Barzaz Breiz/1846/Chants des Noces/Bilingue-Demande

Barzaz Breiz, édition de 1846
Chants des Noces



I


LA DEMANDE.


(Dialecte de haute Cornouaille.)


I.


LE BAZVALAN.

Au nom du Père tout-puissant, du Fils et de l’Esprit-Saint, bénédiction dans cette maison, et joie plus que je n’en ai.


LE BREUTAER.[1]

Et qu’as-tu donc, mon ami, que ton cœur n’est pas joyeux ?


LE BAZVALAN.

J’avais une petite colombe dans mon colombier avec mon pigeon, et voilà que l’épervier est accouru, comme un coup de vent, et il a effrayé ma petite colombe, et l’on ne sait ce qu’elle est devenue.


LE BREUTAER.

Je te trouve bien requinqué pour un homme si affligé ; tu as peigné tes blonds cheveux, comme si tu te rendais à la danse.



LE BAZVALAN.

Mon ami, ne me raillez pas ; n’avez-vous pas vu ma petite colombe blanche ? Je n’aurai de bonheur au monde que je n’aie retrouvé ma petite colombe.


LE BREUTAER.

Je n’ai point vu ta petite colombe, ni ton pigeon blanc non plus.


LE BAZVALAN.

Jeune homme, tu mens ; les gens du dehors l’ont vue voler du côté de ta cour, et descendre dans ton verger.


LE BREUTAER.

Je n’ai point vu ta petite colombe, ni ton pigeon blanc non plus.


LE BAZVALAN.

Mon pigeon blanc sera trouvé mort, si sa compagne ne revient pas ; il mourra, mon pauvre pigeon : je m’en vais voir par le trou de la porte.


LE BREUTAER.

Arrête, ami, tu n’iras pas, je vais moi-même voir.

(Il entre dans la maison, et revient un moment après.)

Je suis allé dans mon courtil, mon ami, et je n’y ai point

trouvé de colombe, mais quantité de fleurs ; des lilas et des églantines, et surtout une gentille petite rose, qui fleurit au coin de la haie ; je vais vous la chercher, si vous le voulez, pour rendre joyeux voire esprit.

(Il entre une seconde fois dans la maison, puis revient
en tenant une petite fille par la main.)


LE BAZVALAN.

Charmante fleur vraiment ! gentille et comme il faut pour rendre un cœur joyeux ! si mon pigeon était une goutte de rosée, il se laisserait tomber sur elle.

(Après une pause.)

Je vais monter au grenier, peut-être y est-elle entrée, en volant.


LE BREUTAER.

Restez, bel ami ; un moment, j’y vais moi-même.

(Il revient avec la maîtresse du logis.)

Je suis monté au grenier, et je n’y ai point trouvé de colombe, je n’y ai trouvé que cet épi abandonné après la moisson.

Mets-le à ton chapeau, si tu veux, pour le consoler.


LE BAZVALAN.

Autant l'épi a de grains, autant de petits aura ma colombe blanche sous ses ailes, dans son nid, elle au milieu, tout doucement.

(Après une (pause.)

Je vais voir au champ.



LE BREUTAER.

Arrêtez, mon ami, vous n’irez point; vous saliriez vos beaux souliers ; j’y vais moi-même pour vous.

(Il revient avec la grand’mère.)

Je ne trouve de colombe en aucune façon ; je n’ai trouvé qu’une pomme, que cette pomme ridée depuis longtemps, sous l’arbre, parmi les feuilles ; mettez-la dans votre pochette, et donnez-la à manger à votre pigeon, et il ne pleurera plus.


LE BAZVALAN.

Merci, mon ami ; pour être ridé, un bon fruit ne perd pas son parfum ; mais je n’ai que faire de votre pomme, de votre fleur ni de votre épi ; c’est ma petite colombe que je veux ; je vais moi-même la chercher.


LE BREUTAER.

Seigneur Dieu ! que celui-ci est fin ! Viens donc, mon ami, viens avec moi ; la petite colombe n’est pas perdue : c’est moi-même qui l’ai gardée, dans ma chambre, en une cage d’ivoire, dont les barreaux sont d’or et d argent ; elle est là toute gaie, toute gentille, toute belle, toute parée.

(Le Bazvalan est introduit ; il s’assoit un moment à table, puis va prendre le fiancé. Aussitôt que celui-ci parait, le père de famille lui remet une sangle de cheval qu’il passe à la ceinture de sa future. Tandis qu’il boucle et qu’il délie la sangle, le Breutaer chante : )


II


LA CEINTURE.


II.


J’ai vu dans une prairie une jeune cavale joyeuse.

Elle ne songeait qu’à bien, qu’à s’ébattre dans la prairie,

Qu’à paître l’herbe verte et qu’à s’abreuver au ruisseau.

Mais par le chemin a passé un jeune cavalier si beau !

Si beau, si bien fait et si vif ! les habits brillants d’or et d’argent.

Et la cavale, en le voyant, est restée immobile d’étonnement ;

Et elle s’est approchée doucement, et elle a allongé le cou à la barrière ;

Et le cavalier l’a caressée, et il a approché sa tête de la sienne ;

Et puis après il l’a baisée, et elle en a été bien aise ;

Et puis après il l’a bridée, et puis après il l’a sanglée.


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  1. Avocat, plaideur, défenseur.