Bas les masques/Chapitre III

Imprimerie de « L’Événement » (p. 13-19).

III

La Dénonciation est une mesure très sage

Les papes Clément XII (1738) et Benoit XIV (1751) furent les premiers à condamner la Maçonnerie. En outre, ils imposèrent aux fidèles cette obligation de révéler à l’autorité religieuse les noms des sectateurs.

Hélas ! la parole des papes n’a pas toujours été comprise ni obéie. Cette désobéissance a été fatale et désastreuse.

Or il se trouve encore de nos jours des hommes qui osent douter de la qualité des armes que nous tenons de nos chefs. Quelle aberration et quelle présomption !

Les pontifes qui gouvernent la Sainte Église sont meilleurs juges que les fidèles ; ils reçoivent l’assistance de l’Esprit Saint, et puis, ils sont les héritiers de ces grands lutteurs qui s’appelaient saint Léon le Grand, saint Grégoire VII, Innocent III et tant d’autres. Ils ont reçu de leurs prédécesseurs des trésors de savoir et d’expérience. Est-il quelqu’un qui ait mieux vu, et de plus près, et plus profondément, les faiblesses de l’homme et les défauts de sa cuirasse ?

Le direction des papes du XVIIIe siècle était le fruit de cette sagesse.[1]

Il fallait une arme nouvelle, en effet la tactique était changée. Jusque-là les ennemis de l’Église l’avaient attaquée ouvertement : depuis les empereurs qui torturaient les chrétiens sous les yeux de la foule ; les schismatiques qui combattaient en plein jour par la parole et par la plume, les empereurs d’Allemagne qui conduisaient leurs armées sous les murs de Rome, jusqu’aux protestants qui avaient engagé la lutte à ciel ouvert, en rejetant avec éclat l’autorité du pape. Mais au XVIIIe siècle, la bataille allait se faire en champ clos, bien fermé, habilement défendu.

Rarement en effet, on sût utiliser toutes les ressources que la ruse, la perfidie et la finesse la plus subtile peuvent inventer pour s’en faire des armes.

Le secret le plus absolu était imposé aux membres de la Loge ; défense leur était faite de révéler le lieu des réunions, les noms des sectateurs, les discours qui s’y prononçaient, et les travaux qui s’y exécutaient.

On s’engageait par serment à ne jamais dévoiler aucun des secrets de la maçonnerie, même après l’avoir quittée. On était averti que des représailles terribles suivraient toute indiscrétion.

On s’entoura de symboles et de mystères, afin de mieux dissimuler l’hypocrisie et le mensonge qui devaient tenir une place si importante dans l’histoire des sociétés secrètes.

Sauf pour les ardents, il est certain que l’on n’aime pas à être connu comme Franc-Maçon, même en France où ils sont si puissants et où ils jouissent d’un prestige si considérable. On est toujours au moins catholique de nom, quelques fois un peu plus.

Ce fut déjà la pratique des premiers maçons. D’apparence honnête et respectable, ils se mêlaient au peuple chrétien, s’empressaient auprès du clergé, attiraient chez eux les prélats et les grands seigneurs, se mettaient sous la protection des rois qu’ils accablaient de flatteries et d’honneurs. On conféra même aux uns et aux autres les grades les plus élevés qu’ils acceptèrent avec joie et qu’ils portèrent avec orgueil, cependant que dans une loge voisine on préparait leur déchéance et la spoliation de leurs biens.

Le mensonge fut vraiment la cheville ouvrière et l’âme de l’institution, qui eut sans peine l’intelligence des directions données par ses chefs, comme celle-ci que nous trouvons dans les Écrits Originaux saisis à Munich en 1785 : « Appliquez-vous à l’art de vous contrefaire, de vous cacher, de vous masquer, en observant les autres, pour pénétrer leur intérieur ».

La Franc-Maçonnerie s’était présentée comme une institution philosophique, n’ayant pour objet que la recherche de la vérité, l’étude de la morale universelle, des sciences et des arts, et l’exercice de la bienfaisance.

Elle n’excluait personne pour ses croyances.

Elle avait pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité. Le premier soin des maçons comme citoyens devait être de respecter les lois du pays qu’ils habitaient.

C’était écrit en toutes lettres dans les statuts de la Franc-Maçonnerie.

La belle société du XVIIIe siècle fut aveugle. Bien peu de familles nobles se tinrent à l’écart, au contraire la plupart sympathisèrent avec leurs pires ennemis. Elle fut sourde, et ne voulut pas entendre la parole des Papes qui eurent assez de clairvoyance pour reconnaître le danger dans les manœuvres habiles et astucieuses de la secte ; ils eurent également assez de fermeté pour indiquer le remède. Mais le crépuscule sanglant de l’avant dernier siècle éclaire d’une lueur sinistre l’insouciance, la légèreté et la désobéissance de cette société sourde et aveugle.

Moins d’un siècle et demi plus tard, Louis Blanc pouvait écrire :

« Il plût à des Souverains, au grand Frédéric de prendre la truelle et de ceindre le tablier. Pourquoi non ? L’existence des hauts grades leur étant soigneusement dérobée, ils savaient seulement de la Franc-Maçonnerie, ce qu’on pouvait montrer sans péril ; ils n’avaient pas à s’en inquiéter, retenus qu’ils étaient dans les grades inférieurs où le fond des doctrines ne perçait que confusément à travers l’allégorie, et où beaucoup ne voyaient qu’une occasion de divertissement, que des banquets joyeux, que des principes laissés et repris au seuil des Loges, que des formules sans application à la vie ordinaire, et en un mot, qu’une comédie de l’égalité. Mais, en ces matières, la comédie touche au drame, et il arriva, par une juste et remarquable dispensation de la Providence, que les plus orgueilleux contempteurs du peuple furent amenés à couvrir de leur nom, à suivre aveuglément de leur influence leurs entreprises latentes dirigées contre eux-mêmes[2].

Tout ce monde s’était laissé endormir. « Ils se trompent rarement les fils de Satan », dit Louis Veuillot.

Les catastrophes qui suivirent ont été encore plus grandes qu’on ne les avait prévues.

Mais, on se demandera peut-être comment il se fait que la politique des papes aidée de l’Esprit Saint, ait produit de pareils résultats ? À quoi ont servi tous ces trésors de sagesse et d’expérience ? Ils ont été impuissants à sauver la société.

La politique des papes, même inspirée, ne réussit pas toujours, c’est vrai, il faut s’en prendre alors aux malheurs des temps. Mais les malheurs des temps, ce sont les hommes qui les font, eux-mêmes creusent les abîmes et préparent les chutes lamentables dans lesquelles ils succombent.

Elle ne réussit pas toujours cette politique parce que l’individualisme entre en lutte avec l’autorité légitime, parce qu’il discute, qu’il juge, qu’il condamne parfois ; bien plus, parce que des catholiques vont s’asseoir au bivouac ennemi, et qu’ils osent même y prendre des ordres pour la bataille du lendemain.

C’est ainsi que s’opère la démoralisation des forces catholiques, et voilà comment les batailles mal engagées sont perdues, et comment les places fortes mal défendues sont prises d’assaut.

Louis Veuillot disait encore, cette fois en parlant du pape Jean XXII : « Il avait fait un empereur avec ce qu’il pouvait, car la matière devenait rare. » À force de diminuer la vérité et d’atténuer le commandement, la matière dont on fait aussi les bons chrétiens finit elle-même par devenir rare.


  1. Rappelons-nous cependant, que les Manichéens et les Albigeois avaient déjà des organisations secrètes. L’attention des papes était donc tenue en éveil.
  2. Louis Blanc. Hist. Rév. Franç. ch. III.