Beaux-arts - Le Tombeau de l’archevêque de Paris

Beaux-arts - Le Tombeau de l’archevêque de Paris
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 41 (p. 484-490).

taire et s’effacer devant le costume moderne. Nous insistons sur les dangers d’un choix trop radical entre ces conditions contraires, parce que, depuis trente années environ, bien des erreurs ont été commises dans les deux sens, bien des tentatives se sont succédé, qui, en se démentant les unes les autres, n’ont réussi qu’à déconcerter l’opinion et à la laisser aussi peu satisfaite de la poétique idéaliste à outrance que de la transcription littérale.

Dans l’interprétation des sujets modernes, les sculpteurs de notre temps ont donc, avec un insuccès à peu près égal, cherché à faire prévaloir des doctrines opposées. Les uns, à l’exemple de M. Marochetti, — l’auteur de cette statue du duc d’Orléans jugée autrefois dans la Revue avec une juste sévérité[1], — se sont condamnés à reproduire, au lieu de l’ample physionomie des choses, les détails qui en définissent seulement les menues apparences, les caractères tout matériels ; les autres ont affublé du costume antique des gens dont la vie et la mort rendent gloire à la civilisation chrétienne. Il en est enfin, comme Simart dans ses bas-reliefs du tombeau de Napoléon Ier, qui se sont si bien défiés des artifices du vêtement, qu’ils ont procédé sur ce point par la négation absolue. De peur de concession à la mode ou de méprise pittoresque, ils ont tout uniment mis en scène leurs modèles sans vêtemens d’aucune sorte. Bien plus : n’a-t-on pas vu des œuvres issues d’un même atelier donner alternativement raison aux différentes doctrines qui divisent l’école, et le même artiste attribuer aux personnages dont il avait à retracer l’image tantôt les apparences héroïquement nues des dieux de l’Olympe, tantôt la tenue littéralement prescrite par les règlemens militaires, ou le costume bourgeois que nous portons dans la rue ou dans le cabinet ? Ainsi, après avoir représenté sur leurs tombeaux Bonchamp et le général Foy aussi dévêtus qu’hommes puissent l’être, David d’Angers, ne se rétractant pas à demi, nous montre Drouot couvert de pied en cap de son uniforme d’officier-général. Un jour David se sera contenté de jeter sur le corps nu de Racine un lambeau de draperie en guise de pourpoint et de haut-de-chausses ; quelques années plus tard, il copiera avec une fidélité impitoyable l’habit d’Armand Carrel ou la redingote de Casimir Delavigne. Le moyen en effet de tout concilier ? Comment assurer au portrait une rigoureuse exactitude sans trahir les lois de l’art lui-même, et d’autre part comment, sans un contre-sens manifeste, sacrifier absolument à ces lois générales l’expression d’un type individuel, la vraisemblance de l’aspect, de la physionomie, du costume ? Rien de plus difficile que la tâche imposée aux sculpteurs en pareil cas. Quelques-uns d’entre eux ont su l’accomplir, sinon avec une habileté magistrale, au moins avec un louable sentiment des convenances ; on peut dire toutefois que le problème n’a pas été encore complètement résolu. Quant aux tentatives pour réformer de haute lutte la sculpture monumentale et y installer, à titre de principe esthétique, l’imitation sans merci de la réalité, nous n’avons pas à en faire justice : il suffira d’en rappeler les résultats et de renvoyer ceux qu’une semblable théorie aurait pu séduire à certaines statues érigées sur les places de Nancy, du Havre et de quelques autres villes. En face de ces ouvrages au moins imprudens, ils comprendront que les brutalités du style n’en font pas la force, que la naïveté qui s’affiche devient une grimace ou un mensonge, et qu’en matière d’art la vérité elle-même cesse de paraître telle lorsqu’elle n’est plus qu’une vérité d’exception et d’accident.

En modelant la statue de l’archevêque de Paris, M. Debay n’avait à craindre ni ces exagérations ni ces pauvretés pittoresques. Sans parler du goût personnel de l’artiste et des habitudes judicieuses qui caractérisent son talent, le programme qu’il s’agissait de remplir était assez fécond en soi, assez noble dans les termes, pour exclure tout recours aux vieilles conventions académiques aussi bien qu’aux exemples, plus naturalistes que de raison, donnés par quelque moderne Valentin de la statuaire. La taille régulièrement proportionnée du modèle, les traits de son visage, sans beauté proprement dite, mais non sans charme et sans grâce virile, la forme simple, les lignes aisément souples du costume, — tout, à ne parler que des élémens extérieurs du travail, venait ici en aide au sculpteur, et ne pouvait manquer d’encourager sa main. Suit-il de là qu’un autre eût aussi sûrement que lui tiré parti de ces ressources ? La besogne était-elle si facile qu’il suffît, pour rencontrer l’expression juste, de la chercher dans l’assemblage fortuit de ces élémens une fois donnés ? Rien, ne serait moins exact qu’une pareille conclusion. La valeur particulière de l’œuvre de M. Debay résulte des circonstances mêmes qui en ont précédé l’achèvement, puisque c’est à la suite d’un concours où figurait l’esquisse de cette œuvre que l’artiste a été choisi de préférence à ses rivaux. Et d’un autre côté, si l’exécution matérielle exigeait peu d’efforts en raison des ressources offertes, d’où vient qu’avant d’aborder le marbre M. Debay ait consacré environ dix années à retoucher son modèle en terre, à le bouleverser plusieurs fois de fond en comble, à le recommencer sur place, dans cette humide chapelle où il a, dit-on, laissé sa santé ? Nous ne prétendons emprunter ni à cette ténacité, ni à cette courageuse lenteur, un argument plus décisif qu’il ne convient : nous savons que, dans le domaine des arts comme dans celui des lettres, l’estime où il faut tenir un ouvrage ne se mesure pas aux efforts de patience qu’il a pu coûter ; mais lorsqu’au mérite même du travail s’ajoutent des souvenirs honorables pour celui qui l’a mené à fin, lorsqu’un homme en quête du vrai et du beau sacrifie à cette recherche tout ce qu’il peut donner de ses facultés et de ses forces, il y a là pour les artistes une leçon, pour tout le monde un exemple de désintéressement et de loyauté qu’il n’est pas inutile de noter, du moins en passant.

La composition d’un monument à la mémoire de Mgr Affre laissait le choix entre deux partis également autorisés par la religion et par l’art, également conformes au caractère et à l’esprit du sujet. Fallait-il faire de ce monument une sorte de châsse sous laquelle le corps du martyr, solennellement proposé à la vénération des fidèles, apparaîtrait dans la calme majesté de la mort, dans l’appareil et l’opulence officielle de la dignité épiscopale ? ou bien, au lieu de ce repos déjà conquis et de cette pompe du lendemain, devait-on exprimer le moment de l’action et la lutte même, représenter l’apôtre avant sa canonisation, pour ainsi dire, et nous montrer les pavés de la barricade où il succombe de préférence à son lit de parade ? Si la question eût été posée à Florence et au XVe siècle, nul doute que les émules ou les disciples d’Antonio Rossellino, de Mino da Fiesole, et de tant d’autres maîtres curieux avant tout de l’élégance et de la sérénité linéaires, ne l’eussent résolue dans le premier sens. En France, avec les traditions et les instincts propres de tout temps à notre école, avec ce goût pour l’expression dramatique que le mouvement des idées actuelles a plutôt développé qu’amoindri, il était naturel que des deux données on n’hésitât guère à choisir la seconde. Nous nous rappelons toutefois, parmi les esquisses présentées au concours de 1848, celle qu’avait exposée M. Baltard, et dans laquelle, par une exception digne de remarque, l’artiste s’était franchement rallié à ces principes italiens que nous indiquions tout à l’heure. À ne considérer que les convenances architectoniques, l’harmonie de l’ensemble et l’accord qu’il importait d’établir entre les lignes du monument et celles de l’édifice où il devait être placé, peut-être ce projet, récompensé d’ailleurs d’un second prix, offrait-il quelque chose de moins prévu dans la forme, de moins épisodique dans les intentions qu’aucun autre. Le projet de M. Debay n’accusait pas des qualités du même ordre, il laissait quelque peu à désirer dans l’agencement des parties ornementales et au point de vue de l’invention pure ; en revanche, il avait cet avantage de traduire clairement le fait, d’en définir les conditions particulières par l’attitude, le geste, la vraisemblance historique du personnage représenté. À ce titre, il répondait mieux aux exigences de notre goût et aux sentimens qui avaient dicté la décision de l’assemblée nationale en 1848 : il méritait donc d’être préféré. Reste à savoir si l’exécution de l’œuvre a donné tout à fait raison aux suffrages des premiers juges et si, en complétant l’expression de sa pensée, le sculpteur a réussi à conquérir un nouveau et plus vaste succès.

Nous avons dit que dans le tombeau de l’archevêque de Paris, tel que l’avait conçu d’abord M. Debay et tel qu’on le voit aujourd’hui à Notre-Dame, la part faite à l’architecture était bien restreinte, sinon presque nulle. Un sarcophage en marbre décoré, pour tout ornement, d’un bas-relief et supportant la statue, une stèle s’élevant derrière celle-ci et le long de la muraille où elle s’appuie, — voilà en effet à quoi se réduisent les élémens de la composition monumentale. Peu de richesse ou de nouveauté dans les profils, peu ou point de diversité dans la couleur des matériaux employés. Je sais que, pour animer l’aspect de l’ensemble et pour en corriger la simplicité un peu aride, M. Debay s’est proposé, dès l’origine, de couvrir de peintures les murs qui avoisinent l’œuvre de son ciseau. Sous le rapport de impression morale comme pour la satisfaction des yeux, il y aurait tout avantage à compléter ainsi la signification du monument, et l’on doit désirer que les intentions de l’artiste sur ce point puissent bientôt se réaliser. En attendant, c’est à un morceau de sculpture, et de sculpture dans la plus stricte acception du mot, que nous avons affaire, car on dirait que M. Debay, qui était peintre avant de devenir sculpteur, a pris à tâche ici de ne rien laisser survivre de ses habitudes passées, et que sa main, accoutumée au luxe et au mouvement pittoresques, a craint, en taillant le marbre, de paraître prodigue ou trop agile. De là cette sobriété, excessive peut-être, dans l’ordonnance des détails décoratifs, cette application systématique à concentrer tout l’intérêt sur la statue ; mais de là aussi, dans ce morceau principal, la fermeté du style et l’exacte appropriation des moyens à l’effet qu’il s’agissait de produire.

La statue sculptée par M. Debay permet au regard d’en embrasser les contours sans hésitation ni temps d’arrêt. Pour nous servir d’un terme du métier, les diverses parties qui la composent « font bloc entre elles ; » cela veut dire qu’elles se relient de manière à ne morceler ni le modelé intérieur, ni la silhouette, par des saillies ou par des vides trop multipliés : mérite indispensable, mais assez rare aujourd’hui, même dans les travaux de sculpture purement monumentale, et que, — sans parler des statues dont on a peuplé le Louvre de Pierre Lescot et de Jean Goujon, — on ne rencontrerait pas toujours dans les groupes qui ornent les pavillons du nouveau Louvre. À cette plénitude résultant du jet et de la construction même de la figure s’ajoute, comme élément pathétique, la justesse de l’expression et du geste. Renversé sur les pavés où il était venu conjurer une guerre fratricide, frappé d’un coup qu’il sait mortel, l’archevêque semble disputer aux convulsions de la souffrance les restes de cette vie qui peut empêcher d’autres crimes et désarmer encore les meurtriers. Son bras droit se raidit dans un effort suprême pour élever, pour arborer, en face des fusils qu’on recharge, le rameau d’olivier, tandis que son bras gauche, fléchissant sous le poids du corps, maintient le crucifix en contact avec ce corps qui succombe, avec ce cœur qui va cesser de battre. Les jambes, que la mort envahit déjà, ont glissé l’une sur l’autre et s’allongent sous les plis de la soutane, dont l’effet pittoresque est rehaussé par l’extrémité flottante du manteau que soulève le bras droit. Quant aux traits du visage, ils résument et précisent avec une remarquable énergie ce combat entre la douleur physique et la volonté, ce double cri pour ainsi dire de l’âme et de la chair qu’ont fait pressentir l’attitude et les intentions générales. Les lèvres entr’ouvertes d’où s’échappe, en même temps que le dernier soupir, une supplication dernière, les muscles contractés du front et de la face, le regard tourné vers le ciel comme pour en appeler à lui des fureurs humaines et lui offrir avec le sang de la victime une prière pour les bourreaux, — tout exprime les angoisses de l’agonie aussi bien que l’ardente piété du mourant. Tout atteste ainsi l’émotion qu’a éprouvée l’artiste et la foi que lui a inspirée son sujet ; mais, dans cette partie du travail comme dans le reste, nul excès de zèle ne vient compromettre les droits du goût et agiter outre mesure ou surcharger ce qu’il n’importait pas moins de traduire avec le respect du beau qu’avec le sentiment du dramatique.

Nous le répétons, malgré la vie secrète et la passion qui l’animent, l’œuvre de M. Debay a des dehors rigoureusement conformes aux lois sévères de la sculpture. Rien n’y est donné au hasard de l’inspiration ou à la bonne fortune de la pratique ; partout l’art est présent, et un art qui raisonne et qui calcule. Peut-être même ces calculs, ces procédés presque scientifiques ne laissent-ils pas çà et là de s’accuser un peu trop. Il n’est pas difficile de s’apercevoir, par exemple, que les lignes de la figure ont été combinées en vue principalement du demi-raccourci qu’elles devaient présenter au spectateur placé en dehors de la chapelle. Rien de mieux, puisque, de ce côté, un heureux résultat a été obtenu, et que d’ailleurs la disposition des lieux et de la lumière autorisait les préférences du sculpteur pour ce point de vue un peu oblique. Fallait-il toutefois y subordonner si bien les autres aspects que certains détails perdissent leur finesse, leur opportunité même, là où ils se modèleraient dans un sens moins explicitement recommandé au regard ? Certains partis-pris devaient-ils servir à résoudre la première moitié du problème, au risque de laisser la seconde douteuse ou inutilement compliquée ? Ainsi le grand pli transversal de la soutane qui va de la hanche droite au genou gauche pouvait avoir cet avantage d’aider au raccourci des formes et de définir avec netteté le mouvement. Vu de la place où nous supposons que M. Debay voudrait surtout qu’on s’arrêtât, c’est-à-dire du bas côté de l’église, il est en parfaite harmonie avec les lignes avoisinantes, parce que celles-ci, en s’enroulant les unes dans les autres, semblent continuer l’intention qu’il exprime et se mouvoir dans une direction analogue ; mais, lorsqu’on examine la statue en face, l’unité de l’aspect n’existe plus, et l’œil s’étonne de cette ligne violente qui s’interpose brusquement entre le haut et le bas du corps. Ailleurs au contraire, — et ce défaut est surtout sensible dans le bras qui agite la branche d’olivier, — le modelé, à force de prétendre à la largeur, s’arrondit jusqu’à la mollesse, ou se simplifie jusqu’au vide. Enfin le bas-relief sculpté sur le devant du sarcophage et représentant le commencement de la scène dont on lit plus haut le dénoûment, ce bas-relief est traité avec une négligence évidemment calculée, mais que n’autorisaient suffisamment, à notre avis, ni plusieurs exemples anciens, invoqués peut-être par le sculpteur, ni certains sacrifices nécessaires pour assurer à la statue une importance principale.

À quoi bon insister au surplus sur ces imperfections de détail ? Après les avoir analysées une à une il faudrait, pour être juste, relever aussi chaque mérite partiel, chacune des qualités qui recommandent tel ou tel fragment du travail ; il faudrait, entre autres morceaux d’élite, signaler la draperie à côté des pieds, le bras reployé qui soutient le corps sans abandonner le crucifix, et surtout les mains, où le sentiment est aussi expressif que l’exécution matérielle est délicate. Un semblable examen toutefois mènerait loin le lecteur et la critique. De peur de n’aboutir qu’à la fatigue ou de s’attarder en chemin, le mieux sera de s’en tenir aux appréciations générales.

Le monument dédié à la mémoire de l’archevêque de Paris, ou plutôt la statue à laquelle ce monument un peu simple ne sert guère que de piédestal, est un spécimen considérable de ce que la sculpture nous doit et se doit à elle-même dans la représentation des sujets contemporains. Exempt d’ostentation archaïque comme d’affectation à reproduire les vérités vulgaires, le ciseau de M. Debay ne parodie pas plus les formules grecques ou romaines qu’il n’entre en complicité avec les jactances du naturalisme moderne. Sans doute il sait se souvenir des grands exemples, sans doute il sait aussi le respect dû aux enseignemens de la réalité ; mais il n’exagère, fort heureusement pour nous, ni cette mémoire du passé jusqu’à la manie des citations pédantesques, ni ce culte du présent jusqu’au fétichisme. Objectera-t-on contre le mérite de l’œuvre les élémens exceptionnellement favorables qu’elle comportait et ce que nous avons dit nous-même des ressources fournies ici par le sujet, par le costume ? Nous reconnaissons de nouveau et nous estimons à son prix l’utilité de pareils secours. Certes il était moins malaisé d’ajuster à souhait les plis d’une robe et d’un manteau que les maigres plis d’un pantalon et d’un habit. Il eût été autrement méritoire, je le veux, de trouver les secrets du beau dans les arides contours d’un uniforme ou de nous émouvoir en traitant un sujet moins bien pourvu que celui-ci de signification pathétique et d’autorité. C’est quelque chose pourtant, c’est beaucoup que d’avoir réussi à nous rendre fidèlement cette noble scène, et, traduction pour traduction, mieux vaut après tout l’art, relativement peu coûteux, de conserver à un texte sa richesse propre et son éloquence naturelle que l’effort, même habile, pour en déguiser l’indigence sous les périphrases ou sous les ornemens d’emprunt.


HENRI DELABORDE.


REVUE LITTERAIRE.

Que nous sommes loin de la superbe confiance qui animait la génération de 1830 ! Heureuse époque où l’on croyait en soi-même ! Et certes, s’il ne suffit pas de cette croyance pour créer de belles choses, elle est du moins un élément nécessaire du travail, une condition du succès. Heureuse époque où l’on ne croyait si bien en soi-même que parce que l’on croyait également aux autres ! Un idéal commun emportait vers le même but, par des chemins divers, tout ce monde de poètes, d’historiens, de philosophes. Le succès d’un rival était la garantie de votre propre succès. Toutes les gloires participaient l’une à l’autre : c’est qu’elles avaient alors un point de départ commun, les espérances et les besoins de tous. Ce grand mouvement de rénovation littéraire était aussi un mouvement de rénovation historique, philosophique, morale. Je ne veux pas dire qu’il ait porté tous ses fruits, qu’il ait même suivi la marche la plus sûre ; il n’y en avait pas moins là pour la jeunesse d’alors une espérance, une certitude, un ralliement. On cherchait le mieux parce que déjà l’on tenait le bien ; on montrait même dans cette recherche une généreuse impatience parce que l’on possédait déjà une somme suffisante de garanties et de libertés.

La jeunesse d’aujourd’hui n’est pas née sous la même étoile. Celle de 1830 avait eu également à combattre le doute, mais c’était le doute du passé ; aujourd’hui c’est le doute du présent qui nous oppresse. Sans remonter aux causes directes de ce changement, on peut dire que depuis dix ans la jeunesse s’est constamment trouvée entre ces deux écueils, le scepticisme ou bien l’adoration de la réalité, de l’événement accompli, de la force des choses transformée en droit. Il n’y avait là aucune place pour la croyance qui juge et qui vient de l’esprit, c’est-à-dire pour la conscience. La jeunesse s’est alors demandé ce qu’il lui fallait croire ; elle s’est étudiée elle-même

  1. Voyez l’article de Gustave Planche dans la livraison du 15 août 1845.