres, d’artillerie, et aussi de mangonneaulx et autres engins à gecter léans : si le firent. Et y sist le conestable trois sepmaines, et illec furent faictes de belles emprises d’armes de ceulx du siège, et y estoient plusieurs des seigneurs d’Auvergne et du Velai, qui moult voulentiers entendoient à deslivrer cette place, et en tant que les assaultz se faisoient de ceulx de l’ost à ceulx du chastel par plusieurs jours, eulx voyans que guières ne se povoient tenir, advint que, au quinziesme jour que le conestable ot assiègé cellui chastel, lui print une maladie dont il morut, et les Anglois, qui dedans estoient, voyans que nul remède n’avoit en leur fait, que à la longue ne fussent prins par la force, se rendirent au conestable, que poinct ne scavoient qu’il fust mort, et s’en allèrent où bon leur sembla…


Ce récit, dont l’authenticité a été vainement contestée, puisqu’il émane du sire de Châteaumorand, l’un des seigneurs qui accompagnaient au Puy et à Châteauneuf le connétable, atteste la part considérable prise par les habitants de notre pays à la dernière expédition de Duguesclin. Il est dommage que le chroniqueur ne donne point quelques détails sur les barons vellaves présents au siège. En rapprochant les dates, on voit que Duguesclin arriva au Puy sur la fin de juillet ou dans les premiers jours d’août 1380.

Médicis, I, 232 et 412, ne parle que d’une entrée de Charles VI au Puy, à la date du 24 mars 1394, mais il est certain que ce roi visita notre ville avant cette époque. Dans le courant de 1389 il se rendit d’abord à Mehun-sur-Yèvre, où il fut reçu par son oncle le duc de Berry. De là il vint à Gannat et ensuite au Puy où il demeura trois jours. Cette première visite de Charles VI en nos murs eut lieu dans le courant d’octobre : le 30 de ce mois, le roi arrivait à Roquemaure, après avoir séjourné quelques jours à Lyon où il avait passé après son départ du Puy (Arnaud, I, 228 et 229. — Histoire du Languedoc, Édit. du Mège, t. VIII, p. 328). La Mure, édit. Chantelauze, t. II, p. 80, et après lui M. Chazaud, édit. Cabaret d’Orville, p. XXIX de l’Introduction, confondent le voyage de 1389 avec celui de 1394. Voici le passage de la Chronique du bon duc Loys, pp. 215 et 216, sur le pèlerinage royal de 1389 :


Comment le roi alla visiter Languedoc son pays, et avec lui son frère, ensemble le duc de Berry, et le duc de Bourbon.

Paciffié le pays de Bretaigne il ne tarda pas longuement après, que le roi de France ot conseil et advis de aller en Langue d’oc, où il n’avoit esté despuis la mort de son oncle le duc d’Anjou, qui est un des bons pays de finance que le roi ait. Et, en ce temps là, le roi qui avoit le cueur lie et joyeulx, en donnoit et en despendoit tant, qu’il ne povoit fournir, et fut advisé que c’estoit pour le mieulx qu’il se traïst en ces parties, pour accueillir finances, car il en avoit bien besoing, et estoit le pays qui plus de finances lui povoit aider, pour ce qu’estoit situé ès marchet et confines de Guienne et Bourdelois, et autres provinces qui moult pourroient nuire au roi, et pour ce estoit nécessaire de y aller. Et fut ordonnée l’allée, par ainsi que le duc de Bourgongne demourerait pour garder le pays qu’il avoit à gouverner, et aussi pour les périls qui y pourroient advenir. Et le duc d’Orléans, frère du roi, ensemble le duc de Berry et le duc de Bourbon iroient avecques le roi, accompaignés de quatre cens hommes d’armes. Estre tout mis en point, se partit le roi de Paris, et vint à Mehun sur Yèvre, où le duc de Barry le festoia grandement, et puis à Gannat où le sire de la Tour, avec les dames et damoiselles du pays, le festoièrent liement. Et de Gannat se partit le roi, et s’en alla au Puy-Notre-Dame où toutes gens le venoient voir, et là demoura le roy trois jours en la ville, où lui furent fais de moult beaulx présens et de grans dons. Et du Puy tira le roi le droit chemin à Carcassonne, qui est telle cité et ville que on puet savoir, ou il demoura huit jours à revisiter le bel chastel et cité qui y est…


La réalité historique nous est plus chère que les traditions même les plus glorieuses pour notre ville bien-aimée. Il nous est déjà advenu de dire que beaucoup de visites royales dans nos murs ont été qualifiées à tort de pèlerinages par Gissey, Médicis et le frère Théodore. Nos rois furent plus souvent attirés au Puy par la raison d’État que par la renommée de notre basilique. Pour n’en citer qu’un exemple, nous avons vu saint Louis se rendre chez nous en 1254 dans le but de recueillir de sa propre main son droit de gîte ou de procuration[5]. La Chronique du bon duc Loys attribue à la visite de Charles VI, en 1389, le même mobile financier. Et plût à Dieu que le roi se fût contenté de ravitailler son trésor dans notre province de Languedoc, mais d’autres soins, d’autres plaisirs occupèrent son intelligence et ses sens ! Cette excursion de 1389 fut un véritable pèlerinage aux autels de Vénus. Le roi revint trois mois après, vieillard précoce, l’âme malade et le corps anéanti. Il portait déjà les germes de la terrible affection cérébrale, qui devait coûter si cher à la France[6].

Il est question une dernière fois de notre cité dans la Chronique de Cabarèt d’Orville[7]. C’est à propos d’un pèlerinage, authentique celui-là et de pure dévotion, que fit le duc Louis à notre cathédrale dans le cours de l’année 1393[8] :


Comment le duc de Bourbon, après son retour d’Auffricque, fit son mandement pour aider la contesse de Savoie, sa seur, de son douhaire dont l’en lui faisait tort.

Le duc de Bourbon estant à Marseille, où il demeura dix jours, pour séjourner, lui et ses gens, qui estoient moult foullés du travail et grant peine que avoient heu en icellui noble voiaige. Ce durant envoia le duc en Forez, où il n’a que quatre journées, devers la duchesse sa femme, et en Bourbonnois, vers le sire de Norris, pour querre ses chevaulx, et ses autres habillemens qu’il lui convenoit, et or et argent, dont il lui falloit grand foison, que moult en avoit despendu honnourablement. Et quand les chevaulx furent venus, et ce quoi avoit mandé, se partit le duc de Bourbon de Marseille, et alla en pèlerinage à sainct Anthoine de Viennois, et à Nostre-Dame du Pui, et puis en sa conté de Forez, où tout le peuple lui venoit au devant, en lui faisant la plus grant chière et le plus grand honneur que on povoit faire, partout où il venoit.


Nous en avons fini avec la Chronique du bon duc Loys. Ces récits, pleins de grâce et de naïveté, nous initient bien mieux que les plus doctes commentaires à la connaissance intime des hommes et des choses du moyen âge. Les érudits de haut vol doivent des remerciements à M. Chazaud. Pour nous, dont le cadre est restreint et l’ambition modeste, nous avons simplement voulu démontrer, à l’aide des passages empruntés à cette chronique, que pour atteindre l’objectif poursuivi par le petit groupe de nos amis, c’est-à-dire l’histoire du Velay, il faut se tenir au courant, parcourir chaque espèce de livres, vieux et nouveaux, et combiner la recherche des sources originales et manuscrites avec l’étude des imprimés de toute date et de toute provenance.

Ch. Rocher




  1. Commune du canton de Rochefort, arr. de Clermont (Puy-de-Dôme).
  2. La Roche Senadoire, commune et canton de Rochefort.
  3. Chef-lieu de canton, arr. d’Issoire (Puy-de-Dôme).
  4. 1380, nouveau style.
  5. Voir dans les Tablettes, III, 177 et suiv., notre article sur le Droit de gîte.
  6. Sur ce point douloureux consulter l’Histoire de Charles VII, par Vallet de Viriville, Paris, 1862, t. I, pp. 30 et 31.
  7. Édit. Chazaud, pp. 258 et 259.
  8. C’est la date qu’assigne également La Mure, édition Chantelauze, t. II, p. 80.