Bibliographie des œuvres de Sénancour

Librairie Hachette et Cie (p. 3-84).

Joachim MERLANT

BIBLIOGRAPHIE

DES

ŒUVRES DE SÉNANCOUR

DOCUMENTS INÉDITS

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie

1905


A


M. BOISSEAU


en souvenir d’un culte commun de Sénancour



Hommage respectueux

Dans la 14e leçon de son cours sur Chateaubriand, Sainte-Beuve citait quelques fragments inédits de Sénancour : « … Imprimer tout ce qu’on peut avoir à dire en trois volumes ou peut-être deux, y travailler quinze ans… Mais la vie que je mène est celle d’un esclave à qui la mort est refusée. »

Cette note est de 1820. Sainte-Beuve aurait pu citer celle-ci, plus douloureuse encore, écrite en 1822 d> (août) : « Idée d’une dernière édition. Ma tête, plus lasse de ma vie insipide et difficile que fatiguée de travail, se refusera peut-être de bonne heure à toute occupation forte. J’entreprendrai peut-être une partie du grand ouvrage que je projetais (La Vérité éternelle). Peut-être aussi ferai-je fort peu de chose. Tout dépend de l’aisance que j’aurais. Moins je me promets de l’avenir, plus je me vois forcé de mettre quelque importance à ce que j’ai fait jusqu’à présent. Je projette de réunir sous un titre commun (Ecrits d’un solitaire ou autre titre moins mauvais) les Rêveries, les autres fragments de l’Amour, etc… enfin toutes les feuilles informes et tronquées que j’ai écrites jusqu’à ce jour. Et cela dès que j’aurai des fonds pour acquérir un petit asile où pourront s’écouler quelques années plus paisibles et un peu plus loin de ces songes qui ne m’ont jamais abusé. Il en est qui dans tous les temps auraient pu me plaire, mais les choses les plus simples ne sont pas les moins difficiles à réaliser. » (On lit sur cette page, en travers du manuscrit original : « Projets vagues » ).

La vie de Sénancour s’est ainsi passée, à faire des projets ; il n’a consenti à se reconnaître tout entier dans aucune de ses œuvres ; il n’a jamais rien écrit de définitif. Je ne connais pas de vie plus noble, consacrée avec plus d’obstination à la recherche de la vérité.

(1) Je la tiens de M. Boisseau, qui la tient lui-même de M. A. Tornûdd, à qui M. de Lovenjoul a dû la communiquer.

Dans cette bibliographie, où j’ai pu utiliser les collections et les notes inédites de M. Boisseau, et le manuscrit inédit des Libres Méditations qu’a bien voulu me communiquer M. Alvar Tornudd W, j’ai voulu donner une idée de ce labeur, poursuivi par Sénaneour au milieu d’une vie difficile ; l’étude des transformations qu’il a fait subir à ses ouvrages montre en lui un esprit à la fois circonspect et aventureux ; elle montre aussi un esprit soucieux de se développer continûment, en restant fidèle à ses origines ; elle peut montrer enfin un esprit profondément attentif à tout ce qui se passe en lui, espérant d’une attention de plus intense portée sur sa vie intérieure, une sorte de révélation progressive, — et qui ne dédaigne pas cependant de se tenir uu courant de tout ce que présentait à sa curiosité le travail des intelligences contemporaines. Sénaneour à vécu recueilli, mais non séparé du mouvement de son temps.

Je ne sais s’il sera jamais possible d’avoir sur lui plus de détails biographiques qu’on n’est parvenu à en obtenir jusqu’à maintenant ; mais les traits de sa physionomie n’en seraient pas plus marqués, et l’intelligence de sa pensée n’en serait pas facilitée. Son histoire est celle de ses œuvres, et ses œuvres sont un acte de foi loyal et serein dans la raison. L’inquiétude est partout dans les premières ; il n’y a plus dans les dernières qu’un sentiment d’attente tranquille, patiente, assurée.

Si, après le livre que M. Levallois a consacré à la mémoire de Sénaneour, on voulait essayer de dire encore ce qu’il fut, on ne saurait se placer à un autre point de vue que celui de son pieux biographe : il faudrait suivre l’évolution philosophique d’un pur contemplatif, qui, sans rien laisser au hasard, avec une conscience méticuleuse, passa de l’athéisme matérialiste au spiritualisme. C’est une sorte de monographie religieuse qu’il faudrait écrire. Cette étude bibliographique en serait peut-être la première indication.

(1) Je me fais un devoir d’adresser ici à M. Alvar Tornudd mes remerciements ; en m’autorisant à disposer du manuscrit inédit des Libres Méditations, 11 m’a permis d’ajouter beaucoup à l’intérêt de ce travail. Je lui rends ce qu’il m’a prêté.

Les Rêveries


A. — Rêveries sur la nature primitive de l’homme, sur ses sensations, sur les moyens de bonheur qu’elles lui indiquent, sur le mode social qui conserverait le plus de ses formes primordiales, par P....t Sénancour, premier cahier, à Paris, germinal an VI, chez de la Tynna, éditeur, rue Honoré, n° 100, en face de celle de l’Arbre-Sec, et chez Cérioux, libraire-imprimeur, quai Voltaire, n° 9.

(A la suite des « préliminaires » cette note : « des raisons particulières ont engagé à faire imprimer ces essais successivement, et par cahiers, dont la réunion formera un ou deux volumes, à la fin desquels seront placés les sommaires ou analyses de chaque Rêverie).

Ce premier cahier contient, avec les préliminaires, la 1re Rêverie et la 3e.

B. — Rêveries…, à Paris, chez J.-Ch. Laveaux et Compagnie, imprimeur-libraire, rue du Faubourg-Honoré, maison ci-devant Beauveau ; de la Tynna, rue Honoré, n° 100, en face de celle de l’Arbre-Sec ; Moutardier, imprimeur-libraire, quai des Augustins, au coin de la rue Gît-le-Cœur ; Cérioux, libraire, quai Voltaire, n° 9, An VIII.

Avant le titre, cette note : « La nature de cet écrit ne le laissant pas susceptible de classification, ni de divisions régulières, le contenu de chaque Rêverie sera indiqué dans des sommaires ou précis libres, à la fin du volume. »

Sur la destinée de cette édition, Sénancour donne, dans les Rêveries de 1833 (N. B., p. 353), les explications suivantes : « C’est en 1799 que cet écrit parut. La deuxième édition eut lieu en 1809. La première ayant été enfouie dans les magasins d’un spéculateur étranger à la librairie (parce que l’imprimerie de l’hôtel Beauveau avait été vendue à l’improviste), le libraire entre les mains de qui tombèrent ces ballots trois ans plus tard imagina de changer le frontispice des Rêveries et d’y mettre le mot seconde édition. (Voici le frontispice de cette fausse seconde édition : A Paris, chez Cérioux, libraire, quai Voltaire, n° 9. Lepetit jeune, libraire, palais du Tribunal, galerie de bois, n° 223, et rue Pavée-Saint-André-des-Arcs, n° 28, an X-1802.) Je n’étais pas en France. (Le manuscrit déposé par Mlle E. de Sénancour en 1850 à la bibliothèque de Fribourg dit qu’en 1802 en effet son père fil son dernier voyage en Suisse, pour prendre avec lui ses deux enfants qu’il avait perdus de vue depuis des années.) Le même libraire, digne du reste de beaucoup d’estime, se chargea ensuite de la deuxième édition, qui fut désignée seulement comme nouvelle, et non comme troisième ou comme seconde, parce que je ne pouvais approuver le fait antérieur, et que toutefois je désirais ne pas le démentir. C’était un ménagement naturel à une époque où l’exactitude en cela n’avait plus aucune importance ; mais en qualifiant de troisième l’édition présente, il faut donner ces éclaircissements. »

C. — Rêveries sur la nature primitive de l’homme, nouvelle édition avec des changements et des additions considérables, par P… de Sénancour, Paris, Cérioux, libraire, quai Voltaire, n° 17 : Arthus Bertrand, libraire, rue HauteFeuille, n° 23, 1809 W.

En épigraphe : Etudie l’homme et non les hommes (Pythagore). La feuille qui précède le titre porte ces lignes : « Les Rêveries nouvelles et autres parties de ce volume qui étaient inédites en forment presque le tiers. Le reste est partout réduit ou change. — La seconde partie d’Obermann ne sera point publiée : la première partie iïObermann ne sera jamais réimprimée. »

D. — Rêveries, par de Sénancour, 3° édition. A la librairie d’Abel Ledoux, Paris, 1833.

Il est impossible de suivre dans le détail les modifications du texte ; mais voici, dans leurs grandes lignes, les remaniements qu’il a subis à travers les éditions successives ; nous relèverons aussi, à l’occasion, quelques exemples typiques de corrections qui affectent seulement la lettre du texte, sans en atteindre l’esprit.

B C D

Les quelques pages qui précèdent la 1re Rêverie indiquent le dessein général de l’ouvrage, l’état d’esprit dans lequel il est con-

La 1re Rêverie de C correspond aux préliminaires de B ; mais il y a des additions et des retouches sensibles. Elle traite « de

Dans son avant-pro pos, il se demande à quoi bon corriger tou jours ; c’est oublier, dit-il, « l’inconstance de notre esprit. » La

(1) J. Levallois. Un •précurseur, Sénancour, Paris, Champion, 1897 (p. 77) a déjà signalé les fragments û’Obermann mêlés à cette édition, et les fragments nouveaux : sur deux siècles comparés (défense du XVIIIe s.), sur la langue, sur la sagesse religieuse et la sagesse naturelle. çu : la négation de toute métaphysique, de l’optimisme philosophique et du dogme de la perfectibilité, — la religion de la souffrance humaine et l’effort pour se concentrer vers ce seul but : faire rétrograder l’homme vers la nature. Mais il ne veut y mettre aucune méthode certaine ; il n’y a pas de progression dans l’ordre des Rêveries. Sénancour ne croit pas qu’il dépende d’un raisonnement serré d’arriver à la vérité : « Je veux me faciliter ses routes par l’habitude de me promener ça et la. » Ce n’est pas là, d’ailleurs, la flânerie nonchalante de Montaigne, mais le tâtonnement timide d’un esprit qui cherche ses sources, — et ne veut pas se fier à la logique.

l’écrivain, particulièrement dans les temps actuels. Motifs, difficultés, véritable but. Objet de la sagesse. Ce qu’il faut entendre ici par nature primitive de l’homme, etc., etc. » On voit là (ce qui apparaîtra de plus en plus nettement) que si Sénancour semble, d’après les dehors de sa vie, ôl re resté étranger a son temps, retiré de toute action, ce fut à son coips défendant. Il regrette d’èlre réduit à penser au lieu d’agir, de « travailler à une œuvre plus durable que nous et où notre existence paraisse se prolonger » (Inspiré des lettres 79 et 80 d’Obermann, sur la mission de l’écrivain). Dans une note, Sénancour, après s’êti-c défendu d’avoir des prétentions littéraires, répond aux calomnies de la Gazette de Fran ce ; —. ce journal ayant publié sur l’Amour un article très hostile (10 juillet 1808), il lui avait envoyé une lettre (6 août 1808) qui fut insérée avec des remaniements perfides. Sénancour tenait tellement à ce que sa note fût lue, qu’avant le titre de cette édition des Rêveries il plaçait cet avertissement : « Sur le livre de l’Amour, seconde édition, voyez la note première de ce volume, ci, p. 292 et suivantes. » Il y donne et sa véritable lettre, et celle qui lui fut substituée.

recherche de Sénancour ne suit pas la ligne droite, elle ne creuse pas, elle est diffuse. Il lient à faire entendre encore ici que s’il a écrit c’est faute de pouvoir agir. — On sent qu’il aurait voulu tirer, enfin, un livre de ses Rêveries ; à mesure qu’il perdait l’espoir de réaliser la grande œuvre dont il avait donné tant de fragments, il se voyait forcé, comme il l’écrivait en août 1822 (1), de mettre quelque importance à ce qu’il avait fait jusqu’alors. Les troisièmes Rêveries sont un livre absolument nouveau.

(1) V. Introduction.

Dans cette 1re Rêverie, il accepte l’idée de perfectibilité, sinon comme une certitude, au moins comme un stimulant : « Nous voudrions apercevoir quel serait le mieux possible, non » pas précisément dans l’espoir d’y atteindre, mais afin de nous en approcher davantage que si nous envisagions seulement pour terme de nos efforts ce qu’ils pourront en effet produire. » — « Il jouit de l’idéal, car il espère le rendre utile. » Il semble que Sénancour s’inspire autant de la pensée des physiocrales, — qui croyaient non pas au progrès continu de l’humanité vers une perfection dont elle s’approcherait indéfiniment, mais ù une formule de gouvernement qui équilibrerait, une fois pour toutes, les forces sociales et qui serait appliquée instantanément par une autorité intelligente, — que de celle des encyclopédistes. Sa conception n’est pas nette encore ; sa pensée reste longtemps, sinon toujours, à l’état de compromis obscur et impraticable entre deux thèses.

La 2e Rêverie correspond à la lre de B. Le passage sur la relativité du beau et du juste est une combinaison du texte de B et d’une note qui s’y rattachait, Plusieurs

2e Rêverie. Déduction scientifique du phénomène de l’ennui. Théorie sur l’art de jouir. Conception toute mécanique et matérialiste de l’âme.

petites corrections de style. Sénancour n’est jamais satisfait de la forme qu’il a trouvée : par exemple, en parlant de l’immoralité de la nature, il écrit dans B : « Dans un monde renouvelé, il ne subsiste nulle trace de ce qui fut abhorré ou divinisé dans un monde effacé. » Et dans C : « Sur le globe renouvelé…., sur le globe d’un autre &ge, la mouche, l’homme et le monde ont leur sépulcre dans la nature essentiellement vivante. » Le fond de la pensée s’est modifié ; au lieu du réquisitoire de B contre la chimère de l’immortalité, sur le manque de base absolue de la morale, — Sénancour se borne à exposer, sur un ton sensiblement moins combatif, l’impossibilité de connaître la cause finale générale, et la vanité de raisonner sur des causes finales particulières.

3e Rêverie. Toute la théorie sur la faculté sensitive, sur le désir, la délicatesse dans les sociétés actuelles, est supprimée et reportée sur la 10e Rêverie. Simple morceau d’une page sur l’inquiétude permanente de l’homme.

3e. Contre l’esprit spéculatif, contre la volonté de penser sans occasion présnte. Théorie sur la Rêverie,

La 4e est inspirée du début de la 1re de B sur le vague primitif des êtres. Il faut se reporter ici?à la 7eseule forme normale de la pensée, hymne à l’automne. Distinction entre l’homme sensible et le sentimental.

verie pour retrouver l’inspiration de la 3 » de B, qui se confond d’ailleurs avec celle de la 7 » de B. La 4 « de C insiste sur le devoir qui s’impose à l’homme non plus de rêver, mais de penser méthodiquement. La nécessité des choses n’est pas prouvée dit Sénancour (en quoi il semble bien contredire le début de la rêverie, mais il n’importe) ; « examinons nu nous en sommes. » L’individu peut croire que le plus grand effort de la sagesse soit de se résigner, pour lui ; mais il ne faut pas se résigner pour l’espèce. La nonchalance du philosophe ne lui apparaît pas comme une allure distinguée : c’est le « Ainsi va le monde » du « bourgeois absurde. » « Ne renonçons pas aux principes des meilleures institutions. » Sénancourconserve quelques morceaux à effet de B, mêmequand ils étaient destinés à orner une thèse qu’il ne soutient plus. Mais le fond est renouvelé ; il regarde désormais la morale comme « la science humaine par excellence. » Il n’en est pas encore à présenter un système, mais il convient qu’il en faut chercher un.

4e et 5e Rêveries. Revenir à l’état neutre qui est celui de nature pour recouvrer le bon

5e. Intitulée « de l’être organise. » Beaucoup moins de lyrisme, des fragments de

5e. Intitulée : Dépendance. Très analogue. heur. Nouveau développement sur l’ennui. — Confidences sur ses souffrances intimes.

6e. L’homme passionné ; usage des excitants, désespoir. Imagination funèbre et emphatique.

7e. Contient en parlie la 5e de C, et met en relief, plus que C, l’idée que l’homme naturel était en harmonie perpétuelle avec les choses, parce que ses sensations passées ne laissaient aucune trace en lui. — Sénancour déclare que le plus sublime effort de la philosophie ne vaut pas le simple instinct animal. Dans C, il se contentera de faire ressortir les raisons de douter de la volonté libre.

théorie plutôt qu’une théorie complète sur la genèse de la volonté. — Très neuf.

6e. De l’idéal (Le sommaire indique : l’idéal est plutôt absent qu’imaginaire) : « Une odeur, un son (cf. Obermarm), un irait de lumière nous disent qu’il y a autre chose dans la nature humaine que l’instinct de digérer et de se promener. » — Expression du désespoir.

7e. Intitulée : Impressions reçues des objets inanimés. Inspiration semblable à celle de la 3e de B : « se livrer au cours fortuit des choses » (le 3e de B disait de « nos idées » )• « La pensée heureuse est celle qui n’est soumise qu’à l’occurrence des impressions. » — Mais additions et relouches nombreuses.

6e. Intitulée : Faiblesse humaine. Le contenu est à peu près le même : « Que de fois un regard, un son, une odeur nous disent que les facultés humaines ne se bornent pas à l’instinct de se nourrir, ou d’accomplir par imitation les devoirs de la vie positive ». La note du désespoir est très atténuée. A la fin du chapitre, cette phrase est ajoutée : « Chaque jour quelque avertissement de tout le charme ou de la rigueur des choses arrive au cœur de l’homme, et ce qu’il voit d’illimité dans ces oscillations deviendra pour sa pensée ou bien pour ses désirs le naissant indice d’une autre existence moins ténébreuse. »

2e. Intitulée : Impressions naturelles. Correspond à la 7’de C. Mais la partie d’abstraction philosophique est très écourtée ; par contre, il y a dans le pittoresque plus de précision.

Voici un exemple de la manière dont Sénancour modifiait son texte ; on sent l’effort pour faire rendre aux mots à la fois le plus de sens moral et le plus de valeur Imaginative possible.

La 3e Rêverie de B se terminait par une analyse précise et sèche des moyens physiques par lesquels on peut se disposer à la rêverie, — et par une exhortation ù nous délier des sollicitudes sociales. Cette conclusion est effacée des éditions suivantes, dans la 7e Rêverie. Sénancour a voulu seulement conserver une belle page, un morceau soigné, dont chacun puisse faire son profit dans sa vie propre.

« Vous marchez doucement dans le sentier abandonné ; vous ne voulez y voir que la ronce qui se traîne sur ce sable devenu humide, ce filet d’eau qui s’échappe des débris d’une fontaine dont le temps n’a laissé subsister que ce qui passe sans cesse, et la caverne où se réfugièrent les proscrits, dont celle trace ancienne est le dernier monument........ Ainsi soumis à tout ce qui s’agite, ù tout ce qui change autour de nous, affectés par l’oiseau qui passe, par la pierre qui tombe, par le vent qui s’éloigne, modifiés accidentellement dans cet ordre toujours mobile, nous sommes ce que nous font le calme, l’ombre, le bruit d’un insecte, l’odeur d’une herbe (B, dans lequel ce développement se trouve déjà en bonne partie, comme la réplique poétique d’un morceau de psychologie métaphysique, disait « émanée d’une herbe » ), tout cet univers vivant qui végète ou se minéralise sous nos pieds : nous changeons avec ces formes instantanées, nous sommes mus par ce mouvement, nous vivons de celte vie générale. » — « Nous nous aimons nous-mêmes dans

« Vous suivez lentement un sentier abandonné. Vous n’apercevez que la ronce sur le sable, la caverne où se réfugièrent les proscrits dont cette trace est le dernier monument, et les gouttes d’eau qui s’échappent des débris d’une fontaine dont il semble que le temps n’ait laissé subsister que ce qui passe sans cesse… Livrés, selon l’ordre naturel, à ce qui change auluur de nous, dans cet ordre toujours mobile, nous sommes ce que nous font le calme, l’ombre, le bruit d’un insecte, l’odeur d’une herbe : nous partageons cette vie générale, et nous nous écoulons avec ces formes instantanées. Nous nous retrouvons nousmêmes dans ce qui agit, dans ce qui végète, dans l’attitude assurée d’un chamois, dans le port d’un cèdre dont les branches s’inclinent, afin de s’étendre avec plus de liberté, dans tout l’aspect du monde qui est plein d’oppositions parce qu’il est soumis à l’ordre, et qui s’altère pour se maintenir toujours ».

8e. De très jolies choses sur la violette, — un paysage « de paix et d’ombre », des confidences sur l’occasion qui seule manque à une âme forte pour entraîner le monde. Très belle page ironique et ardente sur l’artifice des lois sociales qui ne saisissent que l’infime partie des énergies humaines débordantes (cf. Obermanri).

l’homme qui désire, dans l’animal qui sent, dans l’arbre qui se dessèche, dans le roc qui vieillit, dans le monde entier qui subsiste en se modifiant, qui se répare en s’altérant, qui est plein d’ordre et d’oppositions-, qui est senti par l’intelligence et entraîné par la nécessité » (Cette idée de « réparation », qui contient tout ce que la pensée de Sénancour put jamais s’assimiler d’optimisme, paraît ici pour la première fois dans les Rêveries ; elle prendra de plus en plus d’importance).

8e. Des diverses saisons. — n faut se reporter encore à la 3" de B. Mais l’hymne à l’automne, très modifié, ne garde pas la forme lyrique ; c’est plutôt une méditation, et l’on sent dans la pensée quelque chose de plus mûr, moins d’exaltation et plus de sécurité. Le 3e de B disait:« Dans le silence des soirées vaporeuses, n’as-tu pas connu une justice plus naturelle, senti plus d’impassibilité, et pénétré dans une profondeur plus sublime

Douce automne ! c’est toi que la nature a destinée au soutien, à la consolation, aux délices des victimes sociales qui vivent encore pour elle ». Ici, Sénancour dit qu’elle imprime à l’esprit « un

8e. Saisons. — La confidence personnelle bien moins développée. Sénancour supprime les traits qui traduisaient un découragement définitif. Le mot « indifférence » n’est plus prononcé à propos de l’automne; il est question du « désir patient qui sera notre refuge ». — « Elle indique des vérités plus fixes, et en écartant les inutiles sollicitudes de la passion, elle donne à l’esprit un calme qui sera le fondement de toute justice, de toute conciliation. »

9e. L’homme est ce qu’il doit être. Nulle finalité dans le monde. Réflexions sur l’éducation:mélange de Rousseau et de Montesquieu. Nécessité d’arrêter le conflit entre la morale individuelle et la morale collective. Contre la conception judéo-chrétienne du monde.

10e. Sur le charme de l’habitude.

11e. Il se défend d’entendre par là ce que Rousseau condamne (Emile 1. II, n. 3). C’est le contrepoids de l’imagination, qui nous réserve bien plus de maux que de joies. Une page qui fait penser à René. — Sur le droit à l’égalité ; illusoire en fait de même que la liberté. Critique de ceux qui veulent organiser la société comme une affaire (Conception révolutionnaire du monde, comme chez Rousseau ; l’idée de la régénération est partout).

12e. Ne pas vivre en vue de la mort. Le bonheur et la moralité définis « le concours harmonique de toutes les passions naturel

caractère de calme et d’indifférence, base nécessaire de toute justice… Elle semble indiquer les vérités morales. » La confidence mélancolique subsiste.

9e. Développe encore cette pensée que les affections tristes plaisent a l’âme immodérée en l’introduisant dans l’infini. La joie n’a que de faibles résultais.

10e. Développement du thème de la 10e de B; le penchant pour les choses accoutumées est favorable aux mœurs publiques, il est naturel au sage.

11e. Marque, comme la 11e de B, les risques où nous expose le besoin des grandes émotions, et l’illusion des droits primitifs, « comme s’il était une justice dans la nature. »

12e et 13e. Simplicité de sensations, paix et activité réunies, seul moyen de bonheur général. Contre la philosophie de parade (cf. Rousseau). Aimer la philosophie, mais avec le sentiment qu’elle ne peut valoir le mobile primitif perdu.

9e et 10e Rêveries. Elles contiennent (sous ces deux titres : Retenue, — Moyens contraires), un peu modifiée, la substance des 12e et 13e de C (De quelques moyens de bonheur — suite). C disait : « Mais la sagesse individuelle est le partage d’un petit nombre ; quand les autres veulent imiter le sage, ils ne sont que les singes de la philosophie. » Ce dédain de la « canaille » est une forme de pessimisme de Sénancour qui le rapprocherait de Voltaire. D, revu à une époque où il ne se laissait plus prendre à ces formules, s’exprime autrement : « Mais la sagesse personnelle semble n’êlre à l’usage que d’un petit nombre d’hommes, et quand le vulgaire veut imiter le sage, il abaisse la philosophie. Néanmoins, ce n’est pas une nécessité de tous les temps que des classes nombreuses restent étrangères à la raison. »

11e. Simplicité (cf. 13e de C). Très belles choses sur la méthode de bonheur la plus sûre ; pas de grands projets, se contenter même de les… La liberté est un être chimérique comme le hasard. »

13e et 14e. Il reste à Sénancour, de sa lecture de la Théodicée, une tendance à « justifier l’intelligence universelle. » II voit le bonheur dans un mélange de jouissances et de peines. Spéculations sur la nature, où il prétend concilier avec la solution d’Aristole celle de Diderot.

15e. Conseils aux instituteurs des peuples (cf. Obermann). « Sans les passions, il n’est plus de morale. » Idée d’un état où « tous les ressorts de la morale et de la politique composent la perfection de la machine. » Ses maîtres ne sont pas les Descartes ni les Newton, mais Bayle, Fréret, Boulanger.

16e et 17e. Invocation à l’île de Bienne. Circonscrire son existence, mais il ne lui suffit pas d’être un disciple de Rousseau ; besoin de spectacles violents, imagination apocalyptique. — Conclut en niant l’idée de perfectibilité.

Ici s’arrête cette édition.

ce qu’on n’aurait pas désiré. On sent là le fruit d’une vie méditative ; beaucoup de vigueur dans la tristesse, résignation sans abandon.

12e. Institutions (cf. 15° de B, et aussi 11e de B). Contre l’esprit d’industrie : « II faudra enfin réprimer cette impatiente émulation. Le désordre des calculs arides deviendrait aussi funeste que l’était l’absence de l’ordre dans la vie sauvage. » Beaucoup plus d’esprit pratique que dans B : « Les institutions fixes supposaient un prestige religieux ou autre… Sans doute les institutions perfectibles auront moins de vigueur, mais elles semblent plus convenables aujourd’hui. Si toute forme sociale doit rester très imparfaite, notre imagination préfère le tourment varié des peuples ingénieux, les maux suspendus par la plainte, par la résistance, par une agitation qui néanmoins est féconde en inconvénients de tout genre » (Bien que la curiosité historique n’ait jamais été assez forte chez Sénancour pour lui donner le dédain de la spéculation et la religion du fait, — on sent qu’elle gagne et que de temps en temps elle triomphe de sa mauvaise volonté à étudier une réalité déplaisante ; — à mesure, d’ailleurs, qu’il est plus patient dans ses espérances, il accepte l’idée qu’elles puissent, après très longtemps, se réaliser par l’évolution d’un état de choses encore obscur et compliqué).

Dans la suite, les éditions C et D présentent de très nombreuses analogies ; l’ordre des chapitres de D diffère de celui de C, et D contient des morceaux à effet nouveaux. Prométhée (20e : de la joie) ; sur l’argent (26e : de Vor et de la prospérité) ; sur le beau (27e : le beau) ; sur l’immortalité (31e).

La 13e (Réformes) est visiblement inspirée d’un souci d’actualité, Sénancour apostrophe les réformateurs, impuissants à modifier les hommes par les choses, ou inversement. Son caractère perce ici. « Au milieu d’une civilisation agitée, un homme d’un caractère indépendant a pour vertu la résignation, pour énergie, la retenue. » Contre la popularité.

La 16e correspond aux deux dernières de B et à la 22e de G (la nuit sur le lac). A l’idée d’une beauté accablante s’ajoute ici celle « d’une volupté insaisissable » ou de « consolations plus cachées encore. »

La 23e de D (de l’apparente imperfection du monde) reproduit à peu près la 27e de C. Elle traite du système de la dégradation et de la réparation ou réintégration des êtres : « C’est celui de « L’esprit des choses », et de plusieurs autres écrits de la même école », écrit Sénancour en 1809 ; et en 1833 il en reste au même point : il ne fait pas allusion à Ballanche.

La 31e de D (sur l’immortalité) développe les mêmes vues que la 35e de C, mais en insistant sur l’aveu implicite de ceux qui veulent l’ériger en dogme pour dominer les sociétés.

Les derniers chapitres de D (du 32e au 39e) sont de pure imagination métaphysique.

Dans la 44e de C, Sénancour écrivait : « Un livre manque à la terre ; celui de Locke ou celui de Cicéron et même celui de Marc Aurèle n’en forment que quelques pages… Un seul volume contiendrait tout ce qu’il faut aux sociétés humaines. » La note B de D montre que Sénancour ne conçoit plus cette idée d’un catéchisme philosophique où seraient condensés « les principes et les résultats ». Après avoir parlé de sa pensée dispersée en plusieurs œuvres et toujours remaniée, il montre que l’essentiel serait de s’attacher fortement à « son idée la plus intime », et de travailler toute sa vie à l’exprimer ; il développe des vues mystiques sur le vague nécessaire de toute pensée profonde : « C’est par le vague qu’elle se rattache à l’avenir. » On devient ainsi un frêle anneau d’une chaîne longue et peut-être utile, celle des intelligences humaines, qui peuvent elles-mêmes se rattacher à d’au très intelligences.

Dans la même note, Sénancour rappelle que, dans l’intention où il était de ne jamais laisser réimprimer Obermann, il en avait inséré plusieurs passages, « vers 1808 » dans les Rêveries (et aussi dans l’Amour). Cf. (C) 32e Rêveries (Supposition). 33e (les nombres. Pythagore), 30e l’éloquence des sons, le ranz des vaches), 21e et 22e (le soir ; de la vie réelle, de la vie flétrie, le lac), 35e (sur le pari), 37e (du beau). 40e (la montagne) et passim.

Obermann

Obermann. Lettres publiées par M. Sénancour, auteur des Rêveries sur la nature primitive de Vhomme, 2 vol. in-8°, Paris, an XII, 1804, Cérioux. « Etudie l’homme et non les hommes. »

(L’édition des Rêveries de 1809 portait : « La seconde partie d’Obermann ne sera point publiée ; la première partie d’Obermann ne sera jamais réimprimée). Il est impossible d’affirmer quoi que ce soit sur cette « seconde partie », dont aucune trace n’a jamais été reconnue par personne, et qui n’a peut-être jamais existé qu’à l’état de projet. Voir sur ce point Levallois, p. 76).

Obermann, par, de Sénancour, 2e édition, avec préface de Sainte-Beuve, 2 vol. in-8°, à la librairie d’Abel Ledoux, Paris, 1833. (Supplément : lettre 90).

Dans le manuscrit inédit des Libres Méditations, sur un feuillet qui porte en tête cette indication : « Ob. » et transversalement cette autre : « Polémique », on trouve les lignes suivantes : « Si des critiques disent : « Il n’a pas parlé des événements du jour dans un de ses livres, par conséquent il n’a jamais pris d’intérêt à la chose publique ; d’ailleurs il a sûrement des cheveux blancs puisqu’on a imprimé d’un de ses amis des lettres déjà anciennes. Dans un autre essai de lui l’amour est égoïste, et enfin il veut la vie à la campagne, et cependant il n’y fait pas l’acquisition d’un domaine, — ce qui est bien ridicule », l’auteur appellera-Ml de ces jugements ? Non, sans doute. Il observera seulement qu’il y a là des choses sujettes à contestation. Au milieu de la surabondance littéraire, quand d’ingénieux critiques s’arrêtent à un livre et s’en occupent avec une certaine prédilection, ce procédé est si obligeant de leur part, qu’un petit nombre d’inadvertances ça et là ne doivent pas altérer la gratitude de l’auteur quel qu’il soit. Des journaux l’ont déclaré athée ; quelquefois le temps manque et on se borne à écrire quarante lignes agréables au sujet d’un livre dont on a parcouru douze lignes. Plus pénétrants ou scrupuleux, avec plus d’obligeance, d’autres critiques ont dit d’Obermann précisément le contraire. »

J. Levallois a publié quelques-unes des notes écrites par Sénancour sur un exemplaire de la Revue de Paris où se trouvait l’article de Sainte-Beuve.

Obermann, par de Sénancour. Nouvelle édition, revue et corrigée, avec une préface de G. Sand, in-18, Paris, Charpentier, 1840 (Cette préface est l’article paru en 1833 dans la Revue des Deux-Mondes).

Les modifications apportées à l’ouvrage sont toutes indiquées par Sénancour en note.

Obermann, von Sénancour. Eingefûhrt von George Sand. Deutsch von Ludwig Buhl, 2 vol. in-8°, Leipsig, 1848, Verlag, von Otto Wigand.

Obermann. Selections from letters to a friend by Etienne Pivert de Sénancour. Chosen and translated with an Introductory Essay and Notes by Jcssie Peabody Frotingham. Translater of the Journal of Maurice de Guérin. Houghton Mifflin and Company Boston and New-York. Limited edition.

(Sénancour rapproché d’Amiel, et aussi de Maurice de Guérin). La traduction est offerte « To the select few » ), édition de luxe, ayant le caractère des impressions du XVIIIe siècle.

Le livre de « l’Amour »


A. — De l’Amour, considéré dans les lois réelles et dans les formes sociales de l’union des sexes, par M. de Sénancour. Epigraphe : Etudie l’homme et non les hommes (Pythagore). Paris, février 1806, chez Cérioux, libraire, quai Voltaire, 17 ; Arthur Bertrand, quai des Augustins, 35.

B. — De l’Amour......, par P. de Sénancour, même épigraphe, seconde édition, avec des additions, des changements considérables et une gravure allégorique. Paris, 1808, Capelle et Renaud, rue J.-J.-Rousseau.

C. — De l’Amour selon les lois primordiales et selon les convenances des sociétés modernes, par M. de Sénancour. 3e édition, avec des additions et des changements considérables. Paris, Vieilh de Boisjolin, 1829.

D. — De l’Amour selon les lois premières et selon les convenances des sociétés modernes, 4e édition augmentée et seule complète. Paris, 1834, Abel Ledoux.

(Cette édition contient un fragment sur l’amitié, inséré dans le Mercure de France de 1811).

B est précédé d’observations intéressantes, surtout en ce qui touche au style de Sénancour : « Pour le style, on sentira trop que je ne puisse en être généralement satisfait. Je ne veux point le défendre, surtout dans des parties très négligées. J’observerai seulement que plusieurs expressions, d’une hardiesse réputée poétique, ne sont pas toujours déplacées en prose : cela dépend et du genre de cette prose et de l’objet dont on parle. J’ajoute que des consonnances qu’on pourrait trouver peu faciles ne sont pas toujours une incorrection ; quelquefois on les laisse avec intention ; c’est la manière du lecteur qui en décide l’effet. » (La vérité est que d’une part Sénancour a subi la mode du temps qui traitait l’amour comme un sujet galant avant tout, et exigeait un vocabulaire maniéré même pour le traiter philosophiquement, et que d’autre part il y a dans le style de Sénancour une raideur qui ne s’est jamais assouplie).

Dans A et B, le plan général et les divisions sont les mêmes. Les « changements considérables » consistent surtout en amplifications. Dans B les titres sont souvent modifiés : Sénancour prend plaisir à souligner ce qu’il y a en eux de provoquant, de paradoxal. Ainsi, dans la section IV (des devoirs), A porte : « Si tout l’honneur des femmes consiste dans la chasteté » ; et B : « de l’erreur qui fait consister dans la chasteté tout l’honneur des femmes ». Dans la section VI (Usages), A porte : « Des plaisirs légitimes », et B : « des plaisirs dits légitimes ». Dans A la question de l’inceste était rejetée en note ; dans B elle est au long dans le texte. Sénancour combat plus nettement dans B que dans A contre la confusion courante entre les mœurs et les préjugés ; il aime à scandaliser les gens qui ont des pensées communes, en leur proposant des traits d’érudition inconvenante, comme Diderot. La fin de B est chargée d’additions, sur la sagesse individuelle et la force des obstacles à une réforme générale des mœurs.

La troisième édition (C) est précédée d’un avertissement de Vieilh de Boisjolin, l’ami de Sénancour. Les deux premières éditions, dit-il, ont été calomniées, sauf par quelques esprits élevés qui reconnaissent « les vues d’un philosophe profond, à la fois moraliste et législateur. » Il cite M. de BoufÏÏers qui disait de Sénancour, en 1808-9, qu’il « avait senti comme Sapho et s’était exprimé comme Jean-Jacques ». « On y trouvera de nombreuses améliorations et plusieurs articles inédits, dont un en particulier fort important et le plus étendu de tout l’ouvrage (Du Mariage ; seconde partie, Considérations particulières, p. 209-271). Quelques-unes des notes assez longues, qui se trouvaient à la lin du volume, ont été fondues dans le texte. » Enfin il prévient le public que l’ouvrage n’est pas ennuyeux malgré son titre philosophique ; ni prosaïque comme ceux de Gentil-Bernard et d’Ovide. — Du livre de VAmour, de Stendhal, paru en 1829, il n’est pas dit un mot.

Sénancour, présentant pour la troisième fois au public l’un de ses ouvrages qu’il estime le plus, a tenu à faire un nouvel avant-propos : « Peut-être servira-t-il (ce livre) à persuader quelques hommes dans le secret de la conscience : ce n’est pas tout ce qu’on eût désiré, mais c’est tout ce qu’on peut attendre. » La confidence sur les événements qui empêchent l’écrivain de produire est rejetée en note.

Les titres à effet sont supprimés, ou voilés. Il rétablit celui-ci : « Si tout l’honneur des femmes… »

La première partie du traité du Mariage renvoie à une « note sur la loi du divorce » (contre M. de Bonald, 1816). Elle conserve la deuxième édition pour le fond, en le développant. Mais il y a moins de fougue dans le style, qui, dans la deuxième édition, était souvent celui d’un pamphlet. Les mêmes expressions reviennent, mais entourées de réflexions plus posées. Ainsi B disait : « J’avouerai qu’en supposant les choix les plus réfléchis, sur cent unions indissolubles, on doit en espérer une heureuse. » C dit : « Si même nous supposons des choix très réfléchis, à peine pourrons-nous compter, sur vingt unions indissolubles, deux unions exemptes d’amers repentirs ».

La deuxième partie est une suite de conseils sur la manière dont il faut s’aimer dans le mariage. Sénancour est demeuré très méfiant sur les chances de bonheur dans l’étal conjugal : retrancher la passion, tout ramener à la fidélité volontaire. D’ailleurs la volonté ne peut créer l’harmonie. Sur les mariages de bonté (le sien ? ) : « Si on ne s’abuse pas, du moins on se laisse diriger ; complaisant lorsqu’il faudrait être circonspect, on s’expose par des condescendances irréfléchies à de longs regrets, et des motifs passagers font prendre des résolutions irrévocables. » L’analyse de l’intimité dans le mariage fait penser d’avance à la Physiologie du mariage de Balzac, qui n’ignorait pas le livre de Sénancour. Pourquoi il faut une dizaine d’années entre le mari et la femme ; — différence de la condition des femmes dans les hautes classes (où le mari est chef) et chez les paysans (où la femme a de l’ascendant) ; il ne faut pas viser à l’égalité, à la fraternité des sexes dans le mariage, digression sur l’égalité en général pour revenir au mariage : « Le pays où on vivra content sera celui où chaque caractère, au milieu de mœurs fortement déterminées (c’est toujours ridée des physiocrates : découvrir une organisation mathématiquement parfaite) rencontrera la nuance qui doit Jui être propre, et l’habitude à laquelle il pourra se faire sans contrainte ». Sénancour a souffert de vivre en un temps de dissolution morale.

Un chapitre de cette deuxième partie porte en titre cette question précise : L’ordre moral exige-t-il qu’on se borne ; i ce que les lois autorisent positivement ? « Il se pourrait, dit-il, qu’il y eût dans la pensée la plus pure du plus juste des hommes des combinaisons faites pour lui seul, de hardis aperçus dont presque tout autre abuserait. » « Le vulgaire, dit-il encore, sentirait mal l’avantage d’un ordre réel<1> dans l’amour ; le vulgaire a toujours besoin que sa conduite lui soit tracée. » « Il est des caractères qu’ennoblira toujours le sentiment de l’ordre. Le mal est en quelque sorte inaccessible pour ces hommes intègres… Soumis à l’ordre avec fermeté, l’homme juste… se conforme à toutes les lois naturelles et aux lois positives qui ont stipulé sur l’intérêt d’un tiers ; mais il ne pense pas que la vie privée doive toujours être assujettie à des coutumes que maintient leur ancienneté seule. »

Les dernières pages sont la fin de la seconde édition très remaniée ; dans le chapitre des « dernières réflexions » se trouve cette formule : « Rectitude et plaisir, ce sont les traces les moins obscures au milieu des ténèbres que l’avenir éclaircira peut-être ». Voici deux exemples des modifications du texte dans la troisième édition (dernière partie).

B. p. 241. « Le plaisir a été vu C, p. 361. « Le faste des âmes sans consistance ; et l’on a trouvé superbes est resté sans excuse ; on que l’amour n’avait point de voleur a vu que l’audace n’avait pas de réelle. L’homme a tout sondé, fondement, et que toute science l’abîme est devenu sa science. » rencontrait des abîmes. » (La même

allure d’expression et le même mouvement de pensée dans un autre ordre d’idées).

F. 242. « Descendons paisible— P. 365. « Descendons sans amerment : que le silence des pussions tume cette pente universelle. Enviimmorales nous laisse dans ce ronnés de trouble, soyons paisirepos du juste, où l’on peut voir bles ; aimons la justice malgré le sans déchirement la ruine de toutes délire des passions et que des jouischoses ; et que des voluptés sans sances irréprochables nous aident trouble nous aident à soutenir nus à soutenir nos années suspendues années suspendues entre les deux entre le grand jour dont l’aurore immensités du temps sans origine n’a pas été vue, et le temps où les et du temps sans terme. >• mortels n’auront plus de journées. »

(Recherche d’un effet d’éloquence).

La quatrième édition garde à peu près complètement l’avant-propos de la troisième, en changeant l’ordre des réflexions, mais en ajoutant quelques considérations sur la

(1) Entendez par « réel » l’ordre spontané, fondé en nature, — non pas l’ordre conventionnel et précaire de la société, qui n’est qu’une discipline, rendue nécessaire par l’infirmité humaine. manière d’avoir prise sur le public. C’est toujours le souci de Sénancour : à qui s’adresser et comment ? Il ne faut pas craindre les périls de la publicité, il faut créer le plus de têtes bien faites possible, sans s’arrêter au danger de déconcerter ou de scandaliser : « Le temps montrera que si, en écrivant pour les simples, on se fait approuver sans peine, ce n’est qu’en parlant aux amis de la vérité qu’on peut vraiment se rendre utile. » Sénancour a, de plus en plus nette, la conception d’une élite intellectuelle qui seule importe.

A la fin du chapitre des affections humaines, addition : « Mais d’où attendre aujourd’hui une amélioration formelle et rapide dans les mœurs des peuples ? le soin des finances et des lois pénales a fait oublier les institutions W>. Ordinairement celui qui administre les Etats se borne à employer les hommes tels qu’ils sont, et souvent même il craindrait de les réformer. » Voici les principaux remaniements de D :

c D

Le chapitre « du plaisir » devient Addition d’un chapitre sur « i ; i dans D celui « des fins de l’amour, » conservation des désirs, » qui fait

suite à « l’amour considéré selon

n la différence des sexes. »

ue la rivalité des sexes. D’une secrète inimitié des sexes :

au début, développement nouveau sur « les tristes démêlés qu’avait suscités la galanterie même. »

Du mariage, seconde partie. Addition : une page sur « l’agitation » dans la négociation d’un mariage mondain."

Le chapitre de « l’influence de l’âge sur les penchants » est déplacé, et forme dans D la suite de celui « de l’amour selon les lieux et selon d’autres circonstances ».

A la fin du chapitre sur le partage et l’illégitimité Sénancour place l’histoire d’un ami, qui formait dans C un chapitre indépendant : le développement sur l’idéal d’une maison de campagne (de l’eau vive dans une chambre des rayons de lune) se trouvait dans la première édition dObermann.

(1) Sénancour a, lui aussi, dénoncé à plusieurs reprises le matérialisme politique du Gouvernement de Juillet.

Souvent, dit C dans ce chapitre, D ajoute : « Pour de certaines conles femmes qui se sont données a ventions praticables, mais rares, plusieurs hommes se sont avi— qui ne violeraient aucun droit, et lies… Mais on aurait tort d’en con— qui ne feraient pas méconnaître de clure que ce partage doit détruire véritables convenances, il faut des sans aucune exception la véritable occasions très heureuses, ou un honnêteté des mœurs. choix éclairé ; il faut de l’analogie

dans le goût, l’amabilité, les déterminations. » (Ceci était dit en substance dans C, mais ici sert de conclusion).

Le chapitre de C : « l’ordre moral exige-t-il qu’on se borne à ce que les lois autorisent positivement », devient dans B : « Si toute légitimité est comprise dans le droit légal, et si toute union exige une entière convenance. »

A la fin, pris de scrupule sur la manière dont on pourrait l’interpréter, Sénancour ajoute quelques pages contre l’intempérance et la coquetterie ; puis il revient à l’hypocrisie qui voudrait regarder comme négligeables toutes les questions qui se posent autour de l’amour ; il s’élève aussi contre le naturalisme grossier. Sa conclusion générale n’est pas plus ferme que dans les précédentes éditions ; il s’est borné à retourner sur toutes ses faces un problème très complexe : « Il est bon, dit-il, de savoir à quoi se réduit l’amour et quel en est le fondement universel ; mais il ne faut pas trop voir ou trop sentir une vérité qui serait incomplète… Que vos réflexions, qui peuvent vous préserver d’une erreur, ne vous privent pas toujours de la volupté. »

Libres Méditations

C’est l’ouvrage où Sénancour a le mieux et le plus complètement exprimé sa pensée. Il a été édité deux fois w (en 1819 et en 1830). Mais Sénancour en avait préparé une troisième édition : il avait confié son manuscrit à un jeune Allemand qui ne le lui rendit jamais ; retrouvé par M. Spœlberch de Lovenjoul, ce manuscrit est maintenant dans la possession de M. Alvar Tornùdd : j’en ai eu entre les mains la plus grande partie. Je donne d’abord la comparaison des deux éditions ; ensuite j’indiquerai quelques-unes des modifications intéressantes que Sénancour projetait d’apporter à son œuvre. Pour en donner une idée complète, c’est une édition qu’il faudrait.

Libres méditations d’un solitaire <2> Libres méditations d’un soli

inconnu sur le détachement du taire inconnu sur divers objets de

monde et sur d’autres objets de la la morale religieuse par M. de Sé

morale religieuse, puJbJiées par nancour. En épigraphe, une cita

M. de Sénancour. tion de Platon, 2 » édition, Paris,

Paris, 1819, Mongie aîné, libraire, 1834, Trinquart, libraire-éditeur,

boulevard Poissonnière, n° 18. Ce— rue de l’Ecole-de-Médecine, n° 9,

rioux, libraire, quai Voltaire, n° 17. et chez Abel Ledoux, rue de Richelieu, n° 95.

Dans les « Observations » qui précèdent l’une et l’autre édition, Sénancour, à propos de la fiction du Solitaire inconnu, se demande s’il faut croire qu’il fut « soumis à l’Eglise romaine… », ou le regarder simplement comme un de ceux qui cherchent la vérité à la lumière de la conscience. Il conclut qu’en tous cas le livre convient, en dehors de toute confession religieuse et de toute profession philosophique, à ceux qui affirment ou supposent que « la raison de l’homme et ses devoirs font partie des desseins éternels. »

Les « Observations » contiennent une addition sur lamamfeîe < les chrétiens de iawe çastet lièremeni, l’homme à Dieu. * cour cite la traduction de * ! tion par Lamennais, comparée avec celle de M. de Sacy, un passage d’un panégyrique de Bossuet, et un

(1) Exactement trots fols, mais l’édition de 1834 est semblable à celle de 1830.

(2) Répétition de l’édition de 1830, cliez Vleilh de Boisjolln. journal du 29 janvier 1827 qui trouve sublime une page de l’Abbé de Boulogne sur la ressemblance du chrétien avec Dieu.

Sénancour maintient dans la deuxième édition l’idée que la réforme est déjà presque faite, dans le catholicisme même. Il proteste contre la tendance à subordonner la religion à la politique, mais il ne trouve pas mauvais qu’on accueille avec indulgence dans une communion religieuse les hommes qui ne peuvent donner qu’un assentiment imparfait à cause de leur culture intellectuelle avancéet en désaccord avec le dogme.

Chapitre Sur Védition présente « Celle édition diffère de la première en beaucoup de passages, mais on a eu soin de ne pas altérer la pensée de l’auteur. » Sénancour s’est tenu au courant de ce qui peut intéresser son système, il a lu » le dernier ouvrage de M. de Monllosier. » Il se compare à ceux qui se sont laissé prendre aux grands emplois ou aux succès de société (on devine Chateaubriand et M" de Staël). « Le moyen de croire, dit-il, en parlant de lui-même, qu’un homme si peu connu dans les salons des capitales n’ait pas eu un esprit médiocre ou un caractère bizarre ! Ce solitaire s’est occupé de l’homme plus que des hommes, l’eut-être B. de Saint-Pierre lui eûtil objecté ce qu’il m’a écrit à moimême dans ses dernières années : « Les hommes d’à présent dorment indifféremment aux pensées des Marc Aurèle et des Young. «

Le texte de l’ouvrage ne présente guère, en 1834, que des corrections de style. Quelques modifications dans les titres de chapitres sont les indices d’une nuance nouvelle de la pensée qui s’y trouve traitée. Le chapitre IX : « Harmonie des choses célestes », devient « Du principe de l’harmonie générale », mais le texte change à peine ; le chapitre XIV : « Vanité des espérances », devient « Vanité des promesses humaines », le texte demeurant le même ; mais celui « De l’obscurité des lois morales » devenant « De ce qui paraît obscur dans les lois morales », développe davantage l’idée de la confiance que l’homme doit avoir en des desseins qu’il n’aperçoit pas. Une citation d’un sermon sur la vêture, de Segand, et une autre de la neuvième Méditation de saint Bernard sont supprimées : la substance en est assimilée au texte. La citation de l’Ecclésiaste, traduite en 1834, est ainsi mieux fondue dans la teneur du texte. Un passage sur ceci que « ce qui est vrai essentiellement n’est pas d’une évidence palpable », est complètement remanié. Une citation, incluse au texte en 1819, extraite d’un sermon sur « l’imperfection de nos connaissances relatives à un état futur » est rejetée en note en 1834t comme rompant la continuité du chapitre.

Où l’édition de 1819 donne : « Il vaut mieux d’abord exiger moins de soi-même et ne se rebuter jamais. Vous ferez le plus possible, ou du moins vous vous attacherez à ne rien omettre ; et toutefois vous ne tomberez pas dans le découragement lorsque vous n’aurez pas fait tout ce que vous désiriez ou même tout ce que vous deviez faire. »

Celle de 1834 donne : « C’est une imprudence d’exiger beaucoup de soi-même quand on n’a pas encore éprouvé ses forces ; il vaut mieux les ménager d’abord et ne les perdre jamais. Le temps viendra d’entreprendre le plus possible, ou du moins, de s’attacher à ne rien omettre. A aucune époque cependant vous ne devez désespérer de vous-même, lorsque vous n’avez pas fait, dans une circonstance paiticulière, ce que vous aviez attendu de vous, ce que la raison pouvait demander, sans l’exiger absolument. » (Sénancour est de plus en plus un directeur de conscience rationaliste, expert en la psychologie du progrès ou du relèvement moral ; les citations extraites des textes religieux et même des sermonnaires contemporains montrent d’ailleurs tout ce qu’il doit à la culture chrétienne).

Tout le développement sur ce qu’il est permis d’attendre de « la bonté infaillible » est transformé. Les phrases sont interverties ; Sénancour recherche un mouvement plus persuasif, plus consolant ; s’il ne cesse pas de travailler l’expression, c’est qu’il croit que l’harmonie des mots, l’allure du style, concourent à la puissance de conviction qui émane d’une pensée. Il acquiert l’onction chrétienne ; il imite plutôt encore la grandeur du style biblique.

En 1819 : « Tombons sans crainte En 1834 : « Tombons… s’ouvrir ;

dans l’espace qui va s’ouvrir, dans c’est ainsi peut-être que nous avons

les lieux où nous sommes attendus, été placés sur la terre même. Au

Maintenant je ne peux m’appuyer jourd’hui je ne pourrais m’appuyer

sur rien de visible ; mais le Dieu sur rien de visible ; mais le Dieu

qui soutient toutes choses les a qui, soutenant toutes choses, les a

prévues toutes ; il arrêtera ma prévues toutes dans sa miséricorde,

chute, il agrandira mes espérances ne rejettera pas ma fidélité ; il arrê

et sa miséricorde se souviendra de tera ma chute et il agrandira mes

nia fidélité. Omne datum optimum, espérances. » (Et en note : Tout

et omne donum optimum, desur— bien réel et tout don parfait vient

sum est (saint Jacques, Ep. I). » d’en haut. Sans référence).

Certaines modifications dans les titres semblent indiquer que Sénancour fait effort pour garder un vocabulaire purement philosophique : il se nourrit de christianisme, mais il réduit tout ce qu’il en recueille à des pensées que la méthode rationnelle pourrait retrouver et que le langage rationnel suffirait à exprimer W.

Chapitre XXVIII. De la faiblesse De quelques habitudes morales, de nos moyens.

Chapitre XXIX. Examen de soi— Des impressions religieuses les

même ; communication avec le plus naturelles, monde invisible.

Chapitre XXX. Des œuvres con— De l’accord entre la conduite et

formes à la croyance. la pensée.

Dans le chapitre XXIX, Sénancour écrit : Cette pratique (l’examen de soi-même) « a été recommandée par d’anciens sages et elle est plus que jamais consacrée » (1834) au lieu de « et le christianisme l’a consacrée » (1819).

A la fin du chapitre XXIX :

1819 donne : « Ainsi nos efforts Et 1834 : « .. Attachés à la reseront dirigés et notre prière sera cherche du vrai dans nos jours entendue ; nous aimerons la vérile précaires, nous nous avancerons dans nos jours illusoires ; nous vers ce qui subsiste. Nous rentrenous avancerons vers ce qui est à verrons du moins en étudiant les jamais, en observant l’apparence apparences actuelles, en observant actuelle, image trop peu distincte les images momentanées de l’ordre du monde inconnu. » inconnu, images précieuses, mais

peu distinctes pour nos yeux que fatigue le faux éclat des choses humaines. »

Il arrive aussi quelquefois que Sénancour force la note dans le sens religieux ; dans son ensemble l’édition de 1834

(1) II y a été d’autant plus attentif « lue sa pensée s’est plus rapprochée du catholicisme. a plus que celle de 1819 encore l’apparence d’un manuel de piété.

P. 429. « Moi aussi je me soutien— P. 572. « Moi aussi je m’arrête

drai comme dans un lieu d’attente comme dans un lieu d’épreuve sur

sur ce globe où nous devons rester ce globe où nous ne resterons pas. » si peu. »

Le développement est le même dans les deux textes sur ses alternatives de découragement sombre et d’espoir ; Sénancour, au fond, croit, — parce qu’il veut croire. 1834 ajoute deux pages à la fin, qui parlent de « la promesse de l’inaltérable lumière », sans d’ailleurs admettre quoique ce soit de l’illuminisme swedenborgien, dont Sénancour s’est toujours moqué : « Demandez la vie, écrit-il en termes tout évangéliques (cf. le chapitre XXV) et la vie vous sera donnée. Une clarté plus heureuse animera l’espace ; de nobles espérances surprendront les cœurs, et les fins morales de l’homme seront manifestées dans les développements toujours nouveaux du mystère éternel. » C’est donc sur la foi en un avenir indéfini de l’humanité qu’il conclutj en une révélation progressive de l’idéal, que l’humanité collabore à réaliser.

Les notes pour une dernière édition témoignent du labeur obstiné de Sénancour. Elles sont surchargées presque toujours de ratures et de corrections. Très souvent, Sénancour écrivait cinq ou six fois de suite le même développement en y apportant des modifications tantôt insignifiantes, tantôt très importantes : on retrouve ces développements successifs. Quand le texte, à force de remaniements, devenait trop difficile à lire, Sénancour inscrivait sa phrase, définitive ou non, sur une bande qu’il collait sur le feuillet primitif : si bien que certains feuillets ont maintenant l’apparence d’une sorte de mosaïque de fiches ajustées les unes aux autres. Dans l’ensemble, il est impossible de reconnaître encore au manuscrit que j’ai étudié un caractère définitif. Ce sont encore, très souvent, des notes personnelles accumulées en vue d’un ouvrage qui n’a jamais vu le jour. La pensée de Sénancour ne cesse jamais de se chercher et ne se trouve jamais ; on devine l’effort pour construire un livre qui se tienne d’un bout à l’autre, au lieu d’une suite de méditations sans autre unité que celle de l’inspiration. Mais Sénancour finalement n’a pas d’autre méthode que celle des inspirés ; il est souvent impossible de comprendre pourquoi il déplaçait tel ou tel passage, dont le sens ne prend pas plus de relief à sa nouvelle place, — en dehors d’une préférence toute subjective, d’une raison d’harmonie intime que seul a perçue Sénancour ; il en est de même de beaucoup de corrections de style. L’écriture, nerveuse, est souvent à peine lisible.

Les passages indiqués par Sénancour comme « ajoutés » sont très nombreux, et très intéressants, parce qu’ils offrent, de plus en plus, le caractère de confidences intimes. Ce sont des prières, des effusions religieuses, des appels lyriques : Sénancour observe son temps passionnément, sans s’y mêler, et il demeure à l’affût de tout ce qui se passe dans sa vie intérieure ; il interprète avec une curiosité ardente, un désir passionné de vérité, tout ce qu’il peut y avoir d’expressif dans l’un et dans l’autre.

Parmi ces modifications et ces additions, voici les plus dignes d’être relevées. Nous en donnerons les dates précises, inscrites de la main de Sénancour, chaque fois que nous les trouverons.

Dans la 5e Méditation (des Passions), il insiste sur la corruption du christianisme primitif, — sujet qui forme la fin de cette Méditation dans l’édition de 1830-34, et ajoute : « Dès que la morale se trouve subordonnée à des controverses, on marche dans les voies de la dépravation, et les cénobites eux-mêmes, troublés par des concurrences, se divisent en coteries haineuses. » Et il s’élève contre « les esprits chimériques qui ont en vue l’efficacité absolue des institutions. » (Précautions prises jusqu’au bout par Sénancour pour fuir l’équivoque qui le ferait ranger parmi les catholiques. Voir plus loin la note à l’Académie).

Dans la 6e Méditation, il va plus loin dans l’affirmation d’une « providence cachée mais tutélaire » (1830-34) et de l’excellence de la douleur ; peut-être sous l’influence de Ballanche, Sénancour ajoute : « La loi de la douleur sera subie sur tous les mondes passagers, comme le nôtre, et c’est pour l’homme particulièrement une destinée à laquelle il doit consentir. »

La 9e est très retouchée. Sénancour, en tête d’un feuillet qui doit s’y rapporter, écrit : « Fatigué de cette masse de connaissances assez inutiles dont l’érudition se compose, on perd à l’égard des questions sérieuses, le tact d’un esprit ferme et indépendant. » (Il n’a pas su ordonner ses connaissances, ni les dominer : de la méthode historique à la pensée pure, pour lui, nulle continuité n’est possible). (Sur le côté, deux lignes transversales : Esséniens (avant Christ) pas d’esclaves. Sadducéens, pas d’immortalité). — Addit. : « Abandonner l’idée de Dieu, ce serait tout perdre. On ne peut participer à aucune grandeur sans cette idée mystérieuse, libre et indéterminée… De grands écrivains, et de grands artistes, même lorsqu’ils étaient entraînés le plus sincèrement vers Dieu, s’en firent une image conforme à quelque fantôme vénéré dans leur pays par la multitude. Il faut déplorer de telles inadvertances chez des hommes célèbres, mais elles n’ôtent rien à la force de la vérité. S’il était possible que tout le genre humain, aux pieds d’une même idole, se déclarât contre moi, nécessairement inébranlable je dirais encore : Dieu est l’infini, Dieu seul est Dieu. » — Voici un fragment (inédit), pour cette même 0e Méditation, où l’on voit l’idée que Sénancour avait de sa mission : « Encore une saison pour m’affermir dans l’espérance malgré mes fautes, pour sentir que partout l’erreur change, mais la raison subsiste, pour attendre une sorte d’inspiration avant d’oublier le langage des hommes ! Quelques heures encore pour exprimer avec plus de force naturelle, avec plus de justesse, ce que gavais à dire. Ensuite, quand ma tâche si bornée finira, quand je le saurai, quand ma fatigue sera grande ou mon incapacité irrémédiable, je désirerai de m’endormir promptement, et je demanderai un bienfait de l’art sublime, le réveil loin des discordances de la terre. »

La 18e (des Solitaires), sur la régénération des instituts cénobitiques, a été, au moins deux fois, entièrement refondue (avril 1836). Il y a des affinités entre l’imagination de Sénancour et celle de Lamennais ; voici un passage nouveau qui pourrait avoir été inspiré à Sénancour par le souvenir des « Paroles d’un croyant ». — « Une poussière uniforme va rester sous le vent aride, sous le pesant niveau, jusqu’à ce que ces masses, absorbées d’une manière dont vous ne savez rien, servent à composer un sol plus jeune, d’où s’élèveront ensuite les bruits des arts et les clameurs des passions. » (Sénancour aurait refait cette phrase.) — Voici une page écrite « au bord de la mer » pour être ajoutée à la fin de la première partie de la 18° Méditation (1836) (à droite de la feuille, un dessin grossier représente la forme du littoral que les yeux de Sénancour contemplaient, avec ce mot : promontoire). On y voit que Sénancour manquait de richesse verbale et de souplesse ; il s’obstine, sans grand succès, à exprimer l’inexprimable : « L’accord universel appartient à l’immensité ; on le cherche parce qu’il doit être ; mais ce qui n’a pas de limites s’éloigne de nous, et manque d’évidence durant l’anxiété de nos jours précaires… Vingt années soumises aux coutumes de la société ne nous préparent qu’indirectement à comprendre des desseins plus dignes d’attention ; une heure de liberté au bord de l’océan nous en apprendrait davantage. Etranges murmures des mers, vous révélerez à des esprits plus avancés que les nôtres les longues et périssables destinées de notre globe jeune encore. —… Quelquefois même, invité par le péril et peut-être abusant d’un pressentiment heureux, on verrait avec joie les tempêtes, on demanderait aux vagues des émotions puissantes, on lutterait contre cette violence, on descendrait dans ces abymes, on voudrait ou un triomphe invraisemblable ou le réveil désiré. Mais il faut continuer la vie actuelle ; le réveil s’il nous est promis ne tardera pas. » Ceci encore, presque illisible à force de ratures : « Le calme des impressions habituelles conduit à voir dans le sommeil de chaque nuit quelque indice de l’inexplicable changement qui, au lieu de nous détruire, nous rendra le devoir plus clair sous une loi plus constante. » Et cette phrase étrange : « La mer peut nourrir à une profondeur où la sonde n’est point parvenue quelque espèce dont l’activité particulière balance nos arts, et qui, avec des facultés très différentes, n’ait pas même à envier l’aspect du ciel. »

19e Ajouté à la deuxième partie en juin 1835 : « Dans les siècles où on lisait rarement, chacun ne croyait qu’en ses propres peines, et peu d’hommes savaient que chez ceux qui sortent des limites de l’instinct la souffrance s’établit au fond du cœur. Elle est inévitable dans ses formes capricieuses : ou c’est un secret qu’on ne s’explique pas encore, ou c’est une blessure qu’il n’est pas d’usage de montrer. On se tait, on veut sourire, on doit jouer avec cette grâce le triste jeu du monde. En y entrant on se passionnait, et cette exaltation a produit une première tristesse : toute passion est une force qui s’égare… Au milieu des anciennes générations, lorsqu’on était jeune on connaissait, dit-on, le calme de l’âme ; mais cela ne se verra plus. On a pour ainsi dire l’expérience des choses sans l’avoir acquise soi-même (ici, à la netteté de la formule, l’influence de Sainte-Beuve est sensible, comme celle de toute la génération romantique. Dans un fragment manuscrit d’août 1835, citant quelques lignes de Sainte-Beuve sur l’âme « dont toutes les forces ont été une fois brisées, et qui a senti le fond de la vie », Sénancour l’appelle « un de ces rares écrivains dont le style aussi attachant qu’original se ressent avec tant de bonheur de la vérité de leurs impressions » ) ; ce qui est séduisant et redoutable. C’est un pas assez bizarre que fait notre race, dont il faut que le travail soit diversement pénible, et elle rencontrera d’autres obstacles dans la carrière inquiète où elle se vante de semer des. enjolivements. Après cela, le sol terrestre cessera de lui convenir, elle en sera expulsée, elle passera à d’autres épreuves. » (Au verso, des stances, en style rococo, sur la violette).

Toute cette 19e Méditation (sur la paix intérieure) est très retouchée ; c’est un ouvrage de direction, que Sénancour veut rendre aussi pressant que possible ; il n’a pas l’art insinuant d’un psychologue comme Sainte-Beuve, qui multiplierait les aspects de la question jusqu’à rencontrer le point faible et abordable de chaque esprit ; il répète sous toutes les formes : prenez garde.

Dans la 20e (Avantages temporels des justes), beaucoup d’additions et de retouches.

Où Sénancour écrit en 1830-34 : « Que la sincérité de nos vœux, et la pureté de notre conduite, nous rendent dignes d’être reçus parmi les adeptes appelés graduellement à la participation du mystère sans bornes », il substitue : « Si ce qui, en nous, est le plus nous-mêmes, s’attache constamment à recevoir de purs rayons du vrai, l’empreinte devient profonde, et c’est pour l’avenir le signe de vie peut-être. »

Ajouté en 1836 au dernier paragraphe : « Si d’impatients désirs vous entraînent dès à présent à la recherche de ce qui est, de ce qui sera demain, ne vous livrez pas à ces songes avec crédulité. De tout temps on a dû à cette faiblesse les dogmes bizarres ou le îaUga\v\, Netbmge des diverses doctrines surnaturelles… Nous, libres adorateurs de la vérité, nous disons que le partage de l’homme raisonnable est de ne pas la méconnaître et de ne pas l’expliquer. Respectons le silence et le voile des splendeurs célestes. »

23e. Addition au commencement (cette Méditation traite « de quelques effets de l’éducation » ).

« Nous devons au passé tout ce que nous sommes ; la continuité de la vie n’est sentie que par les souvenirs <d ; et l’idée du lendemain nous vient d’eux. S’ils sont humiliants ils nous oppressent ; ils reculent l’accomplissement de notre destinée. Les autres peuvent le hâter au contraire, et souvent ils sont propres à nous instruire. Si de temps à autre, dans ces pages étrangères à tout dessein personnel, on trouve néanmoins une trace des journées où \e. ne renonçais pas encore à être quelque chose parmi les hommes, que Von m’excuse. L’oubli n’en sera pas moins mon partage. Nul ne cherchera dans les pays que j’ai pu traverser les vestiges de mes pas, et si quelqu’un y somjeait ce serait en vain. Les lieux m’ont vu, mais personne n’a su mon nom. » Je crois lire ensuite : « J’allais ainsi, ménageant l’avenir et ne voulant me résoudre à le perdre, occupé d’une attente plus particulière, que si la fortune l’exigeait positivement… » Sénancour reprend, toujours fidèle à la fiction du Solitaire, qui déguise une confession personnelle : « En quittant les lacs de la Lombardie j’eus à visiter une rive presque aussi riante. Des étrangers admiraient ces coteaux bien cultivés, ces bourgades rangées le long d’une plaine d’eau… Je passai avec indifférence… J’entrai par des sentiers difficiles dans un large pâturage qu’entouraient des pentes rapides et chargées de bois. Là je m’arrêtai comme on suspendrait sa marche en se retrouvant dans une douce patrie ignorée des grands peuples… C’était une image affaiblie des lieux que j’avais désirés vaguement dès l’époque de mes premières lectures. Ainsi se développent des idées fécondes suscitées dès l’enfance. »

24e (Des fautes irréparables). Ajouté au commencement, décembre 1835. « Nos penchants inquiets ou multipliés rendent difficile notre journée terrestre, parce qu’elle doit être pour la volonté une épreuve toujours laborieuse. Il faut que nous passions d’une loi informe à une loi plus avancée. Le calme de l’âme pourrait du moins accomplir ce grand dessein. Le trouble aurait pour effet d’éloigner la raison et de rendre à l’instinct animal toute sa violence. Cela s’est vu dans des moments de désastre chez des guerriers ou des navigateurs. La pensée peut oublier ses habitudes d’ordre et de retenue. Si le froid et la faim, si les maux sont

(1) Ici encore on volt se dégager la théorie romantique du souvenir ; à une phrase comme celle-ci se mesure la distance parcourue par Sénancour, depuis le temps où il accusait la mémoire, la faculté de conservation, de causer tous les maux humains. Cf. p. 15. 7e Rêverie de C. extrêmes, ils ramènent l’égoïsme ou la fureur de l’impulsion sauvage. »

Ajouté « vers le milieu ». « Dans ce qui tient au perfectionnement de l’âme ou de la pensée, beaucoup de circonstances paraissent uniques pour nous, et même de certaines impressions que nous pouvons recevoir des incidents les plus ordinaires n’auront lieu qu’une fois. Toute forme extérieure n’est que l’expression d’une idée, et pour que cette idée ou nouvelle ou rectifiée fasse partie de notre domaine intellectuel et moral, c’est assez qu’un jour elle nous ait atteint avec une sorte d’énergie proportionnée à nos forces. L’ordre naturel maintient les espèces, mais les individus disparaissent par millions sans que cet ordre soit troublé. Nulle part peut-être cette opposition n’est plus frappante que dans la loi subie par la société des abeilles. Là tout est subordonné, tout reste asservi à la seule mouche qui reproduit l’espèce. On pourrait dire en général que selon le plan ou le calcul universel, une espèce est un nombre nécessaire, du moins à l’époque qui lui a été réservée, tandis que les individus, semblables à des fractions, n’ont guère de valeur par eux-mêmes que si leur intelligence s’élève jusqu’à l’ordre moral, dont les règles sont particulières. S’il était vrai qu’une émotion utile ne se reproduit jamais dans toute sa force, ce serait à nous d’avoir soin qu’au moyen de nos souvenirs un seul fait suffit pour ce que nous en devons apprendre. Souvent, depuis que je suis seul, les chants ou les cris lointains des oiseaux nocturnes ont rendu moins pénibles des heures trop silencieuses et apparemment trop paisibles pour ma faiblesse. Mais hier cette voix de la solitude, ce bruit prolongé dans mes vieux rocs me trouva mieux disposé à voir dans ces effets naturels un indirect mais salutaire avertissement. De toutes parts, il nous est offert chaque jour, et un jour vient où nous aimons à l'entendre. S’il est une expression profonde avec quelque durée, c’est celle d’une douleur calme. Nos tristes soupirs suscitent l’espérance et le repos la confirme. Nous croyons alors découvrir l’homme futur au delà des mobiles figures du temps ; nous voyons apparaître quelque chose d'immense que nous demandons et que nous ne saurions saisir avant que des développements imprévus aujourd’hui ne rendent notre pensée moins incertaine et plus heureuse. Ce n’est pas précisément la douleur qui fait toucher à l'infini, elle nous accablerait auparavant. Mais la douleur combattue occasionne l’espérance, qui semble nous ouvrir des lieux et des temps innombrables : en effet la sagesse règne, et notre âme aspire à s’en former une idée confuse après beaucoup d’épreuves et de vicissitudes. Ainsi, le cours des journées amène différents sujets d’instruction, pour que l’incapacité morale diminue. Quelques-unes de ces leçons particulières ne se renouvelant pas, si nous en avons perdu le sens, ce sera pour nous un grand mal. Il est d’autres torts… » (Suit la page 461 de l’édition 1830-34).

Ajouté en 183(3, avril, fin de la 24e (très travaillé). « Puissance des souvenirs, qu’annoncez-vous ? Que la pensée, à qui le temps est nécessaire, n’est pas le jouet du temps, et qu’elle a des conséquences moins mobiles. Tout ce qui jamais nous a parlé de l’avenir avec force, avec grandeur, laisse en nous des traces ineffaçables, et l’homme n’est pas le seul qui ait ce pouvoir. Ceux que je chérissais le plus dans mon enfance se plaisaient à écouter le malin le rossignol sous ses humides ombrages. Je n’ai jamais compris de la même manière ce chant varié. Mais plus tard j’ai connu ce qu’il a de surprenant. J’ai entendu le soir à la lueur des astres, sous le ciel calme, ces accents mesurés, simples, solennels, se répéter en s’affaiblissant, comme le soupir qui dans sa fatigue et sa pureté monterait vers l’inconnu. Qu’importe que ce ne soit pas un d’entre nous qui paraisse s’élever ainsi. La voix même d’une femme jeune et détachée des égarements de la terre ne ferait pas toujours autant d’impression. Qu’importé le moyen dont se sert la sagesse ! Quand l’âme est subitement émue, le nuage s’entr’ouvre, et d’inexprimables clartés s’introduisent dans les profondeurs où toutes choses sont possibles. Le désir de l’homme a des éclairs, et mal dirigé il consume. Que veut-il ? Que présage-t-il ? Mobile et indomptable, souvent puéril, téméraire et passionné, plus religieux quelquefois ou plus mystérieux, après s’être égaré sur la terre il grandira dans l’espace. Durant nos heures inquiètes, tout le retient ; mais la puissante harmonie des nuits heureuses l’anime, et il demande l’infini. Là est le but inaccessible et nécessaire. Le désirer perpétuellement avec une perpétuelle espérance, ce serait une noble destinée, ce qui paraît suspendu s’accomplira. »

La 25e Méditation (de l’indulgence, de l’équité) présente beaucoup de retouches ; des notes mal jointes montrent Sénancour préoccupé des faits de télépathie, de double vue, des songes.

La 26e (de l’amour des hommes), débute ainsi en manuscrit : « La stérilité de l’expression, cette impuissance que je ne prévoyais pas, affaiblit les maximes les plus importantes. Ces pages me satisfont peu ; incomplètes ou froides, elles manquent de concision ou d’attrait. Je n’y rencontre que rarement ce dont il fallait savoir les remplir, malgré Vinviolable obligation d’éviter toute doctrine téméraire. Il ne m’a pas été accordé de transmettre, sous cette loi de vérité, la profondeur des sentiments, la candeur des désirs, la force de la persuasion. En serai-je surpris ? Qui étaisje… » (Cf. 20e : « Nous ne savons pas même si une étincelle de la véritable vie nous a été confiée, ou si nous passons, comme des ombres suscitées par les stériles ébauches d’une œuvre où nous ne serons rien. » )

Ajouté au commencement de la’26° : « Conservera-t-on cet écrit lorsque je ne serai plus ? Aura-t-il son moment ? L’oubli est certain ( ? ), mais l’heure n’en est pas connue. » Il espère qu’un autre achèvera son œuvre, « sans s’attribuer de mission expresse… Lorsqu’cnfm il aura passé un demisiècle à préparer, à écrire, à rectifier, en l’abrégeant, son ouvrage simple comme tout ce qui s’élève, entraînant parce que l’éloquence de l’âme est la plus grande autorité, il dira : Je me soumettrais encore à de longs travaux, s’ils devaient rendre ce volume meilleur ; mais le voilà terminé, je puis mourir. »

Toute la fin est corrigée à l’infini, sur un exemplaire de 1830.

27e. Ajouté vers le commencement de la première partie (p. 500 de 1830-34). La pensée (?) « est définie et des travaux que tant d’erreurs multiplieront sans relâche deviennent inutiles ou funestes. Vainement elle aspirait à jouir bientôt des dernières conséquences de la parole et du raisonnement… Vainement d’autres génies moins circonspects, voyant la continuelle insuffisance de la parole, ont prétendu pour en hâter le pouvoir, révéler ce qu’elle est à la source divine : ni ces efforts de la raison, ni ces ruses audacieuses n’ont élevé l’homme au-dessus de sa. condition terrestre. Si vous possédiez la parole, elle vous… (mot illisible), mais vous ne faites que l’essayer, et si déjà elle vous rapproche, elle sert aussi à entretenir des divisions. Toute œuvre sociale sur le globe ne sera jamais qu’une ébauche. Nos arts sont des exercices qui n’achèvent rien. Vos vertus se réduisent à des mouvements vers le beau encore inaccessible ; vos attachements si précaires, peu éclairés, annoncent seulement que d’autres communications plus faciles ailleurs laisseront presque sans discordes et sans méfiance la grande famille aujourd’hui troublée par un amour de soi mal entendu. »

Sur le côté du feuillet : « Vous que blesse la vue de tant d’inimitiés ou de froideurs, attendez beaucoup d’un long avenir dans le plan général. Et si vous voulez devancer les temps à l’exemple du petit nombre, soyez le frère de tout homme atteint par la douleur. »

A rapprocher d’une note « sur les phalanstériens », de novembre 1835, destinée à être « ajoutée à la note supplémentaire ».

« Il est juste de distinguer de ces esprits inquiets ceux qui réalisent des réformes utiles, et peut-être même ceux qui en projettent d’immenses pour le bien des hommes. Il est à craindre néanmoins que tout plan très vaste, surtout s’il semble presque parfait, ne soit dès lors chimérique. — Les hommes sont encore de races distinctes, et de plus chacun d’eux diffère d’avis en quelque chose. Comment l’exécution d’un projet universel conviendrait-elle à tous. Beaucoup de peuples ont éminemment l’instinct de la guerre. S’arrangeront-ils de la… (mot illisible) active d’une paix continuelle. Chez la plupart des hommes, l’imagination est aventureuse ; une règle bien déterminée mirait pour eux les inconvénients d’une discipline claustrale sans en avoir les dévotes compensations, et les espérances qui s’agrandissaient dans l’inconnu. La multitude n’aimera jamais l’ordre porté au point d’exclure les désordres. Assez de siècles déjà écoulés nous disent que c’est ici le lien des difficultés à vaincre. Los surmonter toutes, ce serait donner à l’espèce prépondérante un autre rôle, un rôle de son invention ; ce serait d’ailleurs substituer à nos peines, qu’on parvient à tolérer parce qu’elles ne sont pas uniformes, un constant et éternel ennui. L’intervention céleste, qui devient presque impossible, n’a elle-même opéré jadis que des changements timides, graduels et circonscrits. On n’a vu aucune religion vraiment nouvelle ; comment admettre une… (mot illisible) profane survenant tout à coup, selon la loi de l’univers sans doute ( ? ). » (Dans cette appréciation, on retrouve le sens historique de Sénancour. beaucoup plus visible quand il critique que quand il essaie de construire, et son aristocratisme en politique).

A cette même 27e Méditation, Sénancour avait joint, pour ajouter encore à la « note supplémentaire », quelques observations assez piquantes sur les abus de style, à son sens, de l’école romantique, qu’il n’a pas ménagée W.

« Le style se ressent de cette affectation. La poussière est fauve, l’espérance est blonde, l’inspiration sera maladive, les crimes sont lièdes. On est trempé d’un acier, les villes ont des écharpes et les frégates portent des robes. Ce n’est pas le baragouin recherché des Précieuses, mais c’est à peu près l’équivalent ». Ecrit transversalement : « Les cercueils confortables et les tombeaux fashionables. »

Beaucoup de fiches portent, seulement les lettres initiales d’une série de mots, et sur ces véritables rébus, Sénancour a encore fait des corrections.

28e. Une fin nouvelle, qui mêle d’une manière curieuse le langage des sectes maçonniques à celui de la mystique chrétienne : « Des moyens interdits maintenant, des organes nouveaux ne pourraient-ils être accordés ?… Sans nous livrer à des idées chimériques (toujours la précaution), mettons notre espoir dans les ressources de Vart sublime. Les bornes du possible sont très reculées peut-être, pour quiconque a reçu un don illimité en quelque sorte, le don de la parole. Déjà elle nous ouvre le monde, pourquoi serions-nous ensuite rejetés ? Si nous invoquons des temps meilleurs, si nous acceptons réellement notre destinée, elle s’accomplira. Alais afin de n’être pas jugés indignes, veillons chaque jour, et appuyons-nous fidèlement sur Vami exempt de nos misères que noire conscience suppose pour se faire écouter plus heureusement. » (C’est la notion du Fils intercesseur.) <2).

Observation ajoutée dans la 28e : « Il ne suffit pas de dire vrai et de bien dire, il faut encore parler assez dans des vues de conciliation et dans tout autre intérêt moral. On sent que nos différentes relations avec les animaux restent difficiles parce que la parole est en cela d’un très faible usage. Mais avec les hommes combien l’on hésite à s’expliquer convenablement ? Retenu par la crainte de rencontrer une opposition trop familière, on risque des mots inutiles à la place d’éclaircissements plus directs, qui tendraient à resserrer les liens d’amitié ou de famille. »

Ajouté au commencement de la 28", octobre 1835.

(1) Cf. pp. 67, 68, 69.

(2) Cf. p. 47. « L’égoïsme, qui est visiblement inconciliable avec l’esprit d’association, n’a pas d’effet plus odieux que la froide réserve dégénérant en fausseté. Il importerait d’en avoir honte dès le principe. Ce sentiment, inspiré à propos par les parents, se fortifierait dans certaines occasions fournies par les jeux même, et la franchise une fois mise en honneur serait exigée mutuellement. J’ai eu le bonheur d’être écouté en cela dans plusieurs familles et je crois avoir obtenu plus que je n’avais espéré. Ces braves gens ont aussi ouvert les yeux sur l’inconvénient des mauvais traitements qu’à la vue des enfants on fait subir à tant d’animaux… »

Puis Sénancour a écrit : « Suite : Soyez bon, et que ce soit la raison qui vous y porte. Nous n’avons à étudier d’abord que des vérités indirectes. Quand chez un artiste quelques objets nous paraissent crayonnés habilement, ce n’est pas que le dessin les montre : il ne fait que les rappeler… Un autre art, celui qui peut tout, reproduit les images, différemment affaiblies, d’une réalité indubitable qu’il faut chercher toujours. Attachons-nous à quelques signes de cette vérité afin d’être en état de la comprendre plus pure ou plus énergique lorsqu’elle nous sera offerte ainsi dans d’autres journées de l’existence humaine (sans donner dans le système swedenborgien des « Correspondances », Sénancour adopte donc une conception symbolique de l’univers, qu’il a sans doute puisée chez Leibniz, constamment cité dès la première édition du livre de Y Amour). Nous ne pensons pas que notre existence individuelle ne soit que l’inutile agitation d’une poussière fortuitement rencontrée par le souffle de vie… La mission terrestre de l’homme se bornera sans doute à compenser les appétits de tous les êtres vivants privés de la parole. S’il peut obtenir quelque prépondérance en ne quittant pas le sol qu’il laboure, il ne saurait y prétendre dans l’étendue des mers… Quand notre industrie exigera des ressorts trop puissants ou trop expéditifs, elle succombera. Une tourmente décisive laissera plus sauvage l’aspect de nos plaines. (On voit que Sénancour, qui n’a jamais cru à la vertu intrinsèque des institutions quelles qu’elles fussent, n’a pas attendu du développement indéfini de l’industrialisme la réalisation d’un idéal humain, et l’avènement du règne de la raison sur la terre). Ou bien une nouvelle forme animale remplacera la nôtre. (Ici Sénancour subit la contagion des modes utopiques du temps), et caractérisera pour plusieurs siècles une nouvelle domination. Avant que la chaleur et les eaux se perdent sur le globe, longtemps avant peut-être, ce que doit accomplir la parole humaine finira. La parole écrite fut solennelle en Orient ; la parole imprimée est plus positive et plus vigilante sur d’autres rivages. Celle des navigateurs va rendre presque uniforme la civilisation des peuples (persistance d’une illusion du XVIIIe siècle). Lorsque les chemins, les écluses, les défrichements seront innombrables, le travail sera-t-il achevé ? Ne le décidons pas. Mais s’il est achevé Vouvrier disparaîtra. Sommesnous ici pour jouir de notre œuvre ? Le sort des générations calmées différcrait trop de celui des anciennes générations inquiètes. »

Enfin, cette page qui paraît bien être une interprétation philosophique du christianisme, — et comme la psychologie des sentiments qui rendent possible la croyance chrétienne W) : « Souvent même, cédant au besoin naturel d’un noble appui, nous aimons à supposer notre raison représentée dans l’inconnu par une intelligence subordonnée comme nous, mais étrangère aux vicissitudes humaines. Ce guide spécial, toujours prêt à nous avertir ou à nous désabuser, ce génie tutélaire rendra moins effrayante la distance qui nous sépare de la source de toute protection. Il nous soutient peut-être et il nous préserve de notre ruine pour nous ménager quelque moyen de bien faire ; en se laissant entrevoir comme un modèle, il semble, nous rapprocher de la perfection invisible. — Ainsi… capables du moins de la recherche du vrai durant nos journées inquiètes, nous nous avancerons vers ce qui subsiste… » 30e. De la main de Sénancour : « Dernière conclusion. » «… La contemplation de la merveille sans bornes ? Cette attente paraît démesurée. Néanmoins elle reste en nous comme une grande promesse et nous y croyons devant Dieu. Par une suite des différents dons que chacun reçoit, j’ai laissé le doute qui aveugle, le doute aride. J’ai aimé celui qui au-dessus de l’incertitude, en pesant toutes les vraisemblances, maintient les principes. J’ai osé choisir ce partage trop difficile pour ma faiblesse et je sais que peu d’hommes m’écouteront. Mais dans quelque situation que je me sente vivre, je t’invoquerai, ô Vérité ! »

Voici une note inédite qui montre bien à quel point Sénancour craignait d’être confondu avec les catholiques. Elle fait partie des observations soumises à l’Académie des Sciences morales (1832), devant laquelle Sénancour avait posé sa candidature.

« Dans la notice qui a été mise sous les yeux des membres de l’Académie, il est dit que le livre des Libres Méditations (encore fortement retouché depuis l’édition récente) a pour objet de ramener à de pures idées religieuses un certain nombre d’esprits élevés. Ce dessein trop grand pour des forces individuelles serait digne, ce semble, de l’approbation de l’Académie, et trouverait dans son assentiment du moins tacite un appui inappréciable. C’est pour cela même que je ne dois laisser aucune incertitude sur ce que j’entends par ces mots : réconcilier avec les véritables idées religieuses. Je ne voudrais ni être approuvé par erreur, ni d’un autre côté être soupçonné de tendance secrète, d’arrière-pensée, d’esprit de parti. J’observe donc, pour ceux de qui je n’ai pas l’avantage d’être connu, que je n’insiste qu’en faveur des notions religieuses indépendantes de tout dogme et de tout système sacerdotal W. Celles-là n’ont rien de contraire à la sagesse dans tous les siècles. Les générations présentes ne veulent plus d’imposture : mais s’ensuitil qu’elles doivent rejeter de libres et nobles inspirations ? A cet égard, c’est dans les conjectures impartiales et dans l’espérance, c’est dans les aperçus hardis et dans le doute philosophique, que se trouve la profondeur. Cette élévation de la pensée ôterait de degrés en degrés tout crédit aux doctrines superstitieuses, et perfectionnerait dans le sens moral ou même politique les sociétés humaines. »

(1) Cette phrase a été citée par J. Levallois, p. 187.

Résumé de l’histoire des traditions morales

A. — Résumé de Vhistoire des traditions morales et religieuses chez les divers peuples, par M. de S***, Paris, Lecointe et Durey, libraires, quai des Augustins, n° 49, 1825.

B. — ld., par M. de S***, seconde édition revue, Paris, 1827W.

J’ai eu entre les mains un exemplaire de cette édition, revue par Sénancour, probablement pour l’édition générale de 1833 (chez Abel Ledoux), dont il n’a paru que 6 volumes. Sur le titre, Sénancour a écrit : « Exemplaire consacré aux corrections. » Au faux titre : « Exemplaire des Traditions corrigé pour édition générale. Renseignements et tout ce qui concerne le jugement. » (Allusion au procès intenté à Sénancour à l’occasion de cet ouvrage « dangereux pour la foi et les mœurs » ).

Il s’agit ici d’un ouvrage secondaire ; la comparaison entre les deux éditions connues n’offre pas d’intérêt ; mais parmi les notes manuscrites, les fiches, les suppressions et additions de Sénancour, en vue d’une troisième édition, il en est qui doivent retenir l’attention, soit parce qu’elles précisent sa pensée, soit parce qu’elles nous renseignent sur sa méthode et sur sa curiosité. Sénancour était d’ailleurs loin de se désintéresser de ce livre : « Cet exemplaire, écrit-il sur une fiche collée à l’envers du titre, peut (jusqu’à présent) servir pour édition générale ; mais il faudrait presque refaire ce livre si je le pouvais. »

Un grand nombre de corrections indiquent des scrupules d’érudition ; comme tous les historiens des religions du XVIIIe siècle que Sénancour a lus, il s’en tient à une érudition de seconde main, mais il n’en a pas moins des scrupules d’exactitude. Exemples :

(1) Dans les œuvres oratoires de Bervllle (1 vol. in-8°, Paris, Arnauld de Vresse, s. d.) on trouve une notice sur le procès de MM. de Sénancour et Durey à l’occasion du Résvmé, publié par Durey. Plaidoirie de Bervllle, pp. 239-369. V. pp. 148 et suivantes de Levallols.

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Texte.

P. 12. Après ces âges très différents peut-être de l’âge auquel nous appartenons… le globe sur lequel nous avons supposé qu’on voyait encore errer les rejetons des races déchues se trouve soumis à une espèce nouvelle. »

P. 13, n. 1. « Il est vrai qu’on a quelquefois compris sous le nom de Caucase jusqu’à l’ancien Imaûs… »

P. 19. « Ce qui paraîtra remarquable, c’est que l’Iran proprement dit, cette contrée élevée où maintenant les hivers sont rigoureux… »

P. 21. « Longtemps les peuples aimèrent à prier sur les lieux hauts. »

P. 21. « Des génies célestes reposaient jadis sur la cime du Sournerous, et le Choumoulari était aussi l’objet d’une vénération particulière. »

P. 43. « Soit qu’on ait commencé à se prosterner avec crainte devant les forces invisibles de la nature, ou avec admiration devant les astres, soit qu’en général de la foi en une puissance suprême on descende au culte des influences secondaires. »

P. 48. « Abrahm. »

P. 58. « Les Vedahs même ne sont vénérés que comme une version authentique, mais récente de livres qui… »

Corrections manuscrites.

Note ajoutée : « On ignore combien de siècles se sont écoulés depuis le moment ou plutôt peut-être depuis le temps de la formation du genre humain jusqu’à l’ère moderne. Un docteur du XVII1 siècle, l-’abricius, comptait cent quarante systèmes sur la durée de la période que le déluge doit avoir terminée. »

« … sous le nom de Caucase d’autres chaînes et même l’ancien Irnaùs. »

« … c’est que les plateaux moyens de l’Iran,…où maintenant les hivers sont assez rigoureux. »

Ajouté : « Seul point peut-être que les eaux laissassent à découvert durant les premiers âges. »

« …le Pyr-pan-jas, dans la chaîne de Caf ou de Con-Caf (Caucase) était aussi… »

P. 39. Addition à la note. « Un autre livre très remarquable, le récit des Afflictions de Job, paraît appartenir à l’Arabie, d’où les premiers Hébreux pouvaient l’avoir porté en Egypte. » Et sur une îiche : « Serait bon de parler du livre de Job comme seul monument littéraire probable de l’ancienne Arabie. Mercure du XIX’s., t. XVIII, p. 491 et suiv. »

Addition : « Soit qu’enfin ces deux modes d’adoration aient été réunis, comme ils le furent dans le sabbaïsme, sans que nous puissions en bien distinguer aujourd’hui l’ancien enchaînement… »

Note : « ou Chus, autrement dit Bacchus. »

« Les Vedahs ou Bedahs, composés d’environ 400, 000 vers et dictés par la sagesse, ou Brihma, ne sont vénérés que comme une version authentique maïs récente, ou un commentaire de livres qui… »

P. 78. a Les plus anciens monuments religieux des Hindous sont au nombre de quatre. Durant un certain temps il n’y en eut que trois. »

«… dont Voltaire n’a pas soupçonné la falsification. »

P. 109, n. Les docteurs d’occident prétendent que « l’humilité ainsi que le sincère pardon des oîîenses étaient au nombre de ces préceptes nouveaux. »

P. 61, n. « Il paraît que Brahma, Abrahm, Ibrahim signifiait en général un prince, un homme vénérable, ou peut-être le législateur, le sage, et que Brahra pouvait, être la sagesse divine. »

P. 76. Sur la vie cénobitique ; addition. « Ensuite, chez les Hébreux, les Nazaréens ou les Séparés se sont consacrés à la divinité pour un certain temps, et plus tard, chez les disciples du Messie, les moines ont fait des vœux perpétuels. »

« … sont au nombre de trois. Leur nom vient de vidyâ, savoir. »

« … dont V. et même Anquetil. »

Addition. « … l’humilité, expressément recommandée toutefois, chez Israël, par les Esséniens. »

(Dans ce passage, fidèle à la tradition des physiocrates du XVIIIe siècle, et de la philosophie du temps en général, Sénancour représente la morale chinoise comme beaucoup plus antique que toutes celles d’Occident et supérieure à elles).

P. 111. Addition : une critique d’un passage de la « Connaissance de Dieu et de soi-même » où Bossuet montre comment il est juste qu’un père soit puni dans ses enfants. Sénancour cite un texte chinois contraire.

« Avant qu’un imitateur des personnages symboliques qu’on disait avoir régné sur l’Egypte, avant qu’un second Menés… »

Addition. « Peu de despotes de l’ordre profane eussent osé décimer le peuple par leurs soldats, comme le firent impunément les lévites d’Israël. »

Addition. « D’autres critiques ne reconnaissent que trois castes de l’ancienne Egypte : l’intelligence ou le sacerdoce, la force ou les

P. 136. « Avant que Menés, ou un de ses successeurs, en détournant Je Nil, construisît l’opulente Memphis… »

P. 140. « L’excommunication a été la plus grande peine morale que des hommes pussent subir. »

P. 146. « Le peuple de l’Egypte avait été partagé en sept classes, selon Hérodote ; mais la division qu’il donne ne peut être exacte. » P. 168. « Les Hébreux ou occidentaux, tribu d’Arabes… »

« Moïse ou Moshé, connaissant les sciences de l’Egypte, confirme pour sa nation, ou plutôt lui donne un nom d’origine kaldéenne qui signifie voyant bien. »

P. 170. « Pour punir… on immolait 14,800 hommes, ou 41,000, ou 50,070.

P. 170., L’esclavage perpétuel faisait partie de la loi quant aux étrangers ou à leurs enfants… » (Suit une discussion. Et en note « M. L… (Lamendour) est vraisemblablement le seul écrivain, digne de foi d’ailleurs, qui ait cru l’esclavage plus doux chez les anciens Hébreux que chez les peuples pasteurs… »)

P. 181. « La ville sainte, Hersalaün ou Jérusalem, fut souvent prise et saccagée. »

P. 182. Juifs dataient de l’année où morut Moïse. »

P. 183. « On ne sait le temps où

(1) Salvador.

guerriers, la matière passive ou le peuple. »

P. 156, note sur le livre d’Enoch. « Ce livre, dit d’Enoch, est en manuscrit à la Bibliothèque royale de Paris. »

« … Arabes occidentaux qui paraissaient tirer leur nom d’un de leurs ancêtres, Heber, ou homme venant d’au delà… »

« Moïse ou Moshé, dont le nom et les aventures rappellent avec une singulière conformité Misem ou Bacchus, Moïse connaissait les sciences de l’Egypte. Il adopta, diton, pour la nation entière, le nom d’un de ses patriarches, parce que ce nom, d’origine kald., signifiait voyant Dieu. »

P. 109, note manuscrite. « On lit dans le livre des nombres qui est attribué à Moïse : Erat Moyses vir mitissimus supra omnes homines. »

« … 14,950 hommes, ou 42,000, ou 70,000, ou 50,070. »

« Il est difficile de croire, avec l’historien si digne de foi d’ailleurs des institutions de Moïse<i), que l’élut de domesticité n’ait pas été chez les H. une servitude formelle, du moins quant aux étrangers… » Et en note : « Dès le temps do Moïse… le peuple d’Abraham eut un grand penchant pour adorer… Becl Phcgor… Plusieurs critiques ont remarqué qu’un peuple si constant depuis dans son culte n’avait guère eu à cet égard des idées fixes qu’au temps d’Esdras. Ainsi le peuple choisi n’a été fidèle avec suite que depuis l’époque où cela même est devenu un signe de malédiction. »

« … a été prise dix-sept fois selon la remarque d’un célèbre voyageur. Sur ces catastrophes multipliées, voir le chapitre I du livre de l’Histoire des institutions de Moïse, 1828. »

« … où ils pensent que… » N. en marge : « V. Salvador, III, 120, 119, 117. »

« … où quelques-unes d’entre elles une d’elles (de ces tribus) pénétra pénétrèrent chez les Chinois, qui dans la Chine. » les ont nommées Sinous. Il paraît

que dans la dynastie des Tcheou elles avaient une synagogue à KaiJong-Fou, qui était alors la ville la plus florissante de l’Empire. »

« En Espagne, au XV’siècle, on « En Espagne, en 1492, Torque

veut les contraindre d’abjurer, et mada en fait condamner au ban70, 000 familles sont bannies. » nissement plus d’un demi-million."

P. 188. Note sur les livres juifs, leur authenticité, avec renvoi à la page 10 de la préface de Salvador sur Moïse.

P. 193. Les bâtards n’entraient Addition. « Mais cela ne doit peutpas avant la 10 ? génération dans être pas s’entendre à la rigueur, l’assemblée du Seigneur. » puisqu’il est dit aussi dans le Pen

tateuque : « Les enfants ne seront pas punis pour leurs pères. »

Une citation d’Isaïe faite de mémoire rectifiée dans une note manuscrite.

P. 203, note manuscrite. « Le même mot ayant signifié, selon l’observation de Boulenger, temps et armées, le Dieu des Temps, Sabaoth est devenu, par une acception aussi dangereuse que dépla oée, le Dieu des armées, chez les disciples mêmes du pacifique législateur nazaréen. »

Page 285, dans le chapitre « De la Syrie et des chrétiens » Sénancour a mis cette fiche : « A l’article Syrie, sans doute’parler des Druses. V. Druses dans cahier d’annotations’p. 80. «

Page 287, il ajoute les développements suivants, avec notes : « Un solitaire appartenant peut-être à une secte connue chez les Hindous, et qui, sous le nom de Sabis d) existait encore dans la Perse au temps de Chardin, baptisa ses disciples sur les bords d’un torrent de la Judée ; il y baptisa, selon les expressions d’un uléma de Smyrne cité par des imans de Damas (mots rayés) un jeune sage (Jésus est qualifié dans l’édition de 1827 de « respectable moraliste « ) que bientôt plusieurs Juifs placèrent au nombre des prophètes. Il paraissait, poursuit-on, avoir puisé quelques notions particulières d’une haute doctrine, soit en Egypte,

(1) Ou Sabéens, nom que portaient aussi les anciens adorateurs du soleil (V. Sabéens dans cahiers d’annot.) (Note de Sénancour). d’où on assure qu’il revenait, soit en écoutant les Esséniens <1( ou même les plus raisonnables d’entre les Pharisiens : on le nommait Jésus ou Issa selon les Arabes ; Ezus, dont les Etrusques ont fait Esar. »

P. 353 (chapitre du l’Amérique et do l’Afrique moderne). « Des ruines trouvées récenmienl au milieu du continent septentrional de l’Amérique révèlent l’ancienne existence d’un peuple industrieux dont les usages, semblables à quelques égards à ceux des Egyptiens, ou des peuples dont l’Eglise doit avoir été une colonie, pourraient faire conjecturer qu’il en a été… »

P. 368. Sénancour nie que le christianisme ail supprimé l’esclavage ; note manuscrite : « Ce sujet a été traité rapidement mais d’une manière lumineuse dans les en. IV, IX et X du liv. 6 de l’Esprit des institut, politiques, par M. Massabiau. »

P. 369. Sénancour écrit qu’ « il n’est pas même dit dans l’Evangile : vous ne ferez pas esclaves les fidèles, tandis que cela est dans le Coran. » Il ajoute : « faux ; voir chap. XXIV » et au verso de cette note : « Je n’ai pu trouver ce passage du Coran. »

P. 380, note. « On assure que les nègres ouolofs, ou yalofs, bien pourvus de fétiches, n’avaient dans leur langage aucune expression qui annonçât chez eux des idées religieuses d’un autre ordre et qu’Us ne doivent qu’à l’introduct. de l’islam, dans leur pays quelques notions d’une intelligence suprême. »

Malgré cette application à être précis, à se tenir au courant du dernier état de l’érudition, on sent que Sénancour manque de désintéressement scientifique ; il s’empresse de tirer argument en faveur de sa thèse de tous les faits

(1) Si on excepte la toi en Jésus, les hommes austères et retirés appelés chrétiens par excellence différaient très peu des autres esséniens qui se conformaient comme les disciples d’Orphée à l’esprit de quelques institutions plus orientales et nées dans les premiers âges (Note de Sénancour), qu’il rencontre. Plusieurs de ses corrections manuscrites sont inspirées d’un esprit de polémique ; peu capable de critique historique, il développe des considérations, il reconnaît un peu en tous sens des preuves soudaines à l’appui de son système. Exemples :

Page 178. Note manuscrite ajoutée au texte de 1827. Les Pharisiens « ont eu pour second fondateur le rabbin Hillel, peu de temps avant l’ère moderne. On assure que de nos jours encore leurs doctrines sont très répandues, et que leur système de conduite, en s’introduisant chez les Occidentaux, a seulement changé de nom. » (En 1827, Sénancour avait écrit seulement : « Leurs doctrines et leurs maximes sont très répandues sous divers noms. » )

P. 190. Sénancour rétablit une note, supprimée en 1827, où il interprétait le sens de la genèse selon son système (les hommes se sont éloignés des coutumes primitives, ils retrouvent par hasard quelques vérités fragmentaires).

Page 192. Addit. manuscrit. L’organisation politique chez les Juifs « avait quelque chose de républicain ou de patriarcal, et Fauteur des Institutions de Moïse a prouvé que ce n’était pas précisément une théologie. Mais que de gens n’auraient pu se persuader qu’un peuple choisi, auquel des monarques manquèrent longtemps, n’eût pas alors l’honneur d’être soumis à des prêtres. »

Note manuscrite ajoutée au texte sur la polygamie : «… On trouve toujours quelque chose à rectifier dans ces sortes de lois divines. »

La haine des sacerdoces, l’ironie à l’égard de toute prétention théocratique n’ont pas faibli chez lui. Voici un exemple d’érudition irrévérencieuse, à la Bayle, où Sénancour renchérit sur ce qu’il avait écrit en 1825 et 1827. Il s’agit du mystère de l’Incarnation.

1827. « L’habitude en est très Manuscrit. « Presque de nos ancienne ; la mère de Fô-Hi, le plus jours, il a suffi à la bisaïeule de vieux législateur connu des Chi— Kien-Hong de manger des cerises nois, a été fécondée honnêtement pour enfanter des héros sans cesser par un arc-en-ciel. » d’être vierge. Pendant quelques

siècles, les génisses ont eu des inclinations à peu près semblables… Dans les Institutions de Moïse, M. Salvador, après avoir parlé de quelques expressions figurées en usage au 1emps d’Israël, ajoute : « Toutes ces allégories mettent sur la voie de la figure symbolique et judaïque de la Vierge… »

P. 296. A propos du triomphe du christianisme, addition manuscrite : « Le prudent Théodose renouvelant contre les Gentils les persécutions de Constantin, défendit sous peine de mort de nier la vérité du christianisme. »

Page 333. Note manuscrite : « On cite souvent le mot de Bossuet : Tout était Dieu excepté Dieu même. Ce mot est erroné ; qu’importe qu’il soit de Bossuet, et qu’on ait coutume de joindre au nom une pompeuse épithète ? il se trompait ; on connaissait mal les langues orientales et les bases des grandes doctrines de l’antiquité. Maintenant on n’ignore plus que le Dieu unique régnait sur ces divinités subalternes, objets de la superstition d’une multitude qui de nos jours au reste n’a pas moins de penchant pour de stupides croyances et pour des pratiques ignobles. »

Page 336. Note manuscrite : « Sans doute les novateurs auxquels on attribue l’établissement des religions diverses n’ont jamais prétendu en créer une. Dans les premiers temps, ils n’auront été que de hardis interprètes du besoin général, ensuite ils se sont dits des réformateurs se rapprochant de la pureté primitive. De nos jours, les chrétiens, voyant leurs dogmes connus en Orient vingt siècles avant la révélation de Jérusalem, prennent le parti de dire que le christianisme n’a pas commencé par le Christ, que leur nouveau testament est le quatrième… Plusieurs chrétiens vont jusqu’à supposer que Jésus, ayant eu des prédécesseurs mortels, pourra bien avoir des successeurs de même condition. Quelquefois on ne craint pas d’espérer que la doctrine de Swedenborg l’emporte sur celle de Jésus. La révélation suédoise sera sûrement suivie de quelques autres aussi diffuses, et la Divinité n’aura apparue au milieu de tout cela que pour faire nombre. »

Page 346. Addition manuscrite. Sur la manière dont on lit les livres sacrés dans les pays de fanatisme : « Un passage semble-t-il étrange, on frémit de se tromper à ce point, et l’imagination, en dénaturant le texte sacré, présente mille choses excellentes à la place des choses communes ou déraisonnables qu’on lit et relit… Des peuples entiers, mettant leur joie à choquer la raison des autres peuples, divinisent sans hésiter, ce qui attristera toujours les esprits qu’on n’abuse pas. »

Page 369. Fiche manuscrite : « Le Christian, n’a pas plus aboli l’esclavage qu’il n’a aboli la castration, impudemment pratiquée surtout à Noria, dans l’Etat de l’Eglise. »

Page 388. Note manuscrite : « Dans la savante Europe, 1 ignorance a encore ses prodiges suscités par l’esprit de secte. En mai 1827, un journal assurait qu’il fut un temps ou 1 Asie était chrétienne. Le 10 octobre 1826, une autre leuille plus accréditée avait dit : « Excepté un petit nombre d idolâtres qui restent encore comme pour nous rappeler les anciennes extravagances du genre humain sans révélation, que nous offrira la terre ? Ce que nous y trouverons d hommes seront ou Juifs, ou chrétiens, ou mahométans. « Page 400. Addition manuscrite : « Les principaux faits historiques ne sont pas favorables à ceux qui prétendent que l’islamisme est plus contraire que le Christian, au developpement de l’intelligence… »

Avant la conclusion, Sénancour a écrit la page suivante : Avec les passions « toutes ces réformes, au lieu de retrancher le mal, ne feraient alors que le diversifier. L’islamisme n a été lui-même qu’une sorte de réforme des lois du Sinaï et d Antioche. Toute religion nouvelle est plutôt un schisme. uautres réformateurs, suscités par leur ambition ou par 1 exaltation de leur tête affaiblie, prétendront d’âge en âge recevoir une mission expresse pour enseigner dogmatiquement la vérité, c’est-à-dire pour la profaner, pour la travestir en leçons dévotes, pour divulguer le mystère impénétrable. Longtemps il fallut qu’un imposteur ou un fanatique^ opérât des prodiges. Mohammed, qui vint plus tard, osa s en dispenser. De nos jours on se met plus à son aise encore ; on n’a pas besoin de montrer qu’on a été choisi par le ciel, il suffit de dire : le ciel m’a choisi. Mais vingt lignes au Coran, quel qu’en soit le désordre, sont au moins plus imposantes et même plus religieuses que Vinterminable et prosaïque verbiage du visionnaire suédois. »

La conclusion de 1827 était conservée à peu près intacte I^Vf Quelques corrections de détail. Sénancour y développé 1 idée qui reparaît constamment dans ses dernières œuvres, et qui y tiendra d’autant plus de place qu’il les aura plus remaniées : il faut distinguer deux théosophies, comme on distingue l’astronomie de l’alchimie (sic, on attendrait « de astrologie » ). Les lois de Dieu se manifestent à la raison libre, impartiale, exercée, et non à l’enthousiasme. Sénancour croit à une conciliation générale prochaine : « La plupart des partisans de l’Eglise romaine modifient sa doctrine ou la négligent, tout en protestant de leur docilité. » Il espère une alliance entre les intelligences inquiètes, désireuses de justice, et les hommes dont l’intérêt apparent est que rien ne change, l’aristocratie. Quant aux gens de rien, il n’en attend qu’une routine apathique, — ou la révolte. Il reconnaît la prédominance croissante de l’intelligence pure sur la passion : il voudrait qu’on renforçât l’autorité de la vieillesse : le pouvoir moral du père est trop affaibli en Europe. En somme, il rêve d’un gouvernement de philosophes mûris par la vie, sans législation fixe (en note : « expression de Boulanger » ), évoluant volontairement. Il se borne d’ailleurs à indiquer des tendances, un esprit. Il voudrait que le sage eût en même temps le sens pratique, l’amour du clair et du distinct, et qu’il se tînt en relations constantes avec le divin, l’avenir obscur que sa tâche est de réaliser par un mélange d’initiative et de docilité aux lois intimes et inexprimables de la vie. —

Au résumé de l’histoire des Traditions morales, il faut joindre, comme appartenant à la même période, deux ouvrages de librairie.

Résumé de Vhistoire romaine, par M. de S***, Paris, 1827, 2 vol. in-18 ; I. République romaine ; II. Empire romain. Lecointe et Durey, libraires, quai des Augustins, 49.

Résumé de Vhistoire de la Chine, par M. de S***, Paris, 1824, in-18, 373 p. ; Lecointe et Durey, libraires, quai des Augustins, n° 49. — 2e édit., 1825. (Le Mercure du XlX’s. de 1824 en dit : « Tout est chinois dans ce livre, excepté le style, qui est très français. » )

Enfin, Sénancour a publié un : Petit vocabulaire de simple vérité, par M. de Sénancour, n° 63, Bibliothèque populaire, Paris, 1833, place Saint-André-des-Arts, n° 30. — 2e édit., en 1834, in-18.

Observations sur le Génie du Christianisme

Observations critiques sur l’ouvrage intitulé Génie du Christianisme, suivies de quelques réflexions sur les écrits de M. de B. W) relatifs à la loi du divorce, Paris, 1816, chez Delaunay, libraire, au Palais-Royal, galerie de bois.

Voici une note (inédite) (2) de Sainte-Beuve, écrite sur l’exemplaire qu’il possédait de cet ouvrage : « En détail, presque partout, Sénancour a raison sur maint et maint détail.

Mais il n’a pas le sentiment social, le sentiment de ce qu’il faut à une société. Il croit qu’une morale pure suffit et se suffit H elle-même, une morale à la Confucius : c’est une morale découronnée. Qu’importe que Chateaubriand applique au christianisme ce qui s’appliquerait également à toute autre religion ou bonne superstition établie. Ce n’est pas le répéter que de remarquer cela. Est-ce qu’il ne le sait pas ? »

Le livre de Sénancour est écrit sur un ton d’animosité et de persiflage. C’est un commentaire serré, qui suit le texte pas à pas. Il a attendu pour le publier que Chateaubriand eût cessé d’être persécuté.

(1) De Bonald.

(2) J’en dois la connaissance à M. Boisseau.

Valombré

Valombré, comédie en 5 actes et en prose, par M. ***, à Paris, 1807. Cérioux l’aîné, libraire, quai Voltaire, n° 17. Valombré est un type de philosophe (Sénancour lui-même) dont la vie ressemble un peu à une prédication ; il est entouré d’hommes légers qui lui tendent des pièges. Une scène curieuse est celle où Valombré (nom symbolique), recevant sa nomination de sous-préfet, est saisi de toutes sortes de scrupules en se demandant comment il va exercer l’autorité. (V. J. Levallois, pp. 66 sqq.)

Isabelle

lsabelle. Lettres publiées par de Sénancour, Paris, 1833. A la librairie d’Abel Ledoux, 93, rue de Richelieu. En épigraphe : « Ce qu’on peut connaître de plus intime et de plus vrai dans la condition des mortels, c’est la douleur. » 129e Comment, du Bostan de Saady.

Dédicace, en termes voilés, à Sainte-Beuve. Sénancour avait déclaré, « pour éviter de certaines insinuations », qu’il ne dédierait ses œuvres à personne.

Voici une lettre (inédite) W de Sénancour à Sainte-Beuve (1834) sur ce roman, qui n’a pas de valeur.

« Isabelle, qui était la femme solitaire, mais qui a perdu son titre en cheminant, est une sorte de pendant, une sœur d’Obermann. Raison de plus pour qu’elle se présente chez le très obligeant tuteur d’icelui. (C’est là le style ordinaire des billets de Sénancour à Sainte-Beuve. Cf. celui qu’Alvar Tornudd cite p. 100 et que V. Giraud publie de nouveau dans son article de la Revue de Fribourg. 1904.) Malgré ses défauts, dont le moindre est d’être affublée de trop de papier blanc à cause de la loi de l’in-8°, elle se promet un peu plus d’indulgence, et elle présente ses hommages de solitaire à Madame votre mère. Mille et mille choses les plus particulières. Sénancour.

Je n’ai pas eu l’avantage de revoir l’auteur de Lélia, mais je n’ai certes perdu le souvenir ni d’elle-même ni de son article inoubliable, ni d’Indiana.

M. David (qui a fait le médaillon de Sénancour. Il s’agit de David d’Angers) me paraît bien aimable homme, sans parler de sa trop gracieuse idée. »

(1) M. Boisseau a eu la bonne fortune de la trouver dans un exemplaire de ce livre.

Brochures politiques

Lettre d’un habitant des Vosges sur MM. Buonaparte, de Chateaubriand, Grégoire, Barruel, etc… publiée par M. de Sénancour. Paris, 1814, 36 p. in-8°, chez les marchands de nouveautés. (Daté de Remiremont, 14 mai).

« Buonaparte, dit Sénancour, ne fut ni le régénérateur (cf. infra la brochure sur Napoléon) de la France, ni le germe de la peste. Toujours des phrases, jamais de mesure. Buonaparte est un homme d’un autre siècle, il convient mal au nôtre. » Sénancour le défend pied à pied : « L’écrit de M. de Chateaubriand, intitulé de Buonaparte et des Bourbons, est plein de mouvement et de verve. Mais en plusieurs endroits on prendrait cette chaleur pour de la colère, ou cette indignation contre la tyrannie pour un ressentiment aveugle et une haine personnelle. » Fidèle à sa méthode consciencieuse, il cite et critique.

Seconde et dernière lettre d’un habitant des Vosges, Sénancour, éditeur, Paris, chez Chanson, 1814, 36 p. in-8°. (Remiremont, 30 mai.)

Sénancour discute les idées de l’auteur « de l’esprit de conquête » (B. Constant, à qui il consacra un article) W). A la fin, pages émues sur Napoléon exilé, et ce qu’il pourrait dire à son fils devenu souverain : « Il faut aujourd’hui que l’autorité soit morale pour qu’elle soit vénérée. La gloire étonne le vulgaire même… » (Cf. Articles sur le Prince) W.

Simples Observations soumises au Congrès de Vienne et au Gouvernement français par un habitant des Vosges ; publiées par M. de Sénancour. Paris, 1814, chez Delaunay et Mme Goullet, libraires. « Ayant mis sa force dans le fait et négligé la loi morale, Napoléon, abandonné de tout son empire d’Occident, a vu qu’un revers suffisait pour que de simples habitudes contrebalançassent de grandes forces militaires. » Daté de Remiremont, 22 octobre 1814. Très patriote ; la politique des peuples opposée à celle des cabinets.

(1) V. p. 68.

(2) V. p. 72.

De Napoléon, publié par M. de Sénancour, Paris, 1815, chez M. Laurent Beaupré, 16 p. in-8°.

Il y a eu une seconde édition, avec des changements. Il contredit l’interprétation qu’il avait donnée de Napoléon dans sa première lettre d’un habitant des Vosges, et s’en justifie dans une note. Voici sa nouvelle conception : « Malgré des écarts, des violences et des fautes, Napoléon est le prince du siècle, l’homme du destin… Son idée principale semble toujours avoir été celle de laccomplissement des choses… Il n’a pu opposer aux antiques habitudes que sa fortune personnelle, qui n’excluait pas la possibilité d’un grand revers. Il lui reste encore à manifester une pensée secrète… Qu’il achève par une heureuse conception, ou si Von veut par une fantaisic sublime, le bel ouvrage de son audace et de sa fortune. » Il ne faut pas voir dans ces hésitations de la pensée de Sénancour une preuve d’opportunisme : il a vécu dans l’attente d’un grand conducteur d’hommes, d’un surhumain ; il observait et sa pensée spéculait facilement sur les indications qu’elle croyait reconnaître.

Quatorze Juillet 1815, Sénancour, éditeur, Paris. De l’imprimerie d’Abel Lanoe, rue de la Harpe, n° 78.

Juin et Juillet 1814, L’habitant des Vosges. Paris, chez les marchands de nouveautés. (Critique des conditions de la paix et des concessions du roi.)

Articles

Sénancour a écrit dans différents périodiques un grand nombre d’articles, de comptes rendus ou de fragments. En voici la liste ; nous insisterons sur ceux qui offrent quelque intérêt.

Mercure de France : 1811. — Fragment sur l’Amitié.

1812, janvier. — Un fragment « sur Fontainebleau » (de Sén…).

Janvier. — Extrait d’une dissertation sur le roman (de Sén…).

Sénancour y déclare qu’il aime le roman de « Caleb Williams<1) » parce qu’on y voit comment les prétentions à une vertu exagérée mènent un honnête homme à des actions criminelles, en lui rendant l’estime de l’opinion préférable au témoignage intime de la conscience. Il admire Grandisson, mais remarque qu’il ne s’est jamais trouvé dans des situations difficiles. Voici un passage de pure confidence : « Quoique les suggestions enivrantes d’une haute prospérité soient aussi dangereuses pour la raison que la fatigue d’un malheur opiniâtre, c’est surtout en considérant l’homme dans de longues infortunes qu’on sentira facilement combien les idées vulgaires dénaturent les choses. » (Cf. Obermann). Il parle d’une « âme élevée que tout le monde méconnaît,… de justes prétentions que rien d’extérieur n’autorise. » — « Livrer à des sollicitudes misérables une âme à qui les grandeurs n’eussent pas suffi… » — « Le modèle dont j’aurais presque osé tracer quelque image serait le grand homme de génie qui perfectionnerait le monde… » Comparaison amère de son sort avec celui des hommes qui ont une fortune éclatante et que le public admire (Chateaubriand).

Février. — Sur le rire.

Septembre. — De l’effet général des lumières.

1813, avril. — Aperçu sur le cœur humain, par M. *** (Signé de Sén… « La passion n’est pas la loi première des êtres doués d’intelligence. » Il approuve une théorie toute intellectuelle de la pitié.

(l) De Godwln.

Lettres à Mme de Trouville sur le psychisme, par Quesné (Signé de Sén…). Sénancour admettrait un fluide subtil, que Dieu répandrait « avec une sublime industrie » dans tous les êtres, et diversifierait selon les organismes où il le verserait. Il verrait là une garantie de l’immortalité : Si Dieu, dit-il, avait créé un esprit pur, il faut reconnaître, à moins d’être aveuglé par les préventions, qu’il pourrait aussi l’anéantir. — Sénancour craint que le domaine de l’abstrait ne passe tout entier aux femmes, les hommes n’y trouvant rien d’assez moral ; il déclare qu’après la question morale, le psychisme, « qui n’est pas essentiellement impénétrable », s’impose. Il est très préoccupé du problème de l’immortalité.

Juillet. — De l’impartialité dans les écrits (sujet de concours donné à l’Institut). Signé : de Sén… — Allusion à Chateaubriand qui couvre la faiblesse des raisons par des ornements poétiques. Contre le charlatanisme. Contre le « penchant antisocial ». Il faut fondre successivement « le moi individuel dans le moi de la famille, de l’association, de la ville, de la patrie. » Contre la partialité du patriotisme et la tendance du moi à « s’envelopper ».

? — Article signé A. S. où il est dit que les romanciers ont encore un rang subalterne dans les lettres. Le roman est toujours comédie ou mélodrame.

Août. — Du style dans ses rapports avec les principes, le caractère et les opinions de l’écrivain ou de l’orateur. Deux articles (de Sén…). — Encore des allusions à Chateaubriand, —• à ceux qui ont des sentiments irréfléchis, des inclinations religieuses rapprochées de la dévotion populaire : « Mais ceux dont la sensibilité, trop étendue pour s’arrêter aux objets des passions, paraît vague et indécise parce qu’elle est pour ainsi dire universelle, ceux-là, s’ils sont religieux, le seront indépendamment de toute doctrine… » Il tient à avoir l’esprit bien fait, à éviter la propension « à voir partout des extrêmes », ce qui est, dit-il, le propre de Rousseau. Il parle de « l’homme (lui-même) qui, malgré les ténèbres où nous sommes plongés, devient religieux parce qu’il a du génie… Son style plein de force, de retenue et de grandeur… Ces rapports si vastes que l’expression doit embrasser… la rendront quelquefois incertaine et vague, mais féconde et sublime. » Il ne veut pas réduire « la magnificence de l’univers aux dimensions étroites de la mysticité. » Il a toujours développé l’inquiétude et « Vanxiété » en soi.

« Extrait d’un dictionnaire moderne », de Sén. Définitions satiriques de quelques mots. Sénancour se plaint qu’on parle toujours d’instruire et qu’on tienne pour négligeable le caractère.

Juillet. — Des succès en littérature (Sén.). Il recueille tous les exemples d’hommes méconnus. On sent chez lui encore ici, quelque regret de son obscurité.

Décembre. — Article (de Sén.) sur les œuvres de Mme de Lambert. Il ne croit pas comme elle que l’amitié « pure et retenue » soit le plus délicieux des liens entre les hommes et les femmes. Réduits « à nous analyser sans cesse, à ne nous livrer jamais… à nous redouter mutuellement… » On sent chez lui le souvenir d’une épreuve.

1814, Janvier. — Quelques considérations sur l’année, les saisons, les mois, etc… (Sénancour).

(Le numéro de février contient un article de MIle Virginie de Sénancour « Sur quelques romans composés par des femmes ». Eloge très vif de Mme de Staël).

Avril. — « Les premiers principes de la théologie », par Bruining. (Sén.)

Quelques réflexions sur la guerre (Sén.). Sénancour soutient que malgré l’esprit de parti, Napoléon est un très grand homme.

Mai. — « De l’esprit de conquête et de l’usurpation… », par B. de Constant-Rebecque.

Juin. — Sur les hommes illustres (de Sén.). — Distingue de l’homme supérieur, qui est étonné et subjugué par sa propre énergie, l’homme génial qui met toute sa grandeur à mépriser ce qui l’empêcherait de servir l’humanité.

Mai. — Remarques sur deux notices relatives à LouisSébastien Mercier, mort le 24 avril (de Sén.). Sénancour relève vertement les critiques ; il parle de l’admiration que « prodiguent quelques Allemands » à Mercier. Il semble avoir pour lui une sympathie personnelle. Le Journal des Débals du 15 mai avait affirmé qu’on ne pouvait regarder Mercier sans rire : Sénancour soutient qu’il était beau.

Août. — « Lettres philosophiques de Rigomer-Bazin. » (Sén. L’une d’elles était en faveur du divorce.)

Octobre, Novembre et Décembre. — Beaucoup de comptes rendus signés V. Cornélie de S… Articles de Sénancour : 1° sur « La campagne de France en 1814, par P. P. P.-J. Giraud » ; 2° « De l’intérêt de la France à l’égard de la traite des nègres, par Sismondi » ; 3° « De la traite et de l’esclavage des noirs et des blancs. Lettre à S. E. le prince de Talleyrand, par W. Wilberforce ».

Dans le premier de ces articles, de très belles paroles qui visent Napoléon : difficulté de juger un homme « . doivl \e, génie altier soutient les peuples en les fatiguant, un Yiomme qui, plein de la sombre énergie d’un temps difficile, précipite une génération pour combler l’abîme où les générations suivantes pourraient être poussées. » Napoléon est un régénérateur. — Dans le deuxième, horreur des communes façons de raisonnert qui supposent aux hommes des vertus qu’ils n’ont pas. D’où, chez Sénancour, besoin de contradiction, goût du paradoxe.

Les numéros d’Août et de Septembre donnent enfin un article sur « De la Monarchie française depuis son établissement jusqu’à nos jours, par M. le comte’de Montlosier », et un autre sur la « Lettre au comte Moira, sur les Espagnols et sur Cadix, par Ferdinand, baron de *** ».

Mercure du XIXe siècle, 1823, tome I, p. 565. Quelques jours à Athènes, traduit de l’anglais de miss Wrigt. Compte rendu (Sénancour).

T. II, p. 71, Sur le livre de M. de Lamennais : Essai sur l’Indifférence en matière de religion (Sénancour). Article très contraire.

P. 216. Considérations sur la littérature romantique. Sénancour trouve que Mme de Staël fait le romantisme bien jeune en disant qu’il est né de la chevalerie et du christianisme : car l’esprit du christianisme n’a de poétique et de littéraire que ce qui lui vient de l’Orient. Sénancour ne distingue que deux espèces de civilisation : les lois « inflexibles des Indiens et des Egyptiens, et les lois ingénieuses de la Grèce ». La chevalerie n’a été qu’un « accident ». (Sénancour reste bien du XVIIIe siècle par son inintelligence du Moyen-Age, son absence de sympathie pour lui.)

P. 316. Sur les Pyrénées. Sénancour parle de Ramona ; il le loue d’avoir étudié le pittoresque de la nature et ce\v\\ des mœurs.

P. 394. Des moyens de s’entendre.

P. 509. De la santé sous des rapports littéraires et autres W.

(1) Tous ces articles sont signés de Sénancour. Je signalerai les exceptions.

P. 591. Des harmonies de la nature et de Bernardin de Saint-Pierre. — Quelques pages de critique admirative ; cependant Sénancour fait des réserves très justes sur la définition que donne B. de Saint-Pierre de la science : sentiment des lois de la nature par rapport aux hommes.

T. III, p. 56. Sur une question académique (S’il y a plus de véritable philosophie dans la religion du christianisme que dans les œuvres des philosophes). Sénancour simule un fragment, récemment découvert, d’un disciple de Celse. Il aime ces supercheries. Cf. Obermann. En note il a mis : toutes les autorités sont citées dans le manuscrit. Mais ici un tel soin n’a pas paru nécessaire.

P. 154. Promenade en octobre (Au Père-Lachaise).

P. 244. Songe romantique (ressemble à la catastrophe volcanique peinte dans Obermann). « O désir, tu es la vie même ; avant que tu fusses, l’univers était muet, ténébreux, inutile. Lancé dans les fangeuses profondeurs du noir chaos, tu le changeas en un monde sensible et harmonieux ; ce fut à la fois un feu qui l’éclaira, un mouvement qui l’ordonna, un soupir ou une parole qui l’anima. S’il était compris, l’objet du premier désir, du désir infini, le mystère de la création serait dévoilé ! Mais celui-là seul le connaît, dont le signe imprévu changea en astres de lumière les larmes nauséabondes de la nuit primitive… » La fin est tellement étrange qu’on doit se croire en présence d’une mystification, d’un pastiche chargé que Sénancour se serait amusé à faire du style romantique. (Cf. supra les notes sur ce style. Lib. Médit.) W.

P. 318. Aperçu de l’ancienne doctrine chez les peuples du Gange.

P. 399. Sur la tolérance.

P. 489. Fragment d’une réponse aux détracteurs actuels de la philosophie. — Sénancour attaque M. de B (onald). Il allie Epictète et Confucius, comme les maîtres de la morale. « Raison ou félicité, c’est pour l’homme une même chose. Ses vices sont des erreurs, et ses calamités commencent ses imperfections… La beauté des lois morales a quelque chose d’irrésistible quand le caractère n’est point dégradé. » Souvent, dit-il en faisant peut-être un retour sur lui-même, la langue que le philosophe parle « n’est pas bien entendue ; il se peut même qu’en des jours de délire on la croye surannée ».

(1) P. 45.

Ce même tome III contient, p. 444, « Les sovweniYS du voyageur étranger », cf. le roman d’Isabelle, p. 202 : le langage des fleurs de bruyère. L’énumération des fleurs est ici coupée d’historiettes, de scènes idylliques, de propos amoureux, qui semblent des souvenirs de conversations anciennes. Article signé R. « J’avais été toujours sensible aux jouissances de l’odorat, je suis en cela tout asiatique… Après des chants d’un caractère simple, je préfère aux autres beautés de la nature le parfum des fleurs, silencieux indice d’une vie peu connue qui doit avoir aussi et ses jours difficiles, et ses heures plus propices. »

P. 550. Compte rendu du « Dictionnaire des Belles-Lettres contenant les éléments de la littérature d’après un seul principe », par Borite. Signé R.

P. 607. Midi et minuit (Signé S.). C’est le genre de plaisanterie tendue de Sénancour ; mystification, comme le songe romantique.

1824. T. IV. Dialogue des morts : Un prince et un particulier.

Id. : Corinne d’Italie et Thérèse d’Avisan. Corinne dit qu’elle était prête à bien des sacrifices pour « propager des vérités essentielles », mais que « les prestiges de l’imagination Yoivl entraînée dans d’autres voies ». A quoi Thérèse répond : « Que vous avez suivies franchement et non sans dignité », et elle confesse qu’elle a fait elle-même « quelque chose pour la superstition ».

De la prose au XIXe siècle. (Evolution nécessaire du style à mesure que se modifie notre idée des choses et que nos connaissances s’étendent).

Un Français et un Africain. (Dialogue : Un Africain naïf croit que tout va pour le mieux en Occident, et s’en va dès qu’il a été édifié par l’éternel « pas encore » du Français.) Des fleurs. (Jolie dissertation.)

SurL.-S. Mercier (aricle d’apologie ; cf. supra). Sénancour dit que les misantliropes solitaires se multiplient, dans les romans, mais que, selon ce qui est écrit dans « Le père et la fille », un misanthrope est « un honnête homme qui n’a pas bien cherché ». Les douceurs de la famille doivent le recueillir.

1825. Sur « La bastonnade et la flagellation pénales », par M. de Lanjuinais W.

(1) Avec qui Sénancour (ut en relations.

Sur un objet dont on s’occupe généralement (le mariage). Suite d’un article publié sans signature en 1824. Dialogue : Un personnage, porte-paroles de Sénancour, dit qu’il n’a pas perdu ses illusions par l’expérience, qui rend amer et désespéré, mais par la réflexion, qui laisse toujours une douce incertitude. Défend l’amour contre ses contrefaçons. Proteste contre l’abus de la galanterie, l’empire outré des femmes, sur des hommes désœuvrés, et aussi contre le mépris des jeunes ambitieux qui se font un principe de ne pas se laisser distraire par elles de leur carrière. (Cf. Revue de Paris, 1831, t. XXV. Article de Ch. Nodier sur l’Amour, se terminant ainsi : «… Sauvez l’amour, si vous le pouvez. » ).

Dialogue des morts. Le duc de Lerme et l’acteur Baron. Sur une traduction dont on a fait 3, 000 éditions (l’Imitation, de Lamennais).

« Examen d’un chapitre du Contrat social, de Rousseau, intitulé de « La religion civile », par M. le comte de Lanjuinais.

Des chansons populaires chez quelques peuples orientaux. Madame Ulrich (à propos de la troisième édition du La Fontaine de Walckenaër).

De quelques naïves coutumes (à propos des comédiens et du clergé).

Observations géographiques. (Redresse quelques erreurs du dictionnaire de Mac. Carthy, sur la Suisse).

« Physiologie des passions ou nouvelle doctrine des sentiments moraux », par J.-L. Alibert. Deux articles. Sénancour est partisan de pousser aussi loin que possible l’étude mathématique de l’homme : mais il restera ensuite à deviner, à exercer notre faculté intuitive, notre sens du mystérieux. — Il n’admet pas que l’on gouverne les hommes par leurs passions, qui sont toujours un état de force factice, mais par l’évidence de la raison. Horreur de l’industrie politique et amour de la ligne droite.

Des institutions religieuses. — Compte rendu d’un livre sur « L’esprit des institutions », de Massabiau, qui combat Montesquieu.

Sur l’amour conjugal. — Sénancour prodigue l’ironie à ceux qui en font un panégyrique facile, et qui en veulent à l’amour en lui-même.

Des connaissances astronomiques.

Des Juifs anciens, par M. Halévy.— Du style épistolaire.

1826 : « La civilisation considérée sous le rapport du feu », C. R.

« D’une nécessité sociale et de quelques nouvelles clartés littéraires », C. R. A propos du journal « le Catholique ». Sur le même sujet, un autre article intitulé : De l’érudition dogmatique et de l’érudition philosophique.

Extrait d’une digression sur les dispositions de l’esprit humain en Europe. (Signé S.). De plus en plus l’esprit de Sénancour nous apparaît comme s’obstinant à établir la continuité de l’absolu au relatif. Il cherche un moyen terme, entre ceux qui veulent expliquer le monde sans métaphysique et ceux qui oublient, fascinés par le sens absolu des choses, « le but préparatoire que l’on peut se proposer ». Critiques, en passant, à l’adresse de Lamennais, dont la puissance logique ne subjugue pas Sénancour’parce qu’elle est circonscrite, étroite, et néglige de parti pris tout aperçu trop vaste pour entrer dans ses formes : « On raisonne bien sur une question, quand il n’est rien d’analogue qu’on ne sache ou qu’on ne pressente. » Sénancour se moque de ceux qui « profitent de quelque infirmité extatique pour créer une science bizarre, une science de l’inconnu ». (Il tient à faire preuve d’un parfait équilibre d’esprit : il croit au mystère, mais il sent la contradiction qu’il y a à faire une science de l’inconnaissable. Repousse Swedenborg.)

« La métaphysique nouvelle », 3 vol. in-8°, Paris, chez Aimé André. C. R. (Signé S.).

1827. Un paradoxe. Trois pages signées S. pour soutenir que la véritable imagination n’est pas une faculté vive, mobile, et d’ailleurs étroite et bornée : « Il n’y a de beauté magnifique que dans le monde intellectuel. » (Formule de Massias, dans ses principes de philosophie). Cf. Staël.

La France littéraire, 1832. D’un obstacle à la civilisation générale. Extrait d’un tableau de l’Europe inédit : « La loi sociale, considérée dans sa perfection possible, ou l’ordre exact sans aucune servitude, est la grande inconnue proposée aux recherches du genre humain. » (Cf. Rousseau dans le Contrat). Sénancour aspire au temps où « l’opinion européenne » gouvernerait la terre « par la raison et le véritable sentiment religieux ». En faveur de la Pologne : Sénancour dénonce « la Moscovie, antagoniste naturelle de la France et de l’Angleterre », comme « un long obstacle au perfectionnement des choses ». Il l’appelle « Tartarie incorrigible… ancienne Scythie portant un masque de civilisation ».

De l’esprit religieux chez un Prince. (Forme une section d’un ouvrage inédit de Sénancour sur « l’Instruction morale, politique et religieuse de ceux qui peuvent être appelés à gouverner dans l’ordre moderne. » \utre article extrait du même ouvrage plus loin.) C’est l’élude d’une évolution du matérialisme athée au déisme spiritualiste : article très intéressant par conséquent, au point de vue de la vie intellectuelle de Sénancour : « Cependant, homme vrai, ne reconnaissez pas la Divinité parce qu’il est doux d’espérer en elle, parce que si elle voit notre effort, nos misères deviennent moins accablantes : soyez-le (spiritualiste) parce qu’elle est, et qu’elle ne peut être sans qu’il faille l’adorer. » Voici une phrase bien swedenborgienne et qui surprend : « Si vous supposez, non sans vraisemblance, des impulsions sidérales, des émanations étrangères à nos organes ou des communications à travers l’abîme, et peut-être des voies où circulent des comètes inconnues, formant un lien entre les groupes d’un monde… » Sénancour veut d’ailleurs un prince philosophe, faisant la guerre aux superstitions.

1833. De M. de Chateaubriand et d’un livre qui le concerne. (Il s’agit de « l’Histoire de la vie et des ouvrages de M. de Ch., considéré comme poète, voyageur et homme d’Etat », par Scipion Marin.) Le ton de Sénancour est assez malveillant ; croyant toujours à la réforme… prochaine, il discute fort l’influence de Chateaubriand. « Il avait cédé aux deux mêmes ambitions de monter dans les carrosses du roi et de figurer dans l’Almanach des Muses » (à ses débuts). Dans Atala, pas de forte vérité morale. Il l’attaque sur la manière dont il s’est converti. Il se moque de son voyage en Orient : « Le Jourdain n’était pas loin, ce, fut une forte pensée d’en apporter de l’eau, dans une de ces petites fioles où les empiriques mettent leur élixir. » Il l’accuse enfin de remuer les passions politiques et les débris du fanatisme : « M. de Ch. ne serait point mal auprès de M. de Lamennais. » D’ailleurs il néglige, — mais il en parle, — l’imputation de spéculation littéraire, contre laquelle Chateaubriand est défendu en termes très vifs dans une notice sur sa vie, Revue Européenne, septembre 1833.

Du prince sous le rapport moral et politique. Sénancour insiste sur le caractère négatif de l’effort nécessaire : « Bornez-vous à négliger constamment ce dont vous n’aurez pas besoin. » — « Le présent, ajoute-t-il, appartient à l’homme qui commande, mais l’avenir est le domaine des grands écrivains… Ils dictent secrètement, pour ainsi dire, et néanmoins légitimement, la loi que le législateur promulguera ensuite avec plus ou moins d’exactitude, et qu’en dernier lieu nul agent du pouvoir n’éludera impunément. » Et il conclut que c’est une règle, dans le gouvernement comme dans les beaux-arts, de contempler toujours Vhointne idéal. (Survivance de l’esprit du XVIIIe siècle.)

1834. De l’athéisme imputé à Voltaire. Sénancour le connaît à fond, et son article est très documenté : « Après quarante ans d’événements qui absorbaient l’attention, une partie du public, la plus saine sans doute, accueille aujourd’hui avec espérance l’idée d’une sorte de réaction religieuse. » Sénancour cherche donc à ménager la partie bien pensante du public ; mais, sans nommer cette fois le catholicisme, il déclare net qu’il n’en veut pas. Et il ajoute : « L’athéisme, si faux, si inconsidéré, si triste, a été surtout l’effet d’un mouvement de dépit consciencieux sans profondeur. » Il affirme sur preuves que Voltaire n’était pas athée (références abondantes prises dans sa correspondance et ses œuvres diverses).

La Minerve littéraire, en 1820-21, donne de Sénancour : De la justesse en littérature. « Pièces inédites de Voltaire. » C. R. « Voyage historique et politique au Monténégro par

M. le colonel S.-C. Vialla de Sommières. » C. R. « Biographie des jeunes demoiselles, etc…., par

Mme Dufrenoy. » G. R.

« De la loi naturelle, par le comte de Volney. » C. 11.

Sur le second voyage de Mungo Park.

« L’observateur du XIXe siècle, par J.-C. Saint-Pros per. » C. R.

« La Maçonnerie, poème en trois chants… par

M. D.’.t. » C. R.

« Palmyre et Plaminie, ou le Secret, par Mme la com tesse de Genlis. » C. R.

« Mémoires de Rillaud-Varennes, ex-conventionnel,

écrits au Port-au-Prince, en 1818, par M. M***. »

C. R.

Du Génie.

« Histoire chronologique des peuples du monde, depuis le déluge universel jusqu’à ce jour, par Baillot-Saint-Martin. » C. R.

Sur J.-J. Rousseau (deux articles).

Sénancour avait aussi collaboré :

Au Constitutionnel « pendant les années de lutte de la Restauration » (Levallois, p. 105). Ses articles n’étaient pas signés. Il serait difficile de lui en attribuer aucun avec sûreté.

A VAbeille (1821) « Nécrologie » (Napoléon).

A la Revue Encyclopédique (1828) article sur « l’histoire des institutions de Moïse » par J. Salvador.

Ouvrages où se trouvent insérés des fragments de Sénancour

Le livre des fcniines. Choix de morceaux extraits des meilleurs écrivains français sur le caractère, les mœurs et l’esprit des femmes, par Mme Dufrénoy et Amable Tastu : ouvrage enrichi de plusieurs fragments inédits ou peu connus. Paris, 1823. T. II, p. 207. De l’amabilité chez les femmes, de Sénancour. C’est le morceau sur le type de Lovelace qui se trouve dans le livre de Y Amour, avec quelques additions.

Les Navigateurs, ou choix de voyages anciens et modernes recueillis par M. Ferdinand Denis, Paris, 1834, p. 01 à 102. Une journée dans les montagnes ; lettre inédite. (Insérée ensuite dans l’édition d’Obcrmann de 1840. Lettre 91.)

Le Diamant. Souvenirs de littérature contemporaine, Paris, 1834, p. 75 : La vérité au fond d’un autre puits (réflexions sur la mort, le suicide, un songe bizarre ; cf. le Songe romantique).

Fleurs sur une tombe à Elisa Mercœur par M. Alfred do Montferrand. Recueil composé de pièces inédites des écrivains de l’époque. Paris, 1836 (contient un « fragment » de Sénancour).

Nouveau Kœpsake français. Souvenirs de littérature contemporaine, Paris, Louis Janet, sans date, p. 45 : chant funèbre d’un Moldave, traduit de l’esclavon (tiré d’O&ermann ; mis en note dans l’édition de 1840).

Articles sur Sénancour — Appréciations

15 Août 1804, Moniteur universel. Article peu favorable sur Oberniann, signé Tourlet.

1807. Article de la Décade philosophique, reprochant à Sénancour un style obscur, embarrassé, quelquefois inintelligible ; il a beaucoup de connaissances, sans méthode. On l’engage à offrir un corps de doctrine. La singularité de ses opinions frappe plutôt que leur hardiesse : « idées trop extraordinaires pour être dangereuses. » Enfin on lui en veut de n’avoir pas « de douces émotions ».

Septembre 1808, Mercure de France. Article de Boufflers sur le livre de l’Amour, favorable. Articles très malveillants dans la Gazette de France et dans la presse religieuse.

1826. Dictionnaire des gens de lettres vivants, par un descendant de Rivarol. (Ouvrage satirique et persifleur ; p. 249, article très élogieux sur Sénancour ; à propos de la critique du Génie du Christianisme, de Sénancour, on écrit : « M. de Sénancour prépare, dit-on, la 2e édition de cet excellent modèle d’une critique si forte et pourtant si impartiale. Le besoin s’en faisait sentir en effet, au moment où l’on s’apprête à publier les œuvres complètes… » de Chateaubriand. On fait allusion à ses excellents articles du Constitutionnel et du Mercure. » On loue sa manière « plus hardie que celle des auteurs classiques, et plus scrupuleuse que celle des plumes romantiques ». On vante le style pur des Libres Méditations, qui contiennent les pages « les plus belles peut-être de la langue française ». Mais on lui reproche de ne pas assez songer au grand nombre, de ne pas se soucier de sa réputation. Cet article pourrait être de Sainte-Beuve. Le même ouvrage contient un article sur la fille de Sénancour.

1832. Revue de Paris (21 Janvier). Article de Sainte-Beuve sur Obennann. Et préface de l’édition de 1833, du même. Un extrait en parut dans le National du 14 mai.

1833. Revue des Deux-Mondes (15 Juin). Article de G. Sand (préface de l’édition de 18ïO) « >.

(1) Europe littéraire, 1833, livraison 3. Article violent contre Lélia, de Capo de Feullllde, qui la fait naître de « l’accouplement A’Obermann et d’/sa&eUe », Article de Scûelcher sur les néveries de Sénancour, livraison 17.

Revue Encyclopédique. Article d’Hippolyte Fortoul W.

Journal des Débals (19 Août et 22 Août). Deux articles sur Obermann.

Le Temps (21 Juin). Article de Nodier sur les Rêveries et Obermann.

Revue Européenne (Septembre). Article signé H. G. sur Obermann. Très malveillant : « Nous qui avons connu bien des âmes tristes et souffrantes en ce siècle, qui en avons été et qui en sommes… en vérité nous nous demandons comment des paroles telles que celles qu’on vient de lire (de Sainte-Beuve) ont pu être prononcées par un écrivain sans contredit intelligent, à propos d’Obermann. Nous nous demandons comment ce tissu de phrases harmonieuses et froides, ces efforts d’esprit et d’imagination à travers lesquels ne perce pas une pensée élevée, comment cette prose sans cœur, sans âme, a pu frapper des esprits distingués. » L’auteur oppose Sénancour à René, Werther, Child Harold, qui ont souffert dans leur cœur. Il demande grâce pour sa génération : qu’on ne dise pas qu’Obermflnn en est le type (selon le mot de Sainte-Beuve et de G. Sand). Il dit qu’elle attend « la réalisation sociale » de sa foi. Article très empreint de christianisme. Obermann n’est pour lui « qu’une voix douce et monotone, qui ne choque jamais, qui a des tons justes et doux et qui jouit d’une assez grande flexibilité » ; mais pourquoi ne sait-il pas la raison « de cette stupeur morale et intellectuelle. » Finalement il le renvoie à l’Evangile. (Note analogue chez Vinet qui appellera Sénancour un homme d’esprit) <2>.

La France littéraire (Juin), p. 361-395. Article de C. Famin sur Obermann et M. de Sénancour. Il le compare à Byron : « Il ne manque à Obermann que les mêmes souffrances dans la vie matérielle pour s’élever à ce genre de sublimité que le désespoir inspire ». Cite son apologie du suicide ; insiste sur le caractère âpre, cruel de son ironie. L’attaque sur son anti-christianisme. Il le met comme peintre audessus de B. de Saint-Pierre et le rapproche de Fenimore Cooper. Aucune analogie avec René ni Corinne, mais beaucoup avec Rousseau. L’auteur recommande les autres œuvres de Sénancour, et le désigne au choix de l’Académie des Sciences morales (3>.

(1) Dans cette même revue, en 1831, P. Leroux (Discours aux artistes) nomme Sénancour auprès de Gœthe, de Chateaubriand, de B. Constant et de Sainte-Beuve.

(2) V. p. 80.

(3) L’Europe littéraire contient encore un article sur Obermann, par J.-A. B., pp. 454-457, 9 août 1833.

1837. Fragment d’une lettre de G. Sand (Août, Fontainebleau). Se trouve dans « l’hommage à Denecourt (le Colomb sylvestre) », Paris, Hachette, 1855.

« Je croirais volontiers que le regret ou le désir du mieux est un leurre de l’imagination malade. C’était bien le fait de Sénancour. Obermann est un génie malade. Je l’ai bien aimé, je l’aime encore, ce livre étrange, si admirablement mal fait, mais j’aime encore mieux un bel arbre qui se porte bien. » Et elle ajoute : « Il faut de tout cela : des arbres bien portants et des livres malades, des choses luxuriantes et des esprits désolés. »

1838. La France littéraire (Mai). La maison d’Obermann, par Clémence Robert ; poésie de trois pages. (Cf. biographie de Cl. Robert, par Mirecourt : détails sur la vie de Sénancour dans son intérieur).

18’fO. Balzac : Revue parisienne, 25 septembre : « M. V. Hugo est certes le talent le plus éminent de la littérature des images. M. de Lamartine appartient à cette école que M. de Chateaubriand a tenue sur les fonts baptismaux, et dont la philosophie a été créée par M. Ballanche. Obermann en est… MM. À. Barbier, Théophile Gautier, Sainte-Beuve en sont… Chez quelques-uns des auteurs que je viens de citer, le sentiment l’emporte quelquefois sur l’image, comme chez M. de Sénancour et M. Sainte-Beuve. » (Au commencement des lllusions perdues, Balzac écrit : « Il existe un magnifique livre, le pianto de l’incrédulité, Obermann, qui se promène solitaire dans le désert des magasins, et que dès lors les libraires appellent ironiquement un rossignol ; quand Pâques arrivera-t-il pour lui ? Nul ne le sait ! » ) Cf. préface du Père Goriot.

1860. Ce qu’on a dit du mariage et du célibat (Larcher et P.-J. Julien). Citations de « l’Amour », de Sénancour.

1861. Berbedette : Chopin, essai de critique musicale ; Paris, Lieber, chapitre 10 : Nocturnes, de la Mélancolie, p. 40-48. Obermann cité avec Werther et Mant’red.

1864. E. Deschanel : Physiologie des écrivains et des artistes, essai de critique naturelle, in-18, Paris, 1864, p. 55. Sénancour est cité en compagnie de Rousseau, de Byron, d’A. de Musset, de P. Leroux, de Chopin, comme ayant influé, à son heure et passagèrement, sur le talent de G. Sand.

1878. Catalogue de la collection Laurent Richard. Notice, p. 8 : « Les gorges d’Apremont, de Théodore Rousseau, nous transportent dans une bruyère de la forêt de Fontainebleau, et nous font comprendre la mélancolie d’Obermann. »

1883. Amiel, Fragments d’un journal intime, précédés d’une étude par Edm. Scherer. Paris, Sandoz et Thuillier. P. XXXII, comparaison des descriptions d’Obermann avec celles de Maurice de Guérin ; elles sont « moins poétiques peut-être, moins musicalement lyriques, mais non pas moins puissantes ». « Ses tristesses ont une portée qui manque à celles des autres… L’intérêt d’une douleur n’est pas dans l’intensité de cette douleur, mais dans les pensées où elle prend sa source. » Marque ce que Sénancour a de plus que Rousseau, et de commun avec René.

1897. Journal de Genève. 7 novembre, article signé A. S(abatier), sur le livre de J. Levallois. Compare Sénancour à Maine de Biran, celui-ci « plus profond, 1 plus individualiste et moral, plus serré dans sa recherche, plus précis dans ses conclusions ». Il y a chez Sénancour « éparpillement et diffusion ». Toutefois « la continuité du développement philosophique et moral est visible ».

14 novembre, 2e article. A. S. pose le problème suivant : Comment Sénancour peut-il affirmer la continuité de son évolution ? J. Levallois s’étonne de rencontrer du mysticisme dans une âme essentiellement raisonneuse. Le problème est « insoluble pour tous ceux qui confondent la religion avec la croyance ». A. S. trouve que « la foi le faisait aspirer au martyre », d’après ce passage de la défense qu’il avait écrite (procès du Résumé des traditions. V. Levallois). « Si celui qui ne veut être que vrai importune, qu’on s’en débarrasse, il y aura peu de malheur. Mais si cela n’est plus selon nos usages, qu’on supporte sa bonne foi, afin qu’il trouve ce genre de repos dans une patrie qui l’a du moins admis fortement au partage des malheurs publics. » A. S. voit en Sénancour un cas de psychologie religieuse : « L’expérience religieuse a couronné l’expérience morale. Sénancour a vu peu à peu sa philosophie se transformer en une religion intérieure. » Cette formule me semble condenser très justement toute la vie intellectuelle de Sénancour.

VEmulation (de Fribourg) donna en juillet 1843, sous le titre : « Souvenir des Alpes fribourgeoises par l’auteur d’Obermann », un extrait de la 59" lettre d’Obermann, datée du château de Choprut W, qu’elle fit précéder d’une notice terminée par ces mots : «… Mais l’auteur d’Obermann, plaignons l’en avec Nodier <2), ne savait point chercher de consolation plus haut que cette terre. Dieu apparaît peu dans ses ouvrages. Et cependant quel homme était mieux fait pour le comprendre et l’aimer, que celui qui trouvait dans la nature de si profondes, de si belles harmonies, et les rendait avec tant de charme. » (Même tendance à ne juger Sénancour que d’après Obermann : 1° dans les articles intitulés Lettres d’un Egotiste, parus dans le Semewr de 1833-34 ; 2° dans les Etudes sur le XlXe siècle, de Vinet Lausanne, 1844).

Mlle de Sénancour, en réponse, adressa à l’Emulation une lettre, certainement dictée par Sénancour, qui fut insérée dans le numéro du 18 septembre 1843. «… Lorsque M. de Sénancour a écrit Obermann, il était fort jeune. L’énergique manifestation de dégoût <3) que lui inspiraient les croyances vulgaires… a pu lui donner les apparences de l’athéisme. Comme alors il ne traitait que fortuitement ces questions, qu’elles n’étaient point l’objet de son livre, il ne s’est nullement attaché à exprimer sérieusement sa croyance religieuse… » Dans le cours de cette lettre, Sénancour renvoie, par deux fois, l’auteur de l’article aux Libres Méditations. «… Depuis un grand nombre d’années, ces hautes recherches, l’espérance de l’avenir, causent l’unique préoccupation de M. de Sénancour, à qui une consolation puissante est nécessaire plus qu’à bien d’autres encore. Son dernier ouvrage, entièrement refait^… renferme la dernière pensée de r homme vieilli dans le silence du cabinet… »

Le 27 Janvier 1846, le Narrateur Fribourgeois publia sur Sénancour une notice nécrologique qui donne quelques curieux renseignements biographiques.

Sainte-Beuve a parlé de Sénancour dans la 14e leçon de « Chateaubriand et son groupe littéraire ».

J. Levallois, après avoir parlé à plusieurs reprises de Sénancour dans « La libre Conscience », dans « l’Opinion nationale », dans « Les Mémoires d’une forêt » et dans « La

(1) Même extrait dans Les Prosateurs français vivants, collection AJapon de Grandsagne, Paris, 1833.

(2) Cf. Ch. Nodier, Les Tristes ou Mélanges tirés des Tablettes d’un Suicidé, in-8", Paris, 1806, p. 11 : « Lisez VObermann et les Rêveries de Sénancour, et plaignez un écrivain qui a si bien senti la nature, de n’avoir pas senti Dieu ».

(3) Cf. p. 73. L’athéisme a été un mouvement de dépit consciencieux sans profondeur. Critique militante » (Déisme et Christianisme) communiqua en 1888 à l’Académie des Sciences morales un mémoire intitulé : « Une évolution philosophique au commencement du XVIIP siècle. » En 1897, il a donné son livre, très étudié : « Un précurseur, Sénancour, avec des documents inédits. »

Alvar Tornûdd a donné, en finlandais, un autre livre sur Sénancour, avec de l’inédit (Helsingfors, 1898).

J. Texte a donné, dans « The modem quarterly of Language and literature » de novembre 1898, un article sur la jeunesse de Sénancour d’après des documents inédits.

A. Le Breton a consacré à Obermann un chapitre de son livre sur « Le roman en France au XIXe siècle avant Balzac ».

Ch. Morice, dans « La littérature de tout à l’heure », écrit quelques pages sur Sénancour (p. 179-187).

V. Giraud, dans la Revue de Fribourg de janvier 1904, a publié quelques pages à propos d’une lettre inédite de George Sand à Sénancour.

Edmond Pilon, dans « L’Ermitage » de juillet 1904, écrit sur Obermann un article pieux et charmant, très subjectif.

Voici enfin une liste d’œuvres où l’influence de Sénancour, à des degrés divers, se retrouve :

Ch. Henri d’Ambel, Le trappiste d’Aiguebelle.

Bergounioux, Jules.

Champfleury, Le Réalisme.

Coligny, L’Art et la vie de Stendhal.

Delvau, Au bord de la Bièvre.

Perd. Denis, Le Brahme voyageur.

Drouineau, Résignée.

Fortoul, Grandeurs de la vie privée.

A. Houssaye, Histoire du 4ie fauteuil de VAcadémie

française (p. 320-323).

G. de Nerval, Les filles du feu, la bohème galante.

Jay, Œuvres (1er vol.) (collaborateur de Sénancour,

avec H. de Latouche, à Y Abeille de 1820).

Biémont, Le pelit-fils d’Obermann.

Monselet, Introduction à Armance.

Poitou, Du roman et du théâtre contemporain.

Michelet, De Vamour.

Il faut citer encore les Stances à Obermann, de Matthew Arnold ; la Symphonie, de Litzt ; la Vallée cTObermann, et, après J. Levallois, la Symphonie sur Obermann, de M. Boisseau.

Dans Une nichée de gentilshommes, de Tourgueneff, un jeune homme demande à une jeune fille : « Avez-vous lu Obermann ? »

Vu :

Le 14 février 1905.

Le Doyen de la Faculté des Lettres de l’Université de Paris,

A. CROISET

Vu Et Permis D’imprjmeh :

Le Vice-Recteur de VAcadémie de Paris,

L. LIARD

TABLE DES MATIÈRES

Introduction (note inédite) 7

Les Rêveries 9

Obermann 23

Le livre « de l’Amour » 25

Les Libres Méditations. — Les éditions 31

— Le manuscrit inédit 35

Le Résumé de l’histoire des traditions morales (notes inédites) 49

Observations sur le « Génie du Christianisme » (note inédite de Sainte-Beuve) 59

Valombré 60

Isabelle (lettre inédite de Sénancour à Sainte-Beuve) 61

Brochures politiques 62

Articles. — Mercure de France 64

Mercure du XIXe siècle 67

France littéraire 71

Minerve littéraire 73

Ouvrages où se trouvent insérés des fragments de Sénancour 75

Articles sur Sénancour. — Appréciations 76